vendredi 18 juillet 2008

Le regard de l'autre

« L'enfer, c'est les autres... », a écrit Jean-Paul Sartre. Et certains jours, devant la bêtise de certains de nos semblables, on pourrait facilement lui donner raison.

Je préfère toutefois la vision d'Albert Jacquard qui dit que l'on n'existe que par rapport aux autres, que par le regard des autres. Et j'ajouterais que l'on existe davantage ou mieux encore par le regard sur nous de ceux que l'on aime et qui nous aiment.

Hier soir, dans un moment de colère et de révolte, j'ai senti le besoin de changer des choses autour de moi. La colère n'étant pas la meilleure conseillère, j'aurais été bien incapable de m'asseoir et de planifier des actions. Je me suis donc jeté sur des caisses de documents qui attendaient d'être triés, classés et, sans trop regarder en quoi ils consistaient, j'ai entrepris de les détruire. Je jetais un regard rapide pour m'assurer qu'ils ne contenaient pas de renseignements confidentiels ; si oui, je les déchirais en petits morceaux ; sinon, je les déchirais grossièrement pour éviter qu'on ait envie de les lire. En faisant cette opération, je suis tombé sur un article de magazine contenant un entretien avec Albert Jacquard ; le généticien humaniste y parlait de l'économie, du chômage, de l'exclusion. Cet extrait, surtout, a retenu mon attention. Albert Jacquard dit :

« ... pour devenir soi-même, on a besoin des autres, il faut être regardé par les autres. Mais quand on est exclu, on n'est regardé par personne, on est moralement tué. C'était la méthode des Gaulois : quand quelqu'un avait commis un crime abominable, on ne lui coupait pas la tête, on le bannissait. Il pouvait se promener, mais personne ne le voyait, il ne comptait pas, et c'était pire que tout. Donc, je n'existe que face aux autres. Le bonheur, c'est de savoir qu'on est beau dans le regard des autres. »

Et mieux encore dans le regard d'un être aimé.

Qu'en pensez-vous ?

10 commentaires:

Unknown a dit…

Parfois je me retirerai bien loin de tous, avec le minimum de contacts possible. Mais bon, j'ai souvent trouvé Sartre juste dans ses écrits, alors...

Mais par contre, totalement d'accord avec toi: des papiers, c'est un excellent défouloir contre la colère, la peine ou d'autres sentiments à faire passer rapidement. Moi c'était mes cours de prépa que je ne me lassais pas de voir bruler dans la cheminée, feuille par feuille.

Anonyme a dit…

L'existence conditionnelle de l'amour, c'est une idée romantique. Si on parle de l'amour au sens très large, je serais plutôt d'accord.

Anonyme a dit…

Rien de plus vrai que cette parole d'Albert Jacquard. On n'existe que face aux autres, à côté d'eux, par rapport à eux, même si, foncièrement, on est tout de même seul. On peut être tenté, comme le dit Erwan, par l'isolement, la posture de l'ermite. Mais l'homme est (a toujours été) un animal social. D'où le problème posé par les (rares) cas d'"enfants sauvages"...

Brigetoun a dit…

que je n'existe sans doute pas
Que j'espère que vous n'aurez plus de raison de rage

Anonyme a dit…

Qu'on est beau...
Dans le regard des personnes que l'on aime, oui
Le regard des autres, ça reste d'une importance toute relative...

Je suis sûr qu'en comptabilisant les visiteurs très discrets on dépasse allègrement les 5-6 personnes :-)

Beo a dit…

C'est pas pour rien que la grande déprime s'empare des délaissés :(

Quand on sent aucun regard bienveillant, ce que ça doit être pénible!

Excellent défouloir que tu as trouvé là!

Alcib a dit…

Erwan : Jean-Paul Sartre a aussi écrit qu'un pauvre n'est jamais seul ; « un pauvre seul, c'est un riche qui n'a pas réussi. » Je crois qu'il faut savoir se ménager des moments de solitude pour refaire le plein d'énergie, prendre un peu de recul. La solitude choisie est bénéfique, comme le sommeil et le silence ; trop, ça devient néfaste. Et quand elle n'est pas choisie, ce n'est plus de la solitude, c'est de l'isolement, voire de l'exclusion.

Quant au papier qui sert d'exutoire à la colère ou à la frustration, je crois qu'il est préférable au mobilier ou aux voisins. Quand j'animais des ateliers, nous avions une feuille de papier sur laquelle il était écrit : « Bon de colère. En cas de colère ou de frustration, froissez violemment le papier et lancez-le à la poubelle ! » C'était souvent efficace :o)

Pierre-Yves : Je crois que l'idée de départ exprimée par Albert Jacquard, c'est que l'Homme est un animal social, comme le rappelle Fuligineuse ; il a besoin des autres pour se définir et pour se développer. C'est moi qui ai rajouté qu'un regard amoureux nous renvoie une meilleure image, une image plus agréable qu'un regard hostile. Ce qui m'empêche pas le regard hostile de me définir aussi.

Fuligineuse : Tu as tout à fait raison. Si les autres nous définissent, stimulent, nous confirment, il n'en reste pas moins que chacun doit assumer lui-même son destin. C'est le prix de la liberté.

Brigetoun : Toutes ces personnes que vous croisez dans les rues d'Avignon, au concert, à l'opéra, au musée, les commerçants, etc., sont autant de regards qui confirment.

Quand j'aurai finir de détruire des caisses de documents, je crois que les sources de colère seront déjà moins nombreuses ;o) Le papier à détruire n'est qu'un symptôme et le geste destructeur, une thérapie.

Patquebec : Bien sûr que le regard d'une personne aimée compte beaucoup plus que celui des personnes que l'on ne connaît pas. Mais, bien souvent, il s'agit d'aller dans un endroit public pour s'apercevoir que la présence du regard des autres ne nous laisse pas indifférent.

Béo : Je crois que tu as raison sur toute la ligne.

Danaée a dit…

C'est aussi la manière de faire des adolescents: le rejet de la différence ou de quiconque ne correspond pas aux critères établis par la majorité. Ça explique bien des crises et aussi des suicides, malheureusement.

On cherche à se distinguer des autres, mais on demeure toujours sensible à leur regard.

L'enfant en nous, qui attend le regard approbateur de son parent, n'est jamais bien loin. Avec le temps, c'est l'Autre qui devient le parent. Mais le besoin demeure le même.

V à l'Ouest a dit…

Comme je suis d'accord avec Albert Jacquard ! Et comme le regard de l'être aimé qui n'est plus là me manque !

Anonyme a dit…

Pour tout vous dire, je trouve que la pensée d'Albert Jacquart est surfaite. Les mots sont mal choisis. Ce n'est pas exact que nous existions par rapport aux autres, comme si nous trouvions que tout le monde se vaut. Ca c'est de la blague ! Nous existons par rapport aux personnes que nous aimons et qui nous le rendent bien.
Je trouve aussi que le mot "vision" est inapproprié. Il laisserait entendre que les aveugles ne pourraient pas exister comme tout le monde.
Je préfère la pensée plus juste et plus profonde de Simone Weil « Parmi les êtres humains, on ne reconnaît pleinement l’existence que de ceux qu’on aime. »
Albert Jacquart semble avoir peur d'utiliser le mot "amour". C'est pourtant ce mot là qui est au coeur de l'existence. Albert Jacquart ne voit que l'effet et pas la cause, que Simone Weil voit et sens très bien.