dimanche 10 août 2008

Hadrien et Antinoüs

J'ai reçu il y a quelque temps déjà une très aimable « invitation » à voir au British Museum de Londres l'exposition consacrée à Hadrien. Intitulée « Hadrien : empire et conflit », cette exposition veut nous présenter l'empereur romain que nous avons appris à connaître, moi du moins, à travers la vision idéale que nous en a proposée Marguerite Yourcenar dans sa superbe autobiographie romancée Mémoires d'Hadrien. L'exposition veut aussi présenter le pacifiste, le poète avide de culture et de civilisation grecque, mais elle veut aussi faire voir l'autre visage de l'empereur, celui d'un homme de pouvoir, d'un commandant militaire impitoyable, capable de grandes violences.

« Pour Marguerite Yourcenar, Hadrien est le leader politique dont l'Europe a besoin au lendemain de la seconde guerre mondiale : un homme cultivé, un faiseur de paix exerçant le pouvoir de manière éclairée mais ferme, qui ne cache pas ses sentiments amoureux », résume Neil MacGregor, le directeur du British Museum, cité par Grégoire Alix dans un excellent article du journal Le Monde du 28 juillet dernier, intitulé « Hadrien : gay, humaniste... et sanguinaire », que je vous invite à lire afin de mieux comprendre la portée de cette exposition.

« Étudier l'époque d'Hadrien, c'est aussi se poser la question des frontières de l'Europe, montrer que leur définition est politique et non géographique, analyse Neil MacGregor. L'Europe d'Hadrien englobe la Turquie et le Maghreb. Quelle Europe voulons-nous aujourd'hui : celle d'Hadrien ou celle de Charlemagne, cantonnée au nord-ouest ? », poursuit l'article du Monde.

Je ne connais pratiquement la vie et le rôle de l'empereur Hadrien que par la magnifique histoire que nous a donnée Marguerite Yourcenar, superbement écrite et basée sur des documents historiques. En ayant choisi la forme de l'autobiographie, l'auteur n'a peut-être pas voulu mettre l'accent sur les aspects trop sombres du rôle d'Hadrien. L'empereur qui écrit ses mémoires a beau vouloir tout dire de sa vie, les bons et les mauvais côtés, il y a tout de même des limites à s'accuser soi-même de férocité dans la répression. Peut-être aussi que les lecteurs de Marguerite Yourcenar, charmés par sa prose et par le style qu'elle prête à son empereur, n'ont-ils pas voulu voir ou retenir ces aspects trop sombres.

J'aimerais beaucoup pouvoir me rendre à Londres pour voir, entre autres, cette importante exposition qui présente plus de 170 pièces consacrées à Hadrien (marbres, bronzes, trésors archéologiques, pièces de monnaie, tablettes manuscrites), provenant de 31 musées du monde entier. Une fois sur place, j'en profiterais bien sûr pour aller voir le célèbre mur de 177 kilomètres (120 km, dit-on aujourd'hui) qu'a fait construire Hadrien dans le nord de l'Angleterre. Et pourquoi ne pas en profiter pour voir également Stonehenge et Avebury, deux autres sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, au même titre que le mur d'Adrien ?

L'exposition commencée le 24 juillet dernier se poursuivra jusqu'au 26 octobre prochain. J'aurais voulu en parler plus tôt, mais ce sujet soulevait en moi trop d'émotion, curieux mélange de souvenirs de lecture et de réactions actuelles. Ça m'étonnerait beaucoup que je puisse me rendre à Londres d'ici le 26 octobre, mais je peux compter sur Alexander, un fidèle habitué du British Museum, tout particulièrement de la salle 22 consacrée à l'univers d'Alexandre le Grand, pour m'en faire un compte rendu personnel.

J'adore regarder les courtes vidéos qu'a préparées le British Museum, non seulement pour leur contenu très intéressant, mais aussi pour le plaisir d'entendre la langue et l'accent. Pour l'instant, il y a cinq vidéos, mais d'autres sont annoncées pour bientôt, notamment l'une sur Antinoüs.

En attendant de pouvoir faire ma visite par ami interposé, je vais me faire plaisir en citant quelques extraits des Mémoires d'Hadrien.

« Et j'avoue que la raison reste confondue en présence du prodige même de l'amour, de l'étrange obsession qui fait que cette même chair dont nous nous soucions si peu quand elle compose notre propre corps, nous inquiétant seulement de la laver, de la nourrir, et, s'il se peut, de l'empêcher de souffrir, puisse nous inspirer une telle passion de caresses simplement parce qu'elle est animée par une individualité différente de la nôtre, et parce qu'elle représente certains linéaments de beauté, sur lesquels, d'ailleurs, les meilleurs juges ne s'accordent pas… »

« J'ai rêvé parfois d'élaborer un système de connaissance humaine basée sur l'érotique, une théorie du contact, où le mystère et la dignité d'autrui consisteraient précisément à offrir au Moi ce point d'appui d'un monde. La volupté serait dans cette philosophie une forme plus complète, mais aussi plus spécialisée, de cette approche de l'Autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n'est pas nous… »


« ... Je ne jetais qu'un coup d'œil à ma propre image, cette figure basanée, dénaturée par la blancheur du marbre, ces yeux grands ouverts, cette bouche mince et pourtant charnue, contrôlée jusqu'à trembler. Mais le visage d'un autre m'a préoccupé davantage. Sitôt qu'il compta dans ma vie, l'art cessa d'être un luxe, devint une ressource, une forme de secours. J'ai imposé au monde cette image : il existe aujourd'hui plus de portraits de cet enfant que de n'importe quel homme illustre, de n'importe quelle reine... »

Antinoüs Farnèse
Musée archéologique national, Naples

« ... À chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux, je me sentais responsable de la beauté du monde. Je voulais que les villes fussent splendides, aérées, arrosées d'eaux claires, peuplées d'êtres humains dont le corps ne fût détérioré ni par les marques de la misère ou de la servitude, ni par l'enflure d'une richesse grossière ; que les écoliers récitassent d'une voix juste des leçons points ineptes ; que les femmes au foyer eussent dans leurs mouvements une espèce de dignité maternelle, de repos puissant ; que les gymnases fussent fréquentés par des jeunes hommes point ignorants des jeux ni des arts ; que les vergers portassent les plus beaux fruits et les champs les plus riches moissons... »

Antinoüs Farnèse
Musée archéologique national, Naples

«Un corps plus que nu, désarmé, d'une fraîcheur fragile de narcisse» (Marguerite Yourcenar, 1951).



Message personnel : Je veux saluer quelqu'un pour qui le dix du mois constitue, à plus d'un titre, une date à célébrer, en lui souhaitant qu'il y en ait de très nombreuses autres durant les années à venir.

4 commentaires:

Les Pitous a dit…

Je suis toujours un peu gêné quand on dit qu'Hadrien (ou Socrate, ou tout autre antique amateur de jeunes garçons) était gay. Pour moi, ça tient de l'anachronisme : les anciens Grecs comme les Romains regardaient d'un oeil amusé ou scandalisé les couples d'hommes de même âge... Ce n'était pas tellement le sexe du partenaire qui importait, mais sa position sociale ou son âge.

sylviane a dit…

Votre post me donne envie de relire cet ouvrage lu il y a plusieurs années déjà. J'attends avec impatience la réouverture de la bibliothèque. D'autant que j'ai épuisé mon stock de lectures constitué pour les vacances et que je m'interdis d'acheter d'autres livres (pour l'instant...).

Agnès a dit…

Je l'ai vue il y a deux semaines. Elle est tres "instructive" et s'ouvre sur le manuscrit du livre de Yourcenar. Je viens de decouvrir votre blog par le livre de Orsenna sur Le Notre que je suis en train de lire!

Alcib a dit…

Pitou G., je partage entièrement ta gêne au sujet des étiquettes modernes que l'on plaque sur des réalités qui, à l'époque, n'étaient pas du tout vues comme elles le sont aujourd'hui.
Ce qui es un crime aujourd'hui était plutôt bien vu par les Grecs. Et ce qu'ils voyaient d'un mauvais oeil est de plus en plus répandu, accepté, reconnu dans un très nombre de sociétés civilisées.

J'ai très longtemps refusé moi-même d'accepter les termes péjoratifs pour désigner ma préférence. Même le terme « homosexuel » n'est pas très joli et fait penser davantage à une maladie qu'à une préférence amoureuse. N'était-ce pas Yves Navarre qui aimait bien employer le terme « homosensible » ?

Sylviane : Je suis ravi si ce billet a pu vous donner le goût de relire les « Mémoires d'Hadrien ». Je ne relirai pas ce livre en ce moment, du début à la fin, mais je l'ai toujours sous la main et j'en lis quelques pages de temps à autre. Cet exemplaire est tellement usé que les pages en sont toutes détachées, indépendantes les unes des autres.

Agnès : Bienvenue dans ces pages.
Je vous envie d'avoir pu voir cette exposition. Je suis content d'apprendre qu'elle contient aussi le manuscrit de Marguerite Yourcenar.

Comme vous avez pu le lire, j'ai acheté le livre d'Orsenna sur Le Nôtre chez un bouquiniste à Paris le jour même où je me rendais à Versailles chez un ami avec qui j'ai visité le lendemain les jardins du château. Je trouvais intéressant de lire cette biographie à Versailles juste après avoir visité les jardins...