lundi 14 mai 2012

Pour Alexander


Ma voisine a reçu hier, pour son anniversaire, quelques très belles roses blanches, comme celles-ci. Elle a tenu à m'en offrir une, « pour Alexander », me suggérant de la déposer sur l'un des petits autels consacrés à ce Petit Prince retourné sur son étoile. C'est bien sûr ce que j'allais faire, et c'est ce que j'ai fait, après avoir tout bien nettoyé (les cadres des photos, les cristaux, les photophores, etc.), et allumé quelques lampions.

Alexander préférait les roses roses, mais pour lui toutes les fleurs étaient belles, et la rose blanche symbolise la pureté des sentiments, l'authenticité de l'amour. Qui d'autre mériterait mieux que lui ces roses blanches ? À qui d'autre que moi voudrait-il en offrir ?

Ma voisine est une femme formidable ! On ne s'ennuie jamais avec elle. Dans la jeune soixantaine, elle est beaucoup plus jeune de cœur et d'esprit que certaines personnes dans la trentaine. Son mari était anglais ; on dirait tant elle a voyagé qu'elle a vécu partout sur la planète. Elle s'intéresse à l'Histoire et, quelque soit le nom que l'on prononce devant elle, elle peut pratiquement nous en faire la généalogie, au point de nous laisser croire que nous sommes tous cousins. Elle décode rapidement le caractère, la personnalité des gens qu'elle rencontre. Il y a chez elle des livres partout, comme chez ses parents lorsqu'elle était petite ; lorsque son père est décédé, sa bibliothèque comptait plus de quarante mille livres, qu'elle n'a pas tous lus mais, depuis, elle en a lu bien d'autres. Il ne faut pas être pressé lorsqu'avec elle on fait une promenade ; elle s'arrête sans cesse pour identifier une plante qui pousse sur le bord du trottoir, pour commenter une variété d'arbres ou un détail d'architecture. Pendant que nous parlions d'Alexander au téléphone, dimanche après-midi, elle était à l'extérieur, devant l'immeuble ; elle a interrompu notre conversation parce qu'un papillon est venu se poser près d'elle ; c'était selon elle un signe que nous faisait Alexander. Je le crois. Quelques minutes plus tard, elle m'envoyait la photo du papillon, et j'allais chercher de la musique de cornemuse, que j'écoute depuis...

Alexander l'aurait aimée. Elle aime Alexander ; sans cesse, elle établit des liens entre des traits de mon caractère ou des événements de ma vie et les siens. Elle interprète des coïncidences qui n'en sont pas ; à l'en croire (et je n'ai pas de mal à le faire), notre rencontre était écrite dans les étoiles. De diverses façons, elle me dit de ne pas être triste, qu'Alexander voudrait me voir heureux. Il était déjà assez difficile pour lui de partir en laissant derrière lui des êtres qui l'adorent. Tant de fois, il me l'a dit lui-même : « Si un jour je devais repartir sur la Lune, ne sois pas triste. Pense plutôt à ce que nous aurons vécu ensemble. » Et tant de fois j'ai tenté moi-même de lui enlever ce sentiment de culpabilité à l'idée d'« abandonner » ses proches, de « trahir la confiance » qu'avait en lui son ami, son complice, son chien : « Alcib pourra comprendre, disait-il à sa meilleure amie, mais Alexander Bull, lui, ne comprendra pas. »

On est bien peu de chose
Et mon amie la rose
Me l´a dit ce matin
...

« On est bien peu de choses... », c'est vrai, mais tout dépend à quoi on se mesure, à quoi on se compare. Quand je lui disais, et j'ai dû le lui dire trois mille fois, qu'il était un garçon extraordinaire, il répondait toujours : « Ne dis pas cela. Je ne suis que moi. » Il avait raison, sauf que le « moi » qui était lui était vraiment exceptionnel. Je suis moi-même bien peu de chose, et cependant, comme l'écrit Sartre dans ses Mots, je suis « tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Sans me prendre pour un autre, je suis conscient du privilège d'avoir été choisi par ce garçon exceptionnel pour l'accompagner un moment, trop court moment, sur ce chemin terrestre. À ce titre, je n'ai pas le droit d'oublier ce qui en moi le faisait m'aimer et qu'il a magnifié par son amour même.

5 commentaires:

Béo a dit…

Mais, tu as une voisine extraordinairement complice et charmante!

Je suis tellement contente pour toi et j'espère que tu multiplie ces belles occasions d'échange chaleureux et bien inspirés :)

Alcib a dit…

Béo : Oui, je suis vraiment chanceux d'avoir une voisine comme celle-ci Sans la connaître vraiment, j'avais défendu sa candidature quand il a fallu choisir un nouvel occupant dans l'immeuble. Elle parlait beaucoup, mais ce qu'elle dit est toujours intelligent et intéressant.
Nous nous parlons pratiquement tous les jours. Si on doit aller aller à la bibliothèque, on s'organise pour y aller et en revenir ensemble, ce qui permet de poursuivre nos conversations.

En revenant d'une réunion, ce mardi soir, elle a insisté pour m'offrir la moitié du contenu de son congélateur. Parfois, quand nous devons participer à une réunion, je m'aperçois qu'elle a préparé un lunch pour elle et pour moi.
On dirait qu'elle a entrepris de me faire aller mieux :o)

Béo a dit…

Alors... je constate que c'est une "nouvelle" voisine.

Il y a sûrement un petit prince qui l'a guidée vers toi! Formidable!

dieudeschats a dit…

Cette amitié en devenir fait plaisir à lire, et j'espère que cette voisine réussira ce qu'elle a entrepris ;-)

Alcib a dit…

Dieudeschats : Pardon du retard à publier le commentaire... J'ai été longtemps absent (pas physiquement).

Oui, cette voisine est vraiment formidable ! Hélas, elle a été absente durant un mois (partie chez sa fille à Vancouver) ; à peine revenue, elle repartait une semaine chez sa soeur... Je pense qu'elle a hâte de retrouver ses affaires. Et moi j'aime bien nos échanges... Pour être honnête, je reçois plus que ce que je peux donner moi-même, mais je crois que cela nous convient à l'un comme à l'autre.