mardi 10 mai 2016

Émotions !


Il y a près de deux semaines (le 28 avril, précisément), Rupert avait rendez-vous, tôt le matin, à sa clinique vétérinaire, pour y subir une chirurgie que je n'ai pas voulu nommer devant lui. Comme il devait y passer la journée, j'avais apporté de la nourriture pour deux repas, au cas où il aurait envie de manger après l'anesthésie et la chirurgie. Pour éviter qu'il soit trop dépaysé au réveil, j'avais aussi pris l'une de ses couvertures et le t-shirt avec lequel j'avais dormi la nuit précédente.

Pour être sûr d'arriver à temps à son rendez-vous, j'avais appelé un taxi, en précisant que j'étais accompagné d'un jeune chien qui n'était pas petit mais pas gros non plus. Avant même que nous ayons le temps de nous installer, le chauffeur a commencé à être désagréable, en disant par exemple : « Il n'a pas l'air de prendre souvent des taxis, votre chien. » Je lui ai répondu qu'en effet, il ne prenait pas un taxi chaque matin pour aller au bureau, que ce n'était pas la première fois, mais que ce matin-là, il se sentait un peu bousculé et montrait un peu de résistance à monter dans une voiture... Le chauffeur a continué en disant que, normalement, les gens qui ont des chiens ont un petit tapis pour y asseoir l'animal sur la banquette, alors que j'avais Rupert sur mes genoux... Et il continuait ainsi... Il m'arrive rarement de m'impatienter avec des gens qui me servent, mais ce chauffeur commençait drôlement à m'énerver avec ses leçons et ses commentaires. Je lui ai dit que, malgré son jeune âge, Rupert était monté déjà à quelques reprises dans une voiture et que nous n'avions jamais eu affaire à un chauffeur aussi hautain et désagréable, que j'avais précisé que j'aurais un chien avec moi et que s'il n'avait pas envie d'avoir un chien dans sa voiture, il n'avait qu'à laisser quelqu'un d'autre répondre à l'appel. J'ai ajouté que je n'avais jamais eu affaire à un chauffeur aussi grincheux et que la prochaine fois j'appellerais une autre compagnie...

À la clinique, nous avons été accueillis par une jeune technicienne très sympathique qui nous a ouvert la porte (la clinique n'ouvrait qu'une heure plus tard, mais pour la chirurgie, nous avions rendez-vous plus tôt). Elle a pesé Rupert : 19, 6 kilos. Elle m'a fait remplir un petit questionnaire pré-chirurgie, je lui ai laissé Rupert, qui n'a pas fait d'histoire... Elle m'a dit qu'on m'appellerait en après-midi, quand Rupert serait assez bien réveillé pour pouvoir marcher. Je suis rentré chez moi où, voulant profiter de l'absence de Rupert, je m'étais préparé un programme assez chargé pour la journée.

Arrivé à la maison, j'ai trouvé l'appartement si vide, sans âme ! J'avais l'impression d'être abandonné par quelqu'un que j'aimais... J'ai préparé mon petit déjeuner et, avant même que je l'aie terminé, la clinique m'appelait pour me demander, pendant qu'il était encore endormi, la permission d'enlever à Rupert deux dents de lait qui n'étaient pas encore tombées ; permission accordée. Puis, peu de temps après, autre appel de la vétérinaire : en déplaçant Rupert, elle avait entendu un craquement aux hanches ; elle suggérait de faire des radiographies et, donnant encore une fois mon autorisation, même si à chaque appel je sentais s'allonger le montant de la facture... Elle m'a donné rendez-vous au début de l'après-midi pour regarder avec elle les radiographies. Il n'était donc plus question que j'entreprenne quoi que ce soit chez moi, que je n'aurais pas eu le temps de terminer.

En me montrant les radiographies, elle m'expliquait les problèmes d'articulations constatés chez Rupert, qu'il faudrait prévenir l'éleveur de ce défaut congénital, et annonçait la nécessité de procéder assez rapidement à une intervention délicate, au cours de laquelle il faudrait casser des os de Rupert et les ressouder, opération qui ne pouvait être faite que par un chirurgien spécialisé, et dont le coût représentait une importante partie de mon revenu annuel. Je lui ai dit que je n'avais pas cet argent et que, si cette opération devait se faire, je devrais me séparer de Rupert... Elle m'a alors proposé de se renseigner sur les alternatives, sur les modalités de paiement, etc., et qu'elle me rappellerait.

Rupert n'était pas encore très bien réveillé, mais j'ai pu le voir. Je me suis approché de la cage où il dormait sur mon t-shirt, sa couverture près de lui ; en me sentant arriver, il s'est approché et, entre les barreaux, nous avons pu nous faire un baiser... J'étais encore à la réception de la clinique lorsque sa vétérinaire m'a téléphoné pour me transmettre la bonne nouvelle : le chirurgien spécialisé lui a dit que l'opération n'était pas nécessaire, que les radiographies montraient une conformation tout à fait normale chez un bulldog... Ouf ! Mais la vétérinaire et le chirurgien suggéraient de donner dès maintenant à Rupert des suppléments alimentaires (vendus à la clinique au prix du caviar) pour maintenir en bonne santé ses articulations.

Je suis parti pour rentrer chez moi en disant que je reviendrais chercher Rupert à la fin de la journée, car je voulais réaménager son petit parc pour lui faciliter les déplacements après la chirurgie (il devait éviter durant quelques semaines de grimper, de sauter, de trop courir) car, depuis plusieurs semaines, il dort sur le canapé ; en rendant son parc plus accueillant, je pensais qu'il serait heureux de s'y installer. Mais en sortant de la clinique, j'étais épuisé, lessivé ; je cherchais à éviter tout ce qui ressemblait à un drain, une bouche d'égout, car je sentais qu'en passant trop près, je m'y serais coulé pour y disparaître à jamais... Je suis entré dans une rôtisserie pour y manger un sandwich (et rapporter à la maison un poulet déjà bien rôti). Et, avant d'arriver à la maison, je me suis arrêté dans une pâtisserie sympathique pour y prendre un dessert et un café ; sans cela, je ne sais dans quel état je serais rentré chez moi.

Je me suis empressé de réaménager le parc de Rupert et, voyant l'heure passer et ne me sentant pas très fort pour retourner à la clinique y prendre Rupert, j'ai téléphoné en leur demandant de le garder pour la nuit. On me l'avait offert, tout en ajoutant qu'il est préférable que le chien rentre chez lui le jour même, lui évitant un surplus de stress inutile. J'étais bien conscient de ce stress, mais j'en ressentais moi-même une bonne dose, et je craignais de ne pas savoir quoi faire si Rupert se plaignait durant la nuit ; de toute façon, je me sentais si démuni que je n'aurais pas vraiment été d'un grand soutien pour Rupert.

J'ai passé la soirée à travailler sur quelques documents en cours puis, un peu plus tard que d'habitude, je suis allé me coucher, le cœur gros, les yeux au bord des larmes. Rupert me manquait ! Et je me sentais un peu coupable d'avoir laissé porter atteinte à son intégrité. Je me demandais s'il ne me le reprocherait pas dans les jours, les semaines à venir...

Depuis, je veille à ce qu'il n'ouvre pas la cicatrice... J'ai parfois l'impression, lorsqu'il me regarde droit dans les yeux avec un petit air triste qu'il me demande ce qu'il lui est arrivé... Il est de plus en plus affectueux, reste plus souvent près de moi, comme sur la photo ci-dessus où il regarde ce qui se passe sur l'écran de mon ordinateur, et il dort plus souvent à mes pieds lorsque je travaille, comme s'il ne voulait plus me quitter.

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