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jeudi 2 décembre 2010

L'Amour médecin

En fin d'après-midi je revenais d'une course dans le quartier quand j'ai vu, quelques mètres devant moi, un petit attroupement de personnes qui semblaient bouleversées. En regardant plus attentivement, j'ai vu deux ou trois personnes penchées au-dessus d'un jeune homme couché sur la chaussée. En arrivant à leur hauteur, j'ai vu le visage du jeune homme tout ensanglanté (en fait, on ne voyait que du sang). Je ne me suis pas arrêté. Je me suis dit que parmi la dizaine de personnes qui étaient là, il y avait sûrement quelqu'un qui avait appelé les services d'urgence. J'ai poursuivi ma route, bouleversé, en essayant de comprendre ce qui avait pu se passer. Ce qui me semble le plus probable, c'est que ce jeune homme qui rentrait chez lui avec son sac de provisions avait sans doute fait un faux mouvement, glissé sur la bord du trottoir, et s'était cassé la figure sur le pavé ou sur l'arête du trottoir...

En marchant, je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'Alexander était médecin. S'il était passé par là, il se serait arrêté pour prodiguer les premiers soins à ce jeune homme qui était peut-être attendu pour préparer le repas du soir... Je n'arrivais pas à oublier le visage ensanglanté de ce jeune homme... Je repensais aux longues heures de travail d'Alexander qui, à la salle d'urgence voyait chaque jours arriver tant de personnes qui souffraient ou dont la vie était menacée...

Je me souviens d'une nuit où nous nous parlions sur MSN ; Harry le siamois et Alexander le bulldog dormaient paisiblement près de lui. Dans le silence de la nuit, Alexander avait cru entendre un coup de feu près de chez lui. Même s'il était fatigué, malade même, son premier réflexe a été de penser qu'il était médecin et qu'il y avait peut-être dans la rue quelqu'un de grièvement blessé... J'ai réussi à le dissuader de s'habiller et de sortir dans la nuit froide sans savoir s'il pouvait vraiment être utile.

J'ai déposé mes provisions chez moi et je suis reparti marcher vers le mont Royal. Les images continuaient de tourner dans ma tête, les émotions se bousculaient... Je pensais au plus adorable des jeunes médecins qui s'inquiétait si je ne me sentais pas bien et dont l'amour me faisait oublier tous mes maux. Je sentais monter en moi la même angoisse qui accompagnait mes promenades lorsque Alexander, sur un lit d'hôpital, combattait lui-même une fièvre intense qui durant des jours ne voulait pas diminuer et que, de ce côté de l'Atlantique, j'attendais les nouvelles que me donnerait « Docteur Jane » aussitôt qu'elle pourrait laisser sa main un moment...

dimanche 22 août 2010

Inquiétudes

Lundi dernier, c'était l'anniversaire d'un ami, Michel, qui habite juste au nord de Montréal (ainsi que l'anniversaire d'Erwan, l'ami français avec qui je suis allé quelques fois prendre un verre l'été dernier, alors qu'il était de passage à Montréal). J'avais tenté de joindre Michel au téléphone dimanche dernier, la veille de son anniversaire ; il n'était pas chez lui : je lui ai donc envoyé mes voeux par courrier électronique. Il les a reçus en arrivant au bureau le matin de son anniversaire, et il m'a envoyé un mot pour me remercier. (J'avais aussi envoyé un message à Erwan, qui m'a très gentiment répondu en me donnant de ses nouvelles ; on peux donc affirmer que les voeux d'anniversaire, s'ils sont envoyés par courrier électronique, parviennent aussi vite à destination en France qu'à Montréal).

Comme c'est mon anniversaire neuf jours après le sien, Michel avait décidé vendredi de m'inviter chez lui le lendemain, avec d'autres de ses amis. Vendredi après-midi, pendant que j'étais parti à la bibliothèque, Michel a laissé chez moi un message vocal. Je suis rentré tard et comme mon téléphone ne sonne pratiquement jamais, je n'ai pas vérifié si j'avais des messages.

Ce matin (dimanche), le téléphone m'a réveillé tôt. Comme le répondeur, toujours branché, se met en marche au deuxième coup de sonnerie, je n'ai pas pris la peine de me lever ; je ne veux pas laisser croire qu'on peut m'appeler tôt le matin, surtout le dimanche, pour me parler de la pluie et du beau temps. J'aime me lever tôt justement pour lire ou écrire avant que ne commence l'agitation de ceux qui ne peuvent jamais rester tranquilles ni respecter la paix d'autrui.

En me levant, j'ai pris connaissance des deux messages : celui de vendredi, (dont j'ignorais l'existence) pour m'inviter le lendemain, et celui de ce matin, beaucoup plus sérieux,; Michel se disait inquiet car il n'avait pas eu de mes nouvelles « depuis longtemps » et il aimerait que, si quelqu'un écoutait ce message, on l'appelle pour lui donner de mes nouvelles.

J'ai rappelé plus tard, après avoir pris mon petit déjeuner et lu un moment. Michel n'était plus là (il ne peut pas rester en place). L'ami qui partage la maison avec lui m'a expliqué que Michel était très inquiet. Samedi midi, ils sont venus tous les deux sonner chez moi. J'étais sorti faire des courses mais, même si j'avais été là, n'attendant personne, je n'aurais pas répondu. Ils sont repartis plus inquiets encore. En passant devant un poste de police, ils sont entrés et ont demandé si la police pouvait faire quelque chose... (Heureusement, les policiers ne sont pas venus enfoncer la porte de l'appartement !) On leur a expliqué que si j'avais été victime d'un accident ou d'un malaise, c'est la famille qui aurait été prévenue... De plus en plus inquiet, Michel voulait s'arrêter dans une église pour... allumer un cierge. Avec les amis qui l'accompagnaient, il était déjà en train de composer mon éloge funèbre.

J'écoutais tout cela et je ne savais pas ce que je devais penser. C'est rassurant de savoir que j'ai au moins un ami qui peut s'inquiéter de mon sort (il a déjà été échaudé : il y a quelques années, un ami commun est décédé à Paris et, si nous n'avions pas fait une enquête, nous n'aurions même jamais su qu'il était décédé : la famille n'a pas jugé utile de prévenir les amis). Mais c'est aussi très inquiétant d'apprendre que si l'on ne répond pas immédiatement aux messages d'un ami, on risque de voir arriver chez soi les policiers, les pompiers, les ambulanciers, le serrurier... alors que l'on voudrait simplement boire son thé en paix.



Quand Alexander, après avoir été renversé par une voiture, s'est retrouvé sur une civière à l'urgence de l'hôpital où il travaillait, il était très inquiet : il pensait bien sûr à son chat, à son chien, aux êtres qu'il aimait... J'étais l'un d'eux et, comme il était déjà amoureux, il aurait voulu que je sois là pour le rassurer, le serrer dans mes bras ou, tout au moins, lui tenir la main... Mais si quelques personnes de son entourage connaissaient mon existence et tout l'amour qu'Alexander éprouvait déjà pour moi, personne n'avait mes coordonnées. « Et si j'étais vraiment parti sur la Lune, il n'y aurait même eu personne pour te le dire... », m'a-t-il écrit deux jours plus tard. Je sens encore toute l'angoisse qu'il y avait dans ces mots. C'est vite devenu l'une de mes inquiétudes aussi : s'il arrivait quelque chose à l'un d'entre nous, comment l'autre en serait-il informé ? Quand Alexander a été obligé de s'absenter un peu plus longtemps que prévu, sans pouvoir communiquer avec moi, j'ai d'abord été inquiet puis rassuré de recevoir un message de « docteure Jane » ; nous avions désormais un ange qui assurerait la communication entre nous... De mon côté, j'ai demandé à un ami s'il voudrait bien communiquer avec Alexander s'il m'arrivait quelque chose, puis j'ai donné son nom et ses coordonnées à Alexander.

En lisant ce blogue, deux compatriotes d'Alexander ont vite reconnu le Petit Prince dont je parlais. Alistair a connu Alexander au début de leur adolescence : ils étaient pensionnaires au même collège et puisqu'ils se ressemblaient beaucoup, ils sont assez rapidement devenus amis... Depuis le jour où, « par hasard », il a découvert le blogue (moi, je crois plutôt qu'Alexander l'a guidé), Alistair m'a écrit tous les jours... jusqu'au 10 décembre dernier. Nous avons appris, après Noël, qu'Alistair avait eu un très grave accident le 12 décembre et qu'il était encore aux soins intensifs d'un hôpital de Londres. « Docteure Jane » s'est immédiatement rendue à Londres mais, puisqu'elle n'était pas de la famille officielle, on n'a rien voulu lui dire sauf... un petit détail qui a échappé au personnel médical et qui nous a bouleversés. Dès sa première rencontre avec Alistair, Jane l'avait adopté : Alistair est vraiment comme un petit frère d'Alexander ; c'est ce que j'avais perçu dans sa correspondance... Alistair fait partie de notre petite famille d'êtres chers. Il me manque. Nous avons su, début janvier, que son père est venu le chercher à l'hôpital mais nous sommes depuis sans nouvelle. Je continue de lui écrire, en espérant recevoir bientôt une réponse...

L'autre Britannique, lecteur de ce blogue, n'a pas connu Alexander personnellement ; Alexander ne savait pas qui il est mais lui sait très bien qui est Alexander : il l'a aperçu quelques fois à Londres et il le trouvait très beau, toujours très élégant avec une pointe d'excentricité. Alexandre (c'est son nom. En fait il s'appelle aussi Alexander mais pour ne pas me faire de peine, il signe « Alexandre ») est aussi très digne d'être un ami d'Alexander. C'est aussi un garçon extraordinaire et sa vie est un roman, à la fois merveilleux et tragique. Alexandre m'a écrit vers la fin du mois de juin pour me confirmer qu'il allait subir une opération qui nécessiterait ensuite au moins quelques semaines de convalescence et de réadaptation... Il n'avait pas envie de cette opération et surtout, il n'avait pas envie de se séparer durant tout ce temps de son ami Maurice, un grand chien très doux. Je savais que je n'aurais pas de ses nouvelles durant quelques semaines, car il n'aurait pas accès à Internet ; mais nous arrivons à la fin du mois d'août... Alexandre, vous me manquez. Donnez-moi vite de vos nouvelles.

Ces dernières semaines, d'autres inquiétudes sont venues d'Angleterre, dont je ne connais pas encore toutes les répercussions. L'encens et les bougies occupent tout un coin de mon salon et je demande plusieurs fois par jour que les anges veillent sur tous les membres de notre petite famille...

dimanche 22 novembre 2009

« ... j'ai si peur de te perdre ! »

L'image vient d'ici

En avril 2008, dans les jours qui ont suivi les débuts de notre correspondance qui allait prendre rapidement un rythme et une intensité extraordinaires, Alexander se faisait renverser par une voiture en se rendant au travail... Il avait eu « de la chance » en étant projeté par-dessus la voiture au lieu de passer sous les roues comme il est arrivé à l'un de ses patients quelques jours plus tard... Alors que ses collègues l'attendaient pour prendre la relève à l'urgence, ils ont vu Alexander arriver à l'urgence en ambulance... Il avait des côtes cassées, de grandes lacérations à la tête, de multiples contusions... Je m'étais inquiété de ne pas recevoir de message de sa part durant plus de vingt-quatre heures. Puis je reçus ce message :

« Alcib, je ne sais plus où j'en suis... Pourquoi, ai-je tant besoin que tu me parles ? Au fond de moi, au creux de mon cœur, c'est comme si on se connaissait depuis très longtemps, et j'ai si peur de te perdre !
J'ai froid et il faut que j'attende toutes ces heures de ta longue nuit pour pouvoir lire les mots de toi que tu m'écriras sans doute au matin... Qu'est-ce qui m'arrive ?
Merci, merci tellement de m'avoir écrit même si je n'étais pas là pour te répondre... Je ne veux même pas penser que j'aurais pu ne pas trouver tes mots ce matin...
En sortant de l'hôpital, tout à l'heure, j'ai aperçu une
pâquerette ; c'est la première que je vois ce printemps ; je l'ai cueillie pour toi... Je l'ai mise dans un petit peu d'eau et elle est là, près de moi.

Alcibiade...
Pendant que j'étais allongé sur la civière et que j'attendais à l'urgence les examens médicaux après mon accident, j'aurais aimé que tu sois là, et que tu me prennes dans tes bras, parce que j'avais peur... C'est la première fois que je suis, moi, de l'autre côté du miroir, là où il y a beaucoup de sang qui coule, et la mort qui rôde... Même si je ne suis pas trop blessé, malgré tout, j'ai vraiment eu de la chance, mais quand il y a plein de sang partout... Je pensais à mes bêtes, toutes seules... Et si j'étais vraiment parti sur la Lune, il n'y aurait même eu personne pour te le dire... Voilà, j'ai le cœur très gros. »*


Et le mien, cher Alexander, comment crois-tu qu'il est, mon coeur, en relisant ces mots ? Je te demande pardon : je sais que tu ne voudrais pas que j'aie du chagrin. Mais ces mots qui me déchiraient le coeur lorsque je les ai reçus, me font terriblement mal encore aujourd'hui.

Grâce à ta charmante voisine et amie, Abigail, tes bêtes ne se sont pas rendu compte ce jour-là que ton absence prolongée était anormale. Et Abigail n'a même pas pu leur transmettre son inquiétude car tu l'avais appelée en soirée pour lui demander de s'occuper de Harry et d'Alexander et disant que tu devais « travailler » plus longtemps que prévu, sans mentionner le sérieux accident du matin.

Quand tu as dû retourner à l'hôpital non comme médecin mais comme patient, tu as eu la délicate attention de demander à Jane de me donner régulièrement de tes nouvelles. Depuis lors, avec ta bénédiction, nous sommes devenus amis, et c'est une grande chance de pouvoir partager ainsi l'immense peine que nous cause ton départ et de nous échanger de précieux moments de bonheur.

Par ce blogue, tu avais découvert mon existence et, après avoir lu en une nuit tous les articles et tous les commentaires depuis l'automne 2005, tu avais compris que j'étais celui qui pouvait te comprendre et t'aimer comme tu le voulais et, avant même que j'aie eu le temps de répondre à tes premiers messages, tu m'aimais déjà sans réserve.

Alistair, avec qui tu as partagé tant de confidences depuis le début de l'adolescence, a aussi découvert ce blogue où je te parle et où je parle de toi. Je suis persuadé que tu lui en as discrètement indiqué le chemin afin qu'il soit moins seul avec son chagrin. Je suis heureux que le blogue ait pu ainsi créer un lien entre des personnes qui t'aiment et je suis très ému d'apprendre que, si tout va bien, Jane et Alistair se rencontreront bientôt à Londres pour évoquer les beaux moments que tu as permis à chacun de vivre. Je gage que leur première rencontre aura lieu sous la protection du bon vieux
Churchill, juste à l'ombre du Big Ben. Un jour pas trop lointain, j'espère, ce sera mon tour ; je viendrai marcher dans les lieux que tu as tant aimés et rencontrer en personne ceux et celles qui t'aiment plus que tout au monde.


*Il s'agit bien du texte réel tel qu'écrit par Alexander ; j'ai simplement rectifié l'orthographe. Les mots sont les siens, tout comme la syntaxe. Les points de suspension n'indiquent pas des coupures dans le texte (j'aurais plutôt mis des crochets [...], si ça avait été le cas) ; Alexander utilisait beaucoup les points de suspension dans ses messages.

dimanche 30 août 2009

86 400 fois par jour...


Une journée, ce n'est toujours que 86 400 occasions de dire « Je t'aime » à celui qui m'inspire cet amour et qui m'aura aimé plus que tout et mieux que personne.

L'an dernier à cette date, il avait travaillé toute la journée puis il était rentré brièvement à la maison pour m'écrire quelques lignes, pour promener un peu Alexander Bull, manger une banane avec un peu de thé, avant de repartir travailler toute la nuit à l'urgence car l'un des médecins était malade et que, la fin de semaine, l'urgence est toujours très occupée. Il était désolé de devoir repartir car il avait attendu avec tant de joie ce moment de me retrouver. Il savait que je comprendrais et que je ne lui en voudrais pas ; je lui avais dit tant de fois que je ne pourrais jamais lui en vouloir pour quoi que ce soit, surtout pas pour faire ce qu'il aimait : sauver des vies, soulager des souffrances... Il m'envoyait plein de baisers et de câlins et il m'invitait à lui écrire plein de mots d'amour qu'il trouverait en rentrant.

Il faisait très chaud à Londres et, déjà fatigué, il n'avait pas le courage de marcher jusqu'au métro ; il se sentait coupable de prendre un taxi pour retourner au travail. Il allait pourtant travailler encore jusqu'au lendemain matin ; avant de rentrer, il irait rendre visite à sa grand-mère, dans le même hôpital.

Le lendemain matin, vers huit heures et demie, il rentrait à la maison, allait chercher Alexander Bull chez Abigail, il m'écrivait encore quelques lignes pour me dire son amour et me dire que je ne devais pas trop l'admirer, qu'il ne faisait que son travail... Il avait préparé du thé et attendait une voiture qui le conduirait dans sa famille, à la campagne ; il dormirait à l'arrière de la voiture, durant le trajet. Alexander Bull l'accompagnerait. Il voulait rentrer le soir même mais, s'il était trop fatigué, il dormirait là-bas et rentrerait le lendemain. Je lui manquais déjà beaucoup. Toute la journée, comme toujours, je penserais à lui en me demandant à chaque instant ce qu'il était en train de faire, sachant que cette journée serait éprouvante à plus d'un titre. Près de trente-deux millions de secondes plus tard, je revis pleinement les émotions de cette longue journée...

dimanche 6 août 2006

Quatre jours loin de chez moi (suite et fin... enfin)

Cette première nuit après l'opération n'a pas été trop difficile ; les anti-douleurs qu'on m'avait administrés sous différentes formes en fin de soirée avaient dû jouer leur rôle avec beaucoup d'efficacité. Je ne me souviens pas de m'être réveillé au cours de la nuit, mais au petit matin, j'avais les yeux bien ouverts avant que l'on vienne s'occuper de moi et dès qu'un préposé s'est approché, je lui ai demandé d'abaisser les barres d'appui escamotables de mon lit électrique aux multiples panneaux de commandes, dont deux sont insérés dans les barres d'appuis de chaque côté du lit... Je pouvais ainsi contrôler moi-même la hauteur du lit, le relèvement de la tête ou du pied, et bien d'autres fonctions que je n'utilisais pas ; il m'était cependant impossible de descendre moi-même les barres d'appui escamotables de chaque côté du lit. Le préposé m'a demandé pourquoi. « Parce que je veux pouvoir m'asseoir sur le bord du lit ». « Ah non, vous ne pouvez pas faire cela avant qu'on ait fait avec vous le premier lever. Après une anesthésie, une chirurgie, vous pourriez avoir un malaise, vous évanouir... Nous viendrons avec les infirmières vous aider à vous lever, mais dans une heure ou une heure et demie ; en ce moment, nous n'avons pas le temps. »
J'allais me résigner à attendre quand, cinq minutes plus tard, trois personnes sont arrivées pour m'aider à me lever et, voyant que je n'éprouvais ni faiblesse ni vertige, m'ont autorisé à m'asseoir sur le bord du lit, non sans me recommander la plus grande prudence dans mes mouvements. Dans les minutes qui ont suivi, je suis descendu du lit et j'ai commencé à marcher dans la chambre. Quand le préposé est revenu pour me demander si j'étais prêt à faire ma toilette, il a été surpris : je l'avais déjà faite. L'infirmière est revenue me donner quelques comprimés et me faire une injection, après avoir vérifié l'état du drain qu'on m'avait posé et des pansements. Le petit déjeuner est arrivé, liquide seulement, afin de ne pas imposer au foie un effort trop grand : « jus d'orange, sauce aux pommes, gruau coulé, cassonade, lait et café ». Après avoir absorbé tout cela, c'est-à-dire quelque dix minutes plus tard, j'étais prêt à faire face à ma principale préoccupation de la journée : comment occuper mon temps. J'ai commencé à marcher un peu dans le couloir, en m'aventurant de plus en plus loin. Puis j'ai découvert, à quelques pas seulement de ma chambre, une grande salle, avec de grandes fenêtres en saillie qui donnaient sur le jardin privé des soeurs hospitalières et, un peu plus loin, de l'autre côté de l'avenue du Parc, sur le parc Jeanne-Mance et le mont Royal. Puis, plus intéressant encore, il y avait, de chaque côté de ces grandes fenêtres, un petit balcon avec deux fauteuils.
Comme il faisait très beau et très chaud, j'étais ravi de pouvoir m'asseoir sur un de ces balcons et d'y passer de longues minutes à rêver, à lire ou tout simplement à admirer le jardin des soeurs, pas très fleuri, mais très agréablement planté d'arbres et d'arbustes d'essences diverses. Finalement, je pouvais jouir du soleil, de l'air, du calme, de la vue sur un jardin, sur un parc, sur la montagne et, en tournant légèrement la tête vers la gauche, sur tout le centre-ville de Montréal. Je n'ai pas de balcon chez moi et, paradoxalement, il fallait que je sois hospitalisé pour pouvoir profiter d'un balcon, comme si j'étais dans un grand hôtel. Au fond, l'Hôtel-Dieu portait bien son nom... Où donc aurais-je pu profiter du soleil de cette façon, à peine vêtu d'une légère blouse de coton, avec une vue magnifique, sans voisin immédiat car, étrangement, j'étais toujours seul sur l'un ou l'autre dec es deux balcons, sauf durant quelques minutes où un infirmier est venu manger son sandwich à côté de moi. Comme il fallait que je boive beaucoup d'eau et que, par conséquent, je doive aussi l'éliminer, j'ai souvent fait l'aller-retour entre ma chambre et ce balcon et c'est ainsi que j'ai passé la plus grande partie de mon temps ce lundi trois juillet, lendemain de l'opération chirurgicale pour m'enlever la vésicule biliaire. Quand j'ai rencontré le chirurgien, le mardi suivant, et qu'il m'a dit que je pouvais rentrer chez moi, j'avais l'air plus en santé que lorsque j'étais arrivé ; j'étais bronzé comme je ne l'ai pas été depuis des années.


Voilà, au fond ce qu'au départ je voulais raconter : ces quatre jours de « vacances » passées à l'hôpital, où j'ai été très bien reçu et très bien traité, où l'on s'est occupé de moi comme personne ne l'a fait ces dernières années, sauf mon charmant voisin par moments quand il était là, avant qu'il n'entreprenne pour de bon sa carrière d'acrobate...

En sortant de l'hôpital, le mardi quatre juillet, de nombreuses tâches m'attendaient, auxquelles je ne pouvais pas vraiment me soustraire, au risque de retarder de plusieurs semaines, voire de quelques mois l'avancement de certains dossiers que je trouvais importants. Officiellement, j'étais en convalescence pour un mois ; j'avais avisé mon employeur que je n'irais pas au travail durant quelques semaines, sauf un jour ou deux pour régler certaines affaires urgentes et ramasser mes affaires avant les vacances car le bureau serait fermé durant deux semaines. J'étais donc en congé de mon emploi alimentaire, mais je ne pouvais pas vraiment abandonner les responsablilités que j'assume, bénévolement, à la présidence de l'association professionnelle...

Je devais me reposer, mais je n'en avais pas le temps... Heureux de mon séjour à l'hôpital, qui m'avait forcé à me reposer durant quatre jours, et heureux aussi de rentrer chez moi, de retrouver ma musique, mes livres, mes outils de travail, mon ordinateur, Internet, etc... J'avais du pain sur la planche, mais en même temps, j'avais envie d'écrire, de raconter ce que je venais de vivre. Il s'agissait pour moi d'une expérience intéressante, positive, et je sentais le besoin de l'écrire, ne serait-ce que pour moi-même. Je ne savais pas au départ que ce serait aussi long et, honnêtement, je ne croyais pas qu'on se donnerait la peine de lire jusqu'à la fin ces deux longs billets et... d'en réclamer la suite. Mon intention, au départ, c'était de parler du balcon, du soleil, des vacances... et non des détails au sujet de l'hospitalisation elle-même... Mais voilà que, deux jours après avoir commencé ce long récit, j'ai été pris dans un tourbillon d'activités qui m'ont pris du temps, qui m'ont fait perdre le fil de ce récit en me prenant un peu mon âme, en quelque sorte.

Quand j'ai commencé ce récit, je me sentais bien. J'avais retrouvé ma sensibilité, ma capacité de m'émouvoir, de bien ressentir les choses. Je me sentais sensible et vulnérable ; un rien me faisait pleurer, de joie comme de tristesse. J'aurais voulu avoir près de moi quelqu'un avec qui je puisse partager ces émotions, avoir quelqu'un que j'aurais pu serrer contre moi et embrasser, quelqu'un avec qui partager un repas, etc. Mais ce n'était pas le cas.

Et, le temps passant, je me suis senti tout à fait déphasé. Je devais être en convalescence, me reposer, mais j'étais très pris par des obligations. À défaut de pouvoir partager avec un être proche des émotions, des confidences, j'aurais voulu pouvoir écrire des pages personnelles mais, au lieu de cela, je devais rédiger des rapports, concevoir et élaborer des stratégies d'affaires, etc. J'ai été si bien happé par les responsabilités habituelles que je n'avais plus d'énergie ensuite pour m'occuper de ce qui me touchait vraiment et dont j'avais retrouvé le chemin...

Puis un jour, il m'a fallu décrocher totalement. J'ai eu besoin de ne rien faire. J'étais fatigué. J'avais besoin de dormir. Les quelques heures de la journée au cours desquelles je ne dormais pas étaient consacrées aux courses, à la préparation des repas, aux repas eux-mêmes, à la lecture, à quelques brefs commentaires laissés à la suite de la lecture de quelques blogues. Je ne pouvais pas vraiment répondre aux commentaires laissés ici, à la suite des deux billets précédents car je voulais d'abord écrire cette troisième partie mais... je n'y arrivais pas. J'en suis désolé. Il m'aura fallu de nombreuses tentatives pour arriver à écrire ce billet, qui ne ressemble en rien à ce que j'avais en tête au départ ; j'ose espérer que je pourrai ensuite retrouver le goût et la capacité d'écrire plus régulièrement, des billets plus... courts et plus légers.

Merci de votre patience et de votre compréhension. Merci aussi de votre impatience si tel a été le cas...

Voici une photographie de l'Hôtel-Dieu de Montréal. Le salon vitré auquel je fais allusion se trouve à chaque étage au centre du pavillon le plus foncé, qui donne sur le jardin. Je me trouvais au quatrième étage, et les fenêtres de ma chambre, à quelques mètres seulement de ce salon vitré et des deux balcons, donnaient aussi sur le même jardin et sur le parc... (en cliquant sur les images, vous devriez pouvoir les agrandir).


Voici une image, prise par un autre patient de l'Hôtel-Dieu, et qui montre la vue qu'il avait de sa chambre ; c'est à peu près la vue que j'avais de la mienne, sauf que j'étais un peu plus haut : les arbres du premier plan ne me paraissaient pas si près. Ce que l'on ne voit pas sur cette image, c'est tout le centre-ville, qui se trouve à gauche de ce jardin, quelques rues plus loin... J'ai donc emprunté cette image à un autre patient de l'Hôtel-Dieu, dont j'avais lu le blogue il y a près d'un an, mais dont j'ai malheureusement perdu l'adresse ; j'avais conservé cette image, sans me douter qu'un jour j'aurais l'occasion de l'avoir sous les yeux en format réel.

jeudi 6 juillet 2006

Quatre jours loin de chez moi... (2e partie)

Plus tard, vers la fin de la journée de ce ce même samedi 1er juillet, le mystérieux chirurgien est apparu aussi subtilement qu'il était disparu un peu plus tôt. Sans transition, à la manière des enfants et des grandes personnes qui ont conservé la même pureté, je l'entendis prononcer ces mots comme dans un souffle : « Nous allons opérer. Ce sera probablement dimanche matin, vers neuf heures. » Voyant à mon expression et à mon calme que je ne m'y opposerais pas, il est reparti, me laissant aussi songeur que si j'étais devenu moi-même l'un des personnages de ces contes où les messagers apparaissent et disparaissent sans laisser de trace. Je ne prétendrai pas que le chirurgien en question était l'archange Gabriel ; au lieu de m'annoncer qu'on allait m'inséminer un être de chair, on venait de m'apprendre qu'on allait m'en enlever un morceau.

Loin de m'inquiéter, la nouvelle m'intriguait. Je trouvais que depuis la veille, sans que j'aie fait quoi que ce soit pour qu'il en soit ainsi, ma vie avait pris une tournure intéressante. Je n'étais plus le maître à bord, qui acquiesce ou qui rejette ce qu'on lui propose ; ou plutôt : je m'abandonnais totalement à ce qui m'arrivait. Tout le monde autour de moi (les médecins, les infirmières, les préposés) semblait savoir ce qu'il faisait et ils me semblaient tous avoir à coeur mon plus grand bien, celui de faire en sorte que la douleur avec laquelle j'étais arrivé ne soit plus là à mon départ et ne revienne plus jamais. Sans inquiétude et sans question superflue, je m'abandonnais en toute confiance et je prenais plaisir à découvrir au fur et à mesure ce qui m'arrivait. Je ne dirais pas que j'observais tout cela avec le regard objectif du journaliste ou avec la curiosité du scientifique ; j'étais plutôt amusé d'être au centre d'une expérience dont j'étais l'objet principal. Que je ne sois pas l'objet d'une expérience unique ne me touchait pas du tout, que d'autres aient vécu cela avant moi ne m'importait pas (j'en étais plutôt rassuré) ; ce que je trouvais intéressant, c'était que cela m'arrive à moi.

Ayant retrouvé mon lit-voiture, sur lequel on me transportait d'une salle, d'un étage, d'un pavillon à l'autre, je repris la direction de l'urgence, toujours aussi bien conduit par un jeune homme ou une jeune fille qui devrait donner des leçons de conduite à nos automobilistes aussi irrespectueux qu'irresponsables. Arrivé à l'urgence, on me dit qu'on allait m'installer dans un coin un peu plus tranquille ; quand j'y fus, je me suis rendu compte que j'étais toujours à l'urgence, mais dans l'une des salles d'observation. On m'installa au bout d'une pièce ; à ma gauche, il y avait donc un mur et, à ma droite, trois voisins, séparés les uns des autres par un rideau. Je me reposai un peu puis, m'étant fait une idée des lieux, j'entrepris d'aller explorer un peu, question de passer le temps et de voir ce qui se tramait autour. Grâce aux injections de morphine, je ne ressentais plus de douleur. Un infirmier avait senti que je n'avais pas envie de rester toujours au lit ; il m'offrit une deuxième de ces blouses sans bouton qui laissent à découvert les fesses de tous les patients, riches ou pauvres, beaux ou laids ; j'enfilai la deuxième blouse par-dessus l'autre, mais avec l'ouverture en avant cette fois : je pouvais alors circuler sans devoir tenir les bords de la blouse pour éviter qu'elle ne s'ouvre trop grand. Puis ce fut l'heure du repas. Comme j'avais fait tous les tests possibles, je n'avais plus besoin d'être à jeun. J'ai donc eu droit à une soupe légère, à une assiette de boeuf au jus avec une purée de carottes et des haricots jaunes, puis à une crème caramel avec du thé (ou ce que l'on appelle du thé dans les hôpitaux : une tasse de plastique contenant de l'eau chaudasse dans laquelle on dépose soi-même un sachet de poussière de thé). À l'exception du thé, le reste était bon et comme je n'avais pas mangé depuis vingt-quatre heures, j'étais content.

La soirée s'est passée un peu comme avant le repas. J'alternais les promenades dans les couloirs environnants et les périodes de repos où, allongé sur mon lit, j'écoutais les conversations des voisins, essayant de comprendre pourquoi ils étaient là, qui ils étaient... Puis, la fatigue aidant, mes périodes de repos et de sommeil étaient de plus en plus longues, interrompues parfois par la visite d'une infirmière ou d'une technicienne venant chercher des renseignements pour mon dossier de candidat à la chirurgie. À vingt-trois heures, alors que je dormais, je sentis que mon lit commençait à bouger ; le préposé qui ne voulait pas me réveiller m'annonça qu'on m'avait trouvé une place dans une chambre, au quatrième, et qu'il allait m'y conduire. En arrivant dans la chambre, je vis un jeune homme qui se tordait de douleur sur un lit auprès duquel on allait rouler le mien. Le préposé prononça quelques mots d'excuses à l'intention du jeune homme, qui ne semblait pas trop conscient de ce qui se passait autour de lui ; il avait assez de sa souffrance pour ne pas avoir à s'intéresser à celle des autres. Toute la nuit, je l'entendis gémir, pleurer, vomir, crier son découragement devant cette souffrance qui ne le quittait pas, en dépit de tous les médicaments qu'on lui faisait ingurgiter. J'appris le lendemain qu'il souffrait ainsi depuis deux semaines, seul chez lui, et qu'il venait de se décider à se rendre à l'hôpital. Les derniers tests révélaient que, depuis quelques semaines, il était porteur du VIH ; la fièvre était haute (sa température se maintenait autour de trente-neuf degrés), la migraine était constante et insupportable et les nausées ne lui laissaient pas beaucoup de répit. Je me considérais heureux de n'avoir malgré tout qu'un léger problème dont on allait bientôt me débarrasser.

À six heures, on vint me donner des médicaments, me faire des injections, me donner quelques instructions pour me préparer à la chirurgie. J'écoutais attentivement tout ce qu'on me disait et je suivais à la lettre les instructions, comme l'élève docile que j'ai d'abord été... avant de devenir le doux délinquant que je suis. Je devais être à jeun. Je fis ma toilette et je restai allongé dans mon lit en attendant que l'on vienne me chercher. À neuf heures, on commença à s'affairer : on m'attendait à la salle d'opération et l'infirmière devait encore me donner une injection, ce qu'elle fit dans le couloir alors que, sur mon lit roulant, j'étais en route vers un autre pavillon, où j'avais rendez-vous avec mon mystérieux personnage.

On me fit emprunter plusieurs couloirs, quelques ascenseurs ; puis je franchis plusieurs portes ; de plus en plus la température des couloirs était froide. Finalement, on m'immobilisa dans un grand hall ; une femme charmante vint me voir, se présentant comme l'anesthésiste, me posa quelques questions pour évaluer les difficultés et les risques qui pourraient se présenter. Pendant ce temps-là, j'avais entendu dans les hauts-parleurs qu'on avait appelé mon chirurgien ; fidèle à son personnage, il arriva comme sur un nuage ; je le vis devant moi, debout, silencieux, les bras croisés, un léger sourire aux lèves qui semblait dire : « Comment, vous m'avez appelé et vous n'êtes pas prêts ? » L'anesthésiste murmura un bref : « Plus qu'une minute, Docteur X. » Puis on me conduisit dans un salle blanche, immaculée, éclairée comme s'il devait s'y passer quelque chose d'important. C'est assez impressionnant, une salle d'opération, surtout quand on la regarde d'en bas. L'anesthésiste et son assistante s'amusèrent en me faisant la conversation et, étrangement, j'avais toujours ce sentiment de me trouver dans un conte. L'anesthésiste, d'un air taquin, demanda à son assistante si elle n'avait pas remarqué qu'il manquait quelque chose dans cette salle d'opération. « Quoi donc ? », osa candidement l'assistante. « Un masque pour le patient », finit par répondre l'anesthésiste, en riant. On trouva le masque, qu'on m'appliqua sur la bouche et le nez en me disant qu'on allait m'injecter des médicaments avec de l'oxygène et en me demandant de penser à quelque chose d'agréable ; durant quelques secondes, j'eus le temps de penser à quelques personnes que j'aime, puis... à la Provence et... plus rien.


Je me réveillai dans une autre salle ; pendant quelque temps, je crus que le conte était terminé. J'éprouvais quelques douleurs, au cou, aux épaules ; ce n'étaient que des tensions. J'étais un peu impatient et la personne qui était chargée de me surveiller avait beau répéter que c'était normal après une anesthésie, une opération, je ne comprenais pas pourquoi elle ne s'empressait pas de me soulager, de me masser le cou, les épaules. Enfin, on vint me chercher pour me conduire à ma chambre, où j'ai passé le reste de la journée à dormir, à répondre aux questions des infirmières, à faire ce que l'on me demandait de faire, à prendre ce que l'on me donnait. Puis j'appris que je pouvais aussi demander si je voulais quelque chose ; si j'avais mal, il ne fallait pas attendre que la douleur soit trop grande ; il fallait le dire et on me soulagerait aussitôt. « Soulager », cela semble le mot magique de tout le milieu médical ; tout le monde l'emploie. Je n'en abusai point, mais j'eus ma part de soulagement.

Suite et fin au prochain épisode.

mardi 4 juillet 2006

Quatre jours loin de chez moi... et pourtant si près.

Il m'est arrivé ces jours derniers ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant, du moins durant plusieurs jours d'affilée. Pendant quatre jours et quatre nuits, sans que je l'aie auparavant décidé, j'ai été pris en charge. Moi qui jongle avec le temps et les énergies disponibles, qui passe la plus grande partie de mon temps à planifier, organiser et contrôler (il faut bien vérifier si les résultats sont à la hauteur des efforts fournis), j'ai renoncé vendredi soir, provisoirement, à ce pouvoir précieux que j'exerce sur moi-même, et à celui de stimuler le plus possible mes neurones et ceux de quelques personnes qui ont accepté de travailler avec moi à l'atteinte de certains objectifs.

Pendant quatre jours, je n'ai plus eu besoin de planifier, d'organiser ; plus besoin de penser à ce que j'allais faire de mes longues journées et des mes courtes nuits. On le faisait pour moi. Du réveil au coucher, du coucher au réveil (sans fin, autrement dit), ma vie était prise en charge (je ne dirais pas forcément que tout ce qui compose normalement ma vie était pris en charge, mais au fond, ce qui ne l'était pas n'avait plus beaucoup d'importance). J'ai passé quatre nuits et quatre jours dans ce qui est sans doute le plus grand et le plus ancien « hôtel » de Montréal. Moi qui aime bien les vieilles pierres, j'étais bien entouré. Et puisque j'aime aussi la verdure, les parcs, les jardins, je dois dire que j'ai été comblé sur ce point aussi.

J'étais rentré chez moi jeudi soir après ma journée de travail, heureux de profiter encore de quatre jours de liberté (je ne travaille pas le vendredi et le lundi était, pour moi, férié) ; en rentrant, jeudi soir, je m'étais arrêté à la Grande Bibliothèque prendre quelques livres qui, durant ces quatre jours de liberté, allaient alimenter mes réflexions et nourrir mes projets de stratégies... Voìlà qui était bien planifié. Mais souvent, certains diront : toujours, l'inattendu arrive.

Alors que je commençais à travailler sur certains dossiers, vendredi matin, j'ai commencé à me sentir mal. Je ne savais pas ce que j'avais au juste, mais je ne me sentais pas bien. En regardant l'heure, je me suis rendu compte qu'il y avait déjà quelques heures que j'avais pris mon petit déjeuner, bien arrosé de thé noir ; je me suis préparé un peu de poulet froid, une salade d'épinards, un fruit. J'ai mangé, assez rapidement, et je me suis remis au travail mais, plus le temps passait, plus le malaise ressenti plus tôt s'imposait. J'essayais de lui trouver une cause probable et de lui apporter une solution appropriée. Je ne m'occupe pas toujours assez bien de mon corps et je néglige la plupart du temps les signaux qu'il m'envoie, mais il m'arrive de le comprendre assez bien et de lui donner ce qu'il réclame. J'avais beau faire, être aux petits oignons avec lui, ce vendredi, on dirait qu'il avait décidé de me bouder et de ne rien accepter de ce que je lui offrais. Plus le temps passait, plus je m'inquiétais, car je savais que les ressources disponibles en cas de besoin, allaient se faire rares : les commerces allaient fermer, les amis aller dormir, etc. Heureusement, un copain de Paris, à qui je n'avais pas parlé depuis plus d'un an, a eu la bonne idée de m'aborder sur MSN et de demander de mes nouvelles ; je n'ai pas pu lui cacher qu'à ce moment précis j'étais un peu inquiet. Il m'a conseillé ce que j'aurais aussi conseillé à un ami, mais les conseils que l'on donne sont tellement plus intéressants que ceux que l'on reçoit. Comme il était déjà tard à Paris et qu'Édouard était très fatigué, il m'a demandé de suivre son conseil et de lui envoyer un message aussitôt. Édouard est allé se coucher et... moi de même. Sauf que le sommeil ne venait pas si facilement ; j'avais beau faire semblant de ne pas vouloir dormir, comme je fais parfois, pour arriver à dormir comme si je ne le voulais pas, le malaise n'avait fait qu'augmenter et s'était transformé en douleur réelle.

Je me suis donc décidé à composer ce numéro que l'on garde sous la main en espérant n'avoir jamais à s'en servir... On m'a vite posé quelques questions très claires auxquelles on voulait des réponses aussi nettes ; puis, en moins d'une minute, on avait saisi le besoin et on m'a dit : « Ne bougez pas, on vous envoie une limousine... euh : une ambulance ». « D'accord, dis-je, je m'habille. » « Pas du tout ! Ne faites rien du tout ! Installez-vous le plus confortablement possible et attendez ; les ambulanciers seront là dans deux minutes. » Ne le répétez pas, et ne faites surtout pas comme moi si jamais on vous envoie une limousine... une ambulance (je n'arrive pas à me faire à ce mot) ; je me suis habillé, j'ai pris mes clés et j'ai attendu les ambulanciers à la porte de l'ascenseur. En me voyant, ils ont cru que je les avais appelés pour quelqu'un d'autre, puisque je n'avais pas l'air mourant, mais ils ont bien voulu me conduire, non sans faire rapidement quelques vérifications et sans me demander où je voulais aller. J'ai opté pour le plus près, à trois pas de chez moi ; on a vérifié et on voulait bien m'y accepter : on m'a donc conduit à l'Hôtel-Dieu.

Comme il s'agissait d'une longue fin de semaine et qu'en plus, avec le début du Festival du Jazz de Montréal et de toutes les célébrations qui se déroulent en ce moment à Montréal, j'ai cru que les urgences de tous les hôpitaux de Montréal, surtout ceux du centre-ville, allaient déborder d'accidentés et de blessés de toutes sortes, d'intoxiqués à toutes les substances ; ce n'était pas le cas. L'urgence de l'Hôtel-Dieu était relativement calme et on s'est vite occupé de moi ; j'ai eu le temps de me dire que toutes ces horreurs que l'on raconte sur les urgences, ce n'est donc pas toujours vrai, si ce l'est parfois. Deuxième agréable surprise : le médecin qui est venu m'examiner sommairement était... celui-là même qui m'avait soigné durant plusieurs années. Il m'a évidemment reconnu et nous avons échangé quelques nouvelles (l'état de la situation le permettait ou, en d'autres mots, le temps que l'on prend à établir des relations cordiales avec les autres n'est jamais perdu).

Je n'ai évidemment pas dormi cette nuit-là. Après la vérification des signes vitaux (tension, température, pouls), j'ai eu droit à des radiographies puis à des échographies. Bien entendu, on m'avait rapidement fait une injection de morphine pour contrôler la douleur qui était devenue difficilement tolérable. Plus tard, en après-midi, on a fait venir spécialement pour moi la technicienne en médecine nucléaire afin de faire d'autres tests qui allaient permettre de confirmer ou d'infirmer les tests précédents. Par moments, il y a eu jusqu'à trois médecins présents en même temps. De quoi me rassurer ou, au contraire, m'inquiéter ; je me sentais néanmoins entre bonnes mains. Je n'aime pas beaucoup l'idée de m'allonger sur une planche à repasser et que l'on me fasse ainsi entrer dans ce qui pourrait ressembler à un cercueil (quand je serai mort, ça me dérangera probablement moins), mais la médecine nucléaire constitue un réel progrès et on ne peut pas refuser de s'y soumettre. L'ennui, c'est que je suis quelque peu claustrophobe et l'obligation de rester totalement inerte sur une minuscule planche inconfortable durant une heure et demie n'avait rien pour me faire rire, même si la jeune femme qui me torturait était on ne peut plus gentille, m'expliquant tout ce que je ne songeais même pas à lui demander. Il faut dire qu'avant de me faire passer ainsi très précisément quatre-vingt-dix minutes dans cette machine qui faisait son cinéma à raison de quatre-vingt-dix séquences d'une minute, on m'avait injecté un liquide luminescent qu'on a fait suivre de morphine pour forcer l'organisme à révéler ses secrets.

Quelques minutes après avoir donné à la science une série de photos de mes organes internes, j'ai vu apparaître devant moi un médecin, qui avait l'air de s'arrêter là comme en passant, pour me faire la conversation ; j'ai vite compris, à sa voix suave, à ses lunettes très distinguées et à la qualité de son bronzage, que je n'avais pas affaire à un urgentiste : le docteur en question était chirurgien. « Vous allez donc m'enlever un morceau ? », lui ai-je alors demandé. « Pas forcément », m'a-t-il répondu. « J'ai regardé rapidement les résultats des tests, mais je ne suis pas absolument certain encore de ce qu'il faut faire ; il y a plus d'un scénario possible. Nous en reparlerons. » Et il m'a quitté comme il était venu, comme un personnage enchanté dans un conte pour enfants ou pour adultes attardés.

La suite au prochain épisode (mercredi ou, plus probablement, jeudi).