On m'a souvent dit : « C'est facile d'écrire pour toi, tu as du vocabulaire ». Quand j'avais un dictionnaire sous la main, je le leur tendais en disant : « Voilà, tu en as maintenant beaucoup plus que moi ; ce devrait être très facile ».
Je me suis parfois amusé à retranscrire tous les mots qu'un écrivain avait utilisé dans l'un de ses romans en pensant que si j'utilisais toutes les pierres qu'il me fournissait je pourrais essayer de reconstruire son palais. Je ne suis cependant jamais passé à l'acte. Il me plaît toutefois de savoir que j'ai démonté pierre par pierre des chefs-d'oeuvre de la littérature, sans détériorer les oeuvres en question et que je possède ainsi le trésor d'un carrier qui a sélectionné les plus belles pierres qui soient pour un chef-d'oeuvre donné. Constatation amusante : l'anagramme de carrier donne récrira...
Une autre façon de décortiquer un texte, c'est de le chiffrer en additionnant un certain nombre de données. Il n'y a rien de poétique dans cette activité, mais ces données pourraient servir à améliorer le texte si l'on s'en donnait la peine.
Par exemple, dans le billet précédent, intitulé « J'irai cracher sur vos tombes », voici ce que l'on trouve :
Ce texte contient 19 charnières qui en assurent la logique. On y trouve 7 mots ou expressions entre guillemets et 1 incise.
Je me suis parfois amusé à retranscrire tous les mots qu'un écrivain avait utilisé dans l'un de ses romans en pensant que si j'utilisais toutes les pierres qu'il me fournissait je pourrais essayer de reconstruire son palais. Je ne suis cependant jamais passé à l'acte. Il me plaît toutefois de savoir que j'ai démonté pierre par pierre des chefs-d'oeuvre de la littérature, sans détériorer les oeuvres en question et que je possède ainsi le trésor d'un carrier qui a sélectionné les plus belles pierres qui soient pour un chef-d'oeuvre donné. Constatation amusante : l'anagramme de carrier donne récrira...
Une autre façon de décortiquer un texte, c'est de le chiffrer en additionnant un certain nombre de données. Il n'y a rien de poétique dans cette activité, mais ces données pourraient servir à améliorer le texte si l'on s'en donnait la peine.
Par exemple, dans le billet précédent, intitulé « J'irai cracher sur vos tombes », voici ce que l'on trouve :
Ce texte contient 19 charnières qui en assurent la logique. On y trouve 7 mots ou expressions entre guillemets et 1 incise.
En matière de style, le texte contient :
100 répétitions (pas 100 fois le même mot, tout de même)
9 phrases longues (on ne se refait pas facilement)
25 verbes ternes (c’est beaucoup, non ?)
4 verbes absents dans des segments de phrases
On n'y trouve aucun régionalisme. Toutefois, il contient deux mots dont le niveau de langue se distingue ; le premier, très familier (pisser, que j’assume) et un autre plus soutenu (ratiocinations, que j’assume aussi).
Sur le plan sémantique, il y a :
43 éléments faibles (vague, plus, autre, quelques-uns, etc.)
79 éléments forts (la plupart, scandale, trop, dominé, convaincre, choquer, impasse, engagé, …)
59 éléments négatifs (scandale, rebelle, pervertir, émoustiller, etc.)
51 éléments positifs (sage, émanciper, volonté, séduisant, attention, capable, etc.)
Il contient aussi 7 tournures passives, 21 négatives et 1 participiale.
Aucune abréviation, mais 2 mots inconnus (Lady Chatterly et trudeaumanie).
37 mots ou expressions désignent les locuteurs (je, me, moi-même, etc.)
De plus, il renferme :
66 noms propres
269 noms communs
109 adjectifs
224 verbes
96 adverbes
144 pronoms
211 déterminants (un, le, la, ses, etc.)
13 numéraux (dix-huit, dix-neuf, vingt, …)
191 prépositions
79 conjonctions
1 interjection
169 signes de ponctuation
Il comprend :
138 groupes nominaux
158 groupes prépositionnels
127 groupes verbaux
3 parenthèses
On y compte diverses fonctions :
109 sujets
152 compléments d’objet
116 compléments adverbiaux
3 pronoms sans fonction (me, se)
93 épithètes
21 attributs
164 flexions féminines
285 fluxions masculines
En matière de conjugaisons, le texte contient :
55 à l’infinitif
119 à l’indicatif
3 au subjonctif
3 au conditionnel
Aucune à l’impératif
1 rectification orthographique possible (coûte, que j’aurais pu, selon la nouvelle orthographe, écrire sans accent).
Je n'ai pas encore réfléchi à la valeur commerciale de ces divers éléments d'un texte. En principe, un terme fort ou positif vaut plus cher qu'un terme faible ou négatif. Il m'est arrivé récemment de devoir justifier à un client une facture plus élevée que ce qu'il avait cru. Je n'ai pas eu de mal à lui expliquer longuement que le choix des mots du texte qu'il m'avait demandé valait plus cher que celui d'autres textes qu'il m'avait commandés précédemment, non pas à cause des mots eux-mêmes mais parce qu'il s'agissait d'un texte qui devait être à la fois invitant et précis ; le nombre de synonymes était plus restreint et il fallait choisir le bon, ce qui pouvait exiger plus de temps...
17 commentaires:
Je me demandais où tu t'en allais avec ce texte, mais étant donné que c'est rentable et que ça donne des résultats sur les contrats, tu as trouvé un bon filon. Avec toute cette comptabilité, abandonne Word et utilise plutôt Excel.
P.S. Tu devrais faire breveter ton système.
Bouche bée je suis. On devinera pourquoi.
Lux : je n'allais vraiment nulle part avec ce texte. L'idée était de donner quelques chiffres que je ne savais comment présenter. Le texte aurait dû prendre quelques lignes en petits caractères, une note en bas de page, en fait.
Je trouve amusant de savoir combien mon texte contient de verbes ternes ou de termes négatifs ; en principe, ces renseignements me permettraient d'améliorer mon texte en corrigeant ses faiblesses... à condition de vouloir y consacrer encore du temps.
Je ne prends habituellement pas ce temps pour les textes du blogue : j'écris lentement, mais d'un jet. Quand j'arrive au bout, je le publie immédiatement, alors que je pourrais très bien le laisser de côté quelques heures afin de le retravailler, mais je ne le fais pas.
Je peux travailler longtemps sur un texte, mais pas sur les textes de ce blogue ; j'ai besoin d'écrire ici au moment où j'ai envie de dire quelque chose. Généralement, je ne publie jamais les articles commencés qui ne sont pas finis ; j'en ai plusieurs conservés ainsi à l'état de brouillons. Il serait étonnant que je les reprenne et que je les publie car si l'émotion n'était pas suffisante pour me faire aller au bout la première fois, je n'aurai sans doute pas plus la motivation en y revenant. À moins que le sujet me tienne vraiment à coeur ; à ce moment-là, je traiterai le texte comme un travail à terminer.
Je ne dirais pas, comme Racine : « Ma pièce est terminée, il ne me reste qu'à l'écrire ». Mais, généralement,le texte est assez clair dans ma tête au moment où je le commence et comme il s'agit d'exprimer d'abord des émotions, contenues ou pas, il arrive qui soit plus long que ce que j'avais en tête au départ, rarement plus court. Le travail de l'écrivain serait justement d'enlever tout le superflu pour ne garder que l'essentiel, ce qui donne au texte sa force. Mais je ne fais pas ici un travail d'écrivain ; j'exprime des émotions, des sentiments, des idées parfois. Je n'essaie pas de créer des textes qui soient autonomes, qui existent par eux-mêmes, détachés de ma biographie. Ces textes ne constituent pas mon récit de vie mais, la plupart du temps, ils en font partie.
V à l'Ouest : si tu respires par le nez, il n'y a pas de problème.
On devine encore mieux quand c'est dit, non ? ;o)
Je sens que je dois dissiper ici un malentendu : je n'ai évidemment pas analysé moi-même mon texte pour en tirer ces chiffres. Il existe des outils d'aide à la rédaction qui font ce travail, au moins un.
Si j'avais moi-même analysé le texte, comment aurais-je pu affirmer, par exemple, qu'il contient 25 verbes ternes ? Si je les ai utilisés spontanément, saurais-je reconnaître à la relecture que ce sont des verbes ternes ? Et si je les avais reconnus, n'aurais-je pas dû les remplacer par d'autres plus intéressants ?
Bien sûr, je savais quels étaient ces verbes que le logiciel m'indiquait comme ternes mais, le texte écrit et mis en ligne, je n'avais plus envie de le changer, si ce n'est pour corriger une coquille ou un problème de typographie.
Ne sachant comment insérer dans mes textes sur ce blogue des espaces insécables, je dois parfois changer un mot pour un autre afin que mes guillemets français (« », et non les guillemets anglais " ") ouvrants ou fermants ne se trouvent seuls en fin ou en début de ligne...
Mais qu'est-ce qu'un verbe terne?
Et comment distinguer un élément fort d'un élément faible?
Et moi qui me croyais un quasi-professionnel de la langue!
Pitou, G., je suppose : Un verbe terne est un de ces verbes que l'on emploie trop souvent et que l'on aurait intérêt à changer pour un autre, comme : « être », « avoir », « avoir été », « faire », etc.
Dans ce type d'analyse, un élément faible ce sera « certains » plutôt que « de nombreux », par exemple, ou « parfois » au lieu de « souvent » ou de « toujours », « quelques-uns « au lieu de « tous »...
Ça ne veut pas dire qu'il faut remplacer les termes faibles ou négatifs par des termes forts ou positifs ; il ne faut pas dire le contraire de ce que l'on veut dire. Mais ce genre de renseignement est utile quand on veut susciter chez le lecteur une réaction négative ou au contraire une adhésion.
Si j'écris un article sur un certain président, par exemple, j'aurai plutôt envie d'employer des termes faibles ou négatifs pour exprimer ma pensée mais aussi, si telle est mon intention, pour ne pas créer chez le lecteur une image forte du président en question.
Si, au contraire, j'écris un article sur une jeune conseiller municipal récemment élu, un certain Pitou V., par exemple, j'emploierai des termes forts et positifs ; d'une part, ils correspondent à mon opinion et, d'autre part, je voudrai que les lecteurs retiennent de lui une image forte et positive...
Ce type d'analyse de texte n'est pas le même que tu es habitué à faire. On ne s'occupe pas trop, ici, du contenu, des idées ; on analyse simplement la grammaire, la syntaxe, les éléments qui composent le texte et non pas le sens du texte. Après tout, c'est un logiciel qui fait cette analyse : il ne faut pas lui demander de donner son opinion sur le fait que je ne devrais pas affirmer telle ou telle chose.
Si toutefois j'écrivais que tel événement est survenu le dimanche 25 avril 2008, le logiciel me dirait qu'il y a un problème : soit que vendredi n'est pas la bonne journée soit que le 25 avril 2008 n'est pas la bonne date.
Ah, un logiciel se cachait là-dessous. Alcib, je te replace au niveau des simples mortels. Ça m'inquiétait un peu, ce dépeçage de texte. Moi qui te considérais déjà comme un être littérairement supérieur, là tu devenais carrément hors de portée.
V à l'Ouest : rassure-toi. Je ne suis pas sûr que j'obtiendrais une bonne note si je devais faire une analyse de texte comme celles que vous faites faire à vos élèves au lycée.
Et, entre nous, je préfère vivre parmi les mortels. J'ai déjà vécu au seizième étage d'un immeuble avec vue sur toute la ville et sur le parc du mont Royal ; c'était magnifique ! J'habite maintenant un sixième étage et la vue n'y est pas trop mal non plus ; cependant, j'aime descendre sur le plancher des vaches, pour employer une expression chère à Jacques Chirac ;o) De la banquette du café où je vais parfois travailler l'après-midi, j'adore observer le va et vient de tout le monde qui passe à côté de moi, de l'autre côté de la fenêtre grande ouverte. J'ai alors le sentiment d'appartenir au monde dans lequel je vis, et ce n'est pas trop désagréable. Quand j'en ai assez, je vais marcher ou je rentre chez moi, juste à côté.
Ne crois pas que je sois supérieur : je suis simplement hors catégorie ;o)
Et, comme je le disais à Lux, en commentaire au billet précédent, quand je suis disponible, je suis beaucoup plus accessible.
Mon chauffeur (chacun son côté bourgeois! Non, en fait le gars avec qui je fais du covoiturage) m'arrête parfois au détour d'une conversation pour me demander la signification d'un mot. Du coup, on en est arrivé à presque 1 mot nouveau par jour... L'autre fois c'était "margelle". Va comprendre comment j'ai pu sortir ça!
Erwan : La margelle, c'est à cause du Petit Prince : tu pensais à la margelle de son puits dans le désert ;o)
C'est toi qui lui apprends un mot nouveau par jour ou si c'est dans l'autre sens ?
Mon cher Alcib, je suis heureux de constater que c'est ton logiciel qui effectue tous ces petits calculs. Je te croyais devenu obsessif, ce qui aurait légèrement obscurci la sensibilité et la créativité que tu nous manifestes régulièrement. Vive le logiciel! Si tu l'utilises en lisant, je vais soigner mon image et peaufiner mon vocabulaire ;-)
Je crois que je sais qui est le «certain président» ou devrais-je dire le petit président?
Il est temps pour moi de quitter, Morphée m'ouvre les bras.
Guten nach
Non, c'est moi qui lui apprend... Malheureusement, 4 ans à Québec m'ont appris le meilleur et le pire du vocabulaire joual... Comment ça, c'est pas beau un français qui sacre?! :P
Erwan : Au fond, j'ai posé une question inutile. Je me doutais fort bien que c'était toi qui lui apprenais le sens des mots.
Et c'est vrai que j'ai ce préjugé : Un Français ou une femme, ça ne doit pas sacrer ;o)
De la même manière qu'une femme ne doit pas fumer dans la rue... C'est ce que l'on m'a appris à l'école.
Comme on m'a souvent pris pour un Français, on a toujours été surpris quand je sacrais (dans des occasions tout à fait exceptionnelles). La différence, c'est que moi j'arrive à le faire avec un bon accent québécois, gras et plein de sens multiples ;o)
je n'en reviens pas... et il m'en faut pas mal pour tomber sur mon derrière mais j'imagine que ça doit être un passe-temps comme un autre. Moi qui analyse mes comportements et ceux des autres parce que j'adore le faire et bien vous, vous savez vraiment faire l'analyse des mots ! Analyse pour analyse c'est un jeu amusant. J'espère que vous vous gardez du temps pour d'autres jeux !
Nicole : Je précise que je n'ai pas moi-même analysé ainsi le texte en question. C'est un logiciel qui l'a fait pour moi. Et, au fond, ce type d'analyse ne sert qu'à permettre d'améliorer son texte si on s'en donne la peine, non pas en terme de fond, du contenu, mais dans sa forme, plutôt : orthographe, grammaire, stylistique partielle...
Quant aux jeux, à mon neveu qui observait parfois que j'aimais jouer avec les mots, j'avais l'habitude de répondre que l'on joue avec ce que l'on a, ce qui le faisait sourire encore car il voyait dans cette réponse une complicité sans malice avec l'adolescent qu'il était.
La valeur des mots, pour ceux qui la connaissent, vaut son pesant d'or. Trop de gens sous-estiment le poids d'un texte bien tourné.
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