samedi 20 juin 2009

Dans un vieux livre

« Dans un vieux livre du siècle dernier, j'ai trouvé, oubliée entre les pages, une aquarelle non signée, mais due sans doute à un remarquable artiste. Son titre : Image de l'Amour.
« Mais il eût fallu ajouter : Du plus raffiné des amours sensuels.
« On comprenait en regardant cette oeuvre (l'intention de l'artiste était évidente) que le jeune homme du portrait n'était pas de ceux qui s'en tiennent à ce qui est plus ou moins sain, plus ou moins permis — avec ses profonds yeux bruns, son beau visage subtil (beauté des jouissances défendues), ses lèvres parfaites, dispensatrices de volupté au corps aimé, ses membres pleins d'une grâce idéale, faits pour des lits que la morale courante juge infâmes... »

Constantin Cavafy (1863-1933) ; traduction par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras.

3 commentaires:

fuligineuse a dit…

Cavafy est un magnifique poète. Connais-tu son poème "Ithaque" ? On peut le lire ici
http://www.nouvellescles.com/dossier/Voyages/Ithaque.htm
avec un beau commentaire de Jacques Lacarrière.

Alcib a dit…

Fuligineuse : Merci de ce commentaire, qui me touche beaucoup, venant de toi, amie de la Grèce, amie de la poésie, de la littérature ; ce là des pléonasmes car, pour toi, la Grèce est déjà la poésie, l'inspiration, source de beauté et de la parole sensible, intelligente et efficace.

J'ai beaucoup aimé Cavafy ; puis je l'ai négligé ces dernières années mais il m'arrive souvent, en marchant dans la rue, en particulier dans certaines rues de Montréal, de me redire de courts extraits de poèmes de Cavafy. Les mots qui me viennent à l'esprit ne sont peut-être pas exactement ceux que Cavafy avait écrits, mais l'émotion est bien celle que m'ont procurée les mots de Cavafy au moment de leur lecture.

Depuis quelques jours, j'ai sur ma table le recueil des poèmes de Cavafy présentés et traduits par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras. J'aime l'ouvrir au hasard et me plonger dans l'un de ces poèmes ; l'immersion est toujours de courte durée car ce sont de très courts poèmes mais leur retentissement se prolonge durant des heures.

Hier soir, avant d'aller dormir, j'ai allumé le téléviseur et... je ne suis pas allé dormir. Il y avait sur TV5 une émission qui commençait, dont je n'ai pas vu le titre (je crois, à bien y penser, que c'était « Des trains pas commeles autres »). Parti de Thessalonique, le train nous conduisait à Athènes, dans le Péloponnèse, à Olympie... On a évoqué rapidement l'empire d'Alexandre le Grand...
C'était un voyage rapide, mais j'étais si heureux d'y être.
Avant d'aller dormir, je me suis dit que j'allais relire Chateaubriand, son « Itinéraire de Paris à Jérusalem », puis des livres de Jacques Lacarrière, cet immense amoureux de la Grèce... J'ai eu aussi envie de relire certaines pages de Roger Peyrefitte car, après tout, c'est à lui que je dois ma découverte de la Grèce.

En feuilletant quelques livres, j'ai trouvé un même poème de Cavafy, traduit par Yourcenar dans le recueil précédemment cité, puis par Roger Peyrefitte, bien avant celle de « la Grande Ourse ». Voici ces deux traductions ; d'abord celle de Yourcenar :

« Leur origine

« Leur plaisir défendu s'est accompli. Ils se sont levés du lit et s'habillent hâtivement sans parler. Ils sortent furtivement de la maison, et, comme ils marchent un peu inquiets dans la rue, ils semblent craindre que quelque chose sur eux ne trahisse à quel genre d'amour ils viennent de se livrer.
« Mais combien l'artiste y gagne ! Demain, après-demain, ou dans des années, il écrira les puissants poèmes dont l'origine est ici. »

Cette traduction a été publiée en 1958, je crois. Celle de Roger Peyrefitte remonte à 1951. Peyreitte écrit « Kavafis ».

« L'accomplissement de la volonté réprouvée
A eu lieu. Du lit, ils se sont levés
Et vite s'habillent sans parler.
Ils sortent séparément, en cachette, de la maison ; et tandis
Qu'ils avancent, d'un pas légèrement inquiet, dans la rue, il semble
Qu'ils soupçonnent que quelquechose de leur attitude trahit
Sur quelle sorte de lit ils viennent de tomber.
Mais la vie de l'artiste s'y est enrichie :
Demain, après-demain, ou après des années, s'écriront
Les vers puissants dont là fut le début. »

Vous avez, leceur, lectrice, une préférence pour l'une ou l'autre des traductions ?

fuligineuse a dit…

Celle de Yourcenar, sans hésiter. Plus simple, plus directe.

Par contre je préfère la transcription "Kavafis" qui est plus près de l'original. Le nom de "Cavafy" date d'une époque où on cherchait encore à franciser, occidentaliser les noms grecs. Le critique et collectionneur Tériade s'appelait en fait Eleftheriadis, et quelques dizaines d'années avant, le poète Ioannis Papadiamantopoulos s'est fait appeler Jean Moréas, c.à.d. "originaire de Morée", ancien nom du Péloponnèse.