Je ne sais plus dans quel livre de Michel Tournier j'ai lu que les enfants ont besoin d'affection, de tendresse, qu'ils espèrent normalement obtenir de leurs parents ou des personnes qui les remplacent. Il n'y a rien de révolutionnaire dans cette affirmation ; Françoise Dolto, Marcel Rufo, et bien d'autres spécialistes de l'enfance l'ont dit et redit. Ce qui m'avait frappé dans ces phrases de Michel Tournier, c'est qu'il ajoutait que les parents jettent bien souvent dans les bras de leurs enfants un jouet, une poupée qui remplacera l'affection que voudrait recevoir l'enfant. Alors que les enfants voudraient plutôt un être de chair à aimer, un camarade, un frère, une soeur, un parent, mais ils doivent se contenter d'une poupée de chiffon. Les parents s'en tirent à bon compte, en somme. « Les parents sont une maladie incurable », a écrit déjà le pédopsychiatre Marcel Rufo, que j'ai évoqué
le 13 mai 2006.
À défaut d'un autre être de chair à aimer, les enfants, jusqu'à un âge assez avancé je crois (certains ne quittent jamais leur enfance), savent donner vie à leur poupée et construire avec elle un univers merveilleux, s'inventer une relation pleine d'amour. Il n'y a d'ailleurs pas que les petites filles qui aiment les poupées ; les petits garçons aussi aiment les poupées et les grands garçons... encore davantage. C'est une grave discrimination que l'on fait, selon moi, de ne pas vouloir donner une poupée à un jeune garçon. Il voudra sans doute que sa poupée soit différente de celle qu'aimera sa soeur, mais si on ne lui transmet pas le préjugé que les garçons ne jouent pas avec les poupées, il saura développer son imaginaire autant avec une poupée qu'avec un camion de pompiers. C'est sans aucun doute dans ces jeux que l'enfant apprend à aimer, à identifier ce qu'est l'amour pour lui, à dire son amour... Il y aurait beaucoup à dire sur ce seul sujet, mais ce sera pour une autre fois.
J'aurais certainement aimé, lorsque j'étais enfant, que quelqu'un s'occupe de moi, me parle sérieusement, m'apprennent plein de choses intéressantes, comme de reconnaître les oiseaux, les insectes, les plantes, les fleurs... J'aurais aimé que quelqu'un m'apprenne avec une bienveillante tendresse à nommer les êtres et les choses.

À défaut de cela, j'ai eu le bonheur d'avoir un jour, je ne sais plus exactement d'où il est venu ni pourquoi il est arrivé dans mes bras, un charmant petit lutin vert. Il n'était pas très vivant quand il est arrivé ; il était même assez rigide, tout en caoutchouc qui ne demandait toutefois qu'à se réchauffer et à s'assouplir. On dit que
les lutins sont espiègles et facétieux, bienfaisants ou malfaisants. Vêtu d'un costume tout vert, d'un beau vert irlandais (j'avais beau avoir une grand-mère irlandaise, je ne connaissais encore rien de l'Irlande), avec un bonnet de la même couleur, mon petit lutin était beau. Le lutin de chiffon que représente l'image précédente est très mignon et fera le bonheur de bien des enfants. Toutefois le mien avait les traits d'un vrai garçon, d'un beau garçon que j'aurais voulu avoir comme ami.

Je ne me souviens plus quel âge je pouvais bien avoir, mais je me souviens vaguement des conversations que je tenais avec ce petit lutin et des projets que nous faisions ensemble. J'étais sans doute trop jeune pour rêver d'une véritable relation amoureuse avec ce beau lutin ; la sexualité était encore très diffuse et mes rêves de tendresse n'étaient pas encore des rêves érotiques. Toutefois, quelles merveilleuses aventures nous aurions vécues ensemble si j'avais eu aussi à ma portée des livres, comme la
saga du Prince Éric, écrits par Serge Dalens et illustrés par Pierre Joubert, dans la collection Signe de Piste. Ces livres qui ont fait rêver tant d'adolescents, je ne les ai pas encore lus ; il y a bien longtemps que je me propose d'en lire au moins un. J'en parlais avec quelqu'un que j'aime, il n'y a pas tellement longtemps encore.
Les garçons, comme les filles sans doute, préféreraient avoir de vrais baisers, de vrais câlins, plutôt que de jouer avec des bouts de caoutchouc ou de chiffon... Mais à défaut d'en recevoir des grandes personnes autour d'eux, il apprendront à combler leurs carences en aimant leur poupée, leur ourson, leur chien en peluche, etc.

Merci à Alexander de m'avoir envoyé
ce petit lutin qui sent si bon
Comme je n'ai pas conservé beaucoup de souvenirs de mon enfance, je n'ai pratiquement conservé aucun de mes jouets. J'admire ceux qui ont pu conserver ces compagnons de jeux. Pour certains, chaque jouet a une vie propre et évoque une partie de l'enfance qu'il serait relativement facile de raconter en détails tellement ces jouets ont enregistrés d'images, de dialogues, d'émotions qui ne demandent qu'à s'exprimer si on leur en donne l'occasion.

Je me souviens aussi d'un petit ourson que j'avais eu à un moment donné (je ne sais pas quel âge je pouvais avoir, mais j'avais certainement plus de six ans). Cet ourson était rose mais il avait les pattes bleues ; il pouvait donc faire le bonheur aussi bien d'un petit garçon que d'une petite fille.
À ce sujet, lorsque celui que j'aime a voulu, l'été dernier, m'envoyer un lapin rose, il s'est rendu dans une boutique de jouets pour bébés, sachant qu'il trouverait là ce qu'il voulait, qu'il n'avait pas trouvé ailleurs. En le voyant entrer dans la boutique, la vendeuse d'un certain âge, élégante et un peu snob, s'est approchée de mon ami qui lui a exprimé ce qu'il cherchait : un lapin. « C'est pour un petit garçon ou pour une petite fille ? », a-t-elle demandé. — « C'est pour grand garçon », lui a répondu mon ami. — « Je vois. Donc, nous cherchons un lapin bleu. » — « Non, un lapin rose. » Et c'est ainsi que, depuis lors, ce lapin fait mon bonheur.
Et vous ? Vous aviez une poupée, un ourson ou un autre animal en peluche ? Quelle importance cette poupée ou cet animal prenait-il dans votre vie ? Avez-vous conservé certains jouets de votre enfance ? Jouent-ils encore un rôle important dans votre vie actuelle ?