dimanche 24 septembre 2017

Les mots pour le dire

Il fut un temps où je lisais assez régulièrement des livres de psychologie. Durant quelques années, les livres de Françoise Dolto, entre autres n'étaient jamais très loin de ma table de travail. Parmi les idées que j'ai retenues de ces lectures, c'est que « tout est langage », que les mots ont le pouvoir, sinon de guérir. du moins de mettre du baume sur des plaies qui, autrement, resteraient vives... Puisqu'elle était psychanalyste pour enfants, elle disait notamment qu'il faut expliquer aux enfants, et même aux bébés naissants, les problèmes, les drames, dont ils sont victimes ou témoins. Je crois aussi que les bébés, même s'ils ne comprennent pas encore les mots précis, comprennent le sens de ce que leur mère, leur père, ou quelqu'autre adulte significatif de leur entourage veut leur communiquer.

Il m'est arrivé plusieurs fois d'essayer de faire comprendre à Rupert quelque chose qu'il n'est pas si facile d'expliquer à un chien. Je ne me souviens plus exactement de situations très précises où j'ai eu à le faire, mais ce soir, j'ai eu l'occasion d'en vivre une nouvelle.

Rupert est malade depuis à peu près vingt-quatre heures. La nuit dernière (de samedi à dimanche), il est venu me réveiller quatre fois parce qu'il avait un urgent besoin de sortir. Je ne sais pas s'il existe de nombreux chiens comme lui mais, lorsqu'il doit me réveiller la nuit, Rupert est assez adorable. Il dort dans le salon, et ma chambre est à l'autre bout de l'appartement ; entre les deux, il y a la cuisine et un couloir...

Je l'entends parfois marcher dans l'appartement, soit parce qu'il a soif et qu'il va boire à la cuisine, soit que son lit est trop chaud et qu'il cherche un coin de fraîcheur pour y dormir un moment. J'ai l'impression aussi qu'il lui arrive de venir voir dans ma chambre pour vérifier si je suis bien là et, parfois, pour dormir plus près de moi, à l'entrée de la chambre où il dort un moment sur un petit lit qu'une voisine lui a confectionné. Habituellement, tout cela se fait sans bruit, même si je l'entends car j'ai le sommeil assez léger.

Or, la nuit dernière, comme il lui est arrivé déjà à quelques reprises, il est venu plusieurs fois dans ma chambre et, comme je faisais semblant de dormir, il repartait dormir au salon ou dans l'entrée, au bas de l'escalier. Puis, après avoir dormi un moment, je ne sais combien de temps, il revenait ; je n'avais pas regardé l'heure et je m'étais moi-même rendormi. Puis, à un moment donné, il émettait un très petit son, à peine audible, mais je savais qu'il avait enfin décidé qu'il devait me réveiller, le plus doucement possible. Je le regardais et lui demandais ce qui n'allait pas (il m'est arrivé à quelques reprises auparavant de lui dire qu'il était temps de dormir ; il repartait et quelques secondes plus tard je l'entendais ronfler). Pour l'aider à mieux se faire comprendre, je lui suggère des réponses possibles ; la nuit dernière, par exemple, je lui ai demandé s'il voulait aller dehors. Sa réponse était évidente : avec un petit air coupable de devoir me réveiller, il se retournait et se dirigeait vers la sortie : je savais alors que c'était urgent, car il avait longtemps repoussé le moment de me réveiller. Je me suis habillé en vitesse et je suis sorti avec lui. Ce petit jeu s'est répété à plusieurs reprises au cours de la nuit... et d'une bonne partie de la journée.

J'aurais voulu passer à la clinique vétérinaire pour lui prendre de la nourriture humide spécialement adaptée aux problèmes gastriques, mais il faisait une chaleur d'enfer ; puis, en vérifiant sur Internet, je me suis rendu compte que les deux ou trois cliniques les plus près étaient fermées (alors que l'une d'entre elles reste habituellement ouverte le dimanche).

Il n'avait absolument rien mangé de la journée et, plus inquiétant encore, surtout avec cette chaleur infernale, il n'avait pratiquement pas bu. En fin d'après-midi, comme il dormait près de la porte d'entrée, je suis allé lui porter un grand bol d'eau fraîche ; à mon grand soulagement, il s'est réveillé et il a bu. Puis il est venu me rejoindre à la cuisine. J'avais fait cuire du riz : je lui en ai servi une bonne portion, parsemée de quelques flocons de thon en boîte, bien rincé pour en enlever le sel. Il a mangé.

Normalement, après chaque repas, deux fois par jour, je lui donne deux ou trois petites gâteries différentes : foie de veau, de boeuf ou poisson déshydraté, petits biscuits aux herbes pour rafraîchir l'haleine, etc. Or, comme il était malade, je ne voulais pas lui donner quoi que ce soit qui irriterait davantage son intestin. Alors, je lui ai expliqué, comme des parents intelligents le feraient à leur enfant digne de leurs gènes, que, puisqu'il était malade, je ne pouvais pas lui donner de gâteries qui risquaient de le rendre plus malade encore, mais que si tout allait bien, je lui en donnerais « demain ». La tête inclinée d'un côté, il me regardait dans les yeux comme si je lui racontais quelque chose de vraiment intéressant. Il a semblé comprendre ou, du moins, me faire confiance ; il n'a pas insisté. Je lui ai proposé d'aller dehors, et il a joyeusement accepté l'invitation.