mercredi 19 mars 2025

Rupert et ses amis

Rupert avait tant d'amis et d'admirateurs qu'un grand nombre d'entre eux, pour quelque raison que ce soit, ignorent encore sa disparition.

Nous habitions au centre-ville de Montréal, près de l'université McGill ; des milliers de personnes passent chaque jour devant notre maison. Et comme Rupert voulait toujours être dehors (deux heures ou plus à chaque sortie, trois fois par jour), il y avait pratiquement toujours quelqu'un qui venait le saluer, lui faire un câlin, jouer avec lui. Tous les passants l'appelaient par son nom. Certains faisaient de grands détour pour venir saluer Rupert en se rendant au travail ou en revenant. Un jour une femme s'est arrêtée pour me demander si elle pouvait caresser mon chien ; quand elle s'est penchée pour le caresser, elle m'a demandé ; « C'est Rupert ? » Je lui ai répondu : « Oui, bien sûr, c'est Rupert. » Et j'ai demandé si elle ne l'avait jamais rencontré auparavant ; elle m'a répondu : « Non, mais à McGill, tout le monde connaît Rupert. » C'est arrivé aussi plusieurs fois que quelqu'un descende d'une voiture venant d'une autre province canadienne, ou même des États-Unis et, en voyant le chien, demande si c'était Rupert. Car leurs fils ou leurs filles étudiaient à Montréal et ne cessaient de parler de Rupert à leurs parents...

L'automne dernier, je ne sais pourquoi, (contrairement aux années précédentes, même l'hiver) nous pouvions passer de longs moments dehors sans que personne que nous connaissions vienne nous voir. Rupert était déçu et triste ; il continuait de surveiller l'intersection en espérant voir arriver des amis. Mais, souvent, son attente était déçue. Je lui parlais, disant que je comprenais sa déception, que je ressentais et partageais sa tristesse, que je ne savais pas pourquoi ses amis ne venaient pas, mais que sans doute « demain », ses amis viendraient... C'était important pour lui, comme pour moi, que je lui parle ainsi, et je sais qu'il comprenait et qu'il appréciait que je mette des mots sur ses émotions.

Pour annoncer son départ à ses amis impossibles à joindre, j'ai posé sur le mur devant la maison, à côté de ce banc où il aimait s'asseoir pour surveiller l'arrivée des amis, une photo de Rupert, avec sa date de naissance et la date de sa disparition, avec son adresse électronique :

 Puis j'ai placé dans la fenêtre au-dessus de ce banc un message de Rupert à ses amis :

Et la traduction anglaise du même message :

 Avec l'empreinte véritable de Rupert (en format réduit).

Grâce à l'adresse électronique affichée, nous recevons de temps à autre des messages de condoléances et des témoignages émouvants de personnes que nous ne pourrions pas rejoindre autrement.

Rupert a été incinéré et je conserve ses cendres dans un joli et discret coffret en bois d'acacia, que j'ai posé sur le rebord d'une fenêtre en face du bureau où je travaille ; sur le coffret, j'ai posé une image encadrée de Rupert. devant le coffret et la photo, j'ai posé quelques petits objets objets en cristal, dont une petite pyramide qu'un ami m'a rapportée d'Égypte au moment du départ d'Alexander, puis un petit cube à l'intérieur duquel est gravé un papillon, symbole de la transformation, de l'évolution, du passage à une autre étape de la vie. Et une bougie reste allumée devant ce petit autel, une façon de dire à Rupert qu'il ne sera jamais oublié, en évoquant ces mots que l'on attribue, sans doute faussement, à Victor Hugo :

« Tu n'es plus où tu étais,
tu es partout où je suis. »