Comme c'est mon anniversaire neuf jours après le sien, Michel avait décidé vendredi de m'inviter chez lui le lendemain, avec d'autres de ses amis. Vendredi après-midi, pendant que j'étais parti à la bibliothèque, Michel a laissé chez moi un message vocal. Je suis rentré tard et comme mon téléphone ne sonne pratiquement jamais, je n'ai pas vérifié si j'avais des messages.
Ce matin (dimanche), le téléphone m'a réveillé tôt. Comme le répondeur, toujours branché, se met en marche au deuxième coup de sonnerie, je n'ai pas pris la peine de me lever ; je ne veux pas laisser croire qu'on peut m'appeler tôt le matin, surtout le dimanche, pour me parler de la pluie et du beau temps. J'aime me lever tôt justement pour lire ou écrire avant que ne commence l'agitation de ceux qui ne peuvent jamais rester tranquilles ni respecter la paix d'autrui.
En me levant, j'ai pris connaissance des deux messages : celui de vendredi, (dont j'ignorais l'existence) pour m'inviter le lendemain, et celui de ce matin, beaucoup plus sérieux,; Michel se disait inquiet car il n'avait pas eu de mes nouvelles « depuis longtemps » et il aimerait que, si quelqu'un écoutait ce message, on l'appelle pour lui donner de mes nouvelles.
J'ai rappelé plus tard, après avoir pris mon petit déjeuner et lu un moment. Michel n'était plus là (il ne peut pas rester en place). L'ami qui partage la maison avec lui m'a expliqué que Michel était très inquiet. Samedi midi, ils sont venus tous les deux sonner chez moi. J'étais sorti faire des courses mais, même si j'avais été là, n'attendant personne, je n'aurais pas répondu. Ils sont repartis plus inquiets encore. En passant devant un poste de police, ils sont entrés et ont demandé si la police pouvait faire quelque chose... (Heureusement, les policiers ne sont pas venus enfoncer la porte de l'appartement !) On leur a expliqué que si j'avais été victime d'un accident ou d'un malaise, c'est la famille qui aurait été prévenue... De plus en plus inquiet, Michel voulait s'arrêter dans une église pour... allumer un cierge. Avec les amis qui l'accompagnaient, il était déjà en train de composer mon éloge funèbre.
J'écoutais tout cela et je ne savais pas ce que je devais penser. C'est rassurant de savoir que j'ai au moins un ami qui peut s'inquiéter de mon sort (il a déjà été échaudé : il y a quelques années, un ami commun est décédé à Paris et, si nous n'avions pas fait une enquête, nous n'aurions même jamais su qu'il était décédé : la famille n'a pas jugé utile de prévenir les amis). Mais c'est aussi très inquiétant d'apprendre que si l'on ne répond pas immédiatement aux messages d'un ami, on risque de voir arriver chez soi les policiers, les pompiers, les ambulanciers, le serrurier... alors que l'on voudrait simplement boire son thé en paix.

Quand Alexander, après avoir été
renversé par une voiture, s'est retrouvé sur une civière à l'urgence de l'hôpital où il travaillait, il était très inquiet : il pensait bien sûr à son chat, à son chien, aux êtres qu'il aimait... J'étais l'un d'eux et, comme il était déjà amoureux, il aurait voulu que je sois là pour le rassurer, le serrer dans mes bras ou, tout au moins, lui tenir la main... Mais si quelques personnes de son entourage connaissaient mon existence et tout l'amour qu'Alexander éprouvait déjà pour moi, personne n'avait mes coordonnées. « Et si j'étais vraiment parti sur la Lune, il n'y aurait même eu personne pour te le dire... », m'a-t-il écrit deux jours plus tard. Je sens encore toute l'angoisse qu'il y avait dans ces mots. C'est vite devenu l'une de mes inquiétudes aussi : s'il arrivait quelque chose à l'un d'entre nous, comment l'autre en serait-il informé ? Quand Alexander a été obligé de s'absenter un peu plus longtemps que prévu, sans pouvoir communiquer avec moi, j'ai d'abord été inquiet puis rassuré de recevoir un message de « docteure Jane » ; nous avions désormais un ange qui assurerait la communication entre nous... De mon côté, j'ai demandé à un ami s'il voudrait bien communiquer avec Alexander s'il m'arrivait quelque chose, puis j'ai donné son nom et ses coordonnées à Alexander.
En lisant ce blogue, deux compatriotes d'Alexander ont vite reconnu le Petit Prince dont je parlais. Alistair a connu Alexander au début de leur adolescence : ils étaient pensionnaires au même collège et puisqu'ils se ressemblaient beaucoup, ils sont assez rapidement devenus amis... Depuis le jour où, « par hasard », il a découvert le blogue (moi, je crois plutôt qu'Alexander l'a guidé),
Alistair m'a écrit tous les jours... jusqu'au 10 décembre dernier. Nous avons appris, après Noël, qu'Alistair avait eu un très grave accident le 12 décembre et qu'il était encore aux soins intensifs d'un hôpital de Londres. « Docteure Jane » s'est immédiatement rendue à Londres mais, puisqu'elle n'était pas de la famille officielle, on n'a rien voulu lui dire sauf... un petit détail qui a échappé au personnel médical et qui nous a bouleversés. Dès sa première rencontre avec Alistair, Jane l'avait adopté : Alistair est vraiment comme un petit frère d'Alexander ; c'est ce que j'avais perçu dans sa correspondance... Alistair fait partie de notre petite famille d'êtres chers. Il me manque. Nous avons su, début janvier, que son père est venu le chercher à l'hôpital mais nous sommes depuis sans nouvelle. Je continue de lui écrire, en espérant recevoir bientôt une réponse...
L'autre Britannique, lecteur de ce blogue, n'a pas connu Alexander personnellement ; Alexander ne savait pas qui il est mais lui sait très bien qui est Alexander : il l'a aperçu quelques fois à Londres et il le trouvait très beau, toujours très élégant avec une pointe d'excentricité. Alexandre (c'est son nom. En fait il s'appelle aussi Alexander mais pour ne pas me faire de peine, il signe « Alexandre ») est aussi très digne d'être un ami d'Alexander. C'est aussi un garçon extraordinaire et sa vie est un roman, à la fois merveilleux et tragique. Alexandre m'a écrit vers la fin du mois de juin pour me confirmer qu'il allait
subir une opération qui nécessiterait ensuite au moins quelques semaines de convalescence et de réadaptation... Il n'avait pas envie de cette opération et surtout, il n'avait pas envie de se séparer durant tout ce temps de son ami Maurice, un grand chien très doux. Je savais que je n'aurais pas de ses nouvelles durant quelques semaines, car il n'aurait pas accès à Internet ; mais nous arrivons à la fin du mois d'août... Alexandre, vous me manquez. Donnez-moi vite de vos nouvelles.
Ces dernières semaines, d'autres inquiétudes sont venues d'Angleterre, dont je ne connais pas encore toutes les répercussions. L'encens et les bougies occupent tout un coin de mon salon et je demande plusieurs fois par jour que les anges veillent sur tous les membres de notre petite famille...