lundi 17 septembre 2007

En l'absence de...

Pendant que j'étais sorti manger, ce dimanche soir, faisant une pause dans ce travail qui m'épuise, un garçon pour qui j'ai une affection immense, affection que je ne veux pas tenter de nommer ici, maintenant, m'écrivait un long message, comme une déclaration d'amitié ou d'amour (entre nous, la distinction n'est pas facile à faire). Son message est un long poème, non pas à cause de quelque effort de mise en forme, mais simplement parce c'est l'émotion qui s'exprime, débarrassée de la gangue des conventions. Je ne suis pas surpris de ce qu'il y dit ; très touché, très heureux, de lire sous des mots ce que j'ai toujours senti entre les lignes et ce que nous nous sommes dit assez souvent aussi. Il y a entre nous beaucoup de pudeur, mais pas de fausse réserve.

C'est trop beau : je ne m'attendais pas à recevoir ce soir ce poème inspiré, cette déclaration que j'accepte entièrement, en faisant abstraction des compliments à mon endroit... Ces mots d'Éluard qu'il reprend, je ne sais plus où je les avais trouvés (si quelqu'un est familier avec l'oeuvre d'Éluard...), ils s'appliquent d'abord à lui : « le poète n'est pas celui qui écrit mais celui qui inspire ».

J'aime beaucoup aussi ces autres mots d'Éluard : « Je ne sais plus, tellement je t'aime, lequel de nous deux est absent. »

Je voudrais répondre à ce message ; je ne pourrai pas le faire avant vingt-quatre heures au moins. Je veux néanmoins dire à cet ami, au cas où il repasserait par ici au cours des prochaines heures, que, encore balotté par les événements qui se bousculent, j'aurai du mal à retrouver rapidement le fil de ma vie intérieure afin d'apporter à son message la réponse que je voudrais lui apporter. Autrement dit, je conserve encore durant quelques heures mon coeur entre parenthèses.

En lisant sa crainte d'être maladroit, de n'avoir pas les mots voulus pour s'exprimer, je me sens plus maladroit encore car si ses mots sont déficients que devra-t-il penser des miens ?

Mais en me faisant cette réflexion, j'ai repensé à une phrase de Flaubert lue il y a très longtemps et qui me réconforte en me rappelant que je ne suis pas seul à éprouver ce malaise devant la pauvreté des mots quand nous voulons exprimer des émotions, des sentiments :

« ... comme si la plénitude de l'âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. »

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Alcib, je reprends un peu mon retard sur ton blogue. Je ne peux rien ajouter sur cette correspondance avec ton ami sinon te redire à quel point j'aime lire tes réflexions et sentir ta sensibilité.

Tes amis sont chanceux.

Anonyme a dit…

Bonjour Alcib,
Ta réflexion m'a fait penser à ces quelques vers de Lamartine que je suis allée rechercher sur l'Internet. Bien entendu, il fait référence à des sentiments religieux mais il décrit bien les limites du langage humain lorsqu'il est question d'exprimer certaines émotions ou sentiments. Je t'offre donc cet extrait tout juste retrouvé, qui m'a fait me replonger dans mes lectures d'adolescente.

" ... Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens,
Toute parole expire en efforts impuissants.
Mon âme croit parler, ma langue embarrassée
Frappe l'air de vingt sons, ombre de ma pensée.
Dieu fit pour les esprits deux langages divers :
En sons articulés l'un vole dans les airs ;
Ce langage borné s'apprend parmi les hommes,
Il suffit aux besoins de l'exil où nous sommes,
Et, suivant des mortels les destins inconstants
Change avec les climats ou passe avec les temps.
L'autre, éternel, sublime, universel, immense,
Est le langage inné de toute intelligence :
Ce n'est point un son mort dans les airs répandu,
C'est un verbe vivant dans le coeur entendu ;
On l'entend, on l'explique, on le parle avec l'âme ;
Ce langage senti touche, illumine, enflamme;
De ce que l'âme éprouve interprètes brûlants,
Il n'a que des soupirs, des ardeurs, des élans ;
C'est la langue du ciel que parle la prière,
Et que le tendre amour comprend seul sur la terre."

Alcib a dit…

Bonjour Cassiopée. Je suis ravi de constater que tu continues de me lire en dépit de la qualité inégale de ce blogue, depuis plusieurs mois, il me semble.
Je te remercie de ce poème de Lamartine, qu'il me semble avoir lu il y a très longtemps. J'en retiendrai surtout le dernier vers, au sujet de la langue du ciel, « que le tendre amour comprend seul sur la terre. »
Je crois en effet que l'on ne comprend bien que ce que l'on aime, un peu du moins. Cela me fait penser à cette phrase de Goethe (à je ne sais plus qui) : « Que voulez-vous que je leur apprenne ? Ils ne m'aiment pas. »

Anonyme a dit…

"Ne hate pas cet acte tendre
Douceur d'etre ou ne n'etre pas
Car j'ai vecu de vous attendre
Et mon coeur n'etait que vos pas"


...et si des larmes de moi tombe sur le papier, elle ont un gout d'Atlantique....sous le ciel couleur vieux ardoise de mon pays..

Alcib a dit…

Alexander : Je réagis avec beaucoup de retard à ce délicieux commentaire.
Je suis toujours vivement impressionné par ta connaissance de la littérature et de la poésie françaises, toi dont la langue est autre. C'est sans doute une preuve supplémentaire que, pour les choses du coeur et de l'âme, la langue n'a pas d'importance ; ce qui compte, c'est le langage.
Ce poème de Paul Valéry est magnifique !
Depuis quelques mois que tu laisses des commentaires sur ce blogue, et par les messages que tu m'envoies, je sais que l'attente est une amie fidèle qui t'accompagne si souvent avant l'arrivée de moments heureux, avant d'entendre s'approcher les pas de l'être aimé.
Je sais des moments où l'attente s'impatientait et d'autres moments où l'attente fut déçue. L'essentiel c'est qu'au bout du compte l'attente soit la plupart du temps heureuse.
J'ose espérer pour toi, cependant, que tes larmes seront moins abondantes que ce que l'on dit de la pluie à Londres. Tu aimes la pluie, je le sais maintenant ; je ne voudrais donc pas te souhaiter de ne plus en avoir et de trop sécher tes larmes. Le goût de l'Atlantique que tu trouves à ces larmes leur donne sans doute une valeur particulière, un goût, une valeur que je connais un peu aussi.
Qui n'aimerait pas les vieilles ardoises de ton pays et leur couleur dans le ciel, quand on connaît aussi la beauté de ses jardins verts et fleuris. Merci.

Pour les lecteurs de hasard, voici le poème complet de Paul Valéry que cite Alexander :

Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine,
Qu’ils sont doux, tes pas retenus !
Dieux !… tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,

Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon coeur n’était que vos pas.

Paul Valéry