vendredi 7 novembre 2008

Tanguy


Puisque je le cite dans le billet précédent, aussi bien parler un peu ici de Michel del Castillo et, surtout, de son premier roman publié (en 1957, je crois), Tanguy, que je ne conseille pas à ceux qui cherchent de la littérature légère, de divertissement. Ce roman raconte la vie d'un petit garçon qui, pendant la guerre, abandonné par son père, manipulé par sa mère, connut les camps de concentration (entre 9 et 12 ans) ; il contient tellement d'horreurs qu'il est difficile de le lire sans pleurer à chaque page. Mais, comme il est écrit sur la quatrième de couverture de mon édition (Presses Pocket) : « ... C'est parce qu'il traversera toutes ces horreurs de la guerre et du monde des adultes avec un cœur d'enfant sans haine et sans amertume qu'il surmontera son désespoir et sera sauvé. »
J'en avais parlé une première fois en novembre 2005 et je me proposais d'en reparler ici depuis longtemps mais les livres de cet auteur ont tellement transformé ma vision des choses ces dernières années que je ne savais pas comment en parler, par quel bout l'aborder.
Au sujet de la réédition de 1994 de ce roman, Michel del Castillo écrit :
« Cette nouvelle édition d'un ouvrage que libraires et lecteurs ne cessaient de réclamer s'imposait plus encore après la parution de Rue des Archives, qui en éclaire les aspects cachés.
« Les deux ouvrages se répondent l'un l'autre. De Tanguy à Xavier, il y a toutefois plus que l'épaisseur d'une vie, il y a le vertige d'une horreur que je n'osais pas fixer, de peur de m'y abîmer. Premier roman de moi publié. Tanguy n'était pas ce cri du cœur que beaucoup voulurent y entendre. Il n'est pas le fruit de la nécessité biographique. Son modèle n'est pas le témoignage : il se trouve chez les auteurs que j'étudiais avec ferveur, notamment Dostoïevski.
« Je ne romançais pas ma vie, je biographisais le roman. C'est d'ailleurs sur ce point, l'exemplarité d'une enfance de guerre, de toutes les guerres, qu'insistait François Le Grix, mon mentor littéraire. C'est ainsi que les jeunes le lisent avec, dans leur tête, les images que la télévision leur assène. Aucun ne me demande si l'histoire est vraie, puisqu'elle se répète sous leurs yeux. Toujours et partout, du Rwanda à la Bosnie, du Viêt-Nam au Cambodge, ils reconnaissent le même enfant supplicié. »

Je ne cherche pas ce genre de littérature, habituellement ; pendant des années et des années, j'aurai été incapable de lire les livres de cet auteur, pas même Tanguy dont un ami m'avait recommandé la lecture il y a très longtemps. Bien que ce soit son premier roman, j'ai lu celui-ci une première fois il y a trois ans je crois, après avoir lu de nombreux autres livres de l'auteur. J'ai énormément pleuré en le lisant et, ces jours-ci, je suis en train de le relire et, en dépit de toutes les horreurs qu'on y trouve, je conserve le message d'espoir.
Je garde surtout une immense affection pour ce petit garçon, qui grandit peu à peu (il a maintenant 75 ans) ; et si je me suis tant attaché à lui c'est sans doute parce qu'il a traversé « toutes ces horreurs [...] avec un cœur d'enfant sans haine et sans amertume ». Il me rappelle en cela un autre cœur d'enfant, que je ne connaissais pas au moment de ma première lecture de ce roman, et qui, à le découvrir jour après jour, reste pour moi une constante source d'inspiration.

4 commentaires:

Beo a dit…

C'est clair que c'est pas le genre de lecture qu'on fait pour passer le temps... se divertir.

Par contre, pour en avoir lu certains du genre, mais pas celui-ci: c'est quelque chose qu'on se DOIT de lire au moins une fois dans notre vie pour remener à soi les vraies valeurs.

Particulièrement quand on a pas connu la guerre... ni de près, ni de loin...

En fait sur le sujet j'ai lu Le journal de Zlata et celui d'Anne Franck. On reste dans le vécu d'enfants. Faudrait bien que je lise Tanguy hein?

Anonyme a dit…

Je n'ai jamais lu Tanguy, mais à une époque, j'ai lu pas mal de romans sur ce sujet. J'ai également lu le Journal d'Anne Franck et le roman de son amie "Mon amie, Anne Franck". Mais le Journal de Zlata a été une révélation plus brutale, car il touche à l'époque contemporaine et m'avait ramenée à une réalité toute proche (j'avais à peu près le même âge que Zlata quand je l'avais lu). Mais j'imagine que Tanguy doit être plus violent, je ne sais pas si je suis assez solide pour lire ça...

Alcib a dit…

Béo et Anne fra Sveits : Je vois que vous avez dans ce genre les mêmes lectures. J'ai lu aussi le Journal d'Anne Franck il y a très longtemps. Je me demande si j'ai encore mon exemplaire en livre de poche ; il faudra que je vérifie.
Tanguy, j'ai refusé de le lire pendant si longtemps, à cause de divers préjugés. D'une part la culture espagnole ne m'attirait pas tellement car j'étais obsédé par la culture grecque et par l'Italie, la Renaissance ; or Michel del Castillo me semblait être un auteur espagnol. S'il en a le nom, il est pourtant bien un écrivain français car son père (si on peut appeler un « père » celui qui a fait enfermer son fils et sa mère dans un camps pour ne pas être g^né dans son ascension sociale. Il a toujours écrit en français, en France.
L'autre préjugé : les récits de guerre, la guerre civile espagnole, les camps de concentration, ça ne m'intéressait pas du tout.
J'ai commencé à lire Michel del Castillo à cause de deux livres liés à la paternité, « Le crime des pères » et « De père français ».
Les premières lignes du « Crime des pères » commencent ainsi : « Je n'aime pas l'Espagne, je déteste les Espagnols... » Et les premières pages parlent d'identité, de malentendu sur la nationalité, etc., avant de poursuivre sur la vie d'un adolescent recueilli par un inquiétant disciple de Franco... Ce qui m'a intéressé, c'est la relation de cet adolescent avec cet individu, avec les adultes de ce monde trouble...
Quant à « De père français », il commence par ces lignes : « J'ai rendez-vous avec mon assassin. C'est mon père et il s'appelle Michel. Tous mes livres, depuis 1973, sont écrits du point de vue de ma mort. Jusqu'alors, je me raccrochais à des fictions pour me donner l'illusion de la vie. Ensuite, je me suis résigné ; j'ai fini par admettre que j'étais mort à l'âge de neuf ans, assassiné. Non pas tué par l'abandon de ma mère ou l'indifférence de mon père. Assassiné de sang-froid, avec préméditation... »
Ce n'est qu'après avoir lu ces deux livres que j'ai pu lire des romans de Michel del Castillo, car j'en connaissais alors la clé. Depuis, j'ai voulu lire tout ce qu'a écrit cet auteur ; je n'ai pas encore tout lu, mais je dirais la plus grande partie de son oeuvre.
Pour résumer : je n'ai pas cherché à lire des histoires d'horreurs, de guerre civile, de camps de concentration ; j'ai simplement voulu comprendre comment ce petit garçon abandonné, trahi par ceux qui devaient l'aimer, maltraité par ceux qui devaient s'occuper de lui, comment ce petit garçon avait pu, malgré tout, garder l'espoir et s'en sortir et... devenir cet écrivain.

Unknown a dit…

Ma mère m'a fait lire ce livre quand j'avais 10 ans. J'en garde un profond souvenir, c'est vraiment un superbe roman.
Dans le genre triste aussi, elle m'avait fait lire La Cicatrice, de Bruce Lowery, à peu près au même âge.