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jeudi 19 mars 2015

Sortie royale

Il y a plus d'une façon de « sortir de l'ombre ». Cet hiver est tellement rigoureux qu'on se demande si l'on en sortira un jour. C'est la première fois de ma vie que je rêve de vacances dans un « pays chaud » (je ne suis pas très exigeant : par pays chaud, j'entends par exemple un pays européen où il ferait deux ou trois degrés Celsius, en ce moment, plutôt que les moins trente que nous connaissons encore en tenant compte du facteur vent). Notre collègue et amie Dr CaSo est sortie, il y a quelques jours explorer son quartier. Je connais très bien le mien, mais je n'ai pas encore très envie de m'y promener à cause du froid qu'il a fait cet hiver et qui continue ; je me contente de faire les courses le plus près de chez moi possible. Dr CaSo raconte qu'au cours de sa promenade, alors qu'elle était assise sur un banc, un vieux monsieur promenant son chien est venu lui parler et, après être reparti, est revenu lui faire un compliment, ce qui m'a donné l'occasion de raconter en commentaire une petite anecdote sur les interactions plus ou moins brèves que l'on peut avoir avec des personnes que l'on ne ne connaît pas du tout ou à qui l'on a affaire dans les magasins, les bureaux, etc. J'y prends parfois un certain plaisir...

Mercredi soir, je suis passé à la Grande Bibliothèque (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) pour y prendre quelques documents que j'avais réservé. Je me dirigeais vers l'une des sorties qui donne sur un jardin (où l'on se demande encore, ces jours-ci, si on ne risque pas de tomber sur des ours polaires). J'étais à peu près seul dans ce couloir ; au moment où j'approchais de la porte, quelqu'un, un homme d'une quarantaine d'années, arrivait de l'extérieur. Je le voyais arriver, comme il me voyait aussi. Il aurait eu le temps d'ouvrir la porte, d'entrer, avant que j'arrive moi-même à cette porte. Je l'ai vu tirer sur la poignée, tenir la porte ouverte pour me laisser sortir. Quand je suis passé, je l'ai remercié ; il m'a répondu : « Monsieur, je devais vous ouvrir la porte, vous avez l'air d'un roi ! » Spontanément, j'ai porté mes mains à la tête en lui disant : « Vous êtes vraiment très perspicace, car je me rends compte que je suis sorti sans ma couronne. » Et il m'a répondu, avec le plus beau sourire : « Votre couronne lumineuse flotte tout autour de votre tête. » Il n'était pas intoxiqué et m'a semblé en pleine possession de toutes ses facultés ; et je n'ai pas senti non plus qu'il voulait me draguer, mais je dois dire qu'il rayonnait de bien-être...

En traversant ce jardin polaire, il m'a semblé que le froid était moins intense qu'au moment de mon arrivée, quelques minutes plus tôt... Son compliment avait certainement élevé quelque peu mon niveau d'énergie. Mais je ne me suis pas pris au sérieux pour autant. Dans l'ordre d'accession au trône, mon Petit Prince a une très bonne longueur d'avance sur moi.

dimanche 5 juin 2011

Un moment d'Obama... ou plutôt : d'embarras

En fin d'après-midi, samedi (je croyais que nous étions vendredi), je suis sorti faire une course et je m'étonnais de voir la plupart des magasins fermés... Je n'ai pas dépensé beaucoup d'argent mais en marchant, comme je le fais la plupart du temps quand mes neurones le permettent, je réfléchissais ou, plutôt, je dialoguais avec moi-même, en silence bien sûr. Un petit incident survenu quelques minutes plus tôt a entraîné ma pensée sur des questions de politesse, de courtoisie. Et, bien évidemment, j'ai songé à Alexander, que je pouvais imaginer dans toutes sortes d'événements, de situations, et qui jamais, jamais, n'aurait été pris en défaut. Il avait reçu une excellente éducation ; il connaissait toutes les bonnes manières, tous les codes, tous les protocoles auxquels il pouvait être exposé un jour ou l'autre. Plus important que toutes les règles, tous les codes, il possédait une noblesse naturelle, une très grande attention aux autres, la politesse du coeur.

Si la courtoisie naturelle est précieuse dans les relations personnelles, privées ou intimes, la connaissance des codes, des protocoles est indispensable dans certaines circonstances, dans les cérémonies officielles, par exemple. J'aurais aimé voir Alexander, concrètement, dans ce genre de situation : je sais qu'il aurait toujours été impeccable, mais le voir de mes yeux n'aurait fait qu'augmenter la part d'admiration que contient mon amour. Sa timidité lui aurait fait éviter de devoir prononcer une allocution comme celle que prononçait le président des États-Unis dans un dîner officiel en son honneur au Palais de Buckingham mais il aurait très bien su s'interrompre s'il avait été à la droite de la reine à la place de Barack Obama.


Cela vaut la peine, si on regarde la vidéo,
d'agrandir l'image au plein écran

Cette vidéo ne montre que la dernière minute de l'allocution du président Obama, mais une minute vraiment très embarrassante. Je ne sais pas comment lui-même a pris l'incident devant tout ce monde mais l'entourage de la reine ne savait plus où se mettre. Les joues de la duchesse de Cornouailles, sous son maquillage, étaient aussi rouges que l'uniforme de style tudor du Beefeater qui se tenait debout à l'arrière ; elle aurait eu envie de lui tirer la manche, comme on touche un chien pour le distraire d'un comportement à corriger. La reine elle-même, la seule qui pouvait vraiment faire quelque chose pendant « son » hymne national, a bien essayé de l'interrompre mais je pense que Barack Obama a voulu voir dans les gestes discrets de la reine un intérêt pour les derniers mots de son allocution, comme il a voulu croire que l'orchestre voulait donner plus d'emphase à ses derniers mots.

L'orchestre a sans doute attaqué un peu trop tôt l'hymne national britannique (et peut-être bien que le président des États-Unis a reçu des excuses pour cela) mais, dès les premières mesures, le président Obama aurait dû savoir se taire et attendre la fin de l'hymne national pour porter son toast. On ne parle pas, et surtout pas à la reine elle-même, durant le « God Save the Queen » ! Quoi qu'il arrive, le protocole veut que l'on ne mette jamais la reine dans l'embarras.

samedi 1 septembre 2007

Les bonnes manières

J'ai souvent été séduit par les bonnes manières dont faisaient preuve certaines personnes. Cela vient sans doute du fait que ma mère et ma sœur ont été mes premières institutrices ; ce statut de fils et de frère de l'institutrice m'imposait, au temps où les élèves respectaient l'autorité et se tenaient bien en classe et devant les adultes, de donner l'exemple à mes camarades. À l'adolescence, une belle-sœur et un beau-frère enseignants sont venus ajouter aux modèles familiaux pour ajouter plus de pression encore sur l'écolier exemplaire que j'étais la plupart du temps. Cette pression, je n'en étais pas vraiment conscient à cette époque ; je n'étais alors soucieux que d'apprendre et de donner le meilleur de moi-même à l'étude et aux travaux scolaires. Il m'est resté aussi de cette éducation, somme toute assez rudimentaire, le goût de la politesse et des bonnes manières.

Quand, à vingt ans, je vivais à Paris, je fréquentais principalement des artistes, chanteurs, danseurs, musiciens ; si certains d'entre eux avaient reçu une bonne éducation et vivaient assez bien, ceux que je voyais tous les jours vivaient, malgré eux, très modestement. Les cafés et les bistrots de Montparnasse leur servaient de moyen de communication, pour y laisser des messages, et nous tenaient souvent de lieux de rencontre. Toutefois, il m'arrivait d'être invité dans des salons du XVIe arrondissement ; c'est donc que je parvenais à me libérer des manières des habitués du café et du parfum tenace qui s'imprégnait dans les cheveux et dans les vêtements, mélange de tabac brun, de bière blonde sous pression, de café noir ou au lait et de frites dorées. Je me souviens d'un jeune Japonais dont la courtoisie et les bonnes manières m'avaient beaucoup impressionné quand j'avais dîné au restaurant avec lui et quelques amis. Venu étudier à Paris à dix-sept ans, je crois, Yuki était devenu l'amant de la femme qui l'hébergeait et qui devait avoir près de soixante-dix ans. Je ne doute pas un instant qu'au delà de l'amour qui les réunissait, il y avait un profond désir de parfaire une éducation déjà bien assise.

J'ai un ami, au titre nobiliaire dont il ne se sert pas et au passeport diplomatique qu'il n'utilise plus, qui a reçu une éducation européenne très rigoureuse. Sa courtoisie et ses manières sont impeccables. Si, à le fréquenter, j'ai appris à polir encore mes façons de me comporter en société, je dois dire qu'il a aussi appris avec moi la simplicité et le naturel dans la vie pratique. Noblesse oblige, d'accord, mais il faut aussi savoir s'adapter au monde dans lequel on vit. Quand je l'ai connu, il aimait répéter que lorsqu'un aristocrate a tout perdu, il lui reste les bonnes manières et le sens de l'humour ; avec lui, j'ai surtout insisté sur la simplicité et le sens de l'humour.

Jose Luis de Vilallonga
Madrid, 29 janvier 1920 - Palma de Majorque, 30 août 2007

Je repense à tout cela aujourd'hui en apprenant la mort , à 87 ans, de Jose Luis de Vilallonga, acteur et écrivain. Je l'ai vu plusieurs fois à la télévision dans des films que je serais bien en peine d'identifier. Je n'ai de lui que de lointains souvenirs, mais il faisait beaucoup penser à un grand acteur français que j'ai toujours admiré pour son talent mais aussi pour ses qualités d'homme : Michel Piccoli. Il me semblait de la trempe d'un autre grand du cinéma, descendant d'une autre grande famille aristocratique, milanaise celle-là, le duc de Modrone, mieux connu sous le nom de Luchino Visconti, metteur en scène et écrivain, mais surtout réalisateur de cinéma, parmi lesquels il y a plusieurs de mes préférés ; il est décédé quelques mois avant Maria Callas qu'il avait dirigée à l'opéra dans la mise en scène de La Sonnambula de Bellini et La Traviata de Giuseppe Verdi. S'il partageait avec Luchino Visconti l'appartenance à l'aristocratie, à un monde qui ne jouissait plus de ses privilèges, Jose Luis de Vilallonga ne semblait pas confiné dans la solitude résignée des personnages principaux du réalisateur italien dans deux de ses plus beaux films : Le Guépard et Violence et passion.

Jose Luis de Vilallonga a joué notamment dans Les Amants, de Louis Malle, dans Juliette des esprits, de Fellini, mais je ne garde pas de souvenir précis de ses rôles ni de son interprétation. Il a écrit une dizaine de livres, romans, récit et essais, que je n'ai pas lus non plus. Il y a plusieurs années, je m'étais dit que j'essaierais de lire l'un de ses romans, ne serait-ce que pour en découvrir le décor, l'atmosphère et les valeurs sous-tendues ; je n'ai jamais eu l'occasion de le faire. Aujourd'hui, je pense que si je pouvais revenir en arrière, je serais sûrement plus tenté de lire un récit qu'il a écrit sur le dictateur Franco « qui a géré [l'Espagne] comme une ferme »* ou un livre d'entretien avec le roi Juan Carlos.


Je ne sais pas si Jose Luis de la Vilallonga était un bon acteur ou un bon écrivain, mais je me souviens d'un entretien télévisé qui m'avait impressionné alors que j'étais encore très jeune. Quelques mois auparavant, j'avais lu La soirée avec monsieur Teste, de Paul Valéry, qui décrit un homme qui s'efforce de n'être qu'un esprit, éliminant tout geste, toute parole inutile et qui avait, en quelque sorte, « tué la marionnette » en lui. Autant, alors, je m'efforçais d'apprendre à m'exprimer, autant j'étais fasciné par le minimalisme, l'extrême discrétion de M. Teste, que j'essayais d'imiter à mes heures ; je n'y arrivais pas souvent, mais l'exercice était en soit très formateur.


Les animateurs de radio et de télévision n'ont pas la réputation d'être discrets et, trop souvent, ils considèrent leurs questions plus intéressantes que les réponses des personnes qu'elles reçoivent à leur émission, ce qui les fait souvent interrompre leurs invités, manquant en cela de respect envers l'invité et envers les auditeurs intéressés à entendre les réponses. Ne parlons pas des animateurs incompétents qui, dévorés par le trac, n'ont en tête que leurs questions préparées d'avance et qui sans se rendre compte que l'invité est en train de répondre passent à la question suivante.

Un soir, donc, à la télévision, Jose Luis de Vilallonga répondait aux questions d'une femme intelligente mais qui n'était sans doute pas du genre de celles qui inspiraient le séducteur. Ce n'est pas au sujet de cet entretien que Baudelaire aurait écrit qu'« aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste »**. J'avais été très impressionné de la parfaite maîtrise qu'avait de lui-même Jose Luis de Vilallonga ; dès que l'animatrice ouvrait la bouche, quelle que soit la phrase qu'il était en train de prononcer, quel que soit le geste qui discrètement l'accompagnait, il s'arrêtait net et son geste devenait une invitation à l'intervention de l'animatrice qui fut quelques fois décontenancée par cette extrême courtoisie. Si l'acteur, écrivain et marquis espagnol qu'il était n'avait pas l'intention de séduire l'animatrice, il était tout de même conscient que des centaines de milliers de téléspectateurs, ou davantage, avaient les yeux rivés sur lui. Et, mieux que quiconque, il savait pertinemment que, en matière de séduction, un silence vaut mille mots.

* Je ne sais plus où j'ai vu cette expression, « qui a géré le pays comme une ferme » ; il s'agit sans doute une citation de Jose Luis Vilallonga ; si elle n'est pas tirée de son récit sur Franco, Le sabre du caudillo, elle doit être tirée de ses Oeuvres complètes. - Ajout : J'ai trouvé : le titre exact du récit consacré à Franco est Le sabre du caudillo : histoire secrète de l'homme qui gouverna l'Espagne comme s'il s'agissait d'une ferme ; j'ai dû lire quelque part, je ne sais où, une allusion à ce livre.

** Baudelaire pensait sans doute alors au plaisir de l'homosexuel, qui n'est pas du même ordre que celui du pédéraste ; à force d'employer les mêmes mots à toutes les sauces, ils finissent par ne plus pouvoir indiquer les nuances et les distinctions.