mercredi 30 novembre 2005

Poireaux vinaigrette...

J'apprends, par le blogue d'Olivier que le poireau est le symbole floral du pays de Galles... À dire vrai, je m'en moque un peu, n'ayant pour l'instant pas de lien affectif particulier avec le pays de Galles (rien contre non plus ; j'ai des amis qui y sont allés et qui ont aimé). Je trouve cependant amusant que l'on puisse choisir le poireau comme emblème floral...

Comme je l'écrivais en commentaire dans le blogue d'Olivier, je me suis demandé si Agatha Christie ne s'était pas inspirée de ce légume pour nommer le plus célèbre de ses personnages, le fameux Hercule, inspecteur d'origine belge... Oui, je sais que l'Hercule de la dame anglaise, c'est « Poirot » qu'il s'appelle (faut pas me prendre pour un illettré simplement parce que je suis Québécois, que je ne suis pas professeur et que je ne mets pas toujours sur les « i » plus de points qu'il n'en faut : il faut faire confiance à l'intelligence du lecteur). Si j'avais voulu donner un nom de légume à un personnage belge, je l'aurais plutôt appelé Chicon, il me semble ; mais peut-être que la romancière anglaise craignait la sonorité finale de cet autre légume...

Cela me rappelle l'histoire d'un important promoteur immobilier qui construisait à Montréal un hôtel assez important ; puisque le projet devait s'élever rue Sherbrooke, à l'angle de la rue City Councillors, les promoteurs avaient décidé de lui donner le nom de « Shercon ». On aura vite compris pourquoi ce projet qui devait avoir un certain prestige risquait de faire parler de lui pour autre chose que la qualité de son architecture... Comme j'ai eu à l'époque, pour le compte de l'État, un petit rôle à jouer dans les démarches administratives concernant la raison sociale et la déclaration du siège social de l'entreprise, j'avais suggéré aux conseillers juridiques de l'entreprise en question qu'il serait préférable de choisir une autre raison sociale. Évidemment, les conseillers juridiques n'aiment pas se faire dire ce qu'ils doivent faire ; il y a toujours quelque chose d'un peu humiliant pour eux de rappeler le client, de lui demander de choisir un autre nom ; pourquoi l'avocat n'y a-t-il pas pensé plus tôt, en effet ? Pourquoi payer des conseillers juridiques s'ils ne peuvent prévoir les problèmes à venir ? Mon conseil de changer de nom a tout de même fait son chemin, conforté par d'autres qui n'ont sûrement pas manqué de venir de part et d'autre et, ce n'est pas négligeable, par quelques articles dans les journaux ; l'entreprise a fini par changer de nom...

Pour moi, cependant, les poireaux n'évoquent ni le pays de Galles ni Agatha Christie. J'ai dû manger des poireaux quelques fois dans mes premières années de jeunesse, mais je n'en gardais aucun souvenir et par conséquent aucun désir de recommencer. C'est un légume que j'ai vraiment découvert il y a plusieurs années, lors d'un séjour à Paris. Lors de mon premier séjour dans la capitale française, à vingt ans, j'avais commencé à faire du spectacle en professionnel (avec cachet, déductions, cotisations) ; depuis, j'étais resté en contact avec quelques personnes, dont le professeur de danse de quelques amis que j'allais souvent attendre à la fin de leurs cours... Quand, après quelques mois, il fallut prolonger mon permis de séjour en sol français, ce professeur de danse de mes amis fit vraiment tout ce qu'il put pour me permettre de rester en France plus longtemps : il me fit inscrire au Conservatoire de musique dans la classe de chant que dirigeait une amie, il me fit embaucher chez un commerçant de son voisinage en attendant que je reparte en tournée de spectacles, etc. Mais un artiste lyrique ne gagne pas une fortune à vingt ans ; si les engagements sont un peu espacés, il faut trouver d'autres sources de revenus. On voulait bien m'engager dans des commerces, dans des bureaux ; mais après quelques jours, quand on se rendait compte que je n'étais pas Français, je comprenais que je devais partir... Je finis par rentrer à Montréal, la mort dans l'âme...


Par la suite, chaque fois que je venais à Paris, je venais chez cet ami, André ; j'y avais « ma chambre » (c'est ainsi qu'il désignait lui-même cette pièce qui lui servait de petit salon de musique et de lecture ainsi que de salle à manger pour les repas sans cérémonie et dans laquelle je m'installais quand j'étais là ; il me disait parfois : « J'ai reçu telle ou telle personne ; j'ai dû prêter "ta chambre" ».) Comme il avait fait une belle carrière, qu'il avait été une « star » en son temps, son appartement était un véritable musée, rempli de collections diverses et de beaux objets. Son train de vie était aussi à la hauteur de sa réputation. Quand je venais à Paris, c'était habituellement pour trois semaines ou un mois. Et tout le temps que j'étais là, chacun des repas était particulièrement bien planifié pour me faire goûter les délices de la cuisine française. Des poissons au poulet, en passant par les fruits de mer, le veau, le canard, le lapin, le steak tartare, j'aurai mangé là la meilleure cuisine qui soit et rien que d'y penser, j'en salive encore ; tous les amis que je lui ai fait connaître et qui ont eu l'occasion de manger chez lui diront la même chose : protocole en moins, chacun de ses repas était un repas princier... Le midi, c'était évidemment plus léger, mais toujours délicieux et bien équilibré ; nous prenions un peu moins de vin au déjeuner, mais il fallait tout de même un verre ou deux de ce qu'il appelait en riant son « porto soviétique », qui était en fait son bordeaux de table, son vin de tous les jours. Pour les grandes occasions, il descendait à la cave chercher du champagne et, surtout, de grands crus du Bordelais pour les vins rouges... C'est de là que me vient l'habitude de n'acheter pour moi que des vins de bordeaux, sans que ce soit les grands crus. Et c'est aussi chez lui, donc, que j'ai mangé pour la première fois des poireaux vinaigrette en entrée, que j'ai souvent préparés moi-même depuis et qui restent ancrés dans ma mémoire comme un plat associé à l'automne, au mois de novembre plus particulièrement, et surtout comme un plat associé à André. C'est aujourd'hui la Saint-André, qui était sa fête et la grande occasion de recevoir quelques amis pour lesquels il sortait le champagne, la belle vaisselle, le cristal et l'argenterie ; pour l'occasion, les grands traiteurs parisiens étaient mis à contribution : D'Aloyau, Fauchon, Hédiard.... J'ai une pensée affectueuse et triste pour cet ami, décédé en novembre il y a deux ans et qui fut durant... plus de vingt ans, pas forcément un maître à penser car nous avions parfois des positions politiques assez divergentes, mais un mentor dans l'art de vivre et un fidèle ami.

Le blogue d'Olivier (un Français au Québec).





Rien à déclarer !

Rien à ajouter non plus, merci.



mardi 29 novembre 2005

Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir...

« Nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement, quelque part ; c'est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine, pour y naître après coup, et chaque jour plus définitivement. » (Rainer Maria Rilke)

lundi 28 novembre 2005

Ouf !

Ça y est : j'ai terminé cet article et, pour tout dire, il était temps... Je me dis parfois qu'il faut être un peu masochiste pour s'engager à produire un article pour telle ou telle publication. À mesure qu'approchent la date et l'heure de tombée, la tension augmente et je ne suis pas persuadé que l'adrénaline en fasse toujours autant...
Enfin, je peux dire : mission accomplie, mais à quel prix ? J'ai vraiment trop attendu avant d'en commencer la rédaction ; je savais ce que je voulais mettre dans cet article, mais je ne voyais toujours pas quelle forme lui donner... Au fond, tout cela, ce sont des questions de cuisine qui n'intéressent personne : ceux qui écrivent les connaissent et les autres ne veulent pas savoir...
Même après avoir envoyé l'article (car il fallait bien l'envoyer), je ne savais pas trop ce qu'il valait ; j'étais épuisé et je n'avais plus assez de recul pour en évaluer la pertinence et la qualité... Une heure plus tard, j'ai reçu un message d'un membre du comité de rédaction, exprimant son heureuse surprise de la forme et sa satisfaction du contenu ; je pouvais ainsi commencer à relaxer... Relaxer ? C'était essayer de faire abstraction du mal de tête violent qui ne me lâchait pas et de la nausée qui me guettait : voilà le résultat des heures supplémentaires de travail et du chambardement du rythme de vie. J'ai beaucoup de sympathie pour Rimbaud, mais je crois que j'ai passé l'âge du dérèglement de tous les sens.


Au sujet de Rimbaud, quelqu'un a lu ce roman de Philippe Besson, Les jours fragiles ? Il nous révèle les derniers jours d'Arthur racontés par sa soeur Isabelle qui aura toujours vécu dans son ombre... Ombre ou absence ? Ombre d'autant plus troublante, peut-être, qu'elle était celle d'un frère qu'elle n'avait jamais vraiment eu le temps de connaître. Au retour d'exil du frère prodige et prodigue, elle décide de ne plus le quitter et reporte sur lui toute l'affection qu'elle auraît dû pouvoir consacrer à un mari, à des enfants...

Si vous ne connaissez pas encore Philippe Besson, c'est un jeune romancier contemporain dont chaque nouveau roman est attendu. Il a écrit Son frère, dont Patrice Chéreau a tiré un film (dans lequel on peut voir Éric, un copain de Paris, jouer un rôle muet ; son nom est au générique. Salut Éric, toi qui ne connais pas encore l'existence de ce blogue. C'est promis, je t'en envoie l'adresse dans les prochaines minutes.)

Les romans de Philippe Besson (1967), tous parus chez Julliard, sont : En l'absence des hommes (2001), Son frère (2001), L'arrière-saison (2002), Un garçon d'Italie (2003), Les jours fragiles (2004) et Un instant d'abandon (2005). J'apprends que Claude Berri aurait conclu une entente avec Philippe Besson pour porter à l'écran Les jours fragiles ; Julie Depardieu y jouerait le rôle d'Isabelle Rimbaud et Guillaume Depardieu, celui d'Arthur.

dimanche 27 novembre 2005

Heure de tombée...

Durant quelques heures aujourd'hui, il a fait beau ; le soleil est sorti, mais un peu tard ; il a dû rapidement aller se coucher. Au fond, le temps est encore assez doux : le mercure se maintient autour du point de congélation ou légèrement au-dessus. Alors j'en ai profité, en fin d'après-midi, pour aller prendre l'air avant de me mettre au travail. En fait, je suis très en retard, car je dois envoyer ce soir un article d'environ 1 500 mots et il est... encore dans mes neurones. Je devrais commencer à être pris de panique, mais depuis trois semaines, j'ai débranché le bouton d'urgence. J'ai décidé de m'accorder un peu de répit et de faire d'abord ce qui me plaît... quand c'est possible. Cet article, je ne peux cependant pas le remettre à plus tard, car déjà il devait être remis lundi dernier, sauf qu'on m'a demandé de faire un peu plus long pour occuper un espace que des articles de collègues devaient remplir ; or les articles commandés à des collègues n'étaient simplement pas à la hauteur, m'a-t-on dit ; on m'a donné quelques jours de plus pour me permettre d'étoffer le mien. Je ne peux pas non plus me permettre de bâcler cet article, qui sera lu surtout par des pairs, des collègues qui n'appartiennent pas à la même association que moi, mais à une autre association de langagiers, regroupant principalement des traducteurs, des réviseurs, terminologues et autres linguistes. Je me fais donc un peu de thé noir et je m'installe au clavier... jusqu'au moment où je pourrai inscrire au bas de mon quatrième feuillet le code bien connu :

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Aristote et moi...

J'ai longtemps hésité avant d'annoncer l'existence de ce blogue... D'abord, je ne savais pas moi-même ce que je voulais en faire, ce qu'il deviendrait. Puis, au fil des jours, j'ai ajouté des textes, des images, qui peu à peu me révèlent, sous le couvert d'un pseudonyme, bien sûr, mais avec le temps, on en vient à oublier le pseudonyme, et la cloison entre le pseudonyme et la personne devient de plus en plus fine, de plus en plus perméable. Pourquoi donc écrire ce blogue, si c'est pour le garder secret, pourrait-on me demander. Je pourrais répondre qu'outre le fait de l'écrire, celui de voir mes textes, les images choisies, me renvoient à moi-même une certaine image de moi, de ce que j'ai senti, pensé, au fil du temps ; le produit fini me permet de prendre un peu de recul par rapport à ce que j'ai écrit... Mais au fond, il ne faut pas me le cacher ; si j'ai choisi d'écrire dans un « blogue » plutôt que dans des documents personnels, c'est que le secret désir d'être lu, apprécié, est bien présent...
Cependant, au moment d'annoncer l'existence de ce blogue, d'en donner l'adresse, je sens monter en moi une certaine réserve ; ce qu'il me reste de pudeur se manifeste. D'enfant sauvage, d'adolescent très timide que je fus, j'ai appris à vivre en société, à faire bonne figure dans des situations diverses. Dans certains cas, j'ai même repoussé des limites au delà de ce que j'aurais pu imaginer. Il n'en reste pas moins que dans certaines situations et devant certaines personnes, le vieux réflexe de protection de son intimité refait surface. « Les hommes rougissent davantage devant ceux dont ils veulent être admirés », dit Aristote. Il ne s'agit certes pas de me poser en exemple ni de chercher l'admiration de quiconque. Il s'agit plutôt d'essayer de conserver l'estime des personnes qui comptent pour soi. Si l'opinion des personnes que l'on ne connaît pas compte assez peu, c'est que l'image qu'ils se feront de nous sera faite de ce que nous leur révélons ; l'image ne correspondra peut-être pas à ce que nous voudrions qu'elle soit, mais on partira de là pour préciser, si l'intérêt est maintenu. Alors qu'en révélant une plus grande part de son intimité devant des personnes que l'on connaît, on ne sait pas comment cela sera perçu par ceux qui ont déjà une certaine image de soi.
Cela dit, la pudeur n'est pas une vertu, selon Aristote ; elle n'est qu'un sentiment qui peut s'apparenter à la honte, et qu'il considère comme l'une des deux qualités morales (l'autre étant la juste indignation).

Ma vie en ce moment...


Ma vie en ce moment, ressemble à cette cabane au fond du jardin...
N'est-ce pas que l'herbe est verte ?

Opéra royal de Liège


















Quand j'étais jeune et beau et que l'avenir m'appartenait, j'ai chanté là, dans ce théâtre, l'Opéra royal de Wallonie, que je suis allé revoir il y a quatre ans... (j'en reparlerai)

De même que dans plusieurs théâtres et opéras de France (Orléans, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Carcassonne, Aix-en-Provence, Avignon, Bourg-en-Bresse, ...)

samedi 26 novembre 2005

Merci, l'ami...



Je viens d'avoir sur MSN une conversation avec un ami lointain, conversation comme je n'en avais eu depuis longtemps, avec qui que ce soit, de près ou de loin... Je ne vais pas raconter ici, maintenant, mes points sensibles en amitié ; j'en parlerai un jour, probablement. Il y a quelques jours, j'écrivais dans mon profil que mes premiers amis ont d'abord été des livres et qu'il m'arrivait de regretter de ne pas leur avoir été plus fidèle ; j'ajoutais que j'avais tendance en ce moment à revenir à ces premières fidélités... Je suis sans doute un mauvais ami moi-même, souvent négligeant, cherchant d'abord à « faire provision de joie » avant de me présenter devant les autres... Il suffit donc d'un peu de silence de la part des autres pour que je m'imagine abandonné (je traîne cela de mon enfance et cela ne se change pas facilement). J'oublie trop facilement que les obligations qui m'empêchent de vivre sont souvent le lot de bien des personnes, proches ou éloignées, et que le silence des uns et des autres peut s'expliquer autant que le mien...

Pour aller prendre un verre avec l'ami en question, il faudrait d'abord de Montréal prendre l'avion jusqu'à Marseille, et de là, prendre un moyen de transport terrestre jusqu'à Aix-en-Provence ou, selon les allées et venues de l'ami, un peu plus loin, vers Manosque rendue célèbre par Jean Giono... Ça, c'est quand il n'est pas en Italie où, ces dernières années, il a passé pas mal de temps, à étudier, à faire des recherches, à aimer, à vivre...

Loin dans l'espace, mais en réalité aussi près qu'un frère que je n'aurais pas osé souhaiter... Il aura suffi ce soir de quelques mots échangés par ce service de messagerie électronique pour retrouver cet ami tel que je l'ai toujours connu : attentionné, sensible, comprenant tout à demi-mot... Me croyant l'être le plus seul au monde et ayant le besoin de me retrouver, de faire le point et, en quelque sorte, de réapprivoiser ma solitude en me retrouvant, je l'avais aussi enveloppé de mon silence ces dernières semaines, en me disant qu'il devait être très occupé. Et ce soir, j'ai bénéficié de la magie de l'amitié : il a suffi qu'il soit là, que nous échangions quelques mots pour que le courant circule et que nous retrouvions toutes nos complicités, comme si nous avions laissé en plan notre conversation ce matin... Ce Poète du Sud est un ange sur Terre. Et quand je pense au poète, je ne peux m'empêcher de penser à ces mots de Paul Éluard qui disait que le poète n'est pas tellement celui qui écrit que celui qui inspire. Éric est en effet une riche source d'inspiration, en terme d'idées, de culture générale, de connaissances artistiques, mais aussi en art de vivre : on ne saurait en sa présence avoir de pensée négative ; il suffit qu'il soit là, ou que l'on pense à lui, pour se mettre à aimer tout le monde et son voisin.

Éric, c'est le grand ou le petit frère, selon notre âge, le fils idéal, l'ami sans faille que chacun voudrait avoir. Et s'il avait un défaut, je crois que ce serait celui d'avoir du mal à dire « non », car pour lui tout être est digne d'attention et de soin ; il suffit qu'un besoin soit exprimé pour qu'Éric se sente investi d'un mission... Je sais, j'exagère un peu, mais à peine. Si j'avais à conseil à lui donner (il le sait d'avance), ce serait de lui rappeler ce précepte : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».

Alors, l'ami Éric, pour la qualité de ta présence véritable, pour le goût des lectures que nous avons en commun, pour ton sens de la beauté, pour le goût des bons vins et des bons plats, pour l'amour de la paëlla que tu prépares si bien et que nous n'avons pas encore partagée mais que nous mangerons ensemble bientôt, j'espère ; pour l'amour de la France, de l'Italie et de la Grèce, que nous partageons, pour l'Espagne que tu me feras connaître et pour tout ce que tu es, merci encore.

Objets d'écriture


Quand je pense au temps perdu et aux frustrations qui accompagnent la plupart du temps la mise en page de textes et d'images dans ce blogue, je me dis souvent que je serais aussi bien d'oublier tout cela et de revenir à ce que j'aime vraiment, aux véritables objets d'écriture... Indépendamment de la satisfaction ou de la frustration au sujet du texte, de son sens et de sa forme, la plume et le stylo procurent à celui qui écrit un plaisir supplémentaire qui s'apparente à la volupté. La sensation du stylo dans la main, variable selon la taille et le matériau de l'objet, le frottement du revers de la main sur le papier, le léger bruit du glissement de la plume sur la feuille, l'odeur de l'encre, la forme des lettres, le mouvement de la graphie, le contraste de l'encre et du papier, la composition de la page, etc. ; ce sont là des plaisirs qui se font de plus en plus rares, un raffinement que déjà un bon nombre de nos contemporains, parmi les plus jeunes, ne connaissent pas et dont ils ne soupçonnent même pas l'existence.

En plus des stylos à bille que je collectionne souvent malgré moi (car il faut souvent en remplacer certains, pour une raison ou pour une autre), je possède déjà quelques stylos à réservoir que j'utilise de plus en plus rarement, hélas. Ces dernières années, par souci d'efficacité et par paresse, j'ai négligé l'écriture manuscrite au profit du traitement de texte. Car il faut pour écrire, non seulement du temps et du silence, mais il faut aussi un peu de paix en soi et toute une organisation matérielle. Qu'il s'agisse d'écrire deux lignes à un collègue, une page de nouvelles à un ami lointain ou un chapitre de roman, l'ordinateur n'occupe toujours sur le bureau que le même espace. Alors que si l'on veut écrire à la plume, il faut avoir sous la main le papier adéquat, l'espace devant soi pour l'étendre ; il faut avoir le stylo et la bouteille d'encre qui lui convienne, etc. Écrire à la plume est en soi un bonheur et, comme tout bonheur, il demande du temps, de la présence attentive qui se traduise dans l'organisation de l'espace et des objets autour de soi. Dans ce monde fou qui nous impose un rythme effréné, il faut savoir s'arrêter et prendre le temps... En ce qui me concerne, ce n'est pas encore gagné... Néanmoins, le goût me vient souvent de retrouver ces objets d'écriture, symboles d'un luxe inouï, celui du temps libre et du bonheur de vivre.

Je présente ici quelques objets, qui ne sont pas encore les miens, mais que j'accepterai avec joie si quelqu'un veut me les offrir :

Le Meisterstück, de Montblanc, est une icône ; la reine d'Angleterre, le pape, un très grand nombre d'écrivains, l'utilisent quotidiennement. J'ai même lu quelque part qu'un écrivain français dont j'oublie le nom, n'écrit ses romans qu'avec ce stylo et chaque fois qu'il en commence un nouveau, il prend un stylo neuf ; dès qu'il a terminé un roman, il jette le stylo. J'ai failli m'en acheter un à Paris, il y a quelques années ; puis j'ai décidé d'attendre, me disant qu'il n'était pas plus cher à Montréal qu'à Paris ; j'attends encore. Ce que j'aime de ce stylo, c'est sa taille, celle d'un gros cigare ; évidemment, je veux aussi la plume à pointe large (puisque j'écris gros).


En ce moment, j'ai un Parker, un Pelikan, un Dupont ; je trouve que ce Caran d'Ache est assez beau :


Certains stylos se vendent aussi cher qu'une Ferrari. Je n'en demande pas tant : je me contenterais d'une Porsche... Le Meisterstück que je veux ne coûte qu'environ 700 $, compte tenu de la valeur actuelle du dollar.

À propos de Colette...


Après avoir écrit un autre livre sur les horreurs familiales qu'il a connues depuis 1939, (abandon du père, torture mentale de la mère à la fois adorée et haïe, camps de concentration, réapparition du père qui se meurt, etc.), Michel del Castillo a senti le besoin de se nettoyer le coeur et l'esprit en écrivant une nouvelle biographie de Colette.



Je parlerai un jour de cet écrivain au nom hispanique, mais tout à fait français, qui vit et publie en France des romans, des essais, des récits, etc., depuis près de cinquante ans.

Je veux toutefois signaler immédiatement son dernier ouvrage, pour les amoureux de l'Espagne, dont il est devenu un spécialiste malgré lui :


Exercice de diction : prononciation du « f »...


Il fait froid... Et pourtant, nous ne sommes encore qu'en novembre ! Si nous nous plaignons quand le mercure descend à peine sous le point de congélation, que dirons-nous en janvier quand les grands froids seront la norme et qu'avec l'effet du vent, nous aurons la sensation qu'il fait moins trente-cinq ou moins quarante degrés Celsius ? C'est psychosomatique, on dirait : ces premiers signes du froid, combinés au triste spectacle des arbres nus, squelettiques, nous font anticiper ce que risque d'être l'hiver.... En fait, nous souffrons trois fois plutôt qu'une. D'abord, nous souffrons du froid léger que nous connaissons en ce moment ; nous anticipons ensuite les froids à venir et, lorsqu'ils seront là, nous en souffrirons encore, comme si c'était pour la première fois...


La grande Colette, de la fenêtre de son appartement du Palais royal, aimait observer la vie, la ville et ses passants. Il faut dire qu'en raison d'un problème à la hanche, gauche ou droite, elle devait passer une bonne partie de son temps allongée ; elle s'était fait installer une table pour continuer d'écrire, même au lit. Lorsque Colette y habitait, le Palais royal n'avait pas encore dans sa cour ces colonnes de Buren... J'imagine qu'elle aurait préféré cette vue.

Colette nous propose un petit exercice de prononciation du « f », sous le signe du froid ; voici quelques lignes tirées de Paris de ma fenêtre, fenêtre qui s'ouvrait alors sur le Palais royal :

Il fait froid. Ces deux f, vous les lisez dans la double bouffée d'haleine qui sort des bouches. Ce sont ces deux mots qui se voient de loin. « Fait froid... » si une minorité heureuse se tient au chaud, elle subit la règle, elle ne peut se dérober à la pensée du froid, à sa réalité, au souci de ceux qui souffrent du froid.

jeudi 24 novembre 2005

L'été grec (suite)


texte à venir

L'été grec

J'ai appris hier seulement, en feuilletant un magazine, la mort de Jacques Lacarrière, romancier, poète, traducteur et grand voyageur, à l'âge de 79 ans ; je ne connais pas la date exacte de sa mort, mais j'imagine qu'il est décédé vers la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre. Homme de lettres, il avait un profil plutôt discret ; une petite recherche sur Internet m'a permis de découvrir qu'il avait écrit, traduit ou préfacé un très grand nombre d'ouvrages. Je ne connaissais que deux ou trois de ces livres, mais je garderai de l'un d'eux un souvenir inoubliable. Ses voyages en Grèce et la mythologie ont alimenté la plupart de ses livres ; c'est par le plus connu d'entre eux et celui qui l'aura fait connaître, que j'ai découvert Jacques Lacarrière. À l'automne 1999, je crois, je suis tombé sur un livre que j'ai acheté immédiatement, L'été grec, que je me suis mis à lire aussitôt.

J'ai été totalement absorbé par cette lecture ; je suivais pas à pas ce voyageur qui arrivait en Grèce avec des moyens modestes et qui avait entrepris d'aller passer quelque temps avec les moines du mont Athos... J'étais fasciné par ce que j'apprenais à connaître de la Grèce, par les Météores, par exemple ; je cherchais des images que je ne trouvais pas, puisque je n'avais alors pas encore accès aux précieuses ressources d'Internet... Dans la nuit du 31 décembre au premier janvier 2000, la télévision présenta des images du passage à l'an 2000 un peu partout dans le monde et, parmi ces images, il y avait des images des Météores et des moines du mont Athos. Ce fut un beau moment de joie de voir enfin des images de ce que je lisais dans L'été grec de Jacques Lacarrière.

Puisqu'on ne les voit pas changer, évoluer, vieillir, on s'imagine que certains être sont immortels. Au lieu de voir leur corps se ratatiner, leurs mouvements se faire plus lents, etc., on ne perçoit généralement des écrivains, à travers leurs livres, qu'un esprit toujours jeune, toujours alerte. Le choc est d'autant plus grand quand nous apprenons leur mort que nous ne l'avions pas vu venir. Parmi les nombreux autres titres de Jacques Lacarrière, il y en a un dont le titre est Un jardin pour mémoire ; je ne l'ai pas lu, puisque hier encore j'ignorais son existence. Je trouve cependant que c'est un titre qui ressemble bien à Jacques Lacarrière et que, tel un Candide qui n'aurait pas cessé de cultiver son jardin, il laissera au monde des lettres et aux curieux de l'âme et de la pensée humaine, un merveilleux jardin à explorer.

Au cours de l'été 2000, je continuais de lire des livres sur la Grèce, sur son histoire, sur ses héros, tout en écoutant ce que je pouvais trouver de musique grecque, tant la musique traditionnelle, le rebetika, que des airs plus modernes. Bien entendu, il y avait de la musique de Mikis Theodorakis, des chansons d'Angelique Ionatos et, surtout, de cette femme très cultivée, politiquement engagée, femme passionnée et profondément humaine, qu'était Melina Mercouri, actrice, chanteuse, députée, ministre... Cet été-là, je le passai dans les livres, la musique, les images grecques. De temps à autre, j'allais m'asseoir à une terrasse où je pouvais écouter de la musique et manger de la cuisine grecque. Ce n'était pas tout à fait la Grèce, mais avec un peu d'imagination, on pouvait rêver, en espérant que ce ne soit là qu'un avant-goût du vrai voyage à faire.

À la fin de l'été 2000, je me suis abonné à Internet et j'ai commencé à dialoguer avec des gens d'un peu partout, mais principalement avec des Français, des Belges, des Suisses... J'ai développé avec un grand nombre d'entre eux des liens de complicité et d'affection, favorisant la confidence et même l'amitié. Parmi eux, un jeune homme se distinguait des autres par sa discrétion, son raffinement, sa culture... Je me suis rendu compte qu'il était un amoureux de la Grèce, qu'il connaissait beaucoup mieux que moi, intellectuellement et concrètement, car durant des années, il allait chaque été passer ses vacances dans un charmant petit village du Péloponnèse. Nous avons eu de très belles conversations dans ce salon de clavardage que nous fréquentions et où nous retrouvions des amis communs, mais nous avons surtout échangé des messages électroniques beaucoup plus personnels et plus touchants. Ce loupiot est aussi un amoureux de Melina Mercouri. Bien entendu, quand je suis venu à Paris, quelques mois plus tard, il fut la première personne à qui j'ai téléphoné pour annoncer que j'étais arrivé un peu plus tôt que prévu. Comme j'avais déjà en poche le billet qu'il m'avait envoyé par la poste pour une pièce de théâtre présentée dans une salle et par une compagnie dont il est l'administrateur, notre première rencontre était déjà déterminée. J'ai été voir cette pièce ; puis nous sommes allés manger dans un restaurant de la rue des Abbesses, à Montmartre. Nous nous sommes revus à quelques reprises dans les jours suivants, mais chaque jour nous étions en contact au moins par téléphone. Le temps a passé et, chacun de notre côté nous avons eu nos obligations, nos préoccupations, nos projets de changement, etc. ; mais nous avons conservé, à travers le temps et l'espace, de beaux liens d'amitié. Didier représente pour moi l'idée que l'on se fait de la culture classique française, incarnée dans un jeune homme discret et sensible, tout en vouant à la Grèce un amour que je voudrais pouvoir approfondir comme il a pu le faire.

Les jeois de l'rotogarphe


Je n'ai jamais eu l'habitude d'encourager les fautes d'orthographe, ni même d'être complaisant envers ceux qui en font. J'avais plutôt la désagréable tendance à reprendre ceux qui employaient des anglicismes ou des mauvaises constructions syntaxiques ; puis un jour, je me suis dit que l'on ne pouvait pas vivre toute sa vie sur Terre sans avoir d'amis : depuis lors, je ne corrige que si on me le demande...
Cette étude de l'Université de Cambridge a de quoi intriguer, cependant.... Vous avez lu ? Les cancres devront tout de même comprendre que si l'on peut oublier l'ordre des lettres, il faut tout de même que ces lettres soient présentes.

Beaucoup de bonheur entre deux drames...

Je ne suis pas vraiment un mordu de cinéma. Je vais voir un film de temps à autre, quand l'histoire qu'il raconte m'attire ou si un acteur que j'aime y est particulièrement bon, mais ce n'est toujours une raison suffisante. Parfois, c'est une atmosphère que je recherche, un univers que certains réalisateurs savent créer ou recréer... Il m'arrive assez souvent de me dire que je vais aller voir tel ou tel film ; le temps passe et je ne le vois pas, ou je le vois longtemps plus tard, parfois des années, s'il a su traverser l'épreuve du temps.
Ainsi, je ne me souviens plus à quel moment j'ai vu Un homme et une femme ; je ne me souviens même plus si je l'ai d'abord vu au cinéma puis à la télévision ou dans l'ordre inverse. Ce film m'avait ému, bien entendu, pas seulement par son scénario, par ses images, par le jeu des comédiens... J'aimais la réserve, la pudeur, les valeurs morales du personnage Jean-Louis Duroc, mais je crois que j'étais surtout sensible à la voix, au sourire et au charme de l'acteur, Jean-Louis Trintignant. Moi qui ai pensé un moment que j'aimerais faire du théâtre, qui ai ensuite voulu faire de la chanson, j'étais toujours été attentif à l'expression verbal, aussi bien chez les hommes politiques, les acteurs que chez les chanteurs. Et la voix de Jean-Louis Trintignant, son timbre, sa modulation, le léger accent du Sud, me plaisaient et je crois qu'inconsciemment, elle me servait d'exemple, avec d'autres, et je cherchais à m'en imprégner...
J'ai probablement vu d'autres films dans lesquels jouait Trintignant, pas forcément dans l'ordre où ils étaient sortis en salle. Je me souviens surtout d'un autre film de Claude Lelouch, un film divertissant, sans prétention, dans lequel Jean-Louis Trintignant m'avait vraiment séduit ; je me disais que si j'arrivais à avoir un faible pourcentage de son charme, de son pouvoir de séduction, j'en serais très heureux. Je crois que j'étais retourné aux études, à ce moment-là, au retour de mon premier séjour à Paris ; j'avais donc conservé de mon expérience parisienne et du spectacle dans des villes belges et françaises, un certain accent et une façon de m'exprimer qui me distinguaient assez des autres étudiants québécois. Certains n'appréciaient pas du tout, mais je dois dire que j'aurais pu avoir beaucoup de succès auprès de certaines jeunes filles, mais plus encore auprès des femmes un peu plus âgées que mes consoeurs d'université... Ce film, donc, c'était Le Voyou. Jean-Louis Trintignant y jouait Simon le Suisse, un charmant cambrioleur. J'ai dû voir ce film cinq ou six fois, pour le seul plaisir d'entendre les voix, les accents, pas seulement ceux de Trintignant, mais les voix et les accents de tous les acteurs et actrices. C'était sans doute une façon d'exorciser ma nostalgie de Paris... ou de l'exacerber.

Ce texte n'est pas terminé, on l'aura compris, surtout si l'on cherche à établir un lien avec son titre... La suite viendra bientôt.

Vivre son rêve



« Faites que le rêve dévore votre vie,
afin que la vie
ne dévore pas votre rêve. »
(Saint-Exupéry)

mercredi 23 novembre 2005

Jeux d'eau

Je suis né sous un signe de terre et l'eau n'a pratiquement toujours été pour moi autre chose qu'un élément essentiel à l'hydratation de l'organisme, à la toilette, à la cuisine, etc. J'ai cependant toujours été sensible à la beauté des paysages qui comprenaient un plan d'eau, que ce soit un lac, une rivière ou... la mer. De plus, je considère le murmure d'un ruisseau, le grondement d'une rivière, le clapotis des vagues, comme des sons les plus agréables et les plus relaxants au monde. J'ai grandi à la campagne, entre la forêt, les montagnes et les rivières et, du temps de mon enfance, les rivières ressemblaient à des fleuves tant leurs lits étaient larges et leur eaux profondes.

À l'adolescence, il m'est arrivé quelques fois d'aller pêcher la truite (nos rivières contenaient beaucoup de saumon, mail il était interdit de le pêcher : les Américains avaient acheté pour quatre-vingt-dix-neuf ans les droits de pêche du saumon) ; je raconterai d'ailleurs, un jour, une histoire de pêche qui fut l'un de mes plus beaux souvenirs d'adolescence. Si les rivières des environs étaient intéressantes pour les pêcheurs occasionnels, elles l'étaient moins pour les baigneurs annuels que nous devenions à la fin des classes, au début de l'été.

Pour marquer la fin de l'année scolaire et le débuts des vacances estivales, nos instituteurs aimaient organiser le 23 juin un pique-nique pour les élèves. Chacun apportait son goûter et, pour l'occasion, achetait, empruntait ou se faisait confectionner un maillot de bain. En ce qui me concerne, la baignade ne m'attirait pas vraiment, mais il fallait faire comme tout le monde et être prêt à se mouiller. Je me souviens d'un maillot que ma mère m'avait confectionné dans un tissu rayé de bleu, de blanc et de noir, accompagné d'une sortie de bain coordonnée. Nous avancions dans l'eau, le temps de se mouiller ou davantage pour les fanfarons, mais nous en ressortions assez vite car l'eau de ces rivières était très froide. Durant toute mon enfance et mon adolescence, je suis probablement allé à la mer trois ou quatre fois ; je ne me souviens vraiment, et encore c'est très vague, que d'une seule fois. L'eau n'est donc pas un élément qui m'attire spontanément et si je n'ai pas à le faire dans le cadre d'un horaire à respecter, je reporte sans cesse à plus tard le moment de prendre la douche... Une fois mouillé, cependant, j'adore.


Il y a quelques années, à la suite d'une chute sur le dos, j'ai dû faire de la physiothérapie durant quelques mois. J'aimais les exercices que me faisait faire le jeune physiothérapeute de la clinique de médecine sportive que je fréquentais et j'appréciais toute l'attention qu'il m'accordait et tous les soins qu'il me prodiguait... Si j'avais beaucoup d'argent, j'aurais mon entraîneur personnel pour entetenir la souplesse et garder la forme... Après quelques mois de physiothérapie, mon thérapeute m'a suggéré de continuer seul mes exercices et, surtout, de faire de la natation. Je ne sais pas nager, mais je sais que la natation et les exercices aquatiques sont excellents pour entretenir la forme ou même pour corriger certains problèmes d'articulations, musculaires, etc... J'ai des amis qui habitent un grand immeuble dans lequel il y a une grande piscine qui est pratiquement toujours inutilisée. Cet été-là, Marc m'a proposé d'aller tous les jours le rejoindre un peu avant l'heure du déjeuner ; puisqu'il était en vacances, il m'accompagnerait à la piscine durant une heure ; la natation serait excellente pour lui aussi, qui est musicien, et il pourrait ainsi en faire chaque jour pendant que je ferais dans l'eau toutes sortes d'exercices pour redonner plus de tonus à mes muscles ; après quoi nous irions déjeuner et vaquer ensuite à nos obligations respectives. Cette heure quotidienne d'exercices aquatiques, suivie d'une demi-heure de sauna sec, a presque fait de moi un athlète... Bon, d'accord ; j'exagère un peu. Mais il est vrai que depuis, je n'ai qu'un rêve, qu'une obsession : c'est d'avoir ma piscine personnelle dans laquelle je pourrais m'exercer tous les jours, à l'heure qui me convient ou, tout au moins, d'habiter dans un immeuble où j'aurais accès à une piscine sans qu'il y ait autour des témoins gênants. Je n'ai pas peur de l'eau, mais du ridicule.

Je n'ai pas l'habitude de commenter les faits divers et je n'ai pas non plus l'intention de commencer à le faire dans ce blogue. Une nouvelle m'a toutefois frappé aujourd'hui : une femme et sa jeune fille se sont noyées dans la piscine de l'immeuble où elles habitaient, à Montréal. Il s'agit très certainement d'un accident ; on fera une enquête et même une autopsie pour déterminer la cause exacte des décès. Ce genre d'accident arrive sans doute assez souvent ; trop souvent. Je ne connaissais pas du tout les victimes, mais cet accident me touche parce qu'il y a quelques années, alors que j'habitais un immeuble avec une piscine, un drame semblable est survenu auquel j'ai été involontairement mêlé. En rentrant chez moi un soir d'été, peu avant dix-sept heures, j'ai entendu des cris provenant de la piscine dont la porte était voisine des portes des ascenseurs ; je n'ai d'abord pas porté attention à ces cris, qui m'ont semblé être des cris de joie d'enfants qui s'amusaient dans l'eau. Puis j'ai entendu un nouveau cri ; là j'ai compris que ce n'était pas un cri de joie : je me suis rué vers la porte de la piscine ; au même moment, une jeune femme poussait cette porte en criant... Je suis entré et j'ai vu : les corps de deux fillettes étaient là devant moi, dans la piscine, inamimés. L'un d'eux flottait, le visage tourné vers le fond ; l'autre gisait au fond de la piscine. Sans hésiter une seconde j'ai sauté à l'eau et j'ai vite sorti la première des fillettes, que j'ai allongée sur le sol près du bord de la piscine ; la femme, qui avait appelé se pencha vite pour essayer de pratiquer sur elle les exercices de réanimation. Pendant ce temps, j'ai sauté une deuxième fois pour tenter de ramener à la surface l'autre jeune fiille ; j'ai eu du mal car je ne sais pas nager et même si l'eau n'était pas très profonde, j'avais tendance à remonter quand j'essayais d'atteindre le fond... J'y suis finalement arrivé ; j'ai déposé le jeune corps près de l'autre et j'ai voulu tenter aussi des exercices de réanimation. La jeune femme m'a supplié d'aller chercher de l'aide. Comme il n'y avait personne au rez-de-chaussée, que le bureau de l'administration était fermé, j'ai pris l'ascenseur pour aller frapper à la porte de l'administrateur, qui habitait l'appartement voisin du mien. Dès qu'elle a ouvert la porte, elle m'a aperçu tout mouillé ; je lui ai dit ce qui se passait, elle m'a répondu : « Je m'en occupe ! ». Elle a saisi le téléphone, appelé les ambulanciers, la police et... le concierge.

Quand je suis redescendu, tout ce monde là arrivait et prenait en charge la situation. Je suis remonté chez moi, je me suis changé rapidement et je suis redescendu ; j'ai rencontré les policiers qui voulaient me voir ; je leur ai raconté ce qui s'était passé puis j'ai demandé si je pouvais partir, si on n'avait plus besoin de moi ; on m'a dit que je pouvais partir, qu'on m'appellerait peut-être pour avoir plus de renseignements si nécessaire... Je me suis frayé un chemin dans la foule dense de curieux que les gyrophares des ambulances et des policiers avaient attirés sur place et je me suis retrouvé sur le trottoir ne sachant quoi faire, tellement j'étais sous le choc. J'ai décidé de me diriger vers le parc du mont Royal, qui est un peu mon jardin et mon refuge quand le stress devient trop grand, que le rythme effréné du coeur de la ville bat trop vite pour moi. J'ai longuement marché dans les sentiers en essayant de me convaincre que tout cela n'était pas arrivé, que ces deux fillettes de dix ans avaient voulu nous jouer un mauvais tour et qu'elles étaient maintenant en train d'en rire discrètement pour ne pas exciter la colère des parents qui n'apprécient pas ce genre d'humour...

Quelques heures plus tard, j'ai appelé ma plus jeune soeur, qui habitait à quelques dizaines de mètres de chez moi, pour savoir si elle avait de l'alcool à la maison. Elle n'en avait pas ; nous avons décidé d'aller manger au restaurant ; le vin rouge me permettrait de relaxer... Je n'ai pas dormi beaucoup cette nuit-là, même avec le calmant que ma soeur m'avait donné. Quand j'ai appelé mon supérieur le lendemain matin pour dire que je serais un peu en retard, on m'a fait une blague de mauvais goût au sujet de noyades qui s'étaient produites la veille près de chez moi ; c'était en première page de tous les journaux : « Deux fillettes de dix ans se noient dans une piscine en l'absence de leurs parents »... J'ai sèchement répliqué que ce n'était pas arrivé « près de chez moi », mais bien chez moi, et que c'était moi qui avais sorti de l'eau le corps des deux fillettes ; on s'est gauchement excusé... Dans les jours qui ont suivi, j'ai vécu comme dans un rêve, dans un univers irréel... Les nuits suivantes, durant des semaines et des mois qui ont suivi cet événement, j'ai fait des cauchemars ; et même souvent durant la journée, je revoyais ces deux fillettes inanimées et je n'arrivais pas à m'entrer dans la tête que ces deux petites chinoises, mignonnes comme tout, ne souriraient plus à personne ni à la vie...

Si toutes les séparations, toutes les ruptures, tous les adieux de nos vies contribuent à nous assagir et à nous faire vieillir un peu, il me semble avoir d'un coup vieilli de plusieurs années ce soir-là et dans les jours qui ont suivi. Puis, peu à peu, on intègre cette nouvelle réalité ; elle fait partie de soi et contribue à notre évolution. Une expérience de vie s'évalue non pas en fonction de ce qui nous arrive, mais en fonction de notre capacité à absorber, à intégrer ce qui nous arrive. Comme le disait si bien Jean-Louis Trintignant qui, après la mort tragique de sa fille adorée, a eu beaucoup de mal à reprendre goût à la vie mais qui, à partir du moment qu'il a décidé de vivre, a choisi de le faire correctement et de ne pas présenter aux autres un visage toujours sombre : « la vie est belle ! », dit-il, et il y a toujours malgré tout « entre deux drames, beaucoup de bonheur. »

lundi 21 novembre 2005

Jean de La Fontaine, rédacteur pigiste

Amis rédacteurs, qui cent fois par jour replongez la plume dans l'encrier, ne croyez pas que vous êtes les premières victimes des commanditaires exigeants, des donneurs d'ouvrage sans pitié. Vous qui avez appris par coeur les fables de La Fontaine, vous en avez sans doute conclu qu'il était plus difficile de mémoriser « La cigale et la fourmi » qu'il l'avait été pour Jean de La Fontaine de l'écrire. N'en croyez rien ; voici l'histoire de la composition de cette fable.

Eh bien ! Brainstormez maintenant !

Mercredi, 8 juin 1663, 15 h 30 – Le concepteur-rédacteur Jean de La Fontaine arrive au Château de Vaux. En retard, il gare son carrosse en double file. Son client, le surintendant Fouquet, l’attend.

Avant d’entrer dans la salle, Jean de la Fontaine se remet son projet de texte en mémoire. Il répond parfaitement au problème posé. Stratégie : prouver au lecteur que les poètes n’ont pas les pieds sur terre. Ton à employer : allégorie. Média : gazette grand public. Jean de La Fontaine se rassure. La cigale et la fourmi est pile dans la plaque. C’est très sûr de lui qu’il pénètre dans la salle de réunions du château.

Soudain, il déchante. Le surintendant n’est pas seul. Il est entouré d’un responsable des études, d’un directeur de marketing et d’un directeur de ventes. Par le passé, ces gens très érudits, très intelligents ont déjà modifié ses textes d’une manière très érudite, très intelligente mais très empoisonnante aussi. Chaque fois, les fables rafistolées par ces experts ont fait un bide. Jean de La Fontaine songe à tourner les talons, mais il songe aussi que son loyer lui coûte 70 louis par mois. Il reste.

Un peu tremblant, Jean de La Fontaine lit son titre : La cigale et la fourmi. Le directeur des ventes lève déjà les yeux au ciel. « Trop ciblé ! Cet insecte ne vit que dans le sud ! Je ne fais pas de création, mais je mettrais quelque chose comme grillon ou sauterelle… » Il est fier de sa sortie ; il jette un œil sur son patron. Il a tiré plus vite que les deux autres. Il ne vole pas son salaire. Vexé de ne pas avoir ouvert la bouche le premier, le directeur de marketing suggère de mettre abeille. Le responsable des études bondit comme un ressort et proteste : « Dans l’inconscient du public, abeille veut dire travailleuse obstinée privée de toute vie sexuelle. C’est négatif. » Le surintendant Fouquet suggère mouche. C’est selon lui plus quotidien, plus simple, plus vécu. On applaudit le patron. Nouveau titre : La mouche et la fourmi.

Comme on a repoussé son grillon et sa sauterelle, le directeur des ventes suggère de remplacer fourmi par coccinelle, qui est plus poétique selon lui. On trouve l’idée judicieuse. En secret, il voit la fable déjà imprimée et rêve de dire à sa femme : « C’est moi qui ai trouvé la moitié du titre. » On vote. Nouveau titre : La mouche et la coccinelle.

L’épreuve du titre passée, Jean de La Fontaine lit le démarrage de son projet de texte : « La mouche ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue. » Le surintendant Fouquet l'interrompt aussitôt : « Une mouche ne chante pas. Je comprends que ça allait bien avec cigale, mais maintenant, il faut écrire : ayant bourdonné ». La Fontaine rature en pensant à son carrosse qu’il n’a pas fini de payer. Il reprend son manuscrit et relit : « La mouche ayant bourdonné tout l’été… » Le directeur des ventes le coupe encore : « Tout l’été est vague, mieux vaudrait dire du 21 juin au 22 septembre inclus ». Tout le brain-trust acquiesce. On relit : « La mouche ayant bourdonné du 21 juin au 22 septembre inclus se trouva fort dépourvue… » Le surintendant prend la parole. « Se trouve fort dépourvue est une belle tournure, mais trop élitiste. La bergère ne la comprendra pas. Il faut être beaucoup plus au ras des fleurs de lys, le peuple a besoin de style direct. Il faudrait écrire fut bien emmerdée. C’est certes un peu trivial, mais il ne faut pas perdre de vue les gens auxquels on s’adresse. »

« La mouche ayant bourdonné du 21 juin au 22 septembre inclus fut bien emmerdée quand la bise fut venue. » Le directeur des ventes se lève. « Bise est très bon, mais ça me fait peur. Les gens sont très premier degré. Ils ne comprendraient pas bise – vent du nord mais bise – un baiser. Il faudrait tester, mais il est déjà certain que le public interprétera que la mouche est emmerdée quand la bise arrive parce qu’elle est homosexuelle. Le français est d’ailleurs trop imprécis à propos de cet insecte. On écrit toujours la mouche et jamais le mouche. » Le directeur des études crie casse-cou. Le groupe frissonne. On revient de loin.

Jean de La Fontaine relit : « La mouche et la coccinelle. La mouche ayant bourdonné du 21 juin au 22 septembre inclus, fut bien emmerdée quand l’hiver arriva. » Les bravos fusent. Le directeur des ventes glisse à l’oreille du surintendant Fouquet que La Fontaine a un talent fou. Il a eu raison de faire appel à lui.

Sans le dire, Jean de La Fontaine a honte. Il trouve son texte plat, impersonnel et dépourvu d’impact. Il se tait cependant. Le crépi de sa maison doit être refait. Jean de La Fontaine fut peu après chassé de chez le surintendant Fouquet, car après les tests, le public jugea La mouche et la coccinelle plate, impersonnelle et dépourvue d’impact.

Dieu merci, cette histoire a trois cent dix-sept ans. Jamais on ne verrait ça au XXIe siècle !!!

P.S. Par la suite, ce grand publicitaire a connu la gloire comme pigiste : il a un jour ressorti la fable originale de ses fonds de tiroir et l’a vendue contre les droits de deuxième publication. Ainsi va l’histoire…

dimanche 20 novembre 2005

Si charité mal ordonnée, ne pas donner...

Je citais l'autre jour, dans mon article « ...avec un coeur d'enfant », un extrait d'un roman de Michel del Castillo ; le dernier paragraphe cité se terminait par ces mots :
« ... La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner mille pesetas. Foi bien fragile que celle qui dépend du portefeuille ! Ce n’est pas le superflu qu’il faut savoir donner, mais bien le nécessaire. »
Ce soir je tombe sur une citation de Romain Rolland qui explique peut-être pourquoi tant de gens hésitent à ouvrir leur portefeuille pour aider un ami, comme le font les deux amis de la fable de La Fontaine, ou pourquoi certains ont tant de mal à faire un sacrifice, quel qu'il soit : « Si un sacrifice est une tristesse pour vous, non une joie, ne le faites pas, vous n'en êtes pas digne. » (Romain Rolland, Jean-Christophe).

Il y a quatre ans, à l'invitation de nouveaux amis que j'avais connus par l'intermédiaire d'un salon de clavardage sur Internet et avec qui je dialoguais depuis environ un an, je suis venu passer quelques semaines en Europe. Quelques-uns de ces amis avaient insisté pour que je vienne, en me disant que je pourrais loger chez un tel et un tel, à tour de rôle. Je ne suis pas du genre à partir à l'aventure ; je considère que j'ai déjà vécu ma vie de bohème, à vingt ans, lors de mon premier séjour à Paris et assez longtemps par la suite au fil des ans ; depuis, j'ai plutôt tendance à vérifier dans quoi je m'embarque avant de partir. Dans le cas de ce séjour de l'automne 2001, les promesses d'hébergement me semblaient des garanties suffisantes, puisque j'avais eu déjà avec ces amis des échanges presque quotidiens par Internet, plusieurs conversations téléphoniques et bien d'autres témoignages d'amitié.
Or, après un saut à Bruxelles et une semaine passée à Liège chez un autre ami, je suis venu à Paris, comme il était prévu. Je me suis vite rendu compte que les promesses des amis ne tenaient plus ; je n'ai pas essayé de savoir pourquoi ; il me suffisait de savoir que l'on voulait bien me voir, sortir au café ou au restaurant avec moi, mais que l'on hésitait encore à ouvrir la porte de l'appartement. Je me suis donc résigné à rester à l'hôtel où je m'étais installé dès mon arrivée.
Quelques jours plus tard, j'étais dans un cybercafé, car Internet restait pour moi la façon la plus efficace de communiquer avec tous ces « amis » dont j'avais fait la connaissance au cours des mois précédents. Un garçon que je connaissais un peu car nous avions eu ensemble quelques brèves conversations, mais très peu par rapport à de nombreux autres, me demanda où j'habitais à Paris. Je lui répondis que j'étais à l'hôtel parce que les amis qui devaient m'héberger semblaient avoir des difficultés. Or, ce garçon que je ne connaissais pas vraiment, Christian, qui ne me connaissait sans doute pas davantage, me dit qu'il avait un appartement dans le Marais, qu'il partait passer deux jours à la campagne et qu'il mettait donc cet appartement à ma disposition. Nous nous rencontrâmes le lendemain à l'heure du déjeuner dans un bistrot situé sur les Grands Boulevards, entre mon hôtel et son lieu de travail. Nous avons mangé un sandwich, pris un café, puis Christian m'a remis les clés de son appartement en m'invitant à m'y installer. Il est retourné au travail alors que je suis passé à l'hôtel chercher mes affaires ; j'ai ensuite pris un taxi et je suis parti m'installer rue Vieille-du-Temple...
Quatre ans plus tard, c'est avec beaucoup d'émotion que je repense à cet élan spontané de générosité. Ce garçon qui ne m'avait jamais vu de sa vie, avec qui j'avais eu de brèves conversations sur Internet, m'offrait les clés de son appartement alors que lui-même partait durant quelques jours... Combien d'autres auraient pu craindre d'être volés, ou quoi que ce soit ; combien auraient craint d'être dérangés ? Quand il revint de la campagne, loin de me mettre à la porte, Christian me dit que je pouvais rester aussi longtemps que je n'aurais pas trouvé autre chose, insistant même pour que je prenne sa chambre, disant qu'il dormirait au salon.
Ça, c'est pour moi de la générosité joyeuse et véritable, et non de la générosité triste, à contre-coeur... J'en garderai une éternelle reconnaissance à Christian, et aussi à Yann et à Sébastien, des amis de Christian, qui ne sont probablement pas étrangers non plus à ce si cordial accueil. J'en remercie encore ces amis et j'espère pouvoir bientôt leur rendre la politesse, comme cela devait se faire cet automne pour Yann et Sébastien, qui habitent l'un le Berry et l'autre les Yvelines, et qui ont dû reporter à plus tard leur séjour à Montréal. Pour compenser un peu ce retard, je viens de recevoir du Portugal où Sébastien a de la famille une carte postale signée de Yann et de Sébastien et dont l'image évoque le restaurant de Paris où nous avions mangé en compagnie de plusieurs autres copains le soir de notre première rencontre, le samedi 13 octobre 2001.
Ce n'est pas la solitude, mais la tristesse qui donne froid... À la longue, la tristesse dessèche les os...

« C'est la nuit qu'il est bon
de croire à la lumière. »
Edmond Rostand

vendredi 18 novembre 2005

Les Muses s'amusent-elles ou sont-elles plutôt orphelines ?



Quand il m'arrive de me pas me sentir bien, de ne pas être satisfait de la qualité de ma vie, de ne plus avoir envie de faire ce que l'on attend de moi, de fuir les obligations et de rechercher plutôt la solitude et le silence, il y a de fortes chances que j'aie oublié durant trop longtemps de mettre en pratique ces deux principes : d'abord, dans la vie, il est important de faire ce qui correspond à ses talents, ce que l'on aime vraiment faire et, ensuite, il faut faire place à la créativité et aux activités ludiques. Et la tendresse, dans tout cela ? À la fois source et expression de la créativité, la tendresse est en soi une façon poétique de voir et de sentir.


« S'il veut être en paix avec lui-même,
un musicien doit faire de la musique,
un peintre peindre, un poète écrire. »
Abraham Maslow
« Vivre, c'est vivre poétiquement,
sinon, ce n'est pas vivre,
c'est survivre. »
Edgard Morin

... avec un coeur d'enfant

En prenant mon petit déjeuner, ce matin, je pensais à ma chronique du jour, à ce que je devrais écrire pour définir un peu plus mon identité... Puis, comme j’essaie de le faire chaque matin, même si je suis parfois pressé, bousculé, j’ai pris un livre pour accompagner la fin de ce petit déjeuner et le litre de thé noir, alliant ainsi aux nourritures terrestres la nourriture de l’esprit. Parmi mes lectures en cours, il y a un roman de Michel de Castillo, dont je reparlerai un jour ; pas forcément de ce roman, mais de son auteur et des circonstances qui m’ont amené à lire ses livres. Ce roman que je suis en train de lire, Tanguy, est le premier qu’il ait publié, je crois, en 1957 ; il ne s’agit donc pas, on le voit, d’un jeune romancier à la mode que vient de jeter sur la plage du temps la dernière marée de l’automne.
Le sujet de ce roman, le voici (et je dois dire que si je n’avais pas lu auparavant d’autres livres de cet auteur, ce sujet n’aurait probablement pas retenu mon attention ; si je lis celui-ci, c’est pour retrouver un auteur que j’ai découvert, aimé, et dont je ne peux plus me passer). Sur la quatrième de couverture de cette édition (Presses Pocket), on peut lire : « Voici une histoire vécue de la férocité des hommes, une histoire vécue par un enfant : Tanguy. Petit garçon perdu dans une Europe déchirée par la guerre, Tanguy connaîtra l’exil, la faim, l’horreur des camps de concentration. Il découvrira aussi la solidarité et de déchirantes amitiés. Et c’est parce qu’il traversera toutes ces horreurs de la guerre et du monde des adultes avec un coeur d’enfant sans haine et sans amertume qu’il surmontera son désespoir et sera sauvé. »
« Le hasard n’existe pas », dit-on ; l’un de mes amis lointains (dans l’espace), aimait à me le répéter, à me l’écrire... J’achète parfois des livres sans trop savoir ce qu’il contiennent, simplement parce qu’un jour j’ai lu un article sur leur auteur ou que j’ai entendu un commentaire à leur sujet. Il m’arrive donc d’avoir dans ma bibliothèque des livres qui attendent durant des semaines, des mois et même des années, que je daigne les ouvrir, en parcourir quelques lignes, quelques paragraphes. Souvent, quand je viens de terminer la lecture d’un roman ou d’un essai et que je ne sais plus que choisir, je saisis un livre sur mes rayons, sans y avoir pensé auparavant, et j’en commence la lecture. Nos choix de lecture ne sont toutefois pas si innocents qu’on le pense ; si l’on est conduit vers tel ou tel livre, c’est sûrement parce qu’à ce moment-là, on est prêt, on est mûr pour le message qu’on y trouvera. Il arrive avec les livres ce qui arrive avec les êtres ; on se demande parfois ce que telle ou telle personne peut bien avoir en commun avec nous, ce qu’elle peut bien faire sur notre chemin, dans notre vie. On l’oublie, ou du moins on essaie de l’ignorer ; puis un jour, au détour d’une confidence, d’une révélation, tout s’éclaire : on comprend alors pourquoi cette personne est là.
Traverser ce « monde des adultes avec un coeur d’enfant »... Hier soir, je participais avec des collègues d’une association dont je suis administrateur à un dîner de travail dans un restaurant branché de la rue Saint-Denis, à Montréal. Vers la fin du repas modérément accompagné d’un bon vin sans prétention, après avoir parlé de choses sérieuses, discuté de stratégie d'affaires, nous avons quelque peu parlé de lectures, de littérature, de ce qui fait un écrivain, de ce qui fait que certains, parmi nous, par exemple, sentent le besoin d’écrire et d’autres pas... Je leur ai parlé de cet auteur, de ce roman que je suis en train de lire et, sur le ton de la confidence souriante, j’ai ajouté que je me reconnaissais souvent dans l’histoire de cet enfant perdu, qui connaît l’exil, « la solidarité et de déchirantes amitiés ». Alors un collègue m’a dit en riant : « Non, non, J-M, tu n’es plus un enfant ; tu ne le sais peut-être pas et j’ai le regret de te le dire, mais tu n’es plus un enfant... » C’était dit avec tant d’affection et de tendresse que l’enfant en moi était prêt à entendre ce terrible constat et à accepter de réfléchir à ses conséquences...
En poursuivant ma lecture de ce roman, je suis donc tombé ce matin sur un passage qui me semblait en lien direct avec le sujet de ces deux fables de La Fontaine que je citais hier, sur la véritable amitié, sur ce que l’on serait prêt à faire pour un ami, sur la distinction à faire entre la parole et l’action, entre le discours et la réalité ; il m'a paru essentiel d'établir immédiatement ce lien entre une lecture d'hier et celle d'aujourd'hui. Il s’agit ici d’une conversation entre le jeune Tanguy et le directeur d’un collège qu’il a fondé, un jésuite touché par la misère qui s’est donné comme mission d’ouvrir des écoles où l’on pourra accueillir des enfants et leur donner « la nourriture et le savoir », qui s’est battu contre des bureaucrates en réclamant pour des enfants « le droit de devenir des hommes ». Voici cet extrait :
« ... C’est le Père qui dit un jour à Tanguy :
— La charité n’est pas vertu : elle est acte.

Il était d'ailleurs lui-même tout action. Chez lui action et pensée étaient indissolublement liées par ce lien invisible de la charité. Il n’aimait pas les consciences scrupuleuses, les âmes « tourmentées ». Un jour, Tanguy lui ayant avoué qu’il se demandait souvent s’il croyait ou non en Dieu, le Père lui jeta un regard sévère :
— Laisse en paix ces histoires !... Mange, dors, étudie, ne mens pas, sois bon avec tes camarades, travaille, agis loyalement. Quant tu auras fait toutes ces choses, et qu’en plus tu te sentiras capable d’aimer ton prochain jusque dans tes actes, alors demande-toi si tu crois en Dieu ; pas avant. La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner mille pesetas. Foi bien fragile que celle qui dépend du portefeuille ! Ce n’est pas le superflu qu’il faut savoir donner, mais bien le nécessaire. »

Michel del Castillo, Tanguy, coll. « Presses Pocket », page 209.

mercredi 16 novembre 2005

L'amitié, entre l'idéal et... la réalité

Jean de La Fontaine a écrit une belle fable sur ce qu'est parfois la véritable amitié ; la voici :


Les deux amis

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien dit-on ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du Soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme :
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme
À mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Etait à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?
- Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux, que t'en semble, Lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose.
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.


Et voici l'autre, souvent plus conforme à la réalité :


Parole de Socrate

Socrate un jour faisant bâtir,
Chacun censurait son ouvrage :
L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage ;
L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis
Que les appartements en étaient trop petits.
Quelle maison pour lui ! L'on y tournait à peine.
Plût au ciel que de vrais amis,
Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine !
Le bon Socrate avait raison
De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.
Chacun se dit ami ; mais fol qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.