dimanche 21 avril 2019
Mourir d'amour (manquant)
poème de Victor Hugo
Un groupe tout à l'heure était là sur la grève,
Regardant quelque chose à terre. – Un chien qui crève !
M'ont crié des enfants ; voilà tout ce que c'est.
– Et j'ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait.
L'océan lui jetait l'écume de ses lames.
– Voilà trois jours qu'il est ainsi, disaient des femmes,
On a beau lui parler, il n'ouvre pas les yeux.
– Son maître est un marin absent, disait un vieux.
Un pilote, passant la tête à sa fenêtre,
A repris : – Ce chien meurt de ne plus voir son maître.
Justement le bateau vient d'entrer dans le port ;
Le maître va venir, mais le chien sera mort.
– Je me suis arrêté près de la triste bête,
Qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête,
Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé.
Comme le soir tombait, le maître est arrivé,
Vieux lui-même ; et, hâtant son pas que l'âge casse,
A murmuré le nom de son chien à voix basse.
Alors, rouvrant ses yeux pleins d'ombre, exténué,
Le chien a regardé son maître, a remué
Une dernière fois sa pauvre vieille queue,
Puis est mort.
C'était l'heure où, sous la voûte bleue,
Comme un flambeau qui sort d'un gouffre, Vénus luit ;
Et j'ai dit : D'où vient l'astre ? où va le chien ? ô nuit
Rassurez-vous : ce poème n'a aucun lien direct avec ma réalité ni avec celle de Rupert.
Il s'agit simplement d'un beau poème de Victor Hugo que je viens de retrouver (pas Hugo, le poème).
Il illustre bien le fidèle attachement d'un chien à son « maître » ; je dirais plutôt : à son partenaire humain.
vendredi 16 novembre 2018
De profundis...
Charles Baudelaire
Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C'est un univers morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème ;
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C'est un pays plus nu que la terre polaire
- Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !
dimanche 11 octobre 2015
La chute...
Les plaintes d'un Icare
Les amants des prostituées
Sont heureux, dispos et repus;
Quant à moi, mes bras sont rompus
Pour avoir étreint des nuées.
C'est grâce aux astres nonpareils,
Qui tout au fond du ciel flamboient,
Que mes yeux consumés ne voient
Que des souvenirs de soleil.
En vain j'ai voulu de l'espace
Trouver la fin et le milieu;
Sous je ne sais quel œil de feu
Je sens mon aile qui se casse;
Et brûlé par l'amour du beau,
Je n'aurai pas l'honneur sublime
De donner mon nom à l'abîme
Qui me servira de tombeau.
lundi 15 juin 2015
Je ne sais pas si Alexander connaissait cette citation de Rainer-Maria Rilke (nous n'avons pas eu le temps de parler de Rilke), mais elle lui va si bien ! Alexander, comme la terre, était comme un enfant qui connait des poèmes par coeur. Il en connaissait tellement, en anglais, en français, et dans d'autres langues aussi, sans doute.
Pour Rilke, la terre récite ses poèmes chaque printemps (peut-être des poèmes différents chaque saison).
Chaque instant rappelait à Alexander un poème, certains qu'il avait appris dans sa toute première enfance, d'autres qu'il avait lus plus récemment. Mais à six ou à vingt-six ans, c'était toujours le même coeur d'enfant qui s'exprimait.
lundi 11 août 2014
Ô Capitaine, mon capitaine
Ceux qui ont vu ce magnifique film, « Le Cercle des poètes disparus », ou, au Québec, « La société des poètes disparus », ne l'oublieront jamais. Même un de mes neveux qui, adolescent, n'était pas trop porté sur la poésie, a adoré ce film, au point de m'en parler plusieurs fois (peut-être y voyait-il une similitude entre mon non-conformisme et l'enseignement de M. Keating ; j'ai toujours été touché qu'il ait envie de m'en parler, avec émotion et admiration) ; je crois qu'il l'a compris un peu à la manière des étudiants de M. Keating dans le film.
« On ne lit pas et on n’écrit pas de la poésie parce que ça fait joli. Nous lisons et nous écrivons de la poésie parce que nous faisons partie de la race humaine ; et que cette même race foisonne de passions. La médecine, la loi, le commerce et l’industrie sont de nobles occupations, et nécessaires pour la survie de l’humanité. Mais la poésie, la beauté et la dépassement de soi, l’amour : c’est tout ce pour quoi nous vivons. Écoutez ce que dit Whitman : « Ô moi ! Ô vie !... Ces questions qui me hantent, ces cortèges sans fin d’incrédules, ces villes peuplées de fous. Quoi de bon parmi tout cela ? Ô moi ! Ô vie ! ». Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime... Quelle sera votre rime ? »
Le Cercle des poètes disparus
Nous n'oublierons jamais non plus l'excellent psychologue qu'interprète Robin Williams dans « Will Hunting ».
mercredi 12 octobre 2011
Pierrot lunaire
Pierrot Lunaire
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin de mes oiseaux
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin du souvenir
Du garçon tout petit
Seul au monde sur la terre
Ses cheveux plein de blé
Ses souliers délacés
Ses cheveux pleins de sable
Et ses yeux plein d'étoiles
Et son coeur plein de peine
Et son pas plein d'échos
De son âme qui s'enfuit
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin de mes oiseaux
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin de cette pierre
Qui s'effrite, qui nous quitte
De cet arbre invalide
De ce mot inaudible
De ce chien sans défense
De ce noir en hiver
De ce blanc en enfer
Du roman sans histoire
De ce rêve évanoui
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin de mes oiseaux
Je m'en vais sur la lune
Prenez grand soin... de vous.
lundi 7 mars 2011
Au souffle de la nuit...
(Les lèvres des enfants s'ouvrent, comme les roses,
Au souffle de la nuit.) -

J'ai toujours l'impression que le 7 juillet 2009, c'était hier. Le rêve que j'ai fait avant-hier, empreint d'amour et de sérénité, me permet de croire que tu es maintenant en paix, avec ceux qui t'ont précédé dans les étoiles.
lundi 7 février 2011
L'enfant en soi
pour en faire sa cabane de feuillage
Il arrive à l'horizon de la mémoire
sans aucun bruit
sans aucune page
Il n'a rien à nous dire
Il est la Présence même
Il éclate de tous les rires de la terre
C'est un enfant pareil à la mer
et pourtant c'est un enfant soleil
Il fait chanter toutes les colombes
Il adoucit les serpents du rouge vif
Il boit la rage et donne le rêve
Un jour nous le rencontrerons
Entre deux portes
coquille de l'instant
Il arrêtera notre visage
Il prolongera notre regard
dans la surprise du torrent
Nous prendrons le temps du partage
C'est un enfant qui arrondit l'espoir
pour le faire rouler et bleuir le monde
Il est la femme et il est l'homme
entrelacés
Hélice de toute vie
Avec lui nous devenons plus humains
Avec lui
fulgurante
l'existence est royauté
En lisant ce texte de René Barbier, intitulé « L'enfant intérieur », je me disais qu'il avait, lui aussi, rencontré notre Petit Prince, Alexander, lors de son passage sur Terre, car dans chacun des mots de ce poème, je croyais que c'était de lui qu'il parlait.

Alexander, mon merveilleux Petit Prince, il y a dix-neuf mois que tu es retourné sur ton étoile. Sans toi, la nôtre n'est plus la même.
lundi 30 août 2010
D'étoile à étoile...
des guirlandes de fenêtre à fenêtre ;
des chaînes d'or d'étoile à étoile,
et je danse. »
Ils me rappellent ces lignes du Petit chose d'Alphonse Daudet qu'Alexander aimait tant, qu'il avait recopiées dans l'un de ses nombreux carnets et qu'il avait tenu à retranscrire pour me les envoyer, sachant que je les aimerais. J'en étais très ému, et je le suis encore autant, car j'y retrouvais, en quelques lignes seulement, tant d'images importantes à Alexander : des cloches, de la musique, des carillons, des clochers, des fenêtres, des larmes, des anges, des ailes secouées...
Le ménage fini, Jacques s'en allait chez son marquis, et je ne le revoyais plus que dans la soirée. Je passais mes journées tout seul, en tête-à-tête avec la Muse ou ce que j'appelais la Muse. Du matin au soir, la fenêtre restait ouverte avec ma table devant, et sur cet établi, du matin au soir j'enfilais des rimes. De temps en temps un pierrot venait boire à ma gouttière ; il me regardait un moment d'un air effronté, puis il allait dire aux autres ce que je faisais, et j'entendais le bruit sec de leurs petites pattes sur les ardoises... J'avais aussi les cloches de Saint-Germain qui me rendaient visite plusieurs fois dans le jour. J'aimais bien quand elles venaient me voir. Elles entraient bruyamment par la fenêtre et remplissaient la chambre de musique. Tantôt des carillons joyeux et fous précipitaient leurs doubles croches, tantôt des glas noirs, lugubres, dont les notes tombaient une à une comme des larmes. Puis j'avais les angélus : l'angélus de midi, un archange aux habits de soleil qui entrait chez moi tout resplendissant de lumière ; l'angélus du soir, un séraphin mélancolique qui descendait dans un rayon de lune et faisait toute la chambre humide en y secouant ses grandes ailes...
lundi 7 décembre 2009
Terre natale
il y a là un petit coin de terre étrangère
qui est pour toujours l'Angleterre. »
Rupert Brooke
Quand il fut question pour la première fois - et cela vint très tôt dans nos premières conversations -, qu'Alexander vienne me voir à Montréal (ce fut toujours l'entente entre nous : il viendrait d'abord à Montréal ; j'irais ensuite en Angleterre), il me demanda de lui promettre solennellement que, s'il lui arrivait quelque chose durant son séjour à Montréal, je devrais le faire rapatrier en Angleterre. Si je ne connaissais pas son amour pour sa patrie, je pourrais croire qu'il avait envers elle un engagement officiel qu'il se devait d'honorer...
Nous avions parlé ce soir-là de l'appartenance, de l'amour du pays, de l'amour du sol lui-même... Alexander avait un tel amour pour son pays qu'il n'en sortait jamais sans apporter avec lui un peu de terre provenant du sol. Il avait voulu m'en envoyer par la poste mais nous nous étions inquiété des restrictions douanières... L'amour du pays nous avait amenés à parler de poésie et, tout particulièrement, de Rupert Brooke et de l'un de ses plus célèbres sonnets, The Soldier, dont sont tirées et traduites les premières lignes citées au début de cet article :
If I should die, think only this of me:
That there's some corner of a foreign field
That is for ever England. There shall be
In that rich earth a richer dust concealed;
A dust whom England bore, shaped, made aware,
Gave, once, her flowers to love, her ways to roam,
A body of England's, breathing English air,
Washed by the rivers, blest by suns of home.
And think, this heart, all evil shed away,
A pulse in the eternal mind, no less
Gives somewhere back the thoughts by England given;
Her sights and sounds; dreams happy as her day;
And laughter, learnt of friends; and gentleness,
In hearts at peace, under an English heaven.

Alexander aimait beaucoup ce poète. Je me souviens qu'au cours de l'été 2008, son frère Charles venu lui rendre visite à Londres lui avait apporté un livre tiré de la bibliothèque familiale. Alexander en avait été très ému car il s'agissait d'un recueil de poèmes qui avait appartenu à sa mère, qui aimait beaucoup Rupert Brooke.
Nous le trouvions très beau. Il nous faisait penser à Hugh Grant, que j'avais aimé dans dans le rôle de Clive, dans le film de James Ivory, Maurice. La ressemblance n'était pas que physique car si la postérité a surtout retenu, grâce au zèle de ses héritiers, son amour des jeunes filles, Rupert Brooke n'était absolument pas insensible à la beauté masculine. Un autre point commun qu'il a avec les personnages du film : Rupert Brooke a étudié à Cambridge, alors qu'Alexander (qui le lui a pardonné, j'en suis sûr) a étudié à Oxford.

Paradoxalement, Rupert Brooke qui était si attaché à sa patrie et qui disait que son université, Cambridge, serait pour toujours sa seule adresse, a été enterré en Grèce, sur l'île de Skyros. Il n'avait que 28 ans ; ce très jeune âge n'est que l'un des points qu'il a en commun avec Alexander, qui en avait 27...
Alistair, qui est un digne ami d'Alexander, m'écrivait il y a quelques jours qu'il avait pensé à moi en lisant les récits de voyages de Rupert Brooke, notamment les pages où il raconte son passage à Montréal. Il faudra que je me procure un exemplaire de ces récits de voyage, en attendant de lire ceux d'Alistair. Ceux que j'aimerais pouvoir lire, ce sont les nombreux voyages imaginaires qu'a pu faire Alexander en rêvant de son premier séjour ici.
mercredi 18 novembre 2009
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.

Alexander avait découvert l'existence d'Émile Nelligan sur le blogue de Béo, un jour où elle affichait ses lectures du moment.
Immédiatement, il avait commandé tout ce qu'il ait pu trouver de la poésie du poète québécois. Depuis son enfance, Alexander dévorait la poésie (ce qui était tout à fait naturel : il était lui-même la poésie). Il avait tout lu en une nuit et il m'avait envoyé plusieurs poèmes, ceux qu'il préférait. N'ayant pas trouvé dans son riche choix de poèmes celui du « Vaisseau d'or », je lui avais demandé s'il avait oublié ou rejeté celui-là. Non, ce poème n'était pas publié dans les recueils qu'il avait commandés. Il a cherché encore et il a commandé aussitôt d'autres poèmes de Nelligan.
Il aimait cette poésie et je peux comprendre aussi qu'il était très fier de découvrir un grand poète qui était plus près de moi puisqu'il avait grandi et vécu à Montréal. J'avais mentionné à Alexander que je passais assez régulièrement devant une maison de la rue Laval où le poète a vécu plusieurs années avec sa famille, et que je lui en enverrais des photos dès que je le pourrais. Dans ses dernières paroles, Alexander avait fait allusion à mes promenades quotidiennes, aux nombreuses photos que je prenais afin de pouvoir les lui envoyer. Puis il a parlé des images de la maison d'Émile Nelligan... C'est en parlant de ces images qu'il a prononcé ses derniers mots avant de fermer les yeux et de sombrer dans le silence : « ... Je demanderai à Alcib ».
C'est aujourd'hui l'anniversaire du décès d'Émile Nelligan, disparu le 18 novembre 1941. Alexander voudrait que je souligne aussi cette date.
Parmi les poèmes qu'il préférait, assez nombreux, Alexander avait choisi celui-ci :
Vieux piano
L'âme ne frémit plus chez ce vieil instrument ;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre ;
Relégué du salon, il sommeille dans l'ombre
Ce misanthrope aigri de son isolement.
Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d'autrefois - passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.
Ô vieux piano d'ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut L'Idéal ;
Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal ?
Ajout (20 novembre 2009) : En commentaire, Lux évoque un souvenir de jeunesse, de sa première jeunesse, en faisant allusion à ce poème de Claude Léveillé mis en musique par l'auteur-compsiteur-interprète Claude Léveillé qui, soit dit en passant, fut l'un des compositeurs d'Édith Piaf. Pour répondre à sa question, voici, sur YouTube, « Soir d'hiver », poème d'Émile Nelligan, interprété par Claude Léveillé sur sa propre musique.
mardi 22 septembre 2009
J'étais si près de toi, Alexander
J'attends personne ne viendra
Ni de jour ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance ils perdent leur lumière
Ma bouche s'est séparée de ta bouche
Ma bouche s'est séparée de ton plaisir
Et du sens de l'amour et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n'avanceront plus il n'y a plus de routes
Ils ne connaîtront plus mon poids ni le repos
Il m'est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j'ai crue infinie
Et l'avenir mon seul espoir c'est mon tombeau
Pareil au tien cerné d'un monde indifférent
J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres.
Paul Éluard, Oeuvres complètes, vol. II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968.
dimanche 2 août 2009
La prière des roses
Tous les jours, depuis juin 2008, j'ai envoyé à Alexander au moins une rose (virtuelle) chaque jour. Même quand il était à l'hôpital, Alexander recevait ses roses car Jane lui imprimait tous mes messages, qu'il lisait et relisait, dormant avec eux, ainsi que les images qui accompagnaient les mots. Après son départ, ces fleurs recouvraient son lit, ce lit qui a abrité tant de rêves, tant de poésie, tant de lectures, tant de projets, tant de larmes, mais aussi tant d'amour (au singulier).
Julien Green
mardi 7 juillet 2009
Amour et poésie
Sonnet de la douce plainte
J'ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue et cet accent
que vient poser la nuit près de ma tempe
la rose solitaire de ton haleine.
Je m'attriste de n'être en cette rive
qu'un tronc sans branche et mon plus grand tourment
est de n'avoir la fleur ou la pulpe ou l'argile
qui nourrit le ver de ma souffrance.
Si tu es le trésor que je recèle,
ma douce croix et ma douleur noyée,
et si je suis le chien de ton altesse,
ah, garde-moi le bien que j'ai gagné
et prends pour embellir ta rivière
ces feuilles d'un automne désolé.
J'ignore qui a traduit de l'espagnol ce poème, mais on peut en lire ici la version anglaise.
Le suivant est en anglais ; il en existe sûrement une version française que j'ignore.
Ditty of First Desire
In the green morning
I wanted to be a heart.
A heart.
And in the ripe evening
I wanted to be a nightingale.
A nightingale.
(Soul,
turn orange-colored.
Soul,
turn the color of love.)
In the vivid morning
I wanted to be myself.
A heart.
And at the evening's end
I wanted to be my voice.
A nightingale.
Soul,
turn orange-colored.
Soul,
turn the color of love.
From Selected Verse, Songs, 1921-1924 ,
translated by Alan S. Trueblond
vendredi 26 juin 2009
Le petit oiseau de toutes les couleurs

Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
Placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
Se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
Peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques Prévert
Je vous conseille vivement d'aller regarder cette vidéo, pour apprendre vraiment comment faire le portrait d'un oiseau.
mardi 23 juin 2009
Ambassades

Puisque sur ma couche soyeuse,
Le sommeil envieux m'a fui,
Ne m'amenez pas des conteurs ;
Je ne veux pas, non plus, les chansons berçantes
Des filles du pays attique,
Qui me plaisaient il y a bien des lunes.
Maintenant, enchaînez-moi dans vos liens,
Jours de flûte du Nil.
samedi 20 juin 2009
Dans un vieux livre
« Mais il eût fallu ajouter : Du plus raffiné des amours sensuels.
« On comprenait en regardant cette oeuvre (l'intention de l'artiste était évidente) que le jeune homme du portrait n'était pas de ceux qui s'en tiennent à ce qui est plus ou moins sain, plus ou moins permis — avec ses profonds yeux bruns, son beau visage subtil (beauté des jouissances défendues), ses lèvres parfaites, dispensatrices de volupté au corps aimé, ses membres pleins d'une grâce idéale, faits pour des lits que la morale courante juge infâmes... »
Constantin Cavafy (1863-1933) ; traduction par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras.
samedi 7 mars 2009
La tête dans les nuages

« Il faut savoir tremper sa plume dans le bleu du ciel. » Félix Leclerc
mercredi 18 février 2009
La neige a neigé...
Dimanche soir, mon amoureux et moi parlions de poésie ; il la connaît mieux que moi ; il est tombé dedans lorsqu'il n'était encore qu'un très jeune enfant. Il m'a fait découvrir ou redécouvrir certains des plus beaux poèmes de la langue française. Il était très fier de me parler de l'une de ses récentes découvertes, la poésie d'Émile Nelligan. Pour arriver jusqu'à lui, les poèmes de Nelligan sont passés par la Suisse avant de revenir vers moi . Il m'a récité celui-ci, « Soir d'hiver », puis je lui ai fait découvrir « Le vaisseau d'or ».
Soir d'hiver
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai !
Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés ;
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.
Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...
Émile Nelligan. « Soir d'hiver «
samedi 27 septembre 2008
Petit garçon solitaire

Rassurons-nous, il n'a pas l'intention de retourner tout de suite sur son étoile et nous ne le laisserons pas partir. Il a encore trop de bonnes choses à vivre parmi nous, trop de bien à accomplir sur Terre, et nous avons trop besoin de lui. Et puis nous sommes au moins quelques-uns à avoir été séduits et conquis par son indéfectible amour. Le nombre importe peu ; ce qui compte, c'est l'amour inconditionnel que nous avons pour lui, en essayant d'être vraiment dignes du sien.
Il y aurait tant à dire à son sujet ! Discret, et même timide, il n'aime pas que l'on attire trop l'attention sur ses innombrables qualités. Et puis, en essayant de dresser son portrait intellectuel et moral, je ne manquerais pas de faire de nombreux jaloux. Je me limiterai à deux mots qui le résument assez bien : merveilleux et adorable. Merveilleux, comme un être venu d'ailleurs, qui n'aurait pas connu le péché originel ; il sait voir immédiatement ce qu'il y a de bon en chacun et s'apprête à faire confiance ; comme il est loin d'être bête, il sait aussi tout le mal que chacun peut faire. Adorable pour tous ceux qui savent s'arrêter de courir, tous ceux qui ont un cœur et à la bouche des mots vivants plutôt que des chiffres. Merveilleux et adorable, il n'est pas que poète : il est lui-même poésie.
Si l'on préfère la version chantée par Nana Mouskouri, on peut l'écouter ici