lundi 16 janvier 2006

Vallée-aux-Loups

« Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre-Sainte j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay une maison de jardinier cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances ; spatio brevi spem longam reseces. Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions.



« Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l'environnent : l'ambition m'est venue ; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents : tout chevalier errant que je suis, j'ai les goûts sédentaires d'un moine : depuis que j'habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu'ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. Lorsque Voltaire naquit à Chatenay, le 20 février 1694 quel était l'aspect du coteau où se devait retirer, en 1807 l'auteur du Génie du Christianisme ?


« Ce lieu me plaît ; il a remplacé pour moi les champs paternels ; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles ; c'est au grand désert d'Atala que je dois le petit désert d'Aulnay ; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme le colon américain, dépouillé l'Indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres ; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille ; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants : c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle.


« Ici, j'ai écrit les Martyrs, les Abencérages, l'Itinéraire et Moïse ; que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne ? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem, me tente à commencer l'histoire de ma vie. L'homme qui ne donne aujourd'hui l'empire du monde à la France que pour la fouler à ses pieds, cet homme, dont j'admire le génie et dont j'abhorre le despotisme, cet homme m'enveloppe de sa tyrannie comme d'une autre solitude ; mais s'il écrase le présent, le passé le brave, et je reste libre dans tout ce qui a précédé sa gloire. »
François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe


Pour le seul plaisir de relire les Mémoires d'outre-tombe, j'aurais envie de citer le texte complet, qui fait deux gros tomes dans la collection de « La Pléiade ».

Chateaubriand avait fait construire dans le jardin, à une distance respectable de la maison elle-même, cette tour - la tour Velléda - où il pouvait se réfugier pour écrire sans être dérangé par les nombreux visiteurs.



Les quelques heures que j'ai passées dans cette maison de la Vallée-aux-Loups, puis dans le jardin où la plupart des arbres adultes ont été plantés par Chateaubriand lui-même m'ont permis de mieux comprendre à quel point ce fut un déchirement pour cet homme lorsque les difficultés financières l'obligèrent à vendre cette propriété en 1817.


7 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore cet endroit, situé à quelques minutes de chez mes parents. Merci pour la promenade.

Un autre endroit que j'aime beaucoup, c'est le Clos-Lucé, près d'Amboise. Chez un certain Léonard.

Anonyme a dit…

D'ailleurs sais-tu que j'ai présenté un texte de Châteaubriand, à l'oral du baccalauréat? Sur le chant d'une grive qui lui rappelait Combourg.
Et je me souviens encore de la question "libre": Réminiscence et création littéraire. :-)

Alcib a dit…

Le chant de la grive dans les bois de Montpensier ! C'est pour Chateaubriand l'équivalent de la madeleine de Proust... C'est vrai que c'est un des très beaux passages des « Mémoires d'outre-tombe ».
Mais non, Olivier, je ne savais pas que tu étais un spécialiste de Chateaubriand ; j'ai beau te lire tous les jours, il me reste encore des choses à découvrir à ton sujet ;o)
Et c'était Jean d'Ormesson qui te faisait passer l'examen ? Aussi bien le dire tout de suite au lieu de nous faire languir ;o)

Alcib a dit…

Tu comprends Olivier, pourquoi j'aimerais être en France plus souvent, plus longtemps : je pourrais ainsi faire toutes ces promenades que vous, Français, faites régulièrement et que nous qui étudions toutes ces choses à l'école, devons nous contenter d'une vague illustration dans un dictionnaire ou une maigre histoire littéraire. Et encore, pour ce que j'ai appris à l'école ! Comme disait l'un de mes amis : avec rien, en autodidacte, nos nous sommes offert une éducation de millionnaire ;o)

Le Clos-Lucé, non, hélas, pas encore vu ; Léonard était trop occupé avec François Premier... Puis en poussant son dernier soupir dans les bras de son élève Francisco Melzi, il a oublié de lui demander de me prévenir et de me faire inviter à Amboise... Tant pis, j'irai à mes frais... un jour.

Alcib a dit…

Avant de voir la maison de Chateaubriand, j'étais allé visiter le château de Sceaux avec mon ami André, de Paris, qui voulait y voir quelque chose (j'oublie ce que c'était : une collection de faïence ? il en avait été assez déçu, d'ailleurs). Le parc de Sceaux est superbe aussi. Quant au château, je l'accepterais si on me proposait d'y habiter ;o)
Dans le RER vers Plessis-Robinson, en route vers Sceaux, avec lAndré et un autre ami québécois, nous avions bien souri du nom de « Bourg-la-Reine »...

Anonyme a dit…

Et bien Bourg-la-Reine a changé de nom pendant la Révolution. C'était Bourg-Egalité! :-)
Je ne sais pas comment on appelle les habitants de Bourg-la-Reine, d'ailleurs...

Alcib a dit…

Ce ne sont pas les Reinebourrées ? (Pardon ! Jetez-moi de la cendre sur la tête, SVP)