samedi 4 avril 2009

Amour et fidélité

« Ni vous sans moi, ni moi sans vous »,
Marie de France, le Lai du Chèvrefeuille, XIIe siècle.

Il y a différentes manières de vivre l'amour et diverses façons d'assumer l'engagement envers l'être que l'on aime. « Ni toi sans moi, ni moi sans toi », ça me convient parfaitement comme devise, adaptée de la citation de Marie de France,

On dit que l'on est amoureux lorsque l'« on pense constamment à une personne, quand cette personne nous manque et qu'elle est notre référence dans les gestes et les actes que l'on accomplit chaque jour.» Il y a de très nombreuses autres définitions de l'amour et de l'engagement, et de plus nobles ; toutefois, cette définition toute objective, basée sur l'observation, reste très vraie et quiconque m'observe un peu s'aperçoit vite que toute mon attitude, tous mes gestes, mon comportement confirment que cette définition s'applique tout à fait à moi. La richesse des pensées, la force de l'émotion, l'intensité des sentiments, la sincérité et la profondeur de l'engagement, la dignité de la référence se mesureront à l'aune des valeurs, des croyances et des qualités de chaque personne en cause. Et quand les mêmes valeurs et les mêmes croyances sont partagées, quand les qualités sont reconnues et admirées, c'est merveilleux.

Dans de telles conditions, l'amour partagé est un engagement de tout l'être et la question de la fidélité ne se pose même pas ; elle est implicite. Un animateur de la télévision française, plutôt sur le déclin en ce moment, avait l'habitude, dans son émission hebdomadaire dont il souhaitait que tout le monde parle, de poser aux invitées qui lui plaisaient la question suivante : « Est-ce que [ici, il nommait un verbe décrivant une pratique sexuelle précise] c'est tricher ? » Bien sûr la question avait surtout comme objectif de créer un malaise et de forcer l'invitée en question à se prononcer sur la notion de fidélité qui, bien entendu, aux yeux de l'animateur n'était pas une vertu essentielle, ni même souhaitable. Cette question, bien des gens qui se disent amoureux ou qui sont en couple se la posent plus ou moins ouvertement, se demandant jusqu'où ils peuvent aller dans leurs pensées, dans leurs fantasmes, dans leurs gestes, sans qu'on puisse parler d'infidélité. S'ils se posent la question c'est qu'ils ne sont pas en paix avec leur conscience, que leur comportement n'est pas en harmonie avec leur propre définition de la fidélité. On ne peut pas juger les autres car ils n'ont pas forcément les mêmes valeurs que soi ; chacun ne peut être « jugé » qu'en fonction de ses propres croyances. Certains s'en tirent très bien (pensent-ils) en ne croyant en rien, en ne respectant rien. D'autres ont de la fidélité une définition aussi élastique que le caoutchouc qui enrobe leur « amour » ; tant que le caoutchouc résiste, il n’y a pas de mal ! Autrement dit : ce que l’autre ne sait pas ne lui fait pas mal. Comme si sa conscience pouvait sans risque jouer à cache-cache. Que ce soit en affaires ou dans d’autres types de relation, quelle confiance pourrais-je avoir en l’intégrité de ces personnes ?

Mes amis français me pardonneront cette devinette car ils savent bien que tous les Français ne se ressemblent pas, mais elle me semble correspondre assez bien à l'image que l'on peut se faire par la littérature, le théâtre, le cinéma (et si je ne l'applique pas aux Québécois, c'est peut-être seulement parce que je n'ai pas vu assez de films québécois) ; mais je connais aussi de nombreux Français qui ne correspondent pas du tout à cette caricature. On demande donc à quelqu'un ce qui distingue un Nord-américain, un Anglais et un Français après l'amour. La réponse : un Nord-américain allume une cigarette, c'est bien connu ; un Anglais boit une tasse de thé, c'est évident aussi ; alors que le Français (du moins selon le cinéma) s'habille et... rentre chez lui.

Comme je ne fume pas, je suis plutôt porté à boire aussi une tasse de thé. Je ne condamne pas la façon dont chacun assume sa notion de fidélité. Pour moi, l'engagement est total et la fidélité est sans faille. Puisque je suis amoureux de quelqu'un de merveilleux, que je respecte, que j'admire, qui me fascine et que je vénère, il ne me viendrait jamais à l'esprit de penser à quelqu'un d'autre de manière ambigüe et trouble. Mon cœur, mon esprit, mon corps sont engagés dans une aventure merveilleuse, celle d'un amour partagé et fondé sur les mêmes valeurs non négociables.

Cet engagement absolu ne m'empêche absolument pas de vivre chaque jour ce qui compose une vie et de rencontrer des gens, quels qu'ils soient, sans arrière-pensée. Les quelques amis qui me connaissent bien ont vu la transformation positive qui s'est opérée en moi depuis que mon cœur s'est engagé. Il y a dans ma vie, me disent-ils, une plus grande constance et une plus grande sensibilité aux autres ; ils y voient une direction plus claire et une plus grande détermination à y tendre, à marcher vers une destination mieux définie, sans oublier que ce n'est pas tellement la destination elle-même qui compte le plus mais la qualité du voyage. Et ce voyage, je le fais en compagnie de celui que j'aime, avec la même foi, la même ardeur, le même amour et la même confiance qu'éprouvent les pèlerins sur le chemin de Compostelle, les vacanciers engagés dans une excursion longuement désirée, comme un helléniste sur le chemin de la lumière et de la connaissance... Sans m'enlever de la disponibilité, mon engagement amoureux profite donc aussi aux personnes que j'aime car la qualité de la relation que j'entretiens avec eux s'en trouve aussi améliorée. Cela est possible parce les liens qui nous unissent, mes amis et moi, sont clairs et sans ambigüité. Il suffirait que l'un d'eux ait des attentes, des visées qui débordent du cadre de l'amitié pour que ces relations manquent de transparence et, dès lors, puisque mon cœur est pris, que mes pensées suivent et que mon corps ne fera rien que ma conscience condamne (pour moi ; les autres font ce qu'ils veulent), pour que cette relation devienne impossible à moins que l'autre renonce à ses attentes envers moi.

« Avoir beaucoup d'amis, c'est n'avoir point d'amis. »
Aristote.


Héphaistion, bronze, musée du Prado

Alexandre le Grand, qui fut élève d'Aristote, a peut-être médité cette phrase de son grand maître mais son désir de conquête et de gloire l'a trop souvent détourné de son application dans sa propre vie. Alexandre, fils « de Zeus » et de Philippe de Macédoine, devait accomplir son destin et devenir Alexandre le Grand, négligeant pour cela, alors que ce n'était pas forcément incompatible avec sa mission, l'amour sincère et indéfectible de celui qui n'aimait que lui. Il fut très entouré mais il n'eut qu'un seul véritable ami, son fidèle Héphaistion, à qui il pouvait dire : « Je n'ai confiance qu'en toi dans ce monde. » Et pas une seconde de sa vie Héphaistion ne fut infidèle à son ami, à son véritable amour, son Alexandre. Je ne suis pas Alexandre le Grand et mon désir de conquête se limite à des conquêtes intellectuelles ; je n'aurai donc ni difficulté ni mérite à rester digne de l'amour et de la fidélité de mon Héphaistion.

Mes amis sont ceux qui se réjouissent avec moi de ce qui me rend heureux et s'attristent avec moi du contraire. Ils sont ceux qui veulent avec moi que je sois heureux et que je m'épanouisse dans la relation amoureuse que j'ai choisi de vivre pleinement, avec l'être que j'ai élu et avec qui je me suis engagé dans cette merveilleuse aventure de l'amour et de la vie. Quiconque essaierait de me détourner, de quelque façon que ce soit, de mon engagement, de ma fidélité envers celui que j'aime, ne serait déjà plus mon ami. Je n'ai pas eu à faire de choix déchirants mais je n'hésiterais pas une seconde à le faire s'il le fallait. Qu'il en soit ainsi !

4 commentaires:

Alexander a dit…

So sweet Hephaestion!!

Alcib a dit…

« Héphaistion desserra son manteau et le drapa autour de leurs deux corps. »

Alexander a dit…

"I trust only you in this world"

Alcib a dit…

Alexander : Il n'y a pas seulement Héphaistion qui ait entendu cette déclaration à la fois si lourde de solitude entourée et si reconnaissante de la préssence fidèle, indéfectible de l'ami, de l'amour...