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samedi 4 janvier 2025

Rupert, être vivant, avec tout ce que cela implique

Une ancienne collègue de travail, que je n'ai pas revue depuis de très nombreuses années, mais avec qui je reste en contact par correspondance, à quelques reprises chaque année, m'écrit presque tous les jours, et parfois plus d'une fois par jour, depuis qu'elle a appris la mort de Rupert. 

Elle-même amie des chats, a toujours vécu avec un chat depuis plusieurs dizaines d'années. Elle m'a écrit il y a quelques jours qu'il est probablement plus difficile de perdre un chien que de perdre un chat. Je peux comprendre ce qui fait dire cela : un chat étant généralement plus indépendant qu'un chien, on passe habituellement plus de temps avec un chien qu'avec un chat, ne serait-ce que parce qu'il faut sortir le chien trois fois par jour. Mais, au fond, je crois que l'intensité de la douleur ressentie lors de la perte dépendra du genre de la relation que l'on avait avec l'animal.

Cette amie avait joint à son message une courte vidéo avec des photos d'un homme avec son chien et, sur chacune des photos, il y avait un message du genre : « Un chien n'est après tout qu'un animal. Lorsqu'un chien meurt, on n'a qu'à en prendre un autre, etc. » J'ai voulu répondre pour moi-même à ce genre de commentaires.

Je pense que si l'on perd un être que l'on aime, avec qui on a partagé des années de sa vie, que ce soit un chat, un chien, un oiseau, un lapin ou un cheval, la douleur doit être immense. Et la douleur sera d'autant plus grande que l'on aura accordé de l'importance à cet autre, du degré d'affection, d'amour que chacun aura investi dans la relation.

Quel que soit l'animal que l'on ait choisi, ou qui nous ait choisi, il vient assez rapidement un moment où le choix est réciproque, mutuel, et irréversible. Nous faisons partie de la vie de cet animal autant qu'il fait partie de la nôtre. Et si l'on vit seul avec cet animal, si l'on est, comme je disais toujours à mes collègues qui pensaient souvent que j'étais libre de faire ce que je veux quand je veux, qui ne comprenaient pas qu'à certains moments de la journée ou de la soirée, je n'étais pas disponible pour des réunions en personnes ou par visioconférences, « n'oubliez pas que je suis chef de famille monoparentale », et que mon chien dépend de moi, de la même façon qu'un enfant dépendrait de moi. Et un chien, c'est comme un enfant qui vieillit mais qui ne grandit pas ; il sera toujours dépendant de moi. Et c'est la même chose pour un chat, un oiseau, un lapin... 

Quand on vit seul avec un animal que l'on a choisi, il y a le risque que cet amour réciproque devienne fusionnel, qu'il devienne difficile d'imaginer la vie sans l'autre. Et lorsque la séparation arrive, quelle que soit la façon dont cette séparation arrive, cette déchirure est absolument douloureuse, comme une amputation d'une partie vitale de soi... Et elle peut être plus douloureuse selon les circonstances qui entraînent cette séparation.

Certains disent qu'un chien (ou un chat, un oiseau, un lapin, ...), ce n'est qu'un animal, pas une personne.

Mais les animaux ont leurs propres émotions, leurs propres sentiments. Et un animal que l'on a choisi, que l'on a apprivoisé, quel qu'il soit, du moment qu'on l'a intégré dans notre vie, il a déjà commencé à nous aimer inconditionnellement ; il nous accorde sa confiance et, assuré que l'on respectera notre engagement, il compte sur nous pour tout ce qui lui sera nécessaire : l'abri, la nourriture, les soins d'hygiène et de santé, les jeux et les loisirs, la vie sociale. Il y a une relation de respect qui s'installe, un attachement émotionnel et, comme le dirait le renard au Petit Prince, « on est responsable pour toujours de ce que l'on apprivoise ».

Il est possible qu'un animal ne sache pas d'avance qu'il doit mourir ; cela ne fait pas partie de ses réflexions habituelles et il ne s'y prépare pas. Mais lorsque vient le moment, je suis sûr qu'il en a conscience ; la preuve, c'est, que dans la nature, et même parfois chez les animaux domestiques, ils vont se cacher, ou s'installer à l'écart, quand ils sentent que le moment est venu. Ou encore, ils vont chercher à se rapprocher de ceux qu'ils aiment et qui, croient-ils, vont les protéger, les rassurer...

Quand Rupert est parti, ce dimanche soir du 8 décembre 2024, il a dû sentir que quelque chose lui arrivait ; peut-être a-t-il pensé que je pourrais le sauver, ou peut-être, sentant la fin approcher, voulait-il que je sois près de lui en cet instant dramatique... La preuve, c'est que dix minutes plus tôt, il mangeait avec beaucoup d'appétit le repas que j'avais mis beaucoup de temps à lui préparer ; ce repas, composé de ses croquettes habituelles sur lesquelles j'avais mis en garniture des patates douces, des carottes, du bœuf effiloché, etc., était pour lui un repas de fête, et il s'est régalé... Comme on venait de rentrer de sa promenade dans le quartier, il n'avait pas besoin de sortir, comme il le faisait souvent après avoir mangé... Normalement, il serait allé se coucher pour faire sa sieste, pour se relever plus tard et faire une dernière sortie avant la nuit. Mais ce dimanche-là, il savait que nous étions invités chez une amie dans l'immeuble ; c'est peut-être pour cela qu'au lieu d'aller faire sa sieste sur le sofa, il est venu se coucher pratiquement à mes pieds, à l'entrée de la cuisine... Ou, comme je le dis précédemment, il a senti la fin arriver et il voulait être près de moi. Le malheur, c'est que je ne m'en suis pas rendu compte ; j'ai cru qu'il était venu m'attendre, puisque j'étais sur le point de lui dire : « Viens, notre amie (qui l'adorait et qu'il adorait) nous attend ». Mais quand je lui ai prononcé ces mots, il n'a pas réagi, alors qu'il aurait dû être content de cette proposition d'aller chez une amie... Avec le recul, je pense qu'il a voulu être près de moi... mais je pense aussi qu'il n'a pas eu le temps de souffrir : il n'a pas eu de mouvement brusque, pas de sursaut, pas un son...

Qu'il ne sache pas d'avance qu'il va mourir un jour, ce n'est pas grave. L'important, c'est que lorsque quelque chose d'important arrive dans sa vie, l'être humain à qui il accorde toute sa confiance, qui croit en son amour inconditionnel et en son dévouement, soit là pour l'aimer, le rassurer, l'accompagner...

Si lui ne sait pas d'avance qu'il doit mourir un jour, nous le savons et l'on voudrait ne pas avoir à y penser. Mais l'être raisonnable que nous sommes en principe, l'être responsable de lui, doit prévoir que ce jour arrivera, le plus tard possible, espérons-nous. Sachant à quel point les séparations sont très douloureuses, surtout quand elles sont définitives, j'ai toujours souhaité qu'il parte avant moi, pour qu'il n'ait pas à vivre le deuil de moi... Puisqu'il n'a jamais été séparé de moi, qu'il n'a jamais été gardé ailleurs, par quelqu'un d'autre, sauf une heure quelques fois par année pour un toilettage, ou une journée quand il avait six mois pour une chirurgie, je n'aurais pas voulu l'« abandonner » en partant avant lui et en l'obligeant à devoir s'adapter à un autre foyer, à d'autres habitudes, etc. Je savais que cela aurait été difficile pour lui, même si cela se faisait dans les meilleures conditions, avec les personnes les plus aimantes qui existent... Avec moi, il n'avait pas besoin de parler, pas même besoin de demander ; la plupart du temps, je devinais ce qu'il voulait, avant même parfois qu'il ait eu le temps d'y penser lui-même... Nous n'avions qu'à nous regarder et nous nous comprenions.

Quand on vient de perdre cet être qui a partagé pratiquement tous les instants de notre vie durant un certain temps, que ce soit quelques mois ou plusieurs années, comment pourrait-on accepter que l'on nous dise que l'on pourra en avoir un autre, comme s'il s'agissait de remplacer une assiette cassée ou une vieille paire de chaussures ?

Certains diront qu'il y a des douleurs plus insupportables que la perte d'un animal ; ceux-là peuvent le penser et le dire aussi longtemps qu'ils ne seront pas passés par là. Leur manque de sensibilité m'empêcherait de les choisir ou de les conserver comme amis.

Et, si empathiques que l'on puisse être, la douleur des autres peut relativiser quelque peu la nôtre, mais ne l'efface pas.

Quelle que soit la vie que l'on mène, active ou solitaire, l'animal avec qui l'on vit est toujours là, fidèle et constant, sa présence se veut rassurante dans les mauvais jours, parfois exubérante dans les bons jours.

Et le chien, peut-être davantage que n'importe animal, favorise les interactions avec d'autres chiens et d'autres personnes, enrichit à sa façon notre vie sociale.

De son poste d'observation devant l'immeuble, Rupert surveillait l'activité à l'intersection des rues près de chez moi. Il savait que, de cette intersection, pouvaient jaillir les amis, les admiratrices et admirateurs, les chiens qu'il aimait ou à qui, au contraire, il voulait dire d'aller voir ailleurs. Il accueillait avec plaisir les câlins des personnes bien intentionnées, ignorait dignement toute personne qui ne lui inspirait pas de sympathie... Il attendait ses préférés, au point de ne pas vouloir bouger parfois, car il était presque assuré que telle ou telle amie allait finir par passer, venir le saluer joyeusement, lui faire quelques câlins, peut-être lui offrir quelques gâteries et, peut-être même jouer à la balle avec lui...

Mais il pouvait aussi ressentir le manque, la solitude... Certains jours, les amis ne passaient pas ; il les attendait et, parfois, il était déçu... Je ressentais sa solitude, je partageais sa déception car je savais à quel point la visite de ses amis, si courte soit-elle, suscitait en lui de la joie, lui donnait du tonus, relevait son moral, lui faisait anticiper d'autres plaisirs, d'autres joies. Il m'arrivait d'essayer de le consoler, de le rassurer, en lui disant que je comprenais sa déception, sa tristesse, mais qu'il était fort possible que « demain » (« demain », cela pouvait vouloir dire : plus tard, dans une ou plusieurs heures, le lendemain, ou un autre jour ; il comprenait), peut-être que ses amis viendraient.

C'était important pour lui que je lui parle, que je tente de lui expliquer la situation ; cela le rassurait. Il ne comprenait peut-être pas toujours les mots que je lui disais, car les phrases étaient parfois inhabituelles pour expliquer des situations complexes, mais il sentait que je comprenais ce qu'il ressentait, et il était sensible au fait que je tentais de lui expliquer ce qui se passait et ce qu'il ressentait. Même si parfois, occupé à ne rien manquer de l'activité au coin de la rue, il me tournait le dos, je voyais, d'après sa façon de tenir la tête, de dresser les oreilles, qu'il était tout à fait attentif à ce que je disais.

Les animaux qui vivent avec nous sont peut-être les seuls à ne pas nous juger, quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse. Ils peuvent s'impatienter parfois et nous reprocher de ne pas leur donner assez vite ce qu'il leur faut, ce dont ils ont besoin ou ce dont ils ont envie, mais ils ne nous jugeront pas, ne nous critiqueront pas. À la rigueur, ils pourront nous bouder un moment, mais, à moins que l'on persiste dans notre négligence, la paix sera vite rétablie.

Les chiens, comme les autres animaux, nous accordent le privilège de leur confiance, qu'il ne faut jamais trahir. J'ai toujours appliqué la règle essentielle de ne jamais mentir à Rupert, de ne jamais lui annoncer ou lui promettre quoi que ce soit sans le lui accorder. Les animaux, à des degrés divers, sont intelligents ; s'ils s'aperçoivent que nous leur avons menti, que nous n'avons pas tenu notre promesse, que nous avons trahi leur confiance, leur confiance deviendra alors conditionnelle, à négocier à chaque fois...


Je me suis quelques fois impatienté envers Rupert, et à chaque fois, je l'ai regretté et je m'en suis voulu longuement. Rupert, comme bien des animaux, était très sensible ; lorsque je lui parlais un peu fort, je le blessais profondément : il ne comprenait pas... et moi non plus, par la suite. La plupart du temps, j'allais lui demander pardon et lui répéter que je l'aimais, mais je sais que parfois, il avait été vraiment blessé et qu'il n'était pas prêt à pardonner rapidement... Depuis son départ, c'est ce qui me hante: j'aimerais tellement pouvoir revenir en arrière et tenter d'effacer ces moments d'impatience.

Je crois que dans toute relation, amoureuse ou autre, et surtout dans une relation fusionnelle comme on en vit parfois, avec une personne ou un animal, il peut arriver que ce ne soit pas toujours l'euphorie totale : des circonstances difficiles, un trop grand stress, le manque de sommeil, la maladie, etc., peuvent nous amener à manquer de patience et à faire subir à l'être qui partage notre vie notre mauvaise humeur. Idéalement, il vaudrait mieux prévoir des soupapes pour libérer la pression plutôt que de la faire subir à notre compagnon. Mais, dans une relation fusionnelle, comme souvent dans une famille monoparentale, on est trop près l'un de l'autre, sans assez de distance pour reprendre son souffle et relaxer avant d'amorcer une nouvelle interaction avec l'être cher.

Mais que l'on ne vienne pas nous dire qu'un chien, un chat, peu importe, n'est qu'un animal (« un bien meuble», comme le disait encore la loi il n'y a pas longtemps), et qu'on peut facilement le remplacer par un autre.

Chaque être avec qui l'on a vécu devient une partie de soi, une partie de son esprit, une partie de son âme.

mardi 17 juillet 2018

La vie rêvée...

« Rêver, c'est espérer.
Qui ne s'est pas construit un rêve
au-dessus de ses moyens, 
et n'a pas tenté de le vivre,
ne se sera pas montré digne
d'un passage d'humanité. »
Georges Clemenceau

J'ai été tellement absorbé, ces derniers mois - pratiquement depuis un an, en fait -, que je me suis un peu, beaucoup, perdu de vue, négligeant tout ce qui relève de ma vie personnelle, à l'exception de Rupert. Je me suis laissé siphonner, aspirer (même sans inspiration) par des responsabilités qui ne me rapportent rien, personnellement, sinon la satisfaction personnelle de constater une fois de plus que je peux gérer de grands projets et que je peux faire en sorte que les résultats soient à la hauteur de mes attentes, quitte à bousculer plusieurs personnes importantes, des professionnels dans divers domaines, tout en sachant expliquer et convaincre les personnes à qui je dois rendre des comptes.

Il y a quelques jours à peine, je disais à une amie avec qui j'ai eu parfois de très intéressantes conversations, que je n'ai pratiquement plus rien à dire, à l'exception de ce qui remplit ma vie quotidienne, consacrée à la gestion de projets et l'administration de choses concrètes. Heureusement que Rupert est là pour exiger un peu de ma présence et de mon attention ; le temps que je passe avec lui n'est jamais perdu, même si, par moments, je voudrais consacrer un peu plus de temps à d'autres activités. Et, au fond, Rupert constitue l'essentiel du contenu de mes communications avec les autres car, lorsque je suis dehors avec lui, il y a toujours quelqu'un qui veut le voir, jouer avec lui, me dire que c'est le plus beau chien qu'ils aient rencontré, etc.

Constatant le vide actuel de ma vie intérieure, la perte du sens de mon identité et de ma raison d'être, j'essayais ces dernières semaines, sans vraiment y parvenir, de me motiver à reprendre mon récit de vie, le discours intérieur, qu'il soit écrit ou non, qui construit et projette l'image de soi, le sentiment de mon existence et de ma présence au monde.

Il y a plusieurs années déjà, j'avais inscrit en tête de ce blogue cette citation : « Nous ne sommes [...] que nos apprentissages et nos souvenirs, rien d'autre que le récit que nous nous faisons de nos actions et de nos pensées. » Michel del Castillo, Les portes du sang. Cette phrase me semblait si vraie à ma première lecture, et elle continue de l'être. Sans avoir besoin de la relire, je l'ai faite mienne et, même si j'oublie parfois d'agir en conséquence, elle fait partie de mes croyances, des valeurs qui donnent un sens à ma vie et me permettent d'avancer. Aujourd'hui encore, j'ai entendu Boris Cyrulnik prononcer une conférence dont le titre était « Le récit de soi », que j'ai trouvée si intéressante que je vais la réécouter sur YouTube. Chaque fois que j'entends parler Boris Cyrulnik ou que je lis quelque chose à son sujet, je me sens coupable de ne pas encore avoir lu tous ses livres, tant les sujets de ses livres m'interpellent. Récit « de nos actions et de nos pensées » pour Michel del Castillo, « récit de soi » pour Boris Cyrulnik ; est-ce un hasard si ces deux auteurs sont tous deux membres du comité d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) ?

Ce récit de soi que je sens important de retrouver et de poursuivre, me semble, pour diverses raisons que je n'essaierai pas d'expliquer ici, pour l'instant impossible ; je ne sais plus par quel bout le saisir pour qu'il puisse se dérouler.

Mais aujourd'hui, Dr Caso a écrit sur son blogue un billet intitulé la vie se chante la vie se pleure dans lequel elle fait un bilan sommaire de ses dix dernières années. J'ai d'abord eu envie de répondre à son invitation et de raconter dans un commentaire ce qu'ont été mes dix dernières années. Mais devant le risque que mon commentaire soit trop long, j'ai plutôt choisi de faire ici ce petit bilan de mes dix dernières années, sans savoir d'avance ce que je pourrai bien raconter.

D'abord, en avril 2008, je faisais la connaissance de ce garçon merveilleux que les lecteurs habituels ont surtout appris à connaître un peu plus tard, plus intensément à compter de juillet 2009. Alors que je n'attendais plus personne et que je m'étais résigné à mener une petite vie tranquille après avoir nourri de grands rêves et de nobles ambitions, ce Petit Prince est venu frapper à ma porte et, en peu de temps, a bouleversé ma vie, l'a transformée, magnifiée...

Le 10 juillet 2008, ce garçon extraordinaire m'apprenait qu'il était le jour même officiellement devenu médecin spécialisé en médecine d'urgence. Une semaine plus tard - il y a exactement dix ans aujourd'hui - il m'annonçait qu'il était lui-même atteint de la leucémie... Les douze mois qui ont suivi, nous les avons vécus, lui et moi, sa famille, ses amis, ses collègues, comme sur des montagnes russes.

Il m'aura fallu plusieurs années pour commencer à ne plus faire de cauchemars la nuit, à pouvoir parler un peu de lui sans éclater en larmes... Je ne raconterai pas encore une fois combien la présence d'amis d'Alexander et, par l'intermédiaire d'une amie exceptionnelle, la présence de certains membres de son entourage et de sa famille ont été pour moi un réel soutien moral et affectif.

Dans les semaines, les mois, les années qui ont suivi, j'ai voulu lire tous les livres qui me paraissaient intéressants sur l'attachement, sur la perte, sur le deuil. Près de dix ans plus tard, je continue à en lire de temps à autre lorsque je découvre des livres que je ne connaissais pas.

J'ai voulu apprendre à connaître le milieu de vie d'Alexander, son univers physique, géographique, familial, intellectuel, culturel, affectif... Je me suis intéressé à tout ce que je pouvais trouver sur Londres, sur l'Angleterre, sur la Grande-Bretagne. J'ai voulu voir ou revoir toutes les émissions de télévision et tous les films britanniques auxquels je pouvais avoir accès. J'ai commencé à lire de nombreux auteurs britanniques, à commencer par ceux qu'Alexander aimait... J'ai lu de nombreux livres sur les chevaux, sur les chiens, sur l'éthologie, etc. Cet intérêt n'a pas diminué au fil des ans. Chaque fois qu'un livre, un film, ou autre, évoque un sujet qui pouvait intéresser Alexander, je dois au moins essayer de savoir s'il est vraiment intéressant, si je pourrai y apprendre encore quelque chose qui me permettra de mieux comprendre la curiosité et l'amour d'Alexander pour tant de sujets innombrables.

J'avais été séduit par le chien d'Alexander, ce magnifique bulldog (j'écris « bulldog » et non « bouledogue » car il s'agit d'un chien d'origine anglaise et qui fait référence au « taureau » (bull), plutôt qu'à une « boule »), et je m'étais promis que, le jour où je le pourrais, j'adopterais un bulldog. Rupert ne cesse de me rendre heureux et, tous les jours, plusieurs fois par jour, quelqu'un que je ne connais pas s'arrête et s'émerveille devant Rupert. C'est encore plus vrai lorsque ceux-ci aiment vraiment les bulldogs, reconnaissant en Rupert un spécimen particulièrement beau, avec sa personnalité propre bien affirmée. On me dit souvent : « On voit, on sent que vous l'aimez et qu'il y a entre vous une très belle complicité. Ça se constate dans sa façon d'être, qui est le résultat d'une éducation aimante... » J'en suis heureux. Et, comme bien d'autres choses dans ma vie, Rupert révèle ce que l'amour d'Alexander a fait de moi.

Après le départ d'Alexander, pour des raisons diverses (parfois des bonnes), la plupart de mes amis « réels » (ceux que que je connaissais depuis longtemps, qui vivaient dans mon voisinage, que je pouvais voir, toucher, contrairement aux amis lointains qui étaient pourtant, eux, constamment présents), ont pratiquement disparu d'eux-mêmes de ma vie.  Alexander me demandait parfois s'ils étaient vraiment des amis ; il avait sans doute raison.

Alexander et moi avions de beaux rêves, mille projets excitants à réaliser... Je m'étais promis d'en réaliser quelques-uns. Je constate qu'ils font davantage partie de ma vie rêvée que de ma vie « vécue ». Mais est-on sûr que les rêves que l'on alimente sont moins importants et moins révélateurs de l'être que nous sommes vraiment que la vie machinale que l'on répète jour après jour ?

J'aurai dû faire de nombreux deuils ces dernières années, certains plus douloureux et plus difficiles que d'autres... Je n'en ai pas en ce moment une idée très précise, mais je sens que je devrai faire le point tôt ou tard, et le plus tôt sera le mieux. Les rêves que je continue de nourrir sont moins ambitieux que ceux d'il y a dix ans, mais il en reste un certain nombre qui donnent encore un sens et un but à ma vie, qui constituent en somme des objectifs à atteindre avant de disparaître à mon tour.

samedi 7 mars 2015

Le Paradis perdu

S'il était exagéré de dire qu'Alexander était à lui seul mon « Paradis perdu », il est à peine suffisant de dire qu'Alexander est et sera toujours pour moi le meilleur guide et le meilleur accompagnateur que j'aurai pu avoir dans cette vie... En perdant sur cette terre mon meilleur guide et compagnon de route vers ce Paradis à peine entrevu, il est fort peu probable que j'atteigne seul ce lieu magnifique où règnent en permanence la beauté, la douceur de vivre, où les sens se marient parfaitement aux joies de l'esprit pour favoriser cet état de bien-être total que l'on peut appeler « bonheur »...

lundi 24 novembre 2014

Des hauts... et des bas

Les mots viennent parfois aisément pour exprimer clairement ce qui est bien conçu... J'aimerais pouvoir exprimer simplement ce que, de toute évidence, je ne conçois pas bien ; les mots qui se présentent en voulant me servir s'en retournent penauds d'être venus inutilement.

J'aimerais pouvoir énoncer en quelques lignes les raisons de mon long silence, mais je ne suis pas sûr d'y arriver.

Les trois derniers mois ont été pour moi bien remplis... J'ai assumé la responsabilité de quelques dossiers qui m'ont sans cesse tenu en haleine pratiquement tout le temps, sans beaucoup de répit. Les gens autour de moi ne cessent de me féliciter et de me remercier pour le travail accompli et les résultats obtenus ; je crois que ce qui les impressionne le plus, c'est rapidité avec laquelle j'ai su comprendre la complexité de la situation et proposer les solutions les plus appropriées. Je ne l'ai pas fait pour impressionner qui que ce soit ; je suis moi-même, non pas très surpris de ma « performance », mais plutôt étonné de voir le chemin parcouru en si peu de temps et les résultats obtenus dans des domaines où je ne connaissais rien la veille.
Mais tout cela a un prix. Au bout de quelques semaines, je me suis rendu compte que j'étais épuisé par les heures de travail, par la tension constante qui me tenait. Il aurait fallu y aller plus modérément mais, à mon avis, les circonstances ne le permettaient pas.

De petits problèmes de santé sont apparus peu à peu... Puis des problèmes informatiques que nous n'arrivions pas à régler... Pour agrémenter le tout, j'ai perdu un bon montant d'argent dont j'avais pourtant bien besoin dans l'immédiat. Quand je dis « perdu », c'est au sens propre : j'ai retiré une somme d'argent, que j'ai mise dans mes poches pour rentrer chez moi, sans m'arrêter en chemin. Or, en rentrant chez moi, j'ai constaté que je n'avais plus cet argent sur moi : il a dû tomber sans que je m'en aperçoive et... permettre à quelques étudiants du quartier de s'offrir quelques fantaisies... à ma santé (qui aurait bien besoin de ce soutien moral).

Justement, sur le plan de la santé, je n'ai cessé de me faire annoncer des mauvaises nouvelles. Alors que je me sentais bien en allant passer des examens de routine, je suis rentré à chaque fois avec une mauvaise nouvelle, chacune d'entre elles contribuant à miner mon moral... et mes espoirs de réaliser un certain nombre de choses. Je dois dire qu'en ce moment, je ne sais pas trop ce qui m'attend. 
Ce dimanche après-midi, voulant me faire rassurer un peu, j'ai raconté à l'une de mes voisines qui travaille dans les hôpitaux et qui, sans être médecin, connaît bien la médecine, mes dernières consultations. Au lieu de me rassurer, elle a plutôt accentué l'importance d'agir rapidement. Si je l'avais écoutée, je ne serais pas assis devant mon ordinateur en ce moment, mais plutôt allongé sur une civière aux urgences ou, si j'avais de la chance, sur un lit du même hôpital. Je ne prends pas à la légère ses recommandations, mais j'ai des rendez-vous ce lundi et mardi ; je vais tenter d'attendre à mercredi pour me rendre à l'hôpital... à moins que d'ici là quelqu'un (mon médecin, ou un autre) insiste pour que je m'y rende immédiatement.

Et, à travers tout cela, j'ai perdu il y a quelques jours ma merveilleuse amie et complice Danielle, ma voisine au grand coeur, ma sorcière bien aimée, ma voyante, mon guide aussi bien à travers le passé lointain ou immédiat que vers l'avenir, ma confidente de tous les instants, un membre de notre famille choisie que j'espérais croiser chaque fois que j'ouvrais ma porte, l'ange qui sans cesse me parlait d'Alexander car elle savait que notre rencontre avait des origines très lointaines, du temps d'Alexandre le Grand et au delà... Elle est allée le rejoindre.
Elle pouvait m'appeler à trois heures du matin pour aller prendre un café (il m'est arrivé de me retrouver, en pleine nuit, en pyjama, au café du coin)... Elle me cuisinait de bonnes choses ou bien elle me rapportait un sandwich quand elle allait faire une course rapide... Toujours elle m'adressait des petits mots, poétiques, lumineux... souvent sur des cartes qu'elle avait elle-même fabriquées de ses mains.

Danielle
Étoile du Nord - département des Anges

vendredi 20 juin 2014


Le chagrin, la douleur de la perte, de l'absence, du manque de la moitié de soi, ... sont toujours là ; mais je n'aurais pas dû relire notre conversation d'il y a cinq ans, qui devait être notre dernière conversation. Bien sûr, je n'en avais rien oublié, mais cette relecture m'a donné durant plusieurs minutes l'impression d'y être encore...

Je sais que deux ou trois lecteurs comprendront très bien, pour le vivre aussi de leur côté...

Il me redisait notamment, dans cette dernière conversation, que son seul désir, c'était d'être dans mon coeur, pour toujours. Et il ajoutait : « Je sais que tu m'aimes aussi et que jamais tu ne diras, même dans plusieurs années : « Ah oui, j'ai connu un jour un garçon qui s'appelait Alexander... » Parfois je me demande comment quelqu'un comme toi peut m'aimer, mais j'ai confiance en toi et j'ai confiance en ton amour. Et tu ne me parles toujours qu'avec ton coeur... »

Oui, Alexander, tu es et tu seras toujours dans mon coeur, comme tu l'as été depuis que tu es entré dans ma vie, « dirigé vers [moi] par quelqu'un qui t'aime et qui veille sur toi », aimait répéter notre meilleure amie. Et tout le temps qu'il me reste à vivre, que ce soit un jour, un mois, des années, je vivrai avec toi, pour nous. Je crois que j'essaie parfois de m'étourdir dans l'action pour ne pas trop me rendre compte de ton absence, comme si à la fin de mes agitations, de mes pérégrinations, j'allais te retrouver pour poursuivre nos échanges quotidiens...

Mais cette nuit, c'est le grand vertige...

Et d'autres douloureux silences sont venus s'ajouter, qui  attristent et inquiètent, et sont par moments difficiles à « gérer »...

Je sais cependant que tu n'as plus peur de me perdre, puisque tu es avec moi pour toujours, que tu comprends et que tu m'encourages à cultiver quelques vraies et précieuses amitiés, sans lesquelles la vie sur terre serait vraiment trop ardue. Je sais qu'avec moi tu les remercies de leur présence chaleureuse, même à distance.

dimanche 4 mai 2014

Écrire pour quelqu'un

Je viens de refermer ce livre, que j'ai savouré, page par page, phrase par phrase, mot par mot.
Quel émouvant témoignage ! Quelle pudeur et quelle tendresse tout au long de ce récit ! La relation avec le père occupe une grande partie de ces pages ; au delà de l'anecdote, comme le dit lui-même l'auteur dans cette vidéo sur YouTube, il s'agit d'une réflexion sur la paternité, sur la parentalité.
C'est aussi une touchante réflexion sur l'absence, sur ceux qui nous ont quitté, qu'il s'agisse de nos parents ou d'autres êtres que nous avons aimés.
J'ai versé des larmes (et j'en ai retenu bien d'autres) sur à peu près toutes les pages car, comme il est si bien écrit, « l'étrange et douloureuse survie en nous de ce qu'ont souffert les défunts » ne nous quitte pas et « va plus loin, plus profond, que la simple mémoire. »
Merci, Jean-Michel Delacomptée, que je ne connaissais pas avant que « quelqu'un », un ange sans aucun doute, ne mette ce livre sous mes yeux au moment où j'étais prêt à le recevoir.
Désormais, les livres de Jean-Michel Delacomptée seront aussi mes amis.

lundi 1 août 2011

Aimer, perdre et... pleurer



Que dire à quelqu'un de très cher qui, en moins d'une semaine, a perdu sa mère et son grand-père ?
Quelqu'un qui, à peine arrivé chez des amis à la campagne, à l'autre bout du pays, pour tenter de refaire un peu ses forces après le départ de sa mère, doit refaire le chemin en sens inverse pour aller aux funérailles de son grand-père ?
Je crois qu'il n'y a rien à dire. Dans ces circonstances, les mots sont bien impuissants. Seules la présence et l'affection des amis, même à distance, peuvent tenter d'apporter un peu de soutien et de réconfort.
Il connaissait déjà l'intensité de la douleur et l'immensité du vide causés par la perte d'un être cher. Avant même de pouvoir se rendre compte de l'ampleur du désastre, on doit se demander, quand deux autres départs consécutifs viennent s'ajouter à celui dont on essayait de se remettre, quand est-ce que cela va s'arrêter.

« Aimer, perdre et grandir » : c'est le titre d'un livre de Jean Monbourquette que l'on m'a, parmi d'autres titres, suggéré de lire pour tenter de donner un sens à la perte de celui qui donnait à ma vie tout son sens. Je n'ai jamais été capable de lire ce livre, ni aucun autre du genre, qui veut nous faire croire que la perte des êtres qui nous sont chers nous fera grandir. Non, merci ! Je ne crois pas qu'il faille perdre ceux que l'on aime pour grandir. Si c'est cela, je préfère rester petit, serais-je porté à dire. Il faut être religieux, profondément croyant, et avoir abandonné pratiquement toute attache terrestre, pour pouvoir accepter la perte comme occasion de grandir. Je sais que le départ d'Alexander me force à trouver en moi des ressources que je ne me connaissais peut-être pas, mais je n'ai pas le choix ; je ne peux toutefois pas envisager sereinement « la chance » que j'ai de pouvoir « grandir ». Le seul point sur lequel j'aurai grandi, c'est sur la capacité de continuer de vivre avec la perte, malgré la perte.  Je reste toutefois convaincu que j'aurais évolué et grandi énormément plus avec la présence d'Alexander.

Cela dit, j'ai plusieurs fois eu recours aux services d'écoute de la Maison Monbourquette, au téléphone ou en personne, face à face, afin d'exprimer les trop fortes angoisses, les douleurs insoutenables, qui ont suivi le départ d'Alexander, et il m'arrive encore d'y faire appel. Il y a là des bénévoles formidables qui savent écouter sans juger, faire exprimer l'angoisse, le chagrin, en posant les bonnes questions sans suggérer eux-mêmes des réponses, et sans tenter même de faire allusion à Dieu ou aux pratiques spirituelles. Leur mission, c'est l'écoute, l'accompagnement des personnes en deuil, pas la foi.

Quand à notre ami si horriblement éprouvé, qu'il sache qu'il sera dans mon coeur et dans mes pensées, et que je serai là pour lui, aujourd'hui, demain, la semaine prochaine, dans les années à venir, aussi longtemps que je pourrai dire toujours.
Et, chez moi, de nouvelles bougies se sont ajoutées pour apporter un peu de lumière sur ces moments très sombres.

dimanche 26 juin 2011

Naufrage

Dans l'un des nombreux livres sur le sujet que j'ai consultés ces derniers mois, j'ai lu que pour certains, la perte d'un être cher est un épisode, alors que pour d'autres, c'est une tragédie qui engendre le naufrage du survivant.

Ai-je besoin d'ajouter que je n'appartiens pas du tout au premier groupe ?
Et que, parmi les proches d'Alexander, je ne suis pas le seul à risquer le naufrage ?