mardi 7 juillet 2015

Que vais-je devenir sans lui ?

 

J'entends encore, j'entends toujours la voix de notre amie, Dr Jane, qui m'appelle de Londres, au milieu de la matinée, heure de Montréal, pour m'annoncer que, quelques minutes plus tôt, Alexander, notre Petit Prince merveilleux, vient de repartir sur son étoile. Je reconnais la voix de Dr Jane, j'entends les mots qu'elle essaie d'articuler à travers les sanglots, mais cette conversation au-dessus de l'Atlantique a quelque chose d'irréel. L'un comme l'autre ne pouvons croire à la réalité de ce départ et, puisque la conversation a lieu au téléphone, il faut bien essayer de prononcer des mots intelligibles. Dr Jane me donne quelques détails qui visent, je suppose, à me faire comprendre la terrible nouvelle. Nous sommes effondrés. Je demande à notre amie : « Mais, Jane, qu'allons-nous devenir sans lui ? ». Elle ne sait pas plus que moi et son angoisse me confirme que nous vivons bien le même événement : le départ d'Alexander, qui venait à peine d'avoir vingt sept ans.

Six ans plus tard, je ne sais plus ce que Jane est devenue : je n'ai plus de ses nouvelles depuis un moment, et je crains le pire... Quant à moi, plusieurs fois par jour, et surtout la nuit, l'angoisse qui m'étreint me fait comprendre que je n'ai toujours pas trouvé de réponse à la question qui sans cesse se pose : « Que vais-je devenir sans lui ? »


Il n'y a pas très longtemps, l'un de mes frères est décédé. Il habitait à plus de cinq cents kilomètres de Montréal. Je suis allé rejoindre la famille, les parents, les amis, venus de partout au Québec, et peut-être aussi d'ailleurs, pour lui rendre un dernier hommage. Il y avait énormément de monde. J'ai rencontré au salon funéraire de nombreuses personnes que je n'avais pas revues depuis... de très nombreuses années, dont quatre de mes enseignants à l'école primaire et à l'école secondaire... J'ai retrouvé avec émotion des neveux qui sont beaux, et dont je suis fier.

À l'église, le prêtre qui présidait la cérémonie était un ami d'enfance de mon frère décédé. C'est dire qu'il connaissait bien la famille et les amis... À la fin de la cérémonie religieuse, au moment de bénir le cercueil, le prêtre a invité les frères et sœurs du défunt à venir de chaque côté de celui-ci et de bénir chacun notre tour celui que nous allions mettre en terre. L'émotion était déjà très grande dans l'église, mais elle fut à son comble pour moi et pour mes frères et sœurs, je n'en doute pas. 

C'est là, autour de la dépouille de mon frère, que j'ai compris à quel point il est important d'être présent pour dire un dernier adieu à ceux qui nous quittent... ce que je n'avais pas pu faire pour Alexander, puisque les funérailles avaient lieu en Angleterre et que j'étais à Montréal. Pendant plusieurs minutes, dans cette église à l'est du Québec, près du golfe Saint-Laurent, j'ai eu le sentiment que c'était l'écorce d'Alexander qui était là devant moi, que j'allais bénir. J'ai failli éclater en sanglots mais, en même temps, j'ai senti une certaine paix s'installer en moi, comme si je venais enfin, presque six ans plus tard, d'être sur le quai du départ d'Alexander...

Quand mon amie Danielle est décédée en novembre dernier, il n'y a pas eu de funérailles, ni autre rituel. J'ai eu le sentiment, au cours de cette cérémonie religieuse, que je pleurais et saluais à la fois Alexander, Danielle et l'un de mes frères.

 

 Le chiffre 7

À plusieurs reprises, dans sa correspondance, notre amie Jane me disait à quel point elle en était venue à détester ce chiffre sept, Alexander étant décédé le 7 du septième mois... J'ai toujours considéré le chiffre sept comme mon chiffre chanceux et, même si le départ d'Alexander a eu lieu un 7 juillet (2009) et que ce départ est la pire chose qui me soit arrivée dans la vie, dont je ne me remets pas, je ne peux pas renier le chiffre qui, malgré tout, est celui qui m'est le plus significatif. Depuis de très nombreuses années, j'ai pu vérifier que le chiffre sept était présent dans de multiples événements de ma vie... et cela se vérifie davantage encore depuis le départ d'Alexander. Plusieurs fois par jour, ce chiffre revient d'une façon ou d'une autre... Certains pourraient penser que, n'aimant pas ce chiffre, Alexander, s'il voulait me faire signe, aurait recours à une autre chiffre ; je pense au contraire que, à supposer que ce soit le cas, il choisirait plutôt le chiffre qui signifie quelque chose pour moi et que, ne craignant plus rien pour lui, il peut désormais, pour me « parler », adopter mon chiffre...

L'an dernier, pour le cinquième anniversaire du départ d'Alexander, j'avais décidé, en plus de nos rituels de roses et de bougies, de prendre congé et de faire quelque chose pour Alexander et moi : une longue promenade au parc, une excursion en bateau sur le fleuve, ou je ne sais trop quoi d'autre... Mais la journée était difficile et je ne me décidais pas à partir... En début de soirée, j'ai finalement décidé que j'irais au cinéma ; j'ai regardé l'heure : il était précisément sept heures. J'allais manger et j'irais au cinéma en fin de soirée. Nous étions donc le septième jour du septième mois 2014 ; si l'on additionne les chiffres de l'année, on obtient sept : 7-07-07...

Le seul film qui me semblait intéressant, ce soir là, c'était Belle, un film britannique basé sur une histoire vraie et qui se déroule dans le milieu de la noblesse anglaise du XVIIIe siècle. J'ai pris le métro et je me suis rendu au cinéma un peu à l'avance. Je suis passé au guichet pour payer ma place ; le caissier me donne mon ticket en me disant : « Salle numéro sept. » J'ai encore pas mal de temps avant le début de la séance, mais je veux aller voir où se trouve la salle numéro sept. Je suis seul dans ce lobby qui donne accès à plusieurs salles. Je m'approche de la salle numéro sept. À l'entrée de la salle, il y a une grand affiche annonçant un film à venir, un film de Disney intitulé... « Alexander » (j'ai pris quelques photos). Je me décide à entrer dans la salle : il n'y a personne. J'ai le choix des places ; je m'installe vers le milieu de la salle, qui n'est pas très grande, au milieu de la rangée. J'écoute de la musique en attendant l'heure de la projection. Quelques minutes avant l'heure prévue, trois ou quatre autres personnes arrivent et vont s'asseoir plus loin, derrière moi. Je constate que les sièges sont numérotés ; par curiosité, je vérifie le numéro du mien : sept. Je compte les rangées depuis l'avant : je suis assis à la septième rangée... Nous sommes donc le septième jour du septième mois 2014 (2+0+1+4=7) ; je suis assis dans la salle numéro sept, septième rangée, siège numéro sept !

1 commentaire:

Willy Ami a dit…

Cher Alcibe,
Et si une bonne fois pour toutes vous compreniez et acceptez simplement qu'Alexander est vivant. Éternellement vivant. Qu'il était au coeur d'un plan divin et merveilleux. Qu'il est parti (appellons cela départ) à l'heure parfaite qui lui était réservé, dans les conditions spécifiques nécessaires pour l'évolution de son ame. Il fut un bel éclair qui a bouleversé votre regard. Cet éclair n'a de sens que parce que votre regard était ouvert sur la beauté. Il était votre éclair de beauté! Peu d'êtres en ce monde, en ce temps ont croisé une telle météore en leur coeur, l'ont ancrée au fond de leur rétine. Je sais que vous en avez conscience.Ainsi Alexander vous a hissé au sommet où votre propre ame souhaitait s'épanouir. Alors... Alcide. Il est temps de l'accepter: Alexander n'est pas parti. Il est là. Dans la feuille , dans la pierre, dans l'eau, dans la forme du nuage, le rire et le sourire, le cri d'amour ou le chant de la mésange, dans un cake anglais ou un fauteuil de cinéma. Mais il doit poursuivre sa route. Il faut le rendre libre . Encore plus libre maintenant. Il doit poursuivre sa divine quete qui mutera son ame. Pleurer, oui: il fut un temps. Gémir, regretter, prendre peur du silence ou de l'absence: ce temps là vous l'avez aussi traversé. Il a tout fait afin que vous soyez le moins brisé possible: de signes et traces, de reves en hasards, il vous a soutenu, accompagné, encouragé: il vous aimait, il vous aime, il saura en son temps vous accueillir. Son vêtement de chair, si séduisant soit-il, ses racines familiales, sa nature profonde, tout celà en sa mort ( il faut prononcer le mot ) ont basculé en une nouvelle alchimie.Tout celà appartient à un temps révolu .Alexander de beaucoup n'est plus l'empreinte qu'il vous, nous a laissés: il est vivant. Sans limite, sans age, au delà de notre, votre mémoire. Cessez de le commémorer: chantez le! Riez le! Souriez le! Applaudissez! Enchantez nous de lui! Convoquez le ban et l'arrière ban des incrédules: une âme enchanteresse vous avez baisé la joue et le front, Alexander était une cellule vive et lumineuse: assez de larmes! Riez, chantez, osez, applaudissez, jouez , la vie est merveilleuse, il vous voit, il sera heureux de vous voir ainsi vivant, acteur, penseur, réveur! Il vous a offert l'incroyable capacité de vous arracher aux sempiternelles plaintes déchirantes qui sont notre lot quand nous décidons de nous courber sous l'âpre fatalité de la mort, quand nous voulons tout rendre funeste... Alexander était vivant: il n' y a qu'à relire un de ses textes quand il gueulait après un zouave qui voulait abattre un arbre... Il l'est d'autant plus, encore plus qu'il est redevenue une parcelle de la vie même!Il est Divin. Quittez la mort Alcibe, la sienne, celle de Jane, de Danielle,de l'autre Alexander, d'autres encore. Préparez vous à arpenter les terres prodigieuses qui sont les leurs dorénavant en vivant. A votre tour! Je vous embrasse.

je ne disposerai plus d'internet pour un certain temps. mais dans le silence, mon amitié vous est acquise. Willy