lundi 6 février 2017

Le pistolet sur la tempe...

Je n'ai jamais eu d'enfant, je n'ai jamais été père, au sens où on l'entend généralement. Pourtant la question de la paternité m'a toujours intéressé, plus ou moins consciemment, plus ou moins ouvertement... Serait-ce à cause de ce questionnement, non résolu, que je n'ai jamais fait moi-même ce qu'il fallait pour mettre au monde un enfant de mon sang ? Ou serait-ce plutôt parce que je n'ai jamais participé à la mise au monde d'un enfant que je me suis toujours senti curieux, sensible et vulnérable face à la question de la paternité ? Il est fort possible que la réponse soit beaucoup plus complexe que cela, qu'elle comporte une part de chacune de ces hypothèses, ainsi que d'autres éléments qui ne me sont pas encore venus très clairement à l'esprit.

Je crois que bon nombre d'études scientifiques ont démontré que la plupart des hommes qui deviennent pères ont tendance à reproduire le modèle qu'ils ont eu : le fils reproduit le père... ou bien il se promet d'être tout à fait différent. En ce qui me concerne, sans vouloir par là critiquer mon père, mes parents, je crois que je me suis toujours efforcé, à défaut d'un modèle proche qui me convienne, d'établir avec les autres des relations qui ne correspondent pas à un type en particulier mais qui s'inventent au fur et à mesure qu'elles progressent.

Je ne me souviens plus très précisément, mais je crois avoir déjà écrit dans les pages de ce blogue que, si je n'ai jamais eu d'enfants qui portent mon nom, il m'est arrivé plusieurs fois d'éprouver, dans telle ou telle relation (pas forcément amoureuse, mais avec un fort engagement affectif), des sentiments qui peuvent s'apparenter à ceux qu'éprouve un père pour ses enfants, et même, compte tenu de ma sensibilité, des sentiments que l'on pourrait qualifier de maternels. « Être homme, c'est précisément être responsable », a écrit Saint-Exupéry. Et c'est probablement cette « responsabilité » qui me paraissait primordiale du moment que j'amorçais une relation privilégiée avec un être qui venait vers moi (généralement des êtres plus jeunes que moi, mais la différence d'âge n'était pas toujours si importante). Le besoin de protéger, donc, contre les autres, contres les intempéries, les accidents, les forces du mal, mais aussi le besoin de partager des émotions, des plaisirs, des moments de tendresse et de complicité...

Je suis tombé par hasard sur une phrase d'un roman de Michael Connelly, au sujet de la paternité : « C'est comme d'avoir un pistolet sur la tempe du matin au soir ! » Et j'ai pu ressentir comment il pouvait dire cela : il y a bien sûr dans une relation privilégiée, comme celle d'un père et de son enfant, mais pas uniquement, la conscience presque constante des plaisirs, des joies, des moments de bonheur partagé, mais aussi les craintes, les inquiétudes, la terreur que quelque chose arrive, que l'être aimé en soit atteint ou, pire, nous soit enlevé...

Quelques mois après avoir fait la connaissance d'Alexander, il m'a annoncé qu'il était reçu médecin spécialisé en médecine d'urgence puis, peu de temps après, que son état de santé et sa vie même étaient menacés. Immédiatement, je lui ai exprimé mon soutien, je l'ai assuré de ma présence, de ma confiance, de ma détermination à l'accompagner dans sa guérison... et bien au delà. Malgré tout, j'en ai perdu le sommeil : la menace était bien là, terrible, et cette seule idée avait envahi mon corps, mon sang, mes tripes, comme un venin... J'en avais toujours mal au ventre. Et s'il m'arrivait de dormir quelques minutes, j'étais vite réveillé par un sentiment d'urgence : comment pouvais-je dormir alors que la vie de celui que j'aimais plus que tout au monde était menacée ? Jour et nuit, j'avais le téléphone et l'ordinateur à mes côtés pour être sûr de ne rien manquer si un message arrivait le concernant... Le « pistolet sur la tempe » ne se laissait pas oublier !

Chaque soir, au moment d'éteindre les lampes du salon avant d'aller dormir, je regarde Rupert étiré sur pratiquement toute la longueur du canapé ou, au contraire, ramassé sur lui-même comme un petit lapin ; je l'écoute ronfler, j'admire son total abandon, sa confiance inébranlable en l'ordre des choses, et je suis ému. Mais en me rendant à ma chambre, je ne peux m'empêcher de penser que je suis responsable de ce petit être : il ne faudrait pas qu'il m'arrive quelque chose qui m'empêche de m'occuper de lui. Et, sans trop vouloir y penser, je sais bien que son espérance de vie est assez limitée et qu'un jour, si tout va bien, la vieillesse et ses maux le rattraperont aussi. Et je me demande pourquoi je me suis engagé dans cette relation qui risque de me faire souffrir un jour, mais je ne m'attarde pas trop à ce questionnement : les bonheurs partagés au jour le jour m'apportent aussitôt la réponse. Et je repense à cette citation d'Edmond Rostand qui m'a si souvent accompagné : « C'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière. »

9 commentaires:

Dr. CaSo a dit…

Jolie citation d'Edmond Rostand! Je n'ai pas eu d'enfant moi non plus et je comprends très bien ce que tu expliques à propos de Rupert! Quand je me rends compte du souci que je me fais tout le temps pour Calinette (et que je me faisais à l'époque pour Sosso), je ne sais pas comment on peut être parent et dormir! L'avantage de nos poilus adorés c'est qu'ils ne vont pas un jour avoir envie d'essayer la moto ou le hachich ;)

Alcib a dit…

Cette citation, tirée de « Chanteclerc », m'a souvent éclairé dans des moments sombres...

Rupert est très sage et, même s'il m'arrivait de le laisser libre, je ne crois pas qu'il serait tenté de traverser la rue. Je lui ai plusieurs fois répété, lorsqu'il était tenté par un objet en bas du trottoir, ces simples mots : « pas dans la rue », qu'il comprend bien.
Et, même avec moi qui veux le faire traverser, il hésite toujours avant de mettre une patte dans la rue. Cela limite les risques d'accidents, mais il suffirait d'une seule fois... Alors, je suis toujours vigilant. Et je dis à ses amis de ne jamais l'appeler à moins qu'ils ne soient sur le même trottoir, ou du même côté de la rue...

Ce qui m'inquiète, ce sont plutôt les maux de la vieillesse. Je me demande si je serai moi-même en mesure de m'occuper de lui.
Heureusement, il y a un ascenseur dans mon immeuble : je n'aurais jamais adopté un bulldog sans ascenseur : leurs articulations sont trop sensibles aux mauvais mouvements. Les escaliers sont pour eux des menaces permanentes.
Des amis voudraient bien que je leur confie Rupert de temps à autre, mais ils habitent des deuxièmes ou troisièmes étages sans ascenseur...

Et en ce moment, je m'inquiète pour ma propre santé... alors je dois prévoir des ressources, au cas où...

Alcib a dit…

LUX a écrit (le 27 avril 2017, à 13 h 15, sous le billet précédent) :

Mon cher Alcib,
Après une trop longue absence, je revisite ton site pour "tomber" sur cet écrit sur les pères et je suis devenu très ému en lisant. Étant père de trois filles et grand-père d'une petite-fille et d'un petit-garçon, je peux te confirmer qu'être père:
- C'est une activité très émotive pour toute la vie. Je ne vis pas ça comme un pistolet, mais comme un courant électrique.
- Quand notre enfant va bien et est heureux, le courant nous réchauffe, gonfle notre coeur.
- Quand notre enfant est agressif, provocateur, le courant pique et on sent des émotions désagréables qu'on voudrait éviter… Hélas! La nature humaine est faible. Donc: lutte intérieure.
- Quand notre enfant est triste, angoissé, découragé… Alors là! Le courant devient + intense, donne des chocs, brûle et stimule les larmes. Quand l'enfant redevient confortable et heureux, on fond: c'est une des plus grande joie.
!!! Évidemment, je parle pour moi !!!
C'est tout de même cocasse, car aujourd'hui, j'ai su que ma fille de 38 ans était inquiète pour un problème particulier. mon coeur a " r'viré de bord ". Je l'ai appelé tout inquiet et elle m'a dit que la question s'améliorait et qu'elle se sentait mieux aujourd'hui. J'ai ressenti une détente et de la joie pour elle.
Je sais bien que mon exemple est banal, mais ça suggère que le véritable attachement paternel, maternel, amoureux est une présence permanente en soi et que " ça ne guérit pas avec l'âge ".
Le lien affectif, c'est ça la VIE !

jeudi 27 avril 2017 à 13:15:00 UTC−4 Supprimer

Alcib a dit…

Alcib a répondu le 27 avril 2017 à 13 h 35 :

Cher Lux : Quelle belle surprise !
Je suis ravi d'avoir de tes nouvelles. J'en déduis qu'elles sont bonnes (chacun a bien sûr ses joies, ses peines, ses bons et ses mauvais jours).
Je suis un peu bousculé ces jours-ci, mais je reviendrai bientôt, peut-être même ce soir, répondre au contenu de ton commentaire. Bonne fin de journée.

jeudi 27 avril 2017 à 13:35:00 UTC−4 Supprimer

Alcib a dit…

Alcib a répondu, le 28 avril 2017, à 00 h 47 :
Cher Lux, je te comprends. Comme le dit le Renard, « on ne connaît que les choses que l'on apprivoise », et que les liens que l'on crée nous amènent à aimer davantage les personnes, les animaux ou les choses que l'on a apprivoisées. Et je suppose que c'est encore plus vrai quand les personnes que l'on a apprivoisées sont issues de notre propre sang. Je sais que ce n'est pas toujours vrai car elles existent, rares sans doute, mais tout de même, ces mères biologiques qui n'ont pas du tout la fibre maternelle et qui, sans nécessairement torturer leurs enfants, ne leur permettent pas de grandir sainement et de s'épanouir. Heureusement, elles sont l'exception.
L'image du pistolet sur la tempe est un peu forte ; j'ai hésité avant de l'employer, mais je peux comprendre que, pour un père ou une mère, notamment, la menace est sans cesse présente. Il ne faut cependant pas trop s'attarder aux inquiétudes anticipées car de véritables occasions d'inquiétudes sont déjà assez fréquentes pour ne pas s'en créer d'autres, inutiles.
J'aime bien ta comparaison avec le courant électrique ; je crois que c'est tout à fait ça. La bonne énergie qui circule, et les chocs de temps à autre... La vie affective est faite de tout cela.
Ce que le romancier voulait illustrer, c'est la crainte plus ou moins exprimée qu'il arrive quelque chose à ceux que l'on aime.
Avec Rupert, j'essaie de me concentrer sur les bons moments que nous passons ensemble... Mais cela ne m'empêche pas d'être vigilant et d'essayer de prévoir ce qu'il arriverait si... afin d'éviter que cela lui arrive. Je n'y pense pas trop d'avance, mais plutôt comme le conducteur sur la route qui n'oublie pas que, d'un moment à l'autre, un fou peut survenir et, par négligence ou autrement, menacer ceux que nous aimons.
Avant-hier, je jouais avec Rupert devant l'immeuble ; j'étais assis sur un banc et Rupert debout sur le même banc, avec les pattes avant sur mes cuisses ; je le taquinais avec un jouet. Une femme est passée, nous a regardé en souriant, et m'a dit : « Je me demande lequel des deux a le plus de plaisir. » Je lui ai répondu que je voulais croire que c'était lui, car c'est pour lui que je faisais cela ; moi je me serais amusé autrement si Rupert n'avait pas été là. Mais il me fait plaisir de faire plaisir à Rupert. Quand il est heureux, je le suis. Je crois qu'il en est de même avec les enfants.
J'aime nos moments de complicité. en ce moment, je suis un peu triste pour lui car la vétérinaire, croyant qu'il est allergique à quelque chose, lui a interdit tout ce qui n'est pas son alimentation de base. J'adorais voir son expression quand je lui demandais : « Veux-tu, on va partager une pomme ? » Pour lui, c'était déjà une promesse de bonheur. Il me suivait ; j'allais m'asseoir dans mon fauteuil ; il s'assoyait par terre devant moi et me regardait avec des yeux à faire fondre de tendresse ; je coupais des tranches de pomme, une pour lui, une pour moi... Je regrette de ne plus avoir ce moment de tendresse partagée. Il y en a d'autres, mais celui-là était unique.
(Commentaire trop long - dit Blogger - la suite dans le commentaire suivant)

vendredi 28 avril 2017 à 00:47:00 UTC−4 Supprimer

Alcib a dit…

Alcib a écrit, le 28 avril 2017, à 00 h 55 :
Ton exemple n'est pas banal ; ou bien il l'est comme le sont tous les exemples de tendresse, d'affection, d'amitié, d'amour... Quand on aime, on atténue un peu son sens critique par rapport à l'autre et par rapport à son propre comportement ; sinon, on n'aime pas vraiment : on ne fait qu'« apprécier » à des degrés divers.
« Si j'avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l'habitude », dit le René de Chateaubriand. L'amour, le bonheur, c'est aussi et surtout dans les choses simples de la vie.
Je te souhaite des heures et des heures, des semaines et des années de joies et de bonheur simple et authentique avec tes enfants et tes petits-enfants. Et, si possible, que tu écrives ton propre « Art d'être grand-père »
Et ce qu'il y a de formidable avec les petits-enfants, c'est qu'ils permettent aux grands-parents de redonner vie à l'enfant en soi, mieux qu'avec ses propres enfants. Il semble que sur le plan culturel, cela fonctionne un peu de cette façon : l'héritage culturel est mieux compris, accepté, transmis en sautant une génération...

vendredi 28 avril 2017 à 00:55:00

Alcib a dit…

Les quatre derniers commentaires qui précèdent ont été reportés de l'article précédent où ils avaient été placés par erreur.

LUX a dit…

Tu es très prolifique la nuit Alcib.
Ta dernière remarque est très juste. On dit souvent que les grands-parents ont comme raison d'être de gâter les petits-enfants. Je crois comme toi que les petits-enfants ont pour mission de faire vibrer l'âme des grands-parents et de les aider à vieillir dans la joie.
Je pense qu'il en est de même pour les animaux personnels. Alors laisse-toi gâter par Rupert. Je suis sûr qu'il sent à sa manière qu'il te fait du bien.
Have a nice day Rupert and Alcib

Alcib a dit…

LUX : Je ne sais pas si je suis plus prolifique la nuit que le jour (depuis que Rupert est là, je me couche beaucoup plus tôt, et parfois même très tôt), mais il n'y a pratiquement que le soir que je puisse écrire, car les journées sont remplies de toutes les obligations autres (pas nécessairement plus importantes mais la plupart presque inévitable). Et je passe au moins cinq ou six heures par jour à l'extérieur avec Rupert.

Je ne sais pas si les grands-parents ont « raison » de gâter leurs petits-enfants, mais il semble que cela fasse plaisir aux uns et aux autres. Les petits-enfants, du moins jusqu'à un certain âge, acceptent ans chichi ce qui leur vient des grands-parents et alors ceux-ci sont heureux de pouvoir donner (car ils savent, eux, que le plaisir de donner est la plupart du temps plus grand que celui de recevoir).

Je sens souvent que Rupert m'aime bien, à sa façon. Et je lui suis reconnaissant de se laisser aimer... à sa façon.

Enfants, parents, amoureux, amis, frères et soeurs, animaux, peu importe ; je crois que ce qui rend heureux, c'est de pouvoir aimer et que cet amour soit accepté (même s'il n'était pas vraiment partagé).

Soyez heureux aussi, toi et les tiens.