lundi 2 juillet 2007

Premiers émois... picturaux

Dans le coin de campagne où j'ai grandi, il n'y avait pas de musée et s'il y avait des artistes, ils devaient ignorer eux-mêmes s'ils avaient quelque prédisposition. J'ai su qu'il y avait une bibliothèque municipale, mais elle était fermée ; sans doute parce qu'on a voulu économiser le salaire d'une personne responsable ; peut-être aussi que l'on avait jugé trop modeste le nombre de lecteurs intéressés.

Je ne parlerai pas maintenant de mes lectures car je dois le faire bientôt dans un billet que je dois rédiger pour répondre aux invitations, lointaines déjà, de Fuligineuse et d'Olivier. Je veux toutefois parler de mon premier dictionnaire. Ma mère enseignait et, avant chaque rentrée des classes, elle commandait quelques manuels. Je ne sais comment j'avais pu la convaincre, mais j'avais réussi à obtenir, à huit ou neuf ans, un dictionnaire dont j'étais très fier, un vrai dictionnaire pour adultes, le Nouveau Larousse classique.

Lorsque j'avais une composition à faire, je me souviens que je feuilletais mon dictionnaire pour trouver des synonymes aux mots trop courants qui me venaient spontanément à l'esprit. Ou encore, j'en parcourais les pages, à la recherche de mots inconnus de moi qu'il me plairait d'insérer dans ma composition. Un jour, par exemple, le souvenir m'en est encore très présent à l'esprit, je devais avoir neuf ou dix ans, je cherchais un nom à donner aux fleurs qui devaient entrer dans ma composition ; au lieu de les désigner simplement par le mot « fleur », j'avais décidé, grâce à mon dictionnaire, que des iris pousseraient près de la rivière ou j'allais me baigner. Je ne savais pas encore que, quelques décennies plus tard, le gouvernement du Québec ferait de l'iris versicolore son emblème floral.

Ce dictionnaire qui m'était un formidable lieu de découverte et d'apprentissage des mots, il devait aussi me faire découvrir des images intéressantes, mais j'en ai pas de souvenir précis avant l'âge de 11 ans.

Giorgione, La tempête

Cette année-là, je quittai l'école du rang pour aller au collège du village où il n'y avait que des garçons. Quand un jour je sortis de mon sac mon fameux dictionnaire, je suscitai la curiosité d'un camarade, puis d'un autre. Je m'aperçus alors que la curiosité intellectuelle de mes camarades était soudain animée d'un élan nouveau, qui ne devait sans doute pas grand-chose au vent Paraclet.

Mon dictionnaire circulait entre les mains de mes camarades à la façon d'un magazine obscène dans une caserne militaire. L'un d'eux avait découvert le tableau de Giorgione où l'on voyait une femme nue donner le sein à son enfant. Dès lors, cette image se grava dans ma mémoire, intrigué que j'étais de l'intérêt de mes camarades pour la peinture italienne du XVIe siècle.

D'autres images attirèrent mon attention. Je n'ai pas de souvenir précis de l'ordre dans lequel mon intérêt se porta vers l'une ou l'autre des images que contenaient mon dictionnaire. Il faut dire qu'en général les images en étaient assez pudiques, comme ce portrait présumé de Madeleine de Bourgogne, présentée par sainte Madeleine.

Le Maître de Moulins, Sainte Madeleine

Les nus de Michel-Ange étaient encore assez rares dans cette édition et les diverses représentations de saint Sébastien percé de fèches n'étaient pas encore à la mode. Je me souviens toutefois de celui de Mantegna.

Andrea Mantegna, Saint Sébastien

Devenu adulte, bien des années plus tard, j'ai eu l'occasion de prendre la parole devant une centaine de personnes réunies dans le sous-sol de l'église d'une paroisse Saint-Sébastien. Avant d'entrer dans le vif du sujet de mon allocution, je m'étais autorisé, à la grande joie du curé, à rendre hommage au saint patron de la paroisse. La peinture joue parfois bien son rôle, celui d'émouvoir et de stimuler la curiosité et de favoriser le développement des idées, nobles ou pas...

Si vous avez quelques minutes encore et que cela vous amuse d'essayer d'identifier des peintres et leurs oeuvres, voici une vidéo qui présente des peintres italiens, de Giotto à Modigliani ; les images défilent parfois trop rapidement pour nous puissions identifier l'oeuvre exactement, mais on se rend compte que certains peintres ont plusieurs oeuvres qui se suivent ; on peut essayer de trouver le titre quand on a déjà identifié le peintre. Cest ici.

6 commentaires:

Beo a dit…

J'en ai passé des heures dans le vieux dictionnaire aussi! Je dis le vieux parce que la couverture cartonnée du dessus ne tenait plus et qu'il fallait y aller délicatement avec les pages.

Alcib a dit…

Béo, j'ai encore ce dictionnaire que j'ai eu à huit ou neuf ans. De nombreuses pages se sont détachées ; la couverture a été maladroitement recollée. Ma plus jeune soeur se servait dece dictionnaire pour y découper des images afin d'illustrer ses travaux scolaires !!! J'ai moi-même sousligné pas mal de mots, surtout des noms propres... Bref, c'est un survivant, amoché, mais toujours là ;o)

Brigetoun a dit…

bien de la chance, nous c'était le petit Larousse illustré et à l'époque il n'y avait que des dessins et aucune reproduction même à l'état de vignette. Mais il y avait des images, des conversations d'adultes, puis la découverte du Louvre en une visite pendant laquelle mon père et mes frère et soeurs s'enquiquinaient et où je suis tombée amoureuse de la piéta d'Avignon (prémonition ?), de l'homme au gant du Titien et du parquet de la grande galerie merveilleux pour les glissades. Un an plus tard, dans des arbres, l'abbaye cistercienne alors non restaurée du Thoronet, et j'avais trouvé ce qui me serait important.
Même si je resterai toujours du cité du public, sauf petites sottises personnelles .
Je vais voir "ici"

Les Pitous a dit…

Le dictionnaire est une formidable lecture pour tous les amoureux des mots. Mais un dictionnaire n'est pas neutre : il répond à une sorte de ligne éditoriale. Il me semble ainsi que mon Larousse accorde une très grande place à des noms de molécules ou de protéïnes alors que mon Robert est un fin littéraire.

Mais je me fais sans doute des idées...

Anonyme a dit…

Il y a trois sortes de livres que je ne me lasse jamais de feuilleter: les dictionnaires, les atlas et les livres de cuisine.

Alcib a dit…

Brigetoun, c'est cette connaissance directe que j'aurais aimé avoir avec l'art, l'architecture, surtout... Je crois que j'ai fini par épuiser ma capacité d'admiration à désirer connaître ce qui m'était inaccessible autrement que par la pensée et par livres...

Pitou G., tu as raison ; le Larousse donne à l'usage de M. et Mme Toutlemonde la définition des mots, alors que Le Robert a des objectifs plus linguistiques et littéraires. Le Québec aura, en 2009, un nouveau dictionnaire, équivalent du Robert, mais qui tiendra compte de notre réalité, qui proposera des citations d'auteurs québécois, etc.

Vincent, je pourrais reprendre la même liste, en remplaçant les atlas par des catalogues (souvenirs d'enfance). Hélas, je me lasse des atlas. Quand aux livres de cuisine, ils jouent souvent le même rôle que les autres : me faire rêver plus que passer à l'action.