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lundi 20 décembre 2010

Jacqueline de Romilly - 1913-2010

Les amis de la Grèce antique, des lettres classiques, sont en deuil. Je reproduis ici un article de l'Agence France-Presse.


1913-2010 - L'éminente helléniste Jacqueline de Romilly
rejoint ses « chers Grecs »


Photo : Agence France-Presse Bertrand Guay
Jacqueline de Romilly, photographiée en 2008 à l’occasion de l’hommage
qui lui était rendu par le gouvernement grec pour
sa «contribution exceptionnelle» à la littérature grecque


Associated Press 20 décembre 2010 Actualités culturelles

Paris — Elle a rejoint ses «chers Grecs», Thucydide, Hérodote, Eschyle, Euripide ou Sophocle. Première femme professeure au Collège de France, l'académicienne Jacqueline de Romilly avait lié sa vie à la Grèce antique, partageant ses émerveillements pour les trésors de sa littérature et la naissance d'idées majeures.

L'immense helléniste s'est éteinte samedi à l'hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt, selon son éditeur, Bernard de Fallois. Elle avait 97 ans.

Toute sa vie, la philologue avait mené un combat en faveur de l'apprentissage des langues anciennes et de la connaissance des mots pour faire barrage à la violence de la société. À ses yeux, l'enseignement des humanités donnait la possibilité de «retrouver l'élan intérieur, la simplicité première et l'éveil».

Sa carrière est jalonnée de nombreux ouvrages sur les auteurs de l'époque classique (comme Thucydide et les tragiques) ou sur l'histoire des idées et leur analyse dans la pensée grecque, particulièrement la loi et la démocratie, la douceur, la psychologie.

En 1995, elle avait reçu la nationalité grecque, avant d'être nommée six ans plus tard ambassadrice de l'hellénisme. «J'ai beaucoup plus rencontré Périclès et Eschyle que mes contemporains, confiait-elle au magazine Lire à 91 ans. Ils peuplent ma vie, de mon réveil à mon coucher.»

Sa carrière

Née à Chartres le 26 mars 1913, la fille de Jeanne Malvoisin, auteure de romans et de contes, et de Maxime David, professeur de philosophie tué pendant la Première Guerre mondiale, se passionne très vite pour les lettres classiques. Alors au lycée Molière, elle obtient des prix de grec et de latin au concours général en 1930, première année où les filles peuvent concourir. «Rien par la suite ne m'a jamais rendue aussi heureuse», dira-t-elle plus tard.

Ses études la conduiront à Louis-le-Grand, à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm et à la Sorbonne. Et c'est un «hasard» — une lecture d'été — qui l'a-mènera à travailler sur Thucydide, historien du Ve siècle avant Jésus-Christ. «En phrases denses, chargées de sens, hautaines, subtiles, Thucydide pensait pour moi, en avant de moi», écrira-t-elle dans Pourquoi la Grèce? (1992).

Agrégée de lettres (1936), docteure ès lettres (1947), la jeune femme, qui épousera en 1940 Michel Worms de Romilly — dont elle divorcera — enseigne quelques années durant dans des lycées, puis se voit contrainte d'arrêter, le statut des juifs appliqué en octobre 1940 l'empêchant de dispenser des cours. La guerre finie, elle deviendra professeure de langue et de littérature grecques à l'Université de Lille (1949-1957), avant de rejoindre la Sorbonne de 1957 à 1973, date à laquelle elle sera la première femme nommée professeure au Collège de France, où sa chaire s'intitulera La Grèce et la formation de la pensée morale et politique.

En 1975, Jacqueline de Romilly sera aussi la première femme à devenir membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, qu'elle présidera en 1987. Et, huit ans après Marguerite Yourcenar, elle sera la deuxième femme à rejoindre, en 1988, l'Académie française.

«C'est incontestable, j'ai été gâtée, avouait-elle en 2007 au Point. J'ai eu la chance d'appartenir à une génération où les femmes accédaient pour la première fois au podium, où les portes s'ouvraient enfin.»

Sa connaissance de la Grèce ancienne lui vaudra des honneurs à l'étranger: elle est membre de nombre d'académies et docteur honoris causa de plusieurs universités en Europe, au Canada et aux États-Unis. Plusieurs distinctions lui seront décernées, dont le Grand Prix de l'Académie française (1984) et le prix Onassis pour la culture (Athènes, 1995).

La cause de l'enseignement

Le grand public la découvrira en 1984 à l'occasion de son passage à l'émission télévisée Apostrophes pour son livre intitulé L'Enseignement en détresse. Un cri d'alarme qu'elle ne cessera de lancer, fondant Sauvegarde des enseignements littéraires et Élan nouveau des citoyens, deux associations pour «réveiller les valeurs de la démocratie» et les «remettre au coeur du débat citoyen».

En 2007, cette femme à la formidable énergie avait signé un appel lancé aux candidats à la présidentielle pour dénoncer la «catastrophe éducative». «Pas très optimiste», elle espérait un sursaut, sinon, prévenait-elle, «nous allons vers une catastrophe et nous entrons dans une ère de barbarie».

Invitée à dévoiler son secret de jouvence, Jacqueline de Romilly se disait habitée par la «conviction» et portée par la «force» que cela procure. Mais la vieillesse est un «terrible combat», «tout se dégrade, se défait, pouah, affreux!», lançait la philologue, pratiquement devenue aveugle.

L'helléniste, qui «n'aimait l'histoire que dans la mesure où elle explique la littérature», se déclarait passionnée, dans les textes grecs, par «la rencontre avec la naissance de la pensée raisonnée» et «l'irruption de la lumière» dans «un monde encore confus et obscur».

En marge de ses ouvrages savants, Jacqueline de Romilly avait écrit des livres grand public, des nouvelles et un roman, Ouverture à coeur, à 75 ans. Dans l'un de ses derniers livres, paru en 2008, Sourire innombrable — des «mémoires pour rire» — elle évoquait sa mère avec tendresse. Un livre loin de la Grèce ancienne mais dont le titre même rappelait la puissance des liens qui l'unissaient à ses auteurs. À sa source, un vers d'Eschyle: «Le sourire innombrable de la vague marine».

Hommages

Le président Nicolas Sarkozy a salué sa mémoire, jugeant qu'avec elle s'éteint «une grande humaniste dont la parole nous manquera».

«Jacqueline de Romilly a contribué autant à l'édification intellectuelle des jeunes générations, à l'instruction du grand public par ses nombreux ouvrages, qu'à la libération de la femme par l'exemple qu'elle a donné de sa propre élévation», indique-t-il dans un communiqué.

Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a rendu hommage à «l'un des très grands esprits de notre temps».

«La Grèce aujourd'hui est en deuil, a indiqué le ministère grec de la Culture dans un communiqué. Dans des moments difficiles pour le pays, dont la réputation est souvent mise à l'épreuve, sa voix et son oeuvre furent déterminants pour mettre en valeur la culture grecque [...], notre pays a rarement eu de tels alliés.»

«C'est une perte pour notre pays», a estimé, sur France Info, l'historienne Hélène Carrère d'Encausse, jugeant que le meilleur hommage à lui rendre «serait d'attacher plus d'importance désormais à la langue grecque, dont elle a été le plus grand défenseur dans notre pays».

«Elle faisait la conquête de beaucoup de gens parce qu'elle était extrêmement simple, mais en même temps elle était assez ferme dans sa manière d'être, a écrit Bernard de Fallois. Elle désarmait par son espèce d'autorité naturelle. Elle avait ce mélange de simplicité, de sérieux et de gaieté des grands professeurs», a-t-il ajouté.

***
Avec l'Agence France-Presse

On peut en savoir davantage sur Jacqueline de Romilly

lundi 24 août 2009

Une surprise de taille

La nature réserve parfois de ces surprises ! À Pompéi, on était assez familier avec les tremblements de terre mais quand, le 24 août 79, le Vésuve a fait éruption, on ne s'y attendait pas : la précédente éruption remontait à 3 500 ans avant J.-C. (la mémoire étant une faculté qui oublie, il ne faut reprocher à personne de ne pas s'être souvenu...).

J'ai déjà évoqué sur ce blogue l'éruption du Vésuve tel qu'a pu la décrire un témoin privilégié, Pline le Jeune. En réfléchissant aux conséquences de l'éruption du Vésuve, je constate qu'il y a là une analyse sociologique à faire ; peut-être a-t-elle déjà été faite, d'ailleurs ; sinon, j'y renonce : donc si quelqu'un veut s'y attaquer je lui cède mon observation.

Pompéi était une riche cité romaine qui avait été reconstruite après le tremblement de terre de 62. Le port d'Herculanum, qui se trouve à trouve à proximité, est habité, lui, par des classes plus populaires et, par conséquent, moins riches. Lors de l'éruption du Vésuve, Pompéi, la ville riche, a été enfouie sous six mètres de particules de roches volcaniques, alors qu'Herculanum a été ensevelie sous seize mètres de boue. Par conséquent, la nature semble participer parfois à la lutte des classes et choisir son camp.

Au XVIIIe siècle, la charrue d'un paysan a permis de découvrir les vestiges des deux cités romaines ensevelies sous les cendres du Vésuve et les archéologues se sont vite mis à l'ouvrage. Plus tard, les artistes et les décorateurs français du Directoire et de l'Empire se sont grandement inspirés des trésors découverts à Pompéi et à Herculanum.


Les fouilles à Pompéi ont permis de mettre à jour de superbes fresques qui montrent la richesse des villas romaines de la ville. Plusieurs de ces fresques sont assez éloignées de ce que voudrait la morale actuelle, à caractère plutôt érotique. La première illustration ci-dessus en est un exemple. Alors que certains voudraient y voir une scène dramatique, une femme pleurant sur les genoux d'une autre, par exemple, il ne s'agit pas de cela du tout : il suffit de savoir que la personne assise n'est pas une femme, mais un homme et que tout le monde est assez dénudé. De plus, les deux femmes debout n'ont pas une attitude de femmes éplorées.


On s'est peut-être demandé à quel moment, dans ce billet, je parlerais d'Alexander. Le temps est venu. J'aurais pu associer Alexander à tout ce que j'ai écrit ci-desus car, comme le poète latin Térence, il aurait pu dire : « Je suis homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger » (je ne sais pas s'il aurait pu le dire en latin « Homo sum ; humani nil a me alienum puto », mais il l'aurait certainement dit en grec classique et en anglais). Toutefois, je pense à Alexander tout particulièrement en voyant certaines fresques de la Maison du Faune ; je sais qu'il aurait aimé aussi cette statue du Faune dansant, « petit chef-d'oeuvre de l'art statuaire antique », peut-on lire sur le site de Wikipédia.

L'image vient d'ici

Et puis, on retrouve Alexandre le Grand : « Il ne faut cependant pas oublier la mosaïque de la « Bataille d'Issos », conservée au musée archéologique de Naples[q 3], exceptionnelle par ses dimensions (elle mesure en effet 3,5 m. sur 6 m.) mais aussi par sa puissance expressive : on y voit une foule de soldats, de lances et de chevaux saisis au moment où Alexandre, désormais vainqueur et fier de ses troupes, s'apprête à infliger le coup de grâce à l'ennemi en fuite. Cette mosaïque constituait le pavage du tablinum », lit-on encore sur Wikipédia.

L'image vient d'ici

mercredi 1 juillet 2009

Il y a 2 785 ans...

Lampadédromie (relais de flambeaux),
œnochoé attique du IVe siècle av. J.-C.,
musée du Louvre


Le premier juillet 776 avant J-C naissaient à Olympie les plus célèbres compétitions sportives. Les Jeux Olympiques avaient pour but de rapprocher les Grecs entre eux et de suspendre un moment les guerres entre les cités. On peut voir ici de jolies photos d'Olympie

Les athlètes vainqueurs de ces compétitions, organisées d'abord à Olympie et ensuite dans d'autres cités grecques, recevaient parfois des cadeaux de grande valeur. Mais quatre des principaux sanctuaires ne remettaient aux gagnants qu'un cadeau symbolique, une couronne (d'olivier tressé à Olympie, de laurier à Delphes, de céleri à Némée et de pin à Corinthe).

« Il n'était pas permis aux femmes mariées d'assister aux jeux masculins, parce que les hommes et les garçons y étaient nus. Mais les jeunes filles en avaient le droit et elles étaient nombreuses. » (Roger Peyrefitte, La jeunesse d'Alexandre)

Alexandre et Héphaistion assistèrent pour la première fois aux Jeux d'Olympie alors qu'ils avaient quinze ans. En tant que Macédoniens, ils n'étaient pas appréciés de tous les Grecs (encore aujourd'hui, bien que les Grecs modernes soient souvent fiers de dire qu'Alexandre le Grand était de chez eux, il semble qu'on ne s'entende pas pour dire si, oui ou non, les Macédoniens étaient des Grecs). Démosthène était l'un des plus farouches adversaires de Philippe II et de la Macédoine ; Alexandre adolescent, fils de Philippe, et son fidèle ami Héphaistion, n'étaient donc pas les bienvenus. « Alexandre bouillait de colère. Ses yeux, dont le droit était d'un noir très foncé et le gauche bleu-vert, lançaient des flammes. Ses longues boucles blondes, séparées par une raie médiane, frémissaient sur sa tunique de pourpre. Près de lui, vêtu d'une tunique verte, les cheveux noirs aussi bouclés et les yeux bleus, Éphestion, son inséparable, partageait son courroux. Ils étaient nés le même jour de la même année, il y avait quinze ans. Leur beauté était différente, comme leur taille : Alexandre était plus viril et Éphestion plus grand. Arrivés la veille à Olympie, ils étaient ce matin, au lever du jour, dans l'hôtel de ville, en face du comité olympique. Derrière les dix juges, ils apercevaient l'ennemi de la Macédoine, qui prétendait faire exclure des jeux l'attelage du roi Philippe venu concourir pour les grands jeux : l'Athénien Démosthène, le fils du fabriquant de couteaux de Péanie, village de l'Attique. » (Roger Peyrefitte, La jeunesse d'Alexandre)

* On aura remarqué que d'un texte à l'autre, l'orthographe de l'ami d'Alexandre peut varier ; à certains moments on écrit « Héphaistion » et à d'autres, « Héphestion », puis « Éphestion ».

Note : On se demandera peut-être pourquoi, en ce premier juillet, je ne souligne pas la Fête du Canada : ceux qui me connaissent un peu ne seront pas surpris. En tant que citoyen du Québec, mon allégeance va d'abord au Québec. Puisque le Canada ne me reconnaît pas comme faisant partie de l'un des deux peuples fondateurs du Canada et que cette confédération qui s'est transformée en État centralisateur qui ne respecte pas les compétences constitutionnelles du Québec en intervenant partout où il ne devrait pas, je ne célèbre donc pas sa fête. Le jour où le Québec sera respecté par le Canada, je soulignerai la Fête du Canada exactement comme je souligne la fête des Anglais, des Belges, des États-Uniens, des Français, des Suisses... Chaque nation, chaque pays mérite qu'on souligne sa fête nationale. Quand le Canada dépense au Québec seulement 85 % de son budget des célébrations du premier juillet, alors que lorsqu'il s'agit d'accorder du financement à des programmes au Québec le gouvernement du Canada rappelle que le Québec ne représente plus 25 % de la population du Canada. Il y a dans cette propagande canadienne éhontée un mépris envers les Québécois ; au Québec comme ailleurs, il y a des gens qui vendraient n'importe quoi, même leur conscience ou leur mère.

mardi 26 août 2008

Une pensée pour Marc-Aurèle

Buste de Marc-Aurèle, jardins de Versailles

Il y a quelques années, je traînais toujours sur moi un exemplaire des Pensées pour moi-même, de Marc-Aurèle suivies du Manuel d'Épictète, dans la traduction de Mario Meunier aux éditions Garnier-Flammarion. Je les lisais non pas pour étudier une philosophie ou pour en critiquer la valeur ou le style, mais comme l'auteur les a lui-même écrites : des réflexions pour soi-même que je lisais en ouvrant le livre au hasard.

L'une de ces pensées qui a servi bien souvent à me donner du courage au moment de sortir de chez moi le matin, pour me rendre au travail, par exemple :
Dès l'aurore, dis-toi par avance : « Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable. Tous ces défauts sont arrivés à ces hommes par leur ignorance du bien et des maux. Pour moi, ayant jugé que la nature du bien est le beau, que celle du mal est le laid, et que la nature du coupable lui-même est d'être mon parent, non par la communauté du sang ou d'une même semence, mais par celle de l'intelligence et d'une même parcelle de la divinité, je ne puis éprouver du dommage de la part d'aucun d'eux, car aucun d'eux ne peut me couvrir de laideur... »

Marc-Aurèle est l'un des empereurs romains, qui a régné de 161 à 180 de notre ère, après Hadrien et Antonin. Dans les Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar, c'est à lui que s'adresse Hadrien dans la longue lettre qu'il entreprend de rédiger et qui se transformera en mémoires, dont voici les premières lignes :
« Mon cher Marc,
Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie. L'examen devait se faire à jeun : nous avons pris rendez-vous pour les premières heures de la matinée. Je me suis couché sur un lit après m'être dépouillé de mon manteau et de a tunique. Je t'épargne des détails qui te seraient aussi désagréables qu'à moi-même, et la description du corps d'un homme qui avance en âge. [...] Il est difficile de rester empereur en présence d'un médecin, et difficile aussi de garder sa qualité d'homme*... »
Au moment où Hadrien aurait rédigé ces mémoires, Marc-Aurèle n'était encore qu'un jeune garçon ou, tout au plus, un adolescent.

Ce matin, l'Agence France-Presse annonce la découverte en Turquie d'une statue de l'empereur Mac-Aurèle.

Le mardi 26 août 2008

Une statue géante de l'empereur Marc Aurèle découverte en Turquie
Agence France-Presse - Ankara

Une équipe d'archéologues belges et turcs ont exhumé les restes d'une statue géante représentant l'empereur Marc Aurèle dans les thermes romains de Salagassos, l'actuel Aglasun (province de Burdur) dans l'ouest de la Turquie, a indiqué mardi à l'AFP un responsable local.
La découverte, qui date du mercredi 20 août, a permis de retrouver une tête à l'effigie de Marc Aurèle, haute d'environ 90 cm, de même que le bras droit tenant un globe dans la main, les deux en très bon état, a souligné le conservateur du musée de Burdur, Haciali Ekinci.

Selon les estimations la statue devait être haute de 4,5 mètres, a souligné le responsable.

Les deux jambes de l'empereur, qui a régné de 161 à 180 après Jésus-Christ, ont également été exhumées par l'équipe dirigée par le professeur belge Marc Waelkens de l'Université catholique de Louvain, a-t-il souligné au téléphone.

Sagalassos, habitée jusqu'au septième siècle après Jésus Christ, a été détruite à cette époque-là par des tremblements de terre et s'est enfoncée ensuite dans l'oubli.

Le professeur Waelkens mène depuis 1985 des recherches dans cete ancienne cité riche en découvertes.

La même équipe d'archéologues avait déjà découvert sur ce site une autre statue colossale, celle de la tête, le tibia et un pied d'une statue de l'empereur Hadrien qui régna de 117 à 138 après Jésus-Christ, a ajouté M. Ekinci.

*Note personnelle : Je dirais que ça dépend du médecin et de l'homme lui-même... Je ne peux m'empêcher de penser encore à la citation d'Eleanor Roosevelt : « Nul ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement. » Je crois qu'il en est de même avec le sentiment de sa dignité.

Ajout du 2 septembre 2008 :
J'emprunte à Fuligineuse les références qui suivent. Merci.
On trouvera ici le texte complet des Pensées de Marc-Aurèle.
La page Wikipédia sur la cité de Sagalassos.
Le site officiel du Sagalassos Archaeological Research Project.
Une présentation générale des diverses fouilles à Salagassos.

dimanche 10 août 2008

Hadrien et Antinoüs

J'ai reçu il y a quelque temps déjà une très aimable « invitation » à voir au British Museum de Londres l'exposition consacrée à Hadrien. Intitulée « Hadrien : empire et conflit », cette exposition veut nous présenter l'empereur romain que nous avons appris à connaître, moi du moins, à travers la vision idéale que nous en a proposée Marguerite Yourcenar dans sa superbe autobiographie romancée Mémoires d'Hadrien. L'exposition veut aussi présenter le pacifiste, le poète avide de culture et de civilisation grecque, mais elle veut aussi faire voir l'autre visage de l'empereur, celui d'un homme de pouvoir, d'un commandant militaire impitoyable, capable de grandes violences.

« Pour Marguerite Yourcenar, Hadrien est le leader politique dont l'Europe a besoin au lendemain de la seconde guerre mondiale : un homme cultivé, un faiseur de paix exerçant le pouvoir de manière éclairée mais ferme, qui ne cache pas ses sentiments amoureux », résume Neil MacGregor, le directeur du British Museum, cité par Grégoire Alix dans un excellent article du journal Le Monde du 28 juillet dernier, intitulé « Hadrien : gay, humaniste... et sanguinaire », que je vous invite à lire afin de mieux comprendre la portée de cette exposition.

« Étudier l'époque d'Hadrien, c'est aussi se poser la question des frontières de l'Europe, montrer que leur définition est politique et non géographique, analyse Neil MacGregor. L'Europe d'Hadrien englobe la Turquie et le Maghreb. Quelle Europe voulons-nous aujourd'hui : celle d'Hadrien ou celle de Charlemagne, cantonnée au nord-ouest ? », poursuit l'article du Monde.

Je ne connais pratiquement la vie et le rôle de l'empereur Hadrien que par la magnifique histoire que nous a donnée Marguerite Yourcenar, superbement écrite et basée sur des documents historiques. En ayant choisi la forme de l'autobiographie, l'auteur n'a peut-être pas voulu mettre l'accent sur les aspects trop sombres du rôle d'Hadrien. L'empereur qui écrit ses mémoires a beau vouloir tout dire de sa vie, les bons et les mauvais côtés, il y a tout de même des limites à s'accuser soi-même de férocité dans la répression. Peut-être aussi que les lecteurs de Marguerite Yourcenar, charmés par sa prose et par le style qu'elle prête à son empereur, n'ont-ils pas voulu voir ou retenir ces aspects trop sombres.

J'aimerais beaucoup pouvoir me rendre à Londres pour voir, entre autres, cette importante exposition qui présente plus de 170 pièces consacrées à Hadrien (marbres, bronzes, trésors archéologiques, pièces de monnaie, tablettes manuscrites), provenant de 31 musées du monde entier. Une fois sur place, j'en profiterais bien sûr pour aller voir le célèbre mur de 177 kilomètres (120 km, dit-on aujourd'hui) qu'a fait construire Hadrien dans le nord de l'Angleterre. Et pourquoi ne pas en profiter pour voir également Stonehenge et Avebury, deux autres sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, au même titre que le mur d'Adrien ?

L'exposition commencée le 24 juillet dernier se poursuivra jusqu'au 26 octobre prochain. J'aurais voulu en parler plus tôt, mais ce sujet soulevait en moi trop d'émotion, curieux mélange de souvenirs de lecture et de réactions actuelles. Ça m'étonnerait beaucoup que je puisse me rendre à Londres d'ici le 26 octobre, mais je peux compter sur Alexander, un fidèle habitué du British Museum, tout particulièrement de la salle 22 consacrée à l'univers d'Alexandre le Grand, pour m'en faire un compte rendu personnel.

J'adore regarder les courtes vidéos qu'a préparées le British Museum, non seulement pour leur contenu très intéressant, mais aussi pour le plaisir d'entendre la langue et l'accent. Pour l'instant, il y a cinq vidéos, mais d'autres sont annoncées pour bientôt, notamment l'une sur Antinoüs.

En attendant de pouvoir faire ma visite par ami interposé, je vais me faire plaisir en citant quelques extraits des Mémoires d'Hadrien.

« Et j'avoue que la raison reste confondue en présence du prodige même de l'amour, de l'étrange obsession qui fait que cette même chair dont nous nous soucions si peu quand elle compose notre propre corps, nous inquiétant seulement de la laver, de la nourrir, et, s'il se peut, de l'empêcher de souffrir, puisse nous inspirer une telle passion de caresses simplement parce qu'elle est animée par une individualité différente de la nôtre, et parce qu'elle représente certains linéaments de beauté, sur lesquels, d'ailleurs, les meilleurs juges ne s'accordent pas… »

« J'ai rêvé parfois d'élaborer un système de connaissance humaine basée sur l'érotique, une théorie du contact, où le mystère et la dignité d'autrui consisteraient précisément à offrir au Moi ce point d'appui d'un monde. La volupté serait dans cette philosophie une forme plus complète, mais aussi plus spécialisée, de cette approche de l'Autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n'est pas nous… »


« ... Je ne jetais qu'un coup d'œil à ma propre image, cette figure basanée, dénaturée par la blancheur du marbre, ces yeux grands ouverts, cette bouche mince et pourtant charnue, contrôlée jusqu'à trembler. Mais le visage d'un autre m'a préoccupé davantage. Sitôt qu'il compta dans ma vie, l'art cessa d'être un luxe, devint une ressource, une forme de secours. J'ai imposé au monde cette image : il existe aujourd'hui plus de portraits de cet enfant que de n'importe quel homme illustre, de n'importe quelle reine... »

Antinoüs Farnèse
Musée archéologique national, Naples

« ... À chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux, je me sentais responsable de la beauté du monde. Je voulais que les villes fussent splendides, aérées, arrosées d'eaux claires, peuplées d'êtres humains dont le corps ne fût détérioré ni par les marques de la misère ou de la servitude, ni par l'enflure d'une richesse grossière ; que les écoliers récitassent d'une voix juste des leçons points ineptes ; que les femmes au foyer eussent dans leurs mouvements une espèce de dignité maternelle, de repos puissant ; que les gymnases fussent fréquentés par des jeunes hommes point ignorants des jeux ni des arts ; que les vergers portassent les plus beaux fruits et les champs les plus riches moissons... »

Antinoüs Farnèse
Musée archéologique national, Naples

«Un corps plus que nu, désarmé, d'une fraîcheur fragile de narcisse» (Marguerite Yourcenar, 1951).



Message personnel : Je veux saluer quelqu'un pour qui le dix du mois constitue, à plus d'un titre, une date à célébrer, en lui souhaitant qu'il y en ait de très nombreuses autres durant les années à venir.

lundi 21 juillet 2008

21 juillet - 356

Il y a 2364 ans, à Pella, en Macédoine, naissait Alexandre, fils d'Olympias et de Philippe II, ce même Alexandre que nous connaissons maintenant sous le nom d'Alexandre le Grand.

Ces photos de famille semblent montrer, comme bien d'autres, une famille heureuse.


Selon certains auteurs, et peut-être au fond s'entendent-ils très bien sur ce point, cette famille n'était pas si unie que peuvent ne le laisser croire ces images. Philippe II avait de jeunes maîtresses et de jeunes épouses, sans compter les jeunes mignons. Olympias aimait les serpents et ceux-ci peuplaient ses appartements et son lit.

Quant à Alexandre, s'il était bien le fils d'Olympias, peut-être n'était-il pas vraiment le fils de Philippe II. Une légende entretenue par Alexandre lui-même veut qu'il ait été conçu par Zeus.


Par sa mère, il descendrait aussi de Néoptolème, fils d'Achille.


Avec un tel arbre généalogique, a-t-on besoin d'une forêt ?


Comment parler d'Alexandre sans nommer son fidèle Héphaistion, ami d'enfance et, jusqu'à la fin, compagnon de ses jours et de ses nuits. Selon certains auteurs, Héphaistion serait né le même jour et la même année qu'Alexandre ; selon d'autres, il y aurait quelques mois — voire une année —, de différence entre les deux jeunes natifs de Pella.


Depuis la lecture de La jeunesse d'Alexandre, de Roger Peyrefitte, j'ai appris à mieux connaître Héphaistion et, ces dernières semaines, Le feu du ciel, de Mary Renault, me l'a fait découvrir et aimer davantage, d'autant plus que j'ai pu bénéficier des lumières de quelqu'un qui a beaucoup étudié cette période et qui s'est intéressé, plus particulièrement, à la relation entre Alexandre et Héphaistion.

Toutes ces images ne proviennent pas, vous l'aurez deviné, de l'album de famille. Elles sont tirées du film ou de la publicité de celui-ci qu'a réalisé Oliver Stone sur Alexandre le Grand.


Quant à cette dernière, elle illustre le stylo que Montblanc a consacré au plus grand conquérant de tous les temps.

Je compte bien accompagner un jour quelqu'un qui m'est très cher et qui entend faire le pèlerinage à Pella, lieu de naissance d'Alexandre et d'Héphaistion.

Ajout du 22 juillet 2008 : À cause de son habileté à protéger les troupeaux, on a donné au personnage Pâris, de la mythologie grecque, le surnom d'Alexandre car, en grec Αλέξανδρος / Aléxandros, signifie « protecteur des hommes ».
On fête généralement la Saint-Alexandre le 22 avril. Originaire de Phrygie en Asie mineure, Saint-Alexandre de Lyon pratiquait la médecine lorsqu'il fut martyrisé en 177 en tant que chrétien.

vendredi 13 juin 2008

Pour saluer Alexandre

Depuis ma première lecture, quand j'avais dix-sept ans, du roman de Roger Peyrefitte, Les amitiés particulières, le personnage d'Alexandre le Grand est pour moi le plus fascinant des personnages historiques. Et le prénom Alexandre est resté l'un des prénoms les plus beaux ; j'ai toujours dit que si j'avais un fils, il s'appellerait Alexandre. Je n'aurai sans doute jamais de fils, mais, qui sait...

Alexandre et Héphaistion

C'est, aujourd'hui 13 juin, l'anniversaire de la mort d'Alexandre le Grand et je tenais à le souligner.

J'ai entrepris récemment la lecture de la biographie que Mary Renault a consacré à Alexandre. J'avais lu, il y a plusieurs années, le deuxième volume de cette trilogie, L'enfant perse. Alexander, l'ami anglais qui commente souvent des articles de ce blogue depuis qu'il l'a découvert en avril dernier, me faisait remarquer que le premier tome de la trilogie de Mary Renault est le plus intéressant si l'on veut connaître l'enfance et l'adolescence d'Alexandre, sa conquête du cheval Bucéphale, le début de son amitié avec Héphaistion, de l'arrivée d'Aristote comme maître de philosophie, etc. J'ai donc acheté le premier et le troisième tomes et j'ai immédiatement entrepris la lecture du premier, Le feu du ciel. Je lis lentement, je prends des notes, mais c'est un livre qui se lit facilement comme un roman. Je ne suis pas pressé d'arriver au bout de ce premier tome mais, connaissant un peu les grandes lignes de la vie d'Alexandre le Grand, je me suis toujours demandé pourquoi un grand conquérant comme lui était mort sans héritier et sans avoir laissé de dispositions pour la suite. L'une des explications possibles, c'est que la mort d'Héphaistion l'ait laissé désemparé.

Espérant trouver une réponse à cette question dans le troisième volume de la trilogie de Mary Renault, j'ai feuilleté les dernières pages des Jeux funéraires, et je suis tombé, à la toute fin, sur une note de l'auteur. J'en citerai ici les trois premiers paragraphes.

Alexandre le Grand par Arno Breker (1900-1991)
inspiré de la biographie d'Alexandre par Roger Peyrefitte


« Parmi les nombreux mystères de la vie d'Alexandre, l'un des plus étranges concerne son attitude face à sa propre mort. Sa bravoure était légendaire. Dans toutes les actions, il allait systématiquement s'exposer là où le danger était le plus grand. S'il croyait être le fils d'un dieu, cette ascendance n'assurait nullement, dans la tradition grecque, l'immortalité. Il avait été à plusieurs reprises grièvement blessé, et avait failli mourir de maladie. On aurait donc été en droit d'attendre qu'un homme si vigilant aux hasards de la guerre ait pris toutes ses dispositions pour celui-ci. Et pourtant, il l'a totalement ignoré. Il n'a même pas pris la peine d'engendrer un héritier avant la dernière année de sa vie, où il a dû sentir, après la très grave blessure reçue en Inde, que sa force vitale commençait à fléchir. Ce blocage psychologique, chez un homme dont les plans immenses étaient conçus pour dépasser de loin son temps de vie, restera toujours une énigme.
Si Héphaistion lui avait survécu, il est très probable que la régence lui serait tout naturellement revenue. Ce n'était pas seulement l'ami — et probablement l'amant — dévoué : il avait fait la preuve de son intelligence et de ses capacités, et sympathisait avec toutes les idées politiques d'Alexandre. Sa mort soudaine semble avoir ébranlé toutes les certitudes de celui-ci : il est clair qu'il ne s'était pas encore remis de ce choc lorsque ses jours ont pris fin, en partie d'ailleurs sous l'impact de cet événement. Même alors, pendant son ultime maladie, il continua à travailler aux plans de sa prochaine campagne jusqu'au moment où la parole lui fit défaut. Peut-être partageait-il cette idée que Shakespeare attribue à Jules César : « Les lâches meurent bien des fois avant leur dernier jour ; le brave ne goûte à la mort qu'une seule fois. »
S'il porte une responsabilité dans la sanglante lutte pour le pouvoir qui a suivi sa mort, il ne faut pas la chercher dans son comportement en tant que chef. Il obéissait au contraire à des critères moraux élevés pour l'époque, et l'on peut soutenir qu'il a bridé chez ses principaux officiers l'absence de scrupules et la déloyauté qui ont fait surface lorsque son influence a disparu. S'il est à blâmer, c'est de ne pas avoir fait un bon mariage dynastique et engendré un héritier avant de passer en Asie. S'il avait laissé, à sa mort, un fils de treize ou quatorze ans, jamais les Macédoniens n'auraient pris un instant en considération un autre prétendant. »
Mary Renault, Les jeux funéraires.

vendredi 6 janvier 2006

Les nouvelles confessions

Rassurez-vous : en dépit du titre, je ne me propose pas de battre Jean-Jacques Rousseau sur son propre terrain, l'autobiographie autoflagellante, ni même de tenter d'égaler William Boyd, cet auteur anglais chaudement recommandé par Bernard Pivot* qui a justement publié il y a quelques années ses Nouvelles confessions. Je me contenterai de parler d'un aspect de ma vie : ma sexualité.

Dans mon billet d'hier, au sujet de la pureté, je me suis trop avancé et me suis piégé moi-même en annonçant que je ne parlerais de ma vie sexuelle qu'en présence de mon avocat : or, deux avocats se sont présentés (et comme je ne les ai pas moi-même sollicités et que nous n'avons pas parlé d'honoraires, je les avise qu'ils travailleront bénévolement ; c'est peu fréquent, je sais : j'en connais un seul, parmi les plus réputés, qui accepte des clients désargentés quand leur cause concerne les droits de la personne, par exemple).

Je ne sais pas si vous vous souvenez d'un film de Michel Deville, Benjamin ou les mémoires d'un puceau, avec Michèle Morgan, Catherine Deneuve, Michel Piccoli et... Pierre Clementi. C'est l'histoire d'un garçon élevé sans la moindre notion de sexualité, qui arrive à un âge où le désir des autres s'adresse à lui, mais devant tant d'innocence (ces gens de son entourage sont bien élevés), personne ne veut trop brusquement faire prendre conscience à ce jeune homme des choses de la vie. Benjamin, interprété par Pierre Clementi, est tout à fait charmant et désirable, en effet, et son parrain, joué par Michel Piccoli, trouve qu'il est temps que son filleul soit initié aux plaisirs qui font d'un garçon un homme, et il prend les moyens pour que cela se produise. L'histoire se déroule au dix-huitième siècle et le souvenir que je conserve (mes souvenirs ne datent pas, eux, du XVIIIe siècle, rassurez-vous) de la seule fois que j'ai pu voir ce film me donne envie de le revoir.

Quel rapport entre ce film et ma vie sexuelle qui, selon le test dont je parlais avant-hier, prend une place assez importante dans ma vie, au point de me faire faire des choses qui ne sont pas exactement dans les normes ? Non, évidemmement, vous ne me croiriez pas si je vous disais qu'à dix-huit ans, j'étais encore puceau et, surtout, que je n'avais absolument aucune idée de la sexualité. Alors, c'est déjà une réponse en soi. Mais peut-être serait-il pertinent d'ajouter que j'aurais beaucoup aimé faire partie de l'entourage de Benjamin, dans ce film, et que Pierre Clementi, l'acteur, ne m'a jamais laissé indifférent. Malheureusement, il n'était pas très sage dans la vraie vie, il n'a pas beaucoup tourné (on l'a vu dans la Porcherie, puis dans le Conformiste), et il est mort trop jeune, victime de son train de vie. Il m'est arrivé de rencontrer par la suite des garçons qui me faisaient penser à Pierre Clementi, d'abord à Paris, quand j'avais vingt, puis à Montréal ensuite, mais je ne leur ai jamais demandé de jouer les Clementi ; leur charme propre suffisait tout à fait à mon bonheur.

Dès la première page de son autobiographie, André Gide écrit ceci :

Je revois aussi une assez grande table, celle de la salle à manger sans doute, recouverte d'un tapis bas tombant ; au-dessous de quoi je me glissais avec le fils de la concierge, un bambin de mon âge qui venait parfois me retrouver.
« Qu'est-ce que vous fabriquez là-dessous ? criait ma bonne.

— Rien. Nous jouons. »
Et l'on agitait bruyamment quelques jouets qu'on avait emportés pour la frime. En vérité nous nous amusions autrement : l'un près de l'autre, mais non l'un avec l'autre pourtant, nous avions ce que j'ai su plus tard qu'on appelait « de mauvaises habitudes ».

Qui de nous deux en avait instruit l'autre ? et de qui le premier les tenait-il ? Je ne sais. Il faut bien admettre qu'un enfant parfois à nouveau les invente. Pour moi je ne puis dire si quelqu'un m'enseigna ou comment je découvris le plaisir ; mais aussi loin que ma mémoire remonte en arrière, il est là. »

Quelques lignes plus loin, dans ces premières pages de Si le grain ne meurt, André Gide ajoute : « À cet âge innocent où l'on voudrait que toute l'âme ne soit que transparence, tendresse et pureté, je ne revois en moi qu'ombre, laideur, sournoiserie. »



S'il y avait parfois des bonnes, il n'y avait pas de concierge chez nous, ni de grand tapis tombant bas sur une table au-dessous de laquelle je pouvais m'abriter. Tous les bâtiments de la ferme, les champs et la forêt à proximité étaient toutefois susceptibles d'offrir à l'enfant, puis à l'adolescent, des terrains propices à des jeux secrets.


Je crois que dès les premières années de mon enfance, j'avais une curiosité intellectuelle qui ne demandait qu'à servir. Puisque l'on n'avait pas forcément le temps de s'occuper de moi, de m'instruire en dehors des heures de classe et des devoirs à la maison et que, de toute façon, je ne vois pas ce qu'on aurait pu m'enseigner, car toute l'instruction disponible l'était à l'école et dans les manuels, j'étais bien obligé de découvrir moi-même ce que l'on ne jugeait pas utile ou pertinent de m'enseigner.


À six ans, donc, je me suis fait surprendre par la mère de petits voisins en train d'essayer de découvrir avec l'un d'eux la notion de plaisir auquel fait allusion André Gide dans le passage cité plus haut. Peu de temps après, je me suis fait surprendre par une autre voisine en train d'essayer de comprendre ce qui faisait que sa fille était une fille et moi un garçon. Comme on peut en juger, ma curiosité ne faisait pas de discrimination. Pour me rendre justice, il me semble que ces deux mères auraient dû unir leurs voix et proclamer haut et fort que j'étais l'un de ces futurs hommes qui risquaient de n'être pas sexiste. Leur silence a dû peser lourd dans les orientations que j'ai prises plus tard...


Il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions et me classer parmi les obsédés et les dépravés. Je veux bien croire, avec André Gide, que l'enfance n'est pas toujours aussi innocente que ne voudraient le croire les mères, mais je ne voyais pas en moi non plus « qu'ombre, laideur, sournoiserie. » Pour l'obsession, je veux bien négocier, mais pour la dépravation, il n'en est pas question : je fais immédiatement appel à mon avocat. N'oubliez pas que j'étais le fils de l'institutrice principale, le frère d'une autre ; j'étais premier de classe et l'on me citait en exemple tant à l'école qu'à l'église. C'est simplement que, n'en déplaise à monsieur François Mauriac, je n'avais pas toujours les Mains jointes. J'étais un enfant raisonnablement pieux, qui allait communier à la messe du dimanche et, sans être sacrilège, je n'étais pas non plus un faux dévot, ni un être timoré sorti tout droit des romans de l'illustre écrivain catholique. Si, au début de l'adolescence, j'avais pu choisir le roman qui servirait de cadre à mon éducation, j'aurais plutôt choisi le premier roman d'un autre écrivain qui, s'il n'avait pas toujours les mains dans le bénitier, a eu le mérite de choisir la franchise et d'assumer sa vérité. C'est bien tard, à dix-sept ou dix-huit ans, que j'ai découvert le roman de Roger Peyrefitte, Les Amitiés particulières. Jean Delannoy a réalisé un film à partir de ce roman ; et c'est après avoir vu ce film qu'un voisin de deux ans plus jeune que moi, qui venait souvent à la maison voir mes soeurs, m'en a parlé. Je n'ai pas pu voir le film à ce moment-là mais un jour, en passant devant la vitrine d'une librairie, j'ai aperçu le roman et, sans hésiter, puisque R. m'avait vaguement mentionné de quoi il s'agissait, je suis entré et j'ai acheté le roman dans une collection de poche.


La lecture de ce roman fut pour moi une révélation ! Pas sur le plan sexuel, car si l'auteur faisait allusion aux sous-entendus des adolescents pensionnaires d'un collège classique, l'histoire tournait beaucoup plus autour des premiers émois amoureux d'enfants et d'adolescents, de garçons, en somme, condamnés (si on peut employer ce mot) à vivre ensemble comme dans une serre chaude. Ce qui m'a d'abord séduit, c'étaient les mots subtils et nobles que l'on employait pour décrire ce que, à notre façon et dans un contexte tout autre, nous vivions discrètement, mon voisin et moi. J'ai compris pourquoi il m'avait parlé de ce film, qui avait dû le marquer plus qu'il n'osait le reconnaître devant ma soeur qui avait vu le film avec lui. À compter du moment où j'avais lu le livre, que je lui ai prêté ensuite, tout fut beaucoup plus clair entre nous ; rien n'a changé dans notre relation ; notre amitié amoureuse continua d'être aussi chaste qu'elle l'avait été, mais on aurait dit que le film et le roman l'avaient légitimée et lui proposaient un idéal, des modèles qui ne pouvaient que lui permettre de traverser le temps.

Plus encore que sur le plan de l'amitié et des sentiments amoureux, ce roman de Roger Peyrefitte m'a ouvert les yeux sur un univers dont je ne soupçonnais même pas l'existence : celui de la culture, de l'histoire, de l'art, des lettres, de l'Antiquité, en particulier. Et en même temps, j'ai vraiment pris conscience d'être passé, quelques années plus tôt, à côté d'une occasion unique : celle d'entreprendre des études classiques dès l'âge de douze ans, comme il en avait été brièvement question dans la famille. J'aurais alors été interne dans un collège tout de même assez loin de chez mes parents ; mais j'aurais alors eu accès à tout ce dont j'avais appris l'existence dans ce roman. Je sais qu'il ne sert à rien de regretter, qu'on ne peut pas changer son histoire, refaire sa vie ; on ne peut que la continuer là où l'on se trouve. Durant plusieurs années, je n'ai cependant pas pu m'empêcher d'en vouloir à mes éducateurs de ne pas m'avoir vraiment offert le choix de faire des études classiques ou de poursuivre mes études à l'école du village. La question s'était posée ; sauf que la décision s'est vraiment prise à mon insu, ou plutôt : le temps avait passé sans que la décision se prenne de m'envoyer au collège, sans que je puisse d'abord en connaître les enjeux et ensuite donner mon avis.

Imaginez ce que serait devenue ma vie affective dans un collège où j'aurais pu vraiment apprendre quelque chose, où l'accent aurait été mis davantage sur les nourritures intellectuelles (et spirituelles) que sur les nourritures terrestres, où j'aurais aussi été entouré d'autres garçons intéressés aux Lettres, aux Arts... Le milieu aurait certainement été plus favorable à l'éclosion d'amitiés intellectuelles tout autant qu'amoureuses, pour certains. Au lieu de cela, j'occupais sur les bancs de l'école un certain nombre d'heures de la journée, et j'essayais d'apprendre un certain nombre des vraies choses de la vie le reste du temps.

Prochainement sur cet écran : la suite des Nouvelles confessions.

* Lors de la publication de Comme neige au soleil, Bernard Pivot avait même annoncé qu'il rembourserait personnellement quiconque aurait acheté ce roman de William Boyd et qui ne l'aurait pas aimé.