jeudi 30 août 2007

Grèce, toujours...

La photo vient d'ici.

Je parlais cet après-midi avec une femme qui est arrivée de Grèce il y a quelques jours ; sa mère et sa fille y sont encore. Elle me disait que c'est terrible de voir le ciel toujours noir de fumée, de devoir garder en permanence les portes et fenêtres fermées et de laisser fonctionner toujours le climatiseur (pour ceux qui ont la chance d'en avoir un).
Cela, c'est sans parler du côté humain, de toutes ces personnes qui ont tout perdu, qui n'ont pratiquement pas d'assurance et qui jamais ne retrouveront un coin de terre comme celui qui a été détruit.
La grogne est forte contre le gouvernement, disait-elle.
Le pire, dans tout cela, c'est de savoir que quelques malades prennent plaisir à allumer ces feux. Et qui sait si certains de ces pyromanes ne sont pas « de mèche » avec les promoteurs immobiliers rapaces et sans scrupule qui ne manqueront pas de construire de magnifiques villages de vacances pour accueillir les touristes qui se ficheront pas mal de savoir que quelques mois plus tôt des familles ont péri sur ces terres convoitées, que des centaines d'autres ont tout perdu et qu'elles auront eu pour toute compensation de l'incurie de leurs gouvernants qu'une mince bouchée de pain à tremper dans l'huile d'olive qu'ils devront désormais acheter.

En lisant ces terribles nouvelles sur ce qui se passe en Grèce, notamment dans le Péloponnèse, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces amis pour qui la Grèce est d'abord la patrie de tous ceux qui pensent et qui s'intéressent un peu à l'histoire occidentale, mais aussi à ceux qu'il m'est arrivé de croiser brièvement. Je pense par exemple à un homme d'une formidable humanité, d'une culture comportant de nombreux trous mais surtout d'immenses richesses ; d'origine portugaise et dessinateur technique pour gagner sa vie, Manuel ne travaillait dans une année, chez Bombardier ou ailleurs, que le temps qu'il fallait pour amasser assez d'argent pour partir en Grèce. Plus d'une fois, il avait parcouru le Péloponnèse du Sud au Nord et inversement. Il avait beaucoup aimé les Cyclades, mais c'était avec les larmes aux yeux qu'il me parlait alors du Péloponnèse, m'incitant à y aller dès que je le pourrais. Ces derniers jours, j'ai beaucoup pensé à la Grèce, à mes amis qui aiment ce pays, et j'ai beaucoup pensé à Manuel, ce Portugais amoureux de la poésie et de la Grèce.

dimanche 26 août 2007

Le Péloponnèse brûle

Où sont les stratèges ?

La photo vient d'ici.

Plus de 60 morts jusqu'à maintenant, une région de la Grèce, que j'aime comme si elle était ma patrie, est ravagée par les flammes, un patrimoine mondial menacé...
On aurait arrêté 150 incendiaires.
Le sanctuaire d'Olympie est léché par les flammes. Que fait Zeus ? Est-il aussi en vacances sur les plages du Maine ?

vendredi 24 août 2007

La Justice dans la rue

J'avais hier rendez-vous avec une femme que j'aime beaucoup, qui a célébré il y a un mois son soixante-quinzième anniversaire et que j'avais évoquée dans mon billet du 15 juillet dernier. Ancienne collègue de travail, elle avait eu la sagesse de quitter le bateau quelques années avant moi, avec une motivation tout à fait louable : pour accepter un poste tout près chez elle, de façon à s'éviter les pénibles embouteillages de l'heure de pointe, l'hiver surtout. À 75 ans, elle travaille encore pour cette organisation. Je l'avais appelée le 25 juillet, jour de son anniversaire, et nous nous étions donné rendez-vous dans un restaurant de la rue Laurier Ouest, restaurant qu'elle fréquente depuis 1954 et où j'ai souvent eu l'occasion d'aller manger aussi, en sa compagnie et, parfois, avec l'équipe de travail. Il m'arrive à l'occasion, depuis un peu plus d'un an, d'y tenir des réunions avec des collègues de l'association que je dirige.

La rue Laurier Ouest est la principale rue commerçante de l'arrondissement d'Outremont. Plus haut, il y a la rue Bernard, rue habitée et fréquentée par la nouvelle élite, la nouvelle génération des vedettes de la chanson et de la télévision ainsi que celle des gens d'affaires francophones qui ont réussi. Si la rue Bernard sent un peu le nouveau riche, la rue Laurier est celle de la vieille bourgeoisie d'Outremont, une valeur sûre en matière de mode, de charcuterie et autres denrées fines, de restaurants où l'on salue sans trop d'obséquiosité, avec une certaine familiarité (comme des gens de la famille) la clientèle aux cheveux blancs ou mauves qui depuis des décennies mange à la même table. Il y a aussi de nouveaux restaurants, de nouveaux cafés, dont certains connaissent beaucoup de succès. Celui-ci, réunit dans la salle et sur la terrasse toujours bondées une clientèle relativement jeune, élégamment vêtue de noir. La cuisine que l'on y sert, avec sa riche carte des vins et ses excellents fromages du Québec s'ajoutent au décor et à l'ambiance et font en sorte que, si l'on n'a pas réservé, il vaut mieux ne pas arriver trop tard si l'on veut y avoir une place.

Hervé Teboul, Lavandes en fleurs

La rue Laurier Ouest est aussi la rue de maisons de production télévisuelle, d'éditeurs, de galeries d'art, dont celle, plus récente, d'un jeune peintre d'origine provençale, établi au Québec depuis 1996, et dont les toiles doivent très bien s'harmoniser avec les murs fraîchement rénovés des vieilles maisons d'Outremont récemment acquises par l'élite nouvelle. C'est dans cette portion de la rue Laurier que Le Nôtre s'était installé il y a quelques années, au moment où l'économie n'était pas très florissante ; Le Nôtre et Hédiard ont fermé leurs portes. On trouve aussi, voisin d'une rôtisserie établie depuis 1936 et toujours tenue par la même famille, à l'adresse d'un fleuriste qui y était depuis 1918 et qui, ces dernières années, a déménagé avenue du Parc, un distributeur de la Rolls des cuisinières (si vous aimez la cuisine, vous pourriez équiper la vôtre pour environ 36 500 $ ou 25 400 euros).


J'avais rendez-vous au restaurant, mais j'ai voulu arriver plus tôt pour avoir le temps d'aller acheter des fleurs chez Mme L'Espérance ; l'employé qui m'a servi est là depuis quarante ans et j'ai pu saluer une dame L'Espérance, petite-fille des fondateurs du commerce bientôt centenaire. La famille du fleuriste et celle du restaurateur sont d'ailleurs liées.

Sur le trottoir d'en face, un jeune homme avait attiré mon attention par sa fraîcheur et sa beauté ; il m'a rappelé un autre jeune homme croisé dans un bar à la mode de la même rue une fin d'après-midi où j'y prenais l'apéritif avec des collègues et qui pourrait à lui seul m'inspirer un roman... En revenant avec mes fleurs, je me suis organisé pour passer près de lui. À la porte du marchand de journaux, il vendait le dernier numéro d'un magazine d'actualité : il aurait vendu n'importe quoi, je crois que je me serais laissé convaincre ou peut-être que j'aurais feint de ne pas être décidé pour le seul plaisir de lui parler un peu plus longtemps et d'évaluer par la même occasion ses chances de réussite dans la vie. À en juger par son physique, par son allure, son attitude et son discours, il m'a semblé jouir déjà d'excellentes bases.

Content de posséder un magazine acheté dans de si agréables conditions, j'ai traversé la rue en me faufilant entre les voitures de luxe, jouant d'adresse pour réussir à traverser car les Outremontais au volant se sentent chez eux partout, à plus forte raison dans leur quartier, et ils considèrent les piétons comme des nuisances publiques. Il m'est arrivé à quelques reprises de donner un coup de poing sur des voitures qui ne s'étaient pas arrêtées pour me laisser passer alors que j'avais la priorité ; il est arrivé plus d'une fois que le conducteur descende de sa voiture immobilisée dans l'intersection, portière laissée ouverte et sortant tout ce qu'il pouvait trouver pour m'insulter en me montrant son poing pendant que je continuais ma route en toute sérénité. Une autre fois, un conducteur a ouvert sa portière alors que j'arrivais à sa hauteur a vélo ; j'ai dû freiner brusquement pour ne pas entrer dans la portière de la Mercedes ; je suis tombé, je me suis écorché les genoux, les jambes, les bras. Si une autre voiture me suivait, elle me passait dessus. Pas un instant cet imbécile de conducteur ne s'est arrêté pour savoir si j'étais blessé, si j'avais besoin d'aide. Il est entré dans une boutique en me laissant dans la rue, sonné ; tels sont les conducteurs à Outremont.

Non loin du restaurant, il y avait un banc. J'y ai déposé mes fleurs et je me suis assis pour parcourir le magazine que j'avais acheté, tout en jetant un coup d'oeil discret sur la faune du quartier qui passait devant moi en me marchant presque sur les pieds. J'y ai reconnu plusieurs personnalités, dont la présidente de l'Ordre des psychologues professionnels du Québec, femme très sympathique avec qui j'avais été invité dans une émission de télévision pour y analyser un film que l'on venait de présenter aux téléspectateurs (nous avions eu, elle et moi, une semaine pour regarder le film chacun chez soi ou à son bureau).

Parmi la faune en tenue d'été, soignée ou décontractée, j'ai vu venir vers moi un homme en short, t-shirt et sandales, au teint cuivré, que j'ai immédiatement reconnu, d'autant plus facilement qu'au moment où il arrivait à ma hauteur, une femme élégante traversait la rue en criant : « Jacques ! Jacques ! » Alors, Jacques s'est arrêté au bout du banc où j'étais assis pour attendre sa « présidente préférée ». La femme en question a été nommée récemment présidente d'un organisme gouvernemental et le ministre de la Justice du Québec (puisque c'était lui) tenait à assurer « Marie-Andrée » de son soutien dans ses nouvelles fonctions. Il n'interviendrait pas trop personnellement, il allait convaincre le premier ministre de ceci ou de cela ; il allait demander à untel et à un autre de se joindre au comité de sélection présidé par Marie-Andrée, etc. Bien sûr, les attachés politiques vont continuer de soumettre des candidatures (partisanes) chaque fois qu'il y aura des postes à combler, mais il appartiendra à la présidente « Marie-Andrée » de choisir...

Cette photo officielle est bien l'une des très
rares images où l'on puisse voir le député sourire


Ce qui était étonnant, c'était de voir en tenue de vacances ce politicien qui, bien que ministre de la Justice de tous les Québécois en principe, est toujours si arrogant, si hargneux envers les membres de l'opposition à l'Assemblée nationale. Peu soucieux de décorum et de respect de sa fonction de ministre, il a toujours l'air du roquet enragé qui n'hésite pas à faire de la basse politique pour tenter de discréditer l'adversaire. Quand, à l'extérieur de l'Assemblée nationale, il doit faire des déclarations publiques, on se demande toujours quel journaliste il va finir par mordre. Et là, tout bronzé, il était tout détendu, mais il n'en continuait pas moins de vouloir mener les affaires du Québec comme si ce Québec qu'il veut mieux fondre dans le Canada (ajouter ici le qualificatif « anglais » serait un pléonasme) appartenait à son parti politique et que tous les postes clés devaient revenir aux amis du parti.

Dans le même ordre d'idée, mais dans un autre pays, je ne sais pas si tous les Français remarquent que l'on ne parle plus en France du Président de la République, mais du « Président Sarkozy », exactement comme au pays de George le Buisson. Il n'y a donc plus en France de république, mais il y a une grande société qui devra marcher selon le bon vouloir de son président-directeur général et de ses actionnaires, ceux-là même qui lui paient de très luxueuses vacances en essayant de faire croire qu'il n'en coûtera rien aux contribuables. Essaie-t-on vraiment de prendre encore les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages ?

samedi 18 août 2007

L'Irak, près de chez moi

N'ayant pas eu la chance, au cours de mon enfance ou de mon adolescence, de découvrir l'univers des Mille et une nuits, l'Irak ne signifiait rien d'autre pour moi qu'un pays lointain où je ne mettrais sans doute jamais les pieds. Ni la vie des dames de Bagdad, ni le pouvoir du sultan, ni les aspirations au califat, ni le quotidien du grand vizir n'ont occupé mon imagination. J'ai à peine entendu les noms de Sinbad le marin et d'Ali Baba ; grâce aux dessins animés, j'ai un peu connu Aladin et sa lampe magique, mais je n'aurais jamais pensé l'associer à Bagdad.

Le nom de l'Irak a commencé à faire partie de mon quotidien en 1991, au cours de la guerre du Golfe, à la suite de l'invasion du Koweit par Saddam Hussein. Et, plus récemment, en mars-avril 2003, quand une coalition menée par les États-Unis a envahi l'Irak et provoqué la chute du régime de Saddam.

À l'automne 2000, j'ai toutefois commencé à connaître un peu quelques Irakiens installés à Montréal. Il y a un café près de chez moi où j'avais eu l'occasion d'arrêter quelquefois, sans plus ; le plus souvent, c'était en vitesse, pour y saluer un voisin ou une voisine qui y prenait un café. Puis, à l'automne 2000, je me suis mis à y aller régulièrement, pratiquement tous les soirs. C'est qu'en m'abonnant à Internet, j'étais tombé par hasard sur un salon de clavardage qui est immédiatement devenu pour moi un lieu de fraternité ; je pouvais y passer des heures chaque soir. Pour me forcer à faire une pause d'Internet et de clavardage, j'annonçais à mes amis lointains que je devais aller manger ; en fait, je partais avec un livre et j'allais m'asseoir à l'un des trois cafés du coin, celui tenu par des Irakiens.

La force et le goût du café que l'on y servait étaient très variables ; de toute évidence, les propriétaires et les employés n'étaient pas des buveurs de café et, si incroyable que cela puisse être pour un établissement qui s'annonce comme un café, la boisson qui porte ce nom n'y était pas toujours recommandable. Ce que j'aimais toutefois de cet endroit, à cette époque, c'est qu'il était à la fois calme et animé. J'aimais m'asseoir le long des grandes fenêtres et me plonger dans un livre en sirotant un grand café filtre tout en gardant un oeil sur le spectacle de la rue. Je sentais toutefois qu'autour de moi il y avait souvent pas mal d'activité : des étudiants travaillaient, seuls ou en groupe, des joueurs d'échecs étaient concentrés sur leur jeu sous le regard de ceux qui attendaient leur tour, etc. La plupart du temps, ma voisine d'appartement y était, plongée elle aussi dans sa lecture ; puis, à un certain moment, nous refermions nos livres et nous commencions à nous parler, jusqu'au moment de partir, ensemble ou l'un après l'autre. Avec ma voisine, nous avions convaincu les propriétaires de mettre de la musique classique au lieu de la tonitruante radio anglophone, ce qu'ils ont fait et maintenu, encore aujourd'hui. Ce que j'aimais aussi de cet endroit, c'est qu'il rassemblait des Arabes, des Juifs, des Allemands, des Anglais, des Français, des Chrétiens, des Musulmans, des anglophones, des francophones et des allophones, des noirs, des blancs, des jaunes, des métis, etc. ; tout le monde y fraternisait sans discrimination. J'y ai vu des personnalités, des artistes, des écrivains...

Mais le propriétaire a la mauvaise habitude de vouloir tout changer tout le temps. Un soir, quand je suis arrivé, il avait transformé l'espace en modidiant la disposition des tables, des banquettes, des chaises ; il m'a demandé si j'aimais le nouvel espace et je lui ai répondu spontanément : non ! Il a alors ajouté : « C'est pour les étudiants » (je devais comprendre : pour permettre aux étudiants de travailler en groupe) ; je lui ai répliqué que je n'étais pas étudiant et que j'aimais pouvoir m'asseoir le long d'une fenêtre plutôt que face au mur ou carrément face à la fenêtre. J'ai cessé d'y aller durant quelques jours, le temps qu'il se rende compte que son idée n'était pas géniale. Il n'a cependant pas cessé de vouloir transformer l'endroit, faisant peu à peu fuir les clients réguliers. J'ai définitivement cessé d'y aller il y a deux ans, peut-être. Quand je passe devant, plusieurs fois par jour, je ne peux m'empêcher de penser à l'Irak car ce café qui fut d'abord beau et sympathique est désormais toujours en chantier et, à part deux ou trois étudiants trop heureux d'y trouver un peu de solitude, contrairement aux deux autres cafés toujours bondés, il est pratiquement toujours désert. Je ne peux m'empêcher de penser avec regret à ce qu'il fut pendant un certain temps et aux nombreuses heures agréables et enrichissantes que j'y ai connues.

Parmi les personnalités qu'il m'est arrivé d'y croiser à quelques reprises, et que je continue de croiser dans le quartier, il y a l'écrivain québécois Naïm Kattan. Né à Bagdad le 26 août 1928, Naïm Kattan vit au Québec depuis 1954. Il a enseigné la littérature à l'université McGill et reste un chroniqueur du journal Le Devoir. J'ai appris hier que l'Académie française vient d'attribuer à Naïm Kattan le prix Hervé-Deluen 2007, créé en 2007 pour récompenser la contribution exceptionnelle à la défense ou à la promotion du français comme langue internationale. Naïm Kattan, qui a commencé à écrire en arabe, sa langue maternelle, se dit très ému de recevoir ce prix que l'Académie remet pour la première fois.

P.-S. : Je remarque avec plaisir que l'Institut de France, « le Parlement des Savants » qui regroupe les cinq Académies, propose qu'on lui écrive par « courriel » (mot québécois) plutôt que par l'horrible « mail » (si répandu en France). En écrivant ces derniers mots, je me résigne d'avance à ne plus recevoir de messages électroniques de mes amis français.

vendredi 17 août 2007

Pour l'amour de l'art

Ceux qui écrivent ont parfois peur de la page blanche, de même que certains peintres peuvent craindre la toile blanche. Jean Cocteau a eu l'idée d'écrire un Livre blanc et de le publier sans nom d'auteur ; il faut dire que son livre n'avait rien de blanc, si ce ne sont les marges autour du texte et des dessins pour le moins explicites. Quelqu'un, ces dernières années, a eu l'idée de publier un nouveau livre blanc, sous une couverture imprimée, mais ne contenant que des pages entièrement blanches ; il laisse ainsi à chacun la liberté de créer son propre roman. En peinture, les tableaux blancs se vendent très cher. C'est qu'au fond il faut autant de talent pour peindre en blanc une toile que pour la peindre en noir ; j'espère bien que Pierre Soulages serait d'accord avec moi. Ce n'est certes pas Kasimir Malevitch qui me contredirait, lui qui peignait en 1918 ce tableau intitulé Carré blanc sur fond blanc :

Kasimir Malevitch, Carré blanc sur fond blanc (1918)
Musée d'Art moderne (MOMA), de New York

Chacun est libre d'interpréter comme il veut l'oeuvre d'art qu'on lui présente. La question du rôle du spectateur dans l'art mérite réflexion... Selon la théorie de l'« oeuvre ouverte » chère à Umberto Eco, chaque spectateur contribue en quelque sorte à la création de l'oeuvre dans la mesure où il va vers l'oeuvre, tente un dialogue...
« Toute œuvre d'art alors même qu'elle est une forme achevée et close dans sa perfection d'organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu'elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d'une œuvre d'art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale. » Umberto Eco
Certains artistes, comme la plupart des enfants, ne peuvent voir une page blanche (ou un mur) sans vouloir immédiatement y appliquer de la couleur. Il y a des adultes qui, ayant sans doute conservé leur âme d'enfant, ont des réactions spontanées qui les poussent à mettre de la couleur et même leur marque personnelle sur ce qu'ils considèrent comme une page blanche qui leur est offerte.

C'est le cas d'une jeune femme qui se dit artiste, venue de Lou Martegue (ou : Martigues pour ceux qui ne parlent pas la langue de Mistral) pour admirer (?) les oeuvres de la Collection Lambert exposées au musée d'art contemporain d'Avignon (ou serait-ce à l'hôtel de Caumont ?). Apercevant un tryptique blanc de l'artiste Cy Twombly, inspiré du Phèdre de Platon, cette femme, soi-disant artiste, n'a rien trouvé de mieux que de poser sur la toile blanche ses lèvres grassement peintes d’un rouge vif de marque Bourjois.

Poursuivie par la galerie pour avoir endommagé une toile estimée à deux millions d'euros, une oeuvre de 1977, Rindy Sam a refusé hier de reconnaître sa culpabilité. Elle assume son geste mais refuse d'admettre qu'elle a causé quelque dommage que ce soit. Elle affirme que son geste était spontané ; je suppose qu'il faut interpréter ce geste spontané comme un immense déclaration d'amour. Pour le propriétaire du tableau, il s'agit plutôt d'un viol et j'aurais tendance à penser comme lui.

Personnellement, j'ai horreur de ces personnes qui, sous prétexte de spontanéité, donc de vérité, d'authenticité, se croient tout permis. Faudrait-il alors considérer comme spontané, donc authentique, l'amour du pédophile pour la petite fille ou le petit garçon qui se trouve sur son chemin ? Et comment cette artiste spontanée interpréterait-elle mon geste si, la croisant dans les rues de Martigues (autre belle ville de Provence que j'aimerais visiter prochainement) et, réagissant dans un grand élan spontané, je lui marquais spontanément la joue au fer rouge comme on fait avec le bétail ?

La restauration du tableau constitue une tâche délicate dans la mesure où le rouge à lèvres sur une toile ne s'efface pas aussi facilement qu'une tache d'eau. Selon le directeur du musée, « le rouge à lèvres est le matériau le plus violent, à cause de la combinaison des pigments et du gras. On sait mieux réparer les lacérations que ce genre de dommages ». La jeune femme à la spontanéité agressante subira son procès le 9 octobre prochain ; trois dédommagements seront réclamés par l'avocat de la Collection Lambert : pour le vandalisme contre l'oeuvre, pour la mauvaise image donnée au musée, pour l'impossibilité de prolonger l'exposition de trois semaines, comme prévu.

Pour ma part, j'espère qu'elle sera reconnue coupable et que la peine que lui infligera le Tribunal sera exemplaire. Autrement, sous prétexte d'art spontané, n'importe quel illuminé ira peindre des moustaches à la Joconde ou circoncire le David de Michel-Ange.

Cy Twombly, Pan II, détail de Pan, sept parties, 1980.
Techniques mixtes sur gravure pointe sèche sur papier, 59 x 59 cm.
Collection Yvon Lambert. - L'image vient d'ici.

Quant au peintre Cy Twombly, maintenant âgé de 79 ans, il est né en Virginie, aux États-Unis et vit depuis 50 ans à Gaeta, en Italie. Il semble avoir une prédilection pour Platon et pour la mythologie gréco-latine. Roland Barthes a contribué, vers 1960, à asseoir sa réputation. Dans le sillage de Roland Barthes, Renaud Camus, près de trente ans plus tard, a exprimé dans son journal son amour pour le lyrisme dans la peinture de Cy Twombly.

jeudi 16 août 2007

Provence, toujours...

Comment me viennent les titres qui coiffent les différents billets de ce blogue ? Je me posais la question, un peu plus tôt, en pensant au titre qui me revenait sans cesse à l'esprit avant même de savoir exactement ce que j'écrirais dans ce billet, dont je ne connais que le point de départ, le prétexte, « la raison suffisante » chère à Pangloss...

Si l'on demande à Jean de La Fontaine, le fabuliste, Comment l'esprit vient au filles, la réponse ne tardera pas à venir ; prévoyant la question, il nous a donné d'avance la réponse dans un conte amusant. Mais que peut bien venir faire ici La Fontaine, plus familier avec la Picardie que viennent de quitter Les Pitous qu'avec la Provence de Mistral, de Pagnol, de Giono, d'Alphonse Daudet, de Cézanne ou de mon très cher ami Poeri ? Il ne faudrait pas oublier que La Fontaine a bien raconté l'histoire de la relation de la cigale, insecte typique de la Provence (c'est la première fois que je vois cet insecte en gros plan : c'est effrayant !) avec la fourmi qui n'est pas prêteuse (« c'est là son moindre défaut », je vous assure) ; j'ai publié, il y a près de deux ans, la petite histoire de la composition de la célèbre fable. Il semble bien cependant que ce soit la seule fois où Jean de La Fontaine ait parlé de la cigale qui, dès l'Antiquité grecque, symbolisait l'insouciance du poète. Ésope, dont s'est fortement inspiré La Fontaine, a sans doute parlé de la cigale avec plus de chaleur que n'a su le faire La Fontaine ; mais nous ne le saurons jamais car les textes d'Ésope ont été perdus. Et si Ésope eut de la chance et du succès à Samos, où l'on fait encore un si bon vin blanc, sirupeux, qui donne immédiatement la sensation d'être en vacances, il eut moins de chance à Delphes, où il fut condamné à mort pour avoir comparé les Delphiens à des bâtons flottants ; au sanctuaire d'Apollon, au pied du mont Parnasse, on ne plaisante pas avec les poètes fabulistes, si fameux dussent-ils devenir.

Ménerbes en automne - photo de JM Rosier, sur Wikipédia

Si ce titre me revenait sans cesse à l'esprit, c'est sans doute, principalement, parce que la Provence est très présente à mon esprit et dans mon coeur, notamment à cause de mon ami Poeri dont c'était l'anniversaire le 5 août dernier, que j'ai appelé pour l'occasion ; j'étais heureux de l'entendre plus serein que le même jour, l'an dernier. La conversation fut brève mais, en dépit de la surprise que je cause à l'autre bout quand j'appelle, je suis toujours enchanté d'entendre sa voix.

Aix-en-Provence - Cloître Saint-Sauveur - photo Wikipédia

Ce titre de Provence, toujours, c'est celui du deuxième livre écrit par un publicitaire anglais qui s'était installé à Ménerbes, l'un des plus beaux villages de France avec, en Provence seulement, Gordes, Lourmarin, ... Le premier livre écrit par cet Anglais installé à Ménerbes s'intitulait Une année en Provence ; il s'est vendu à des millions d'exemplaire et son succès a fait en sorte que l'auteur a dû déménager pour avoir la paix et j'imagine qu'il a aussi pourri la vie des résidants du Luberon (l'accent aigu sur le « e » de Luberon n'est pas authentique ; il fait trop parisien). Le publicitaire devait bien savoir ce qu'il faisait et si le résultat des ventes de son livre a dépassé ses attentes, il n'a pas dû s'en plaindre. Quant aux inconvénients qu'ont pu lui causer les hordes de touristes débarquant chez lui, il en est le premier responsable.

La petite maison de Peter Mayle à Ménerbes - photo du journal La Presse

Ces livres sont à la littérature ce que Star Académie est à la chanson française, ce que Le Loft est à la vraie vie, ce que la chaîne Espace Musique de Radio-Canada est à la culture véritable : à l'exception de Radio-Canada, qui n'est pas rentable, ce sont des attrape-nigauds qui visent plus à enrichir un petit groupe d'exploitants qu'à enrichir l'esprit de ceux à qui ils prétendent s'adresser. Dans le cas de Radio-Canada, c'est plus pernicieux : il y a derrière la prétention de diffuser de la culture pour tous la volonté inavouée de fondre la culture québécoise dans une programmation « coast to coast » ; ce que les millions de dollars des commandites frauduleuses du gouvernement canadien n'ont pas réussi à faire, la radio de Radio-Canada le fera : noyer la culture distincte du Québec dans un « Canadian melting pot ». Et ça, c'est du génocide culturel !

Peter Mayle à Lourmarin - photo du journal La Presse

Gordes - photo sur Wikipédia

Gordes - photo sur Wikipédia

Lourmarin - photo de JM Rosier sur Wikipédia

J'ai un ami, Québécois de Montréal, qui sera en Provence pour quelques semaines à compter de lundi prochain. Pierre va rejoindre un ami qui habite Toulon. Contrairement aux années précédentes, cet ami de Toulon n'a pu prendre de vacances cet été et il ne pourra donc pas accompagner Pierre partout dans ces déplacements en Provence. J'ai cru que Poeri pourrait rencontrer Pierre durant une heure, à Aix-en-Provence, par exemple, pour lui indiquer ce qu'il devait voir à Aix, où aller manger, etc. ; Pierre est allé à Aix à quelques reprises, mais il en est toujours revenu avec le sentiment de ne pas avoir vraiment découvert Aix. Hélas, il semble que Poeri sera en vacances à Madrid durant le séjour de Pierre en Provence...

J'ai reçu, il y a deux jours je crois, cette magnifique carte de l'abbaye de Sénanque. Elle provient de Vincent à l'Ouest, qui vit normalement à Nantes, mais qui chaque été va passer quelques semaines dans la maison familiale du Vaucluse. Merci infiniment, cher Vincent. J'espère que les vacances sont aussi agréables que tu le souhaites, malgré l'absence de ton compagnon retenu en Vendée.




Abbaye de Sénanque - photo sur Wikipédia

Vincent souligne l'intérêt, pour mon prochain séjour en Provence, de visiter l'abbaye de Sénanque, dont le site officiel est ici. Il y a deux autres abbayes cisterciennes en Provence : celle du Silvacane et celle du Thoronet. Si l'on s'intéresse à l'architecture française, en général, à l'art cystercien, gothique, roman ou autre, on pourra passer des heures à regarder les magnifiques photos de ce site sur lequel l'architecture est classée par catégories, par régions ; il s'agit du site Romanes, que m'avait généreusement signalé un lecteur « anonyme », que je soupçonne d'être resté provençal dans l'âme, même après un séjour à New York, à Paris...

mercredi 15 août 2007

Gourmandise

C'était aujourd'hui, jour de rédaction pour tous ceux qui participent à la Rédaction du mois dans la blogosphère. Je suppose que, dans toute la blogosphère, il y a plusieurs rédactions chaque mois mais il n'y en a qu'une qui compte, celle qu'a initiée Laurent, grand amateur, entre autres, de Nutella® (je lui aurais bien offert cette recette de macarons au Nutella®, mais il préfère le sien à la cuillère, à même le bocal ; pour les autres, la recette est ici).

Je n'ai pas participé cette fois à la rédaction dont le sujet était « Mon péché gourmand », mais si vous voulez lire ce que les collègues habituels ont publié sur ce sujet, vous trouverez, en plus de son texte, la liste des participants chez Laurent ou chez Jean-Marc (j'aurais normalement suggéré d'aller chez Olivier, mais il n'a pas participé non plus ce mois-ci ; je suppose qu'il apprécie encore trop intensément ses récents péchés gourmands - il revient d'Europe - pour s'en confesser ici et promettre de ne plus recommencer avant de faire pénitence).

Je n'ai pas de péché gourmand ; je n'aime que... tout ce qui est bon. En fait, je mange de tout, mais pas n'importe quoi. Je n'achète jamais de Nutella®, de croustilles, de biscuits, de bonbons, ni quoi que ce soit qui serait considéré comme un « péché ». Depuis quelques semaines, j'achète du chocolat noir, à 75 ou 90 % de cacao, mais c'est uniquement parce qu'on m'a conseillé d'en manger à cause du fer qu'il contiendrait. En fait, je sais que le chocolat noir de bonne qualité, à petites doses, est bon pour pour la santé. Pour m'encourager à en manger, puisque je ne raffole pas du chocolat, j'achète du chocolat à l'orange, au gingembre, au poivre, au citron, au café et même au... chocolat. J'ai la chance de trouver au coin de la rue un commerce qui tient une très grande variété de chocolats importés de partout : France, Italie, Suisse, Allemagne, etc.

Hier, cependant, en allant prendre un café dans un endroit comme il n'en existe pas beaucoup à Montréal, un véritable café italien où l'on ne sert que de l'espresso, que du café de très grande qualité, fréquemment importé d'Italie pour qu'il soit toujours frais, mon regard a été attiré par des couleurs vives, appétissantes. J'ai acheté ces croustilles de pommes de terre cuites dans l'huile d'olive et aromatisées à l'origan. Un délice !

Cette photo est de moi. Vous pouvez cependant consulter leur site Web pour voir les autres produits préparés par cette marque italienne.

vendredi 10 août 2007

Au feu !

jeudi 9 août 2007

Justice pour Dame Plume

Le 17 juillet 1984, la comédienne québécoise Denise Morelle était sauvagement assassinée alors qu'elle visitait un appartement à louer. Le meurtre de cette femme avait créé un véritable choc dans la société québécoise et tout particulièrement dans le milieu du théâtre et de la télévision. Aimée de tous, aussi bien des enfants qui la connaissaient pour son rôle de Dame Plume dans l'émission La ribouldingue, que par les adultes qui pouvaient l'apprécier dans des rôles plus exigeants au théâtre, comment avait-on pu s'en prendre à elle ? Depuis 1984, le mystère planait sur cet assassinat et le meutrier était toujours en liberté, pas même inquiété.


Aujourd'hui, la police annonce enfin une bonne nouvelle : 23 ans après son assassinat, on a identifié et arrêté le meurtier présumé de Denise Morelle. Grâce à des moyens nouveaux et à des prélèvements d'ADN, on a pu associer un habitué des palais de justice et des prisons au meurtre gratuit et d'une rare violence commis le 17 juillet 1984.

C'est une excellente nouvelle pour les proches et les amis de Denise Morelle. L'arrestation, le procès, la condamnation de son assassin ne rendront pas la vie à cette femme discrète qui vivait pour son art, mais que justice soit rendue permettra de tourner la page, de clore un chapitre.

Comme tout le monde, je connaissais la comédienne Denise Morelle. Je l'avais d'abord connue par la télévision dans les émissions pour enfants que je regardais. Plus tard, je l'ai vue au théâtre, notamment dans les pièces de Michel Tremblay. Puis, comme nous habitions le même quartier, il m'arrivait assez souvent de la croiser chez les commerçants. Chaque fois que nous nous croisions, elle me souriait discrètement et je répondais de la même façon à son sourire. Un jour, au bout d'une allée d'épicerie, elle m'aborda en me disant : « On se connaît, non ? » Je lui répondis que, bien sûr, je savais qui elle était, mais qu'elle ne me connaissait pas, même si à l'époque j'avais commencé à travailler à la radio. Nous nous rendîmes vite compte qu'elle me prenait pour un photographe avec qui elle avait travaillé déjà. Le hasard a voulu cependant qu'à peu près à la même époque je fasse la connaissance de quelqu'un qui faisait partie de sa vie et que je sois de plus en plus admis dans son intimité, dans le grand appartement qu'elle occupait au square Saint-Louis. Pour son anniversaire, un trois décembre si je me souviens bien, je lui avais offert un service de nuit (carafe et verre pour la table de chevet) qui lui avait fait plaisir.

Pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec elle, personnellement, il y avait un moment que je ne la voyais pas au moment où elle fut assassinée. Mais l'annonce de sa mort fut pour moi un véritable choc. Je ne comprenais pas. Comme tout le milieu du théâtre et de la télévision, j'étais révolté qu'on ait pu s'en prendre à cette femme qui n'aurait jamais fait de mal à une mouche. Toutes les actrices, tous les acteurs, les réalisateurs, les metteurs en scène le diront : Denise Morelle était une artiste consciencieuse avec qui tout le monde aimait travailler.

La nouvelle de son assassinat m'était tombée dessus en arrivant au bureau au moment où j'étais déjà en état de choc. En effet, la veille, deux petites filles de dix ans s'étaient noyées dans la piscine de mon immeuble et c'est moi qui étais sauté à l'eau pour en retirer les corps déjà inertes (j'entrais dans l'immeuble au moment où la mère de l'une des petites filles découvrait inanimées dans l'eau de la piscine sa fille et l'amie de celle-ci). Je ne veux pas maintenant revenir sur cette histoire que j'ai déjà évoquée le 23 novembre 2005, sinon pour dire que j'avais appris la nouvelle de la mort de Denise Morelle au lendemain d'événements qui m'avaient fortement ébranlé, que je n'ai jamais oubliés, que je n'oublierai jamais...

Aujourd'hui, en lisant la nouvelle de l'arrestation du meurtrier de Denise Morelle, comme des centaines, des milliers de personnes qui ont connu la victime, j'ai éprouvé un immense soulagement à l'idée que justice sera rendue. Mais ce soir, c'est toute la peine et la douleur qui remontent, comme si enfin le moment était venu de faire le deuil que je n'avais pas vraiment pu faire au moment de sa disparition.

samedi 4 août 2007

Tout feu tout flamme



Le dimanche 14 mai dernier, jour de la fête des Mères (ça me fait penser qu'il y a exactement quatre ans, ce quatre août, que ma mère est décédée), l'une de mes collègues, au retour d'un après-midi passé chez sa propre mère, trouvait sa maison rasée par les flammes. Et, étrange coïncidence, le jeune fils d'une autre collègue, qui est pompier dans une ville voisine, avait invité sa mère à manger au restaurant ce soir-là ; il n'a pu respecter son invitation car il a été appelé à combattre l'incendie d'une maison dont il ne connaissait pas les propriétaires mais qui était bien celle de la première collègue (faut-il préciser que ces deux collègues ne se connaissent pas, sauf de nom). Je m'amusais à taquiner cette collègue sinistrée en lui disant qu'elle mettait tant d'ardeur à tout ce qu'elle fait qu'il n'était pas étonnant que sa flamme se communique à la matière qui l'entoure.

La photo vient d'ici.
J'admire le sang-froid, le courage et le sens de l'organisation de cette femme qui, pas un instant, ne s'est laissée démonter par la situation. Le soir même, quelques minutes après avoir appris ce qui lui arrivait, elle m'appelait en s'inquiétant des notes pour le procès-verbal de la dernière réunion et du sceau de l'association, comme si c'était ce qu'il y avait de plus important... Elle a fait face à toutes les formalités avec un sens incroyable de l'organisation et de l'efficacité. Elle a fait les inventaires exigés par la compagnie d'assurance, évalué le prix du moindre objet à remplacer, du mobilier de la salle à manger qu'elle aimait à la boîte de cotons-tiges* qui se trouvait dans la salle de bain, en passant par les articles de cuisine, les vêtements, les ordinateurs, etc. Elle a commencé à courir les boutiques pour remplacer tout ce qui devait l'être (absolument tout, ou presque, car le toit de la maison s'est effondré sur tout ce qu'il y avait en dessous). Elle a dû se battre avec l'administration municipale pour obtenir le permis de reconstruction qu'on lui refusait et qu'on a fini par lui accorder « pour des raisons humanitaires » (la compagnie d'assurance assume les coûts de reconstruction, à condition que la maison soit reconstruite à l'identique). Ses efforts seront bientôt récompensés car elle prendra possession de sa nouvelle maison en septembre prochain, meublée et équipée à neuf...

Cette femme est une mine de renseignements et, que ce soit pour une question juridique, pour l'impression de papeterie ou pour l'achat d'un ouvre-boîte, je m'empresse de la consulter. Chaque fois que je prends de ses nouvelles, je lui pose de nombreuses questions qui me permettent de comprendre la façon dont les choses se passent dans ce monde d'adultes, de biens, de contrats, etc.

Sans l'appeler, car elle est en vacances, j'ai bien pensé à elle aujourd'hui...

Depuis que j'habite cet immeuble, j'ai souvent entendu les pompiers dans le quartier. Il y a quelques années, ils venaient à peu près deux fois par jour dans ma rue, sans doute parce qu'un étudiant de l'université McGill occupé sur Internet ou à parler avec sa maman, loin en Ontario ou aux États-Unis, avait oublié qu'il avait mis au four un plat surgelé... J'ai si souvent entendu les sirènes, pas celles qu'Ulysse aimait écouter, attaché au mât de son navire, pas celles de l'Odyssée, mais celles des camions qui annoncent l'eau d'ici qui jaillit des lances de nos pompiers ; je les entends passer à toute heure du jour, souvent tout près, sans leur prêter attention. D'autre part, le système d'alarme de l'immeuble a été, durant des années, si sensible qu'un peu d'humidité dans le système d'aération suffisait à déclencher l'alerte dans tout l'immeuble ; je ne me donnais pas la peine de réagir non plus, persuadé qu'il s'agissait à chaque fois d'une fausse alerte.

Ce matin, peu après neuf heures, j'ai entendu la sonnerie dans les couloirs de l'immeuble. Comme j'avais mal dormi à cause de la chaleur, j'étais encore au lit. Réveillé par la sonnerie, je me suis levé et j'ai commencé à préparer mon petit déjeuner. Normalement, quand le système d'alarme se déclenche, quelqu'un se rend au panneau de contrôle du rez-de-chaussée et, après s'être assuré qu'il n'y a pas d'incendie, il arrive à faire cesser l'alarme. Or ce matin, il me semblait que la personne n'y arrivait pas. Quand on a sonné à ma porte, je n'ai pas répondu car je me suis dit qu'on allait me demander de descendre pour expliquer comment arrêter la sonnerie : je n'avais pas pris mon petit déjeuner et je n'étais pas prêt à voir du monde. Mais au troisième appel chez moi, j'ai répondu ; on m'a intimé de descendre immédiatement car il y avait le feu dans l'immeuble.

Je me demande parfois ce que j'emporterais si jamais un incendie se déclenchait et que je devais quitter l'appartement en vitesse. Ce matin, j'y ai pensé durant trois secondes et je me suis dit : j'enfile un pantalon, je prends mes clés et je descends. Le fait de prendre ses clés n'est pas mauvais, mais il ne faut jamais verrouiller les portes car si les pompiers doivent vérifier s'il y a le feu dans un appartement, ils défonceront la porte et alors les clés ne seront plus d'aucune utilité.

J'habite au sixième étage. Il n'est évidemment pas question de prendre l'ascenseur qui, de toute façon, se bloque automatiquement dès que le système d'alarme est déclenché. Dans l'escalier, j'ai vite constaté qu'il y avait vraiment un incendie dans l'immeuble et que j'aurais peut-être dû prendre une serviette mouillée pour pouvoir respirer si la fumée était trop dense. C'est fou ce qui peut nous passer par la tête dans des moments comme ceux-là !

Arrivé à l'extérieur, j'ai vu que la plupart des voisins étaient là. Entre nous, nous avons commencé à dresser la liste des locataires pour savoir si tout le monde était descendu ; il en manquait quelques-uns, mais l'un était au travail, un autre en vacances... Il manquait toutefois la locataire de l'appartement en flammes, mais on nous a dit qu'elle n'avait pas dormi chez elle à cause de la chaleur ; elle est d'ailleurs arrivée quelques minutes plus tard, pour apprendre que tout ce qu'elle possédait était parti en fumée. Une nouvelle locataire, qui sera ma voisine (dans l'ancien appartement de mon ami l'acrobate), arrivait avec ses meubles : elle a dû attendre un peu... Les pompiers commençaient à arriver ; heureusement, car ce que l'on voyait du rez-de-chaussée ressemblait à ceci, au quatrième étage :

La photo vient d'ici.

Les pompiers ont fait éloigner tout le monde et ils ont commencé leur travail. On a vite vu les jets d'eau sortir par les fenêtre du quatrième, puis ce fut les fenêtres elles-mêmes, avec tout l'encadrement, qu'ils balancèrent au rez-de-chaussée. J'étais curieux de voir comment ils s'y prenaient, d'observer leur va-et-vient, le rôle de chacun...

J'étais surtout fasciné par l'un d'eux, le premier qui m'ait adressé la parole et à qui j'ai eu l'occasion de parler à plusieurs reprises car je me tenais près de lui, à la limite de zone interdite. Il n'avait pas trente ans ; il était beau, avec un immense sourire à rendre jalouses les starlettes qui annoncent les dentifrices ou les languettes pour blanchir les dents. Il était responsable de la grande échelle, qu'il a déployée pour se rendre, si nécessaire, sur le toit, sept étages plus haut. Comme le foyer d'incendie était au quatrième et que la structure et les planchers de l'immeuble sont en béton, il n'a pas eu besoin de grimper dans son échelle. Tant mieux : il pouvait poser fièrement sur son rutilant camion et rester près de moi.

Les uniformes, en général, et ceux des pompiers en particulier, ne font pas partie de mes fantasmes, si jamais j'en avais. Le fantasme à l'égard des pompiers doit d'ailleurs varier d'un individu à l'autre : si l'uniforme en attire certains, c'est peut-être l'image du sauveur qui en excite d'autres ; le jeu avec la flamme est sûrement très évocateur pour certains, alors que le boyau, la lance, le jet d'eau doivent en émoustiller plusieurs... Il faisait son travail sérieusement : sur son immense camion bien stabilisé, ou à côté, il surveillait son échelle au cas où il faudrait y monter, mais il avait un peu de temps pour nous parler. Apercevant l'une de mes jeunes voisines qui était pieds nus, il lui a demandé le numéro de son appartement pour aller lui chercher ses chaussures (si j'avais su, je n'aurais pas enfilé mes sandales avant de descendre). Bref, même quand l'immeuble est en flammes, ça n'empêche pas de voir que les pompiers peuvent être beaux et séduisants... Quand, avant de quitter les lieux, le mien a enlevé sa tenue de pompier, il avait l'air d'un étudiant en vacances : tee-shirt (ou gaminet) pistache et short noir...


« À quelque chose malheur est bon. » Outre ce pompier, que je n'oublierai jamais (j'ai regretté de ne pas avoir descendu mon appareil photo - j'y avais tout de même pensé ; surtout que les pompiers ne se font généralement pas prier quand il s'agit de les prendre en photo), ce que je retiendrai de cette journée, c'est l'incroyable solidarité qui a suivi, environ trois heures après l'alerte, le départ des pompiers et l'autorisation de regagner nos appartements. Les pertes matérielles sont assez limitées ; un seul appartement est à refaire au complet et tout ce que la locataire a pu obtenir des pompiers, c'est une petite boîte de médicaments qu'elle aura sûrement demandé au pharmacien de remplacer ; quelques portes défoncées, un grand ménage à faire à certains endroits, l'entrée de l'immeuble qu'il faudra rafraîchir... J'ai à peine eu le temps de monter à l'appartement et de me préparer un litre de thé noir que l'on sonnait chez moi pour me demander si je voulais participer à une réunion de crise que l'on allait tenir immédiatement. Je me suis versé une grande tasse de thé et je suis redescendu, avec ma tasse. Autour d'une grande table sur laquelle on avait mis du café et des muffins, nous étions une vingtaine à faire le point sur la situation, à faire la liste de ce qu'il y avait à faire, à se répartir les tâches. En quelques minutes, tout était décidé et, un peu plus tard, tous les dégâts étaient nettoyés au rez-de-chaussée (châssis calcinés, morceaux de vitres répandus sur plusieurs mètres carrés) et quelques personnes s'affairaient à joindre le représentant de la compagnie d'assurance et les entrepreneurs ; d'autres allaient s'assurer que tout le monde allait bien, que les personnes âgées n'étaient pas trop affectées par cet événement qui les a tirées du lit ou fait sortir de chez elles trop tôt...

Comme je n'avais pas la tête à travailler, j'ai pris congé (partiellement) : j'ai appelé un client à qui je devais rendre compte de l'évolution du travail et nous nous sommes entendus sur un échéancier révisé. Puis j'ai confié du travail à un jeune homme bien que je n'ai encore jamais rencontré en personne, un Français venu terminer ses études au Québec et qui a décidé d'y rester, dont j'ai fait la connaissance sur Internet il y a quelques mois déjà...

Après avoir réglé ces affaires, je me suis senti un peu soulagé. Et comme j'avais passé une partie de l'après-midi à tenir, au téléphone ou face à face, des conversations avec plusieurs personnes, je me suis senti redevenir plus humain. Quand une vieille chanson française entendue par hasard m'a fait monter aux yeux quelques larmes, je me suis rendu compte que tout n'était pas perdu. Pour voir, il faut savoir regarder : Shakespeare disait du regard qu'il est le lait de la tendresse humaine. Le regard sur les autres sera d'autant plus tendre que l'on aura su voir en soi d'abord (ou simultanément)... Si des fumerolles s'échappent du vieux volcan enfoui dans ma poitrine, c'est qu'il est encore en activité.


*Coton-tige est une marque déposée. Au Québec, on ajoute MD, pour « marque déposée », si la marque est enregistrée selon la loi canadienne. Si la marque est enregistrée aux États-Unis, on l'indiquera par le signe ®. La France n'a pas de signe particulier, semble-t-il, pour indiquer qu'une marque est enregistrée. Et il y a toutes les variantes au sujet de la « marque de commerce », qui n'est pas enregistrée, que l'on désigne par MC au Québec et par ™ en anglais... La marque de commerce n'est pas nécessairement enregistrée officiellement, mais l'usage reconnu d'un nom peut constituer en soi une forme de droit acquis... Toutes ces nuances font vivre de nombreux bureaux d'avocats spécialisés en droit commercial...

- L'expression être tout feu tout flamme s'écrit au singulier, sans virgule.
- En flammes s'écrit au pluriel.