Hier soir, avec Alexander, comme nous le faisons pratiquement tous les jours, nous avons parlé de lecture, de cinéma, de musées et... de livres. Il y aurait des pages et des pages à écrire sur la lecture, sur l'activité de lire, sur le contenu des livres, sur les univers dont ils nous ouvrent les portes, sur les rencontres qu'ils permettent, les amitiés qu'ils établissent... Mais je ne parlerai ici que des livres eux-mêmes, les objets qu'ils sont, qui habitent nos appartements, nos maisons.
À partir du moment où j'ai commencé à lire de façon continue, c'est-à-dire : assez tard dans ma vie, soit vers mes vingt ans, j'ai toujours rêvé de pouvoir acheter tous les livres qui me plairaient, aussi bien les romans que la philosophie, les essais politiques que les livres d'histoire, les dictionnaires et les manuels divers que les encyclopédies. Je rêvais d'avoir un jour un très grand appartement, puis une très grande maison, où les livres auraient la place d'honneur ; je me disais que le jour où je serai riche (j'écris bien le futur et non le conditionnel : le jour où je serai riche), je ferai construire un édifice rempli de tous les livres qui ont un minimum d'intérêt et que cet édifice sera ma bibliothèque personnelle ; je pourrai, à certaines conditions, en autoriser l'accès à d'autres amoureux. La tour de Montaigne, par exemple m'a longtemps fait rêver, puis la bibliothèque du « Nom de la rose », et tant d'autres... Avec le temps, j'ai laissé ce rêve en veilleuse, sans y renoncer vraiment. Je n'aurais peut-être pas en ce moment le courage d'entreprendre de réaliser ce projet mais je crois que si les moyens matériels étaient là, la motivation reviendrait.
Je ne me souviens plus si c'était à l'émission « Bouillon de culture » ou à « Double Je », on nous avait présenté une visite de la bibliothèque d'
Alberto Manguel, cet écrivain d'origine argentine, citoyen canadien vivant en France. Deux choses m'avaient fasciné dans ces images : l'écrivain habite un ancien presbytère, ce qui est souvent un gage de tranquillité (Michel Tournier, comme certains autres écrivains dont j'oublie le nom pour l'instant, habite un ancien presbytère). J'ai un ami, au Québec, qui a longtemps habité le presbytère d'un petit village ; j'adorais cet endroit. Dans le dernier emploi que j'ai occupé avant de travailler à mon compte, je travaillais aussi dans un ancien presbytère ; je dois avoir conservé de mon enfance l'idée que je vivrais un jour dans un presbytère parce que le curé du village voulait faire de moi un prêtre.
L'autre aspect qui m'avait fasciné chez Alberto Manguel, c'est que son presbytère était rempli de livres, dans de très nombreuses langues, qu'il peut lire. Quel merveilleux cocon les livres peuvent-ils créer ! Je ne suis pas Alberto Manguel, nos intérêts ne sont pas les mêmes et nos choix de livres seraient sûrement différents, mais s'il voulait me céder son presbytère et tous ses livres, je les accepterais sans aucune hésitation.
Je ne suis ni jaloux ni envieux. Je suis plutôt heureux que l'univers d'Alexander soit peuplé de livres, sur tous les murs de son appartement, en piles aussi près du lit, attendant leur tour d'être lus. Il y en a sur plusieurs murs chez moi aussi ; j'ai cessé d'en acheter car je ne savais plus où les mettre et, avec l'avènement d'Internet et de la communication instantanée, je me rends compte que je lis moins de livres. Si je ne prends pas le temps d'ouvrir un livre très tôt le matin, avant de faire quoi que ce soit d'autre, je risque d'avoir du mal à me concentrer sur la lecture plus tard durant dans journée. Cependant, je ne peux passer devant une librairie sans jeter un coup d'oeil à la vitrine ni m'empêcher de rêver devant une fenêtre éclairée ouverte sur une bibliothèque domestique, si modeste soit-elle.