lundi 22 décembre 2014

Le 22 décembre 2008 - il y a exactement six ans - Alexander prenait la route pour se rendre chez sa grand-mère, dans la région de Cumbria, de Lakes District, au nord de l'Angleterre, pour y fêter Noël avec une partie de sa famille. Je me souviens de ce jour comme si c'était hier ; je me souviens des moindres détails de notre conversation de ce matin-là, comme je me souviens pratiquement de chaque instant de cette journée, des messages échangés avec notre meilleure amie qui s'inquiétait parce qu'Alexander ne répondait pas à son téléphone mobile, pas plus que le chauffeur ne répondait au téléphone de la voiture (Alexander, qui n'avait sans doute pas beaucoup dormi de la nuit, avait fermé la sonnerie de son téléphone et demandé au chauffeur de faire de même).

Après que la voiture eut quitté l'immeuble qu'Alexander habitait à Londres, le gardien avait téléphoné à notre amie, au nord-est de l'Angleterre, pour l'aviser que la voiture venait de partir, mais qu'un peu plus tôt, Alexander avait eu un petit accident... Jane s'en était inquiétée et avait voulu savoir ce qu'Alexander m'en avait dit. Il ne m'en avait pas dit grand-chose ; il avait sans doute voulu m'en parler mais, pensant qu'il s'était simplement levé en retard, je n'avais pas posé de question... Inutile de dire que nous étions tous soulagés quand, après quelques heures de route, Alexander était arrivé chez sa grand-mère ; celle-ci avait fait préparer du thé et un léger goûter qu'elle allait partager avec Alexander. Après quoi, me disait Jane qui venait de parler au téléphone à la grand-mère, Alexander allait m'écrire pour me dire qu'il était bien arrivé, me décrire sa chambre si bien aménagée pour lui, son chat Harry et son inséparable ami Alexander Bull.

Alexander était heureux de retrouver sa grand-mère, de l'aider dans ses derniers préparatifs pour la grande réception du réveillon... Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il avait l'intuition, dont il ne voulait pas vraiment parler, que ce serait le dernier Noël qu'ils allaient passer ensemble. Il m'avait pourtant dit : « L'an prochain, tu ne seras pas seul ; tu seras avec moi dans ma famille. » Mais, dans les jours suivants, je sentais qu'il était encore plus attentif à tout ce qui l'entourait : la couleur du ciel dans la campagne anglaise, la forme et le mouvement des nuages, la danse des flocons de neige dans l'air froid... Il avait pris une voiture, chez sa grand-mère, une grosse voiture qui tient bien la route et, avec son ami Alexander Bull, il était parti explorer la campagne des environs. Il avait roulé longtemps, comme il l'avait fait à moto quelques mois plus tôt, puis il s'était arrêté dans le vieux pub d'un petit village où il avait pris du thé et du pain d'épices, et il s'était joint aux gens du coin qui, la bonne bière aidant, chantaient en chœur de vieilles chansons anglaises... Même Alexander Bull, qui ne voulait rien manquer, chantait avec eux... Puis il s'était installé au vieux piano et avait joué quelques airs avant de reprendre la route.

Il était rentré fatigué mais assez content de cette longue randonnée dans la campagne anglaise sous la neige. Il avait repris du thé et quelques bonnes choses puis il était monté à sa chambre d'où il m'avait écrit avant de se mettre au lit sans attendre le dîner... (Alexander Bull était monté avec lui mais, dès qu'il a senti les bonnes odeurs de la cuisine, il était redescendu pour surveiller la préparation du dîner). Je ne sais pourquoi, mais j'avais aussi l'impression qu'Alexander savourait chacun de ces moments comme s'ils n'allaient pas revenir, comme s'il sentait qu'il ne serait plus là pour les revivre au Noël suivant...

Tout cela est bien gravé dans ma mémoire, et surtout dans mon cœur. Ces images, ces mots, ne me quittent jamais, mais ils sont plus douloureux encore durant ces jours qui précèdent Noël, et plus particulièrement en ce 22 décembre... Quand donc les oublierai-je ? Jamais ! C'est un « jamais » tout relatif, qui ne concerne que moi, bien sûr. Mais tant que je vivrai, ce passé sera présent, et jusqu'à mon dernier souffle Alexander sera vivant.

2 commentaires:

Willy a dit…

Bonjour Ami,
Je me souviens très exactement de ce jour, j'avais encore en tête votre texte, la mémoire d'Alexander en route pour ce dernier noël, ce 24 décembre 2014, comme je me rendais chez des amis au cœur de la campagne française. Et j'étais ému. Vous aviez merveilleusement traduit tant la sensibilité, la fragilité que l’étonnante force de ce jeune homme, la couverture rouge et or de Noél posée sur ses épaules. Je songeais à lui. A vous. A votre silence. Le temps va si vite. Je vous embrasse affectueusement. La même couverture est posée sur vos épaules. Willy

Alcib a dit…

Willy : Merci beaucoup pour ces mots qui me touchent vraiment.
D'abord, j'admire votre fidélité depuis... 6 ans au moins.
Et votre commentaire témoigne de la lecture attentive que vous avez faite de ce texte. S'il vous a ému dans le bon sens, même si ces émotions sont parfois douloureuses, je suis content ; c'est peut-être que j'ai réussi à mettre dans des mots l'émotion terrible que je ressentais à l'évocation de ces heures à la fois merveilleuses et douloureuses.
Sensibilité, fragilité, force étonnante de ce jeune homme : en effet, Alexander se démarquait très fortement par ces qualités et par d'autres encore.
Loin de moi l'idée de faire d'Alexander un être parfait ; même s'il n'en était pas loin, Alexander n'avait pas besoin de la perfection pour être extraordinaire, exceptionnel, merveilleux. Et ce n'est parce que j'en suis amoureux que je l'écris ; indépendamment de moi, Alexander était déjà un être exceptionnel (certains diraient peut-être « anormal » ; oui, si la normalité est à ras de terre).
Ce n'est pas pour rien que ses proches véritables ont vu leur vie anéantie par son départ.
Ce n'est pas de la faute d'Alexander : il aurait tout fait pour nous éviter ce chagrin... Mais nous sommes trop conscients de ce que nous avons perdu après son départ...

Je sais que vous savez ce que c'est, puisque vous avez vous-même perdu votre partenaire.

Oui, vous avez raison, le temps va si vite ; le fait d'y penser donne le vertige !

Vous parlez de couverture rouge et or...
Je ne peux m'empêcher de penser que ce lendemain de Noël 2008, après réveillonné avec famille et amis et, partie tôt le matin, avoir roulé durant des heures avec une remorque derrière son véhicule, notre amie arrivait chez la grand-mère d'Alexander avec son cadeau pour le Petit Prince : un poulain pur-sang né chez elle dans ses écuries quelques mois plus tôt, et déjà baptisé « Montréal ».
La grand-mère d'Alexander, qui était dans le secret, avait fait confectionner une magnifique couverture pour le petit cheval, vert foncé avec une bordure rouge et, brodé en lettres d'or, le nom du cadeau de Jane à Alexander : « Montréal ».
J'aurais tellement aimé être là à ce moment précis !