vendredi 24 juillet 2009

Des nouvelles du front

Une lectrice aussi attentive que fidèle et discrète m'écrit :

« ... Je viens aux nouvelles. Vos deux derniers articles sont tous deux des citations et ils n'arrivent pas à me masquer le fait que vous n'avez rien écrit de consistant, rien qui parle de vous depuis une semaine... Ce n'est pas un reproche, c'est tout juste une constatation, une inquiétude.
« Que se passe-t-il ? Pourquoi, si vous n'êtes pas capable d'écrire actuellement, n'arrivez-vous même pas à écrire que vous n'êtes pas capable d'écrire ? Il me semble que cela vous ferait tellement de bien de vous exprimer, puisque votre blog a été au centre de votre relation avec Alexander, du moins son point de départ. Si tout ce que vous pouvez mettre en ligne actuellement sont des citations, vous pourriez alors trouver des citations qui parleraient pour vous, qui parleraient de votre peine et de ce grand vide. Je me trompe sans doute, mais il me semble que même juste le fait de les chercher et de les trouver vous aiderait, vous soulagerait un peu. Vous verriez, décrites par des gens qui ont aussi souffert, des formes de sentiments qui correspondent à votre souffrance qui me semble vous étouffer un peu. À moins que vous soyez très bien entouré dans votre vie réelle, avec des proches qui vous soutiennent. Si oui, ce serait bien aussi de nous le signaler, pour qu'on s'inquiète un peu moins... ;)
« Et je termine avec mon dada habituel parce que j'y crois : prenez bien soin de vous. »

Je veux d'abord remercier chaleureusement cette lectrice de sa présence attentive et de son assiduité, même si on ne peut pas lire ses commentaires sur le blogue. Je la remercie également de me donner l'occassion de donner quelques nouvelles.

C'est vrai que je n'arrive pas vraiment à trouver quoi que ce soit d'intéressant à dire à mon sujet. Ces quinze derniers mois, de plus en plus intensément, ma vie s'est organisée en fonction d'Alexander, avec Alexander... Un samedi soir, au cours d'une longue conversation il m'a dit qu'il devait aller à l'hôpital le lundi suivant pour y faire des analyses, que je ne devais pas m'inquiéter, qu'il serait de retour à la maison le lundi soir et que nous pourrions alors nous parler. Le dimanche midi, il m'a écrit encore plein de belles choses, comme il en avait le secret ; il allait passer l'après-midi avec sa voisine et amie et nous pourrions sans doute nous parler ensuite. Quelques heures plus tard, il m'écrivait qu'il croyait qu'il dormirait mieux s'il allait dormir à l'hôpital, qu'il n'aurait pas à s'inquiéter de se réveiller à temps pour s'y rendre tôt le lundi matin et qu'il serait ainsi mieux reposé pour subir les examens ; il me disait encore de ne pas m'inquiéter, qu'il était sûr que je comprendrais, et que nous nous retrouverions lundi soir. J'ai vite répondu que c'était une très bonne idée, que je penserais à lui, comme je le fais toujours, à chaque instant, et que je l'attendrais lundi soir. Or, ce lundi, c'est quelqu'un d'autre qui m'écrivait qu'Alexander ne rentrerait pas ce soir-là, que les examens avaient été difficiles et qu'il avait besoin d'un peu de repos... Puis les nouvelles devenaient chaque jour de plus en plus inquiétantes et... Alexander n'est plus jamais rentré chez lui.

Il y a la douleur, le chagrin, et il y a aussi que ma vie a été tellement associée à la sienne que je me trouve en ce moment désorienté. Je n'ai plus au réveil très hâte de me lever pour aller lire ses messages de la nuit ; je n'ai plus, en fin d'après-midi, envie de rentrer très vite de ma promenade pour le retrouver et passer des heures avec lui ; je n'ai plus, au moment d'aller dormir, envie d'envoyer encore un message avec les mots qu'il aime et des images ; entre le réveil et le moment d'aller dormir, mon emploi du temps n'a pas beaucoup de sens.

Certaines personnes, dont les créanciers, aimeraient bien que mon emploi du temps soit plus productif et plus rentable, mais je dois dire que ces derniers mois, mon coeur et mon esprit étaient ailleurs. Je connais trop bien les raisonnements des « grandes personnes » et, si on adopte leur point de vue, on doit reconnaître qu'elles ont sans doute raison. Mais en ce moment, je n'ai pas trop envie d'être une « grande personne ».

Je n'ai pas l'habitude de raconter ici mes petits et mes grands problèmes personnels, il me semble, et je ne crois pas que je commencerai aujourd'hui. Je n'ai jamais trouvé intéressant d'écrire et de partager avec les lecteurs, toujours plus nombreux que l'on serait porté à le croire, le fait que j'aie pris ou perdu cinq cent grammes ; j'ai sans aucun doute en moi une bonne dose de narcissisme mais pas au point de penser que cinq cent grammes en plus ou en moins peuvent intéresser d'autres que la personne qui les perd ou qui les gagne. Je ne crois pas que mes difficultés personnelles soient plus intéressantes. Je sais que c'est une question de style : tout peut se dire si on a le talent pour le dire ; il semble que je n'aie pas celui-là.

Cela dit, je ne suis pas inactif. Alexander avait énormément de projets en tête, moi de même ; ensemble nous avions ceux-là et, bien entendu, nous en avions d'autres que nous avions élaborés ensemble. Il est fort probable qu'un grand nombre d'entre eux ne verront jamais le jour, mais je m'efforcerai d'en concrétiser quelques-uns, je le dois à Alexander, je nous le dois. Les « grandes personnes » diront que ce n'est pas cela qui mettra du pain sur la table (je ne parle même pas du beurre sur les épinards, car il faudrait d'abord avoir des épinards...) Qui donc a dit que « plutôt que d'ajouter des jours à sa vie, il vaut mieux ajouter de la vie à ses jours » ?

« À moins que vous soyez très bien entouré dans votre vie réelle, avec des proches qui vous soutiennent. Si oui, ce serait bien aussi de nous le signaler, pour qu'on s'inquiète un peu moins... » Je ne suis pas seul, bien sûr, pour vivre ce deuil atroce. Je le vis avec notre petite famille, la petite famille que nous nous sommes choisie, Alexander et moi, composée uniquement de personnes que nous aimons beaucoup et qui nous aiment autant, de part et d'autre de l'Atlantique. La grande famille, officielle, vit sûrement ce deuil à sa façon, mais nous, la petite famille, le vivons ensemble. Pour ce qui est des amis, du moins les miens, ils me donnent l'occasion de vérifier une fois de plus qu'un deuil n'est pas attirant ; après les témoignages de sympathie, seuls les vrais amis restent, et ceux-là, peu nombreux, sont précieux. Ils ne sont pas en mesure d'aider en tout, mais leur présence, leur écoute est réconfortante.

Quant au conseil de prendre soin de moi, je vous le promets : dès que je le pourrai, je le ferai.

Depuis hier, il y a un nouveau carillon dans la maison. Il y avait déjà le Big Ben qui sonne toutes les quinze minutes ; il y a maintenant celui qui sonne quand le vent ou un geste de la main le met en mouvement. Le son en est très beau. Il a tout de suite reçu un nom, le même qu'un certain petit lapin et qu'un petit chien adorables...

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Alcibounet,
Il y a plusieurs jours que je te guette sur le net et que je ne t'y voit plus.
Je ne savais pas si je devais t'écrire en pv ou ici mais en lisant le texte précédent je ne peux m'empêcher d'y penser.
Je crois que nous sommes une grande communauté à penser à toi, à connaitre une partie de ta vie, surtout les derniers mois et il est important que tu n'écrives que quelques mots pour nous dire tout simplement ce que tu fais de ta journée, tes petites pensées ou bien ce qui te passe par la tête, de manière à ce que nous puissions en retour te lire et te soutenir, t'entourer.
Comme d'habitude ce texte est écrit comme il est parlé et ses propose n'engagent que moi.
Je te fais un gros bisoux !
Eric.

Beo a dit…

Parfois, un petit coup de pouce ou coup de pied, venant de l'extérieur du cercle, peut faire beaucoup de bien.

Je sais que tu vas rebondir, je sais aussi qu'il faut un temps pour vivre un deuil. Bisoux et bonne fin de semaine!

Unknown a dit…

Ton billet du Petit Prince m'avait surpris, et j'avais espéré pour toi tout sauf ce qui me venait à l'esprit en lisant ça.

Courage dans ces moments difficiles, et toutes mes pensées affectueuses face à cette tragédie.

Erwan

Alcib a dit…

Éricounet : Merci. Je sais que tu es là, toujours présent, et je t'en remercie.
Tu as raison : j'ai été moins présent sur Internet ces derniers jours. J'ai eu besoin d'être ailleurs, autrement...
Cette communauté est très importante pour moi, aussi réelle et très souvent plus présente que la communauté « naturelle » de ceux qui se croient plus réels parce qu'ils sont géographiquement plus près. Cette proximité physique tient lieu de tout...
Bisoux.

Béo : Je ne sais ce qui sera le plus utile, le coup de pouce ou le coup de pied. Je crois qu'il faudra surtout que je compte sur moi-même. Merci et bisous zaussi.

Alcib a dit…

Erwan : Quand j'écris ce genre de chose, je préférerais aussi que ce soit de la fiction.
Merci de te voeux et de ton affection.
On se voit à Montréal la semaine prochaine ?
Tu apporteras un peu d'air de Paris.

Denis a dit…

Émouvant et profond ce que tu écris. On partage mieux ta peine même si ta pudeur t'empêche habituellement de t'exprimer ainsi intimement et avec ton coeur.

Nous sommes nombreux à penser à toi. Il te faudra du temps pour retrouver l'apaisement...

Alcib a dit…

Denis : merci. Alexander avait raison de dire, quand j'ai commencé à y écrire moins souvent, qu'il fallait continuer ce blogue ; c'était un lieu où il aimait se retrouver, où il se sentait bien, « at home ». Il continue de le lire, j'en suis sûr. Et je dois dire que je serais plus désorienté encore si je ne continuais pas d'alimenter le blogue.

V à l'Ouest a dit…

Et nous donc, sans ton blog, que deviendrions-nous ? Et je suis sérieux.

Alcib a dit…

V à l'Ouest : Merci. Je sais maintenant que des lectrices et des lecteurs lisent régulièrement même si je ne trouve pas de trace de leurs passages. Je sais que je peux compter aussi sur quelques fidèles bien identifiés. Merci encore.