samedi 7 août 2010

« Je n'aurais pas pu dormir... »

Amour


Alexander avait une hantise : celle de la panne d'électricité ou d'internet qui nous priverait de notre principal moyen de communication. Il avait raison d'appréhender la panne car il est arrivé plusieurs fois que des orages entraînent des coupures de courant ou que, pour diverses raisons, le service Internet ne soit disponible.
Il lui est arrivé quelques fois, et même au milieu de la nuit, de sortir pour trouver un café d'où il pourrait m'envoyer un message me disant de ne pas m'inquiéter s'il ne répondait pas rapidement à mes messages parce qu' une interruption de service l'empêchait d'utiliser son ordinateur à la maison. Plusieurs fois, il m'a écrit pour me dire qu'un orage se préparait et que nous ne pourrions peut-être pas nous écrire durant quelques heures.
Bien sûr, il trépignait d'impatience s'il ne pouvait pas communiquer avec moi ni même recevoir mes messages. Mais il craignait surtout que je m'inquiète à son sujet si je ne recevais rien de sa part.
Je connaissais assez bien les horaires, les habitudes et les rituels d'Alexander. Et nous avions entre nous une intuition incroyable pour sentir si quelque chose n'allait pas. Très souvent il m'est arrivé de lui écrire rapidement quelques lignes pour lui demander quelque chose et, avant même que j'aie fini d'écrire mon message, le sien m'attendait. Il m'est arrivé aussi, devant un silence inhabituel, d'envoyer quelques mots à Jane qui, de sa campagne ou de la pièce à côté, selon les circonstances, communiquait avec Alexander et, dans les minutes suivantes, je recevais de Jane ou d'Alexander lui-même l'explication de ce silence...

Il est arrivé plusieurs fois qu'une panne survienne durant nos conversations. La plupart du temps cette interruption ne durait que quelques minutes, qui nous semblaient toutefois une éternité. Quelques fois, la panne durait plus longtemps et, chacun de notre côté, nous attendions impatiemment le retour du service. Le plus cruel, c'était peut-être que la panne de courant survienne au moment où, après deux heures ou plus de conversation, nous allions nous arracher difficilement l'un à l'autre en nous adressant les mots les plus doux accompagnés d'adorables petits lapins roses et autres petits anges chargés d'amour et de baisers...

Je me souviens d'un soir, d'une nuit pour lui, où l'interruption de service s'étirait. Je pouvais lui envoyer un courriel pour lui dire de ne pas s'inquiéter, que j'allais rester devant mon ordinateur un bon moment encore, mais que je voudrais qu'il ne s'impatiente pas à essayer de rétablir la communication, qu'il devrait plutôt sagement aller dormir, je savais cependant qu'il ne pourrait pas lire mon message et qu'il attendrait jusqu'à ce qu'il puisse me rassurer, me dire qu'il ne lui était rien arrivé à lui.

Ce soir-là, cette nuit-là, il avait attendu que le service Internet soit accessible. Il s'était reconnecté à MSN et je n'oublierai jamais ses premiers mots : « Je n'aurais pas pu dormir si je n'avais pas pu te dire encore que je t'aime. »

Et moi, Alexander, crois-tu que je pourrais dormir la nuit si je ne pouvais te dire plus de cent fois par jour que je t'aime. Je ne reçois plus les mots qui me disent ton amour mais, exactement treize mois après ton départ, j'ai la même certitude, cette certitude qui , il y a trois jours à peine, faisait dire à quelqu'un qui a très bien saisi la force de notre amour : « Il n'y a aucun doute au sujet de votre amour réciproque. C'est un amour si pur et si absolu ! Cet amour, je le sens si fort que je ne serais pas étonnée qu'un jour un livre vienne nous le faire partager. »

16 commentaires:

Beo a dit…

Je ne pensais pas que c'était fréquent d'avoir des pannes de serveur à Londres.

C'est effectivement très embêtant d'avoir de telles coupures en pleines conversations!

Ce serait bien, dans quelques temps, d'écrire ce livre non? :)

Beo a dit…

Je suis certaine que cette histoire intéresserait beaucoup de gens et donnerait du courage à d'autres :)

Alcib a dit…

Béo : Oui, il semble que ce soit assez fréquent. J'ai cru comprendre que, bien souvent, ces pannes survenaient dans Westminster, ce quartier qui regroupent le parlement, l'abbaye, et tant d'autres édifices importants. C'est assez surprenant, compte tenu de l'importance de la vie qui se se déroule è cet endroit... Mais en général, les pannes ne duraient pas très longtemps, peut-être justement à cause de l'importance de l'activité.

Alexander habitait au dernier étage d'une belle vieille maison, à proximité du parlement et de l'abbaye de Westminster. Il fallait, pour y habiter, avoir une autorisation officielle. Mais l'appartement d'Alexander appartenait à la famille depuis longtemps... Mais Alexander disait que les circuits électriques auraient peut-être besoin d'être refaits.

Quant à Internet, je ne sais pas si les communications gouvernementales n'avaient pas la priorité à certains moments... Alexander ne savait pas me le dire (je suis persuadé que s'il l'avait su, il me l'aurait dit).
Il n'en parlait pas, mais c'est clair que pour venir sonner à sa porte, à côté de laquelle une plaque indiquait « Alexander - Harry - Alexander », où régnait en permanence une rose rose représentant son amoureux, il fallait avoir déjà montré patte blanche à une étape précédente.

Puisqu'Alexander aimait tellement les mots et que lui-même aurait voulu publier les deux livres qu'il avait pratiquement terminés, je considère que je dois à Alexander que notre amour soit mis en mots.
Si j'en avais le talent, c'est une cathédrale de mots que je voudrais ériger pour contenir ce qu'il y a de plus précieux : son coeur, son amour.

Beo a dit…

De raconter tout simplement ne demande pas un génie d'écrivain. Moi je sais que tu as ce qu'il faut pour mener à bien cette expérience.

PS: c'est bizarre mais il faut que j'entre mon nom d'utilisateur et mot de passe à chaque fois ou presque quand je veux laisser un commentaire ici. Suis-je la seule?

Alcib a dit…

Béo : Écrire un livre, c'est tout de même plus exigeant que d'écrire de petits textes au quotidien.
Il faut d'abord avoir une bonne idée du projet dans son ensemble, pouvoir organiser la matière pour dire l'essentiel sans se répéter (entre nous, il y a des milliers de pages de correspondance et de conversations). Il faut pour cela, jour après jour, retrouver sa concentration, assurer la continuité...
Je te remercie de ta confiance. Je crois aussi que je peux y arriver. Je devrai toutefois faire preuve d'une grande discipline...

Je connais ce problème de connexion ; il m'arrive aussi parfois quand je veux laisser un commentaire chez d'autres...
Mais normalement, si on est déjà connecté sur Blogger avant de laisser le commentaire, il ne devrait pas nous redemander notre mot de passe.
Blogger fait de drôles de choses parfois et je n'essaie plus de comprendre.

Lux a dit…

Quelle belle idée d'exprimer par écrit, dans un livre, ton expérience amoureuse, si riche et si intense, avec Alexandre. Je sais que c'est angoissant de penser en terme de livre...
Mais je te suggère de commencer sous forme de journal dont le titre provisoire pourrait être: «Une année dans ma vie...» et dans lequel tu re-visiterais tout le cheminement émotif. Même si tu ne publies jamais, je suis sûr que ça ravivera la force de tes souvenirs.
Évidemment, c'est facile de faire une telle suggestion à quelqu'un d'autre.
Amicalement
Lux

Alcib a dit…

Lux : Je te remercie de ta suggestion et de ta confiance.
L'idée du journal est excellente. J'ai commencé, provisoirement, quelque chose du genre ; je veux reprendre, autrement. L'avantage du journal, écrit pour soi, c'est qu'il permet de tout dire, de ne rien négliger, ce que je pourrais pas faire dans une forme de récit plus structuré mais... l'un n'empêche pas l'autre.
La difficulté que j'ai en ce moment, c'est d'essayer de rassembler sous différents thèmes le contenu de quinze mois de conversations quotidiennes, de deux ou trois heures chacune, sans compter les nombreux courriels quotidiens. Mais si la difficulté est là, le défi est, lui, beaucoup plus stimulant. Et, de toute façon, rien d'autre n'a autant d'intérêt pour moi.
Merci de ta présence et de ton amitié.

Lux a dit…

Je suis heureux de voir que tu étais déjà en mouvement. Nul doute que tu trouveras toi-même ton style et ton rythme.
J'ai essayé de me faire un historique des événements et activités de ma vie. C'est compliqué!
J'ai découvert que beaucoup de mes souvenirs sont comme intemporels et difficiles à placer dans un ordre chronologique précis.
Des fois, j'ai l'impression que mes expériences de vie sont une grosse soupe minestrone dont les légumes [dates] sont interchangeables. Dur dur de vieillir.
Tu vas voir jeune homme, avec l'âge on sent le besoin de reprendre possession de sa vie. Alors, écris présentement tout ce dont tu te souviens. Idéalement, on devrait vivre sa vie en s'éclatant de tout côté, mais avec un secrétaire à sa gauche pour pouvoir se repasser tout ça, quand on est rendus entre chien et loup ;-)

Alcib a dit…

Lux : Tu as entrepris quelque chose d'intéressant. En plus de l'intérêt que peuvent représenter tes souvenirs pour d'éventuels lecteurs anonymes, j'imagine que le souci de laisser à ses enfants un témoignage sur la vie avec et sans eux, mais aussi sur la vie avant eux, constitue une motivation supplémentaire.
Je crois cependant que le récit, même s'il n'est que pour soi-même, est une excellente façon de donner une forme et, par là-même, un sens à ce que nous avons vécu, si ce n'est à notre vie entière.
J'aime beaucoup cette citation de Michel del Castillo, que j'ai inscrite sous mon profil : « Nous ne sommes (...) que nos apprentissages et nos souvenirs, rien d'autre que le récit que nous nous faisons de nos actions et de nos pensées. »
Le blogue est, pour plusieurs, une façon de semer des cailloux blancs ou noirs le long de son chemin. Dans certains cas, les récits sont plus élaborés et, probablement, de plus importants témoignages...

Je comprends ta difficulté à organiser tes souvenirs par ordre chronologique. Bien des auteurs de souvenirs se sont refusés à l'ordre chronologique. Je laisserais cette façon de faire aux enquêteurs et aux biographes professionnels. Tu devrais les rédiger par thèmes, comme ils se présentent.

Cependant, rie ne t'empêche de te faire une grille chronologique qui te servirait de repères pour mieux situer dans le temps chacun de tes souvenirs, sans les obliger à s'installer dans une chronologie qui ne t'inspire pas.

J'ai entrepris il y a quelques années de dresser un tel tableau remontant... mon Dieu ! très loin, bien avant ma naissance et celle de mes parents.
J'avais fait quatre colonnes : 1) Les dates ; 2) Moi et ma famille ; 3) Événements survenus au Québec et 4 ) Événements survenus sur la scène internationale. Tu pourrais utiliser d'autres catégories.
J'avais commencé ce tableau avec un traitement de texte, puis j'ai tout retranscrit dans un fichier Excel, beaucoup plus utile et polyvalent.

J'avais acheté à ma mère, il y a plusieurs années, un petit livre qui pourrait l'aider à raconter ses souvenirs. Il s'agit de « Écrivez vos mémoires : laissez l'histoire de votre vie en héritage», par Sylvie Liechtele et Robin Deschênes.
En plus des conseils, ce petit livre d'environ 150 pages fournit des titres de livres qui peuvent stimuler l'inspiration, mais aussi de nombreuses questions qui peuvent aider à retrouver ses souvenirs. C'est publié aux Éditions de l'Homme, je crois.

Mais tu dois connaître aussi les ouvrages de Jean Monbourquette, notamment « À chacun sa mission », merveilleux outil, je trouve,, pour faire le point et mieux définir son « projet de vie ». Même si c'est pour faire le bilan sur ce que l'on a déjà vécu, je trouve que c'est un très bon outil de travail.

Lux a dit…

Tu m'inspires... Tu m'inspires...
Merci pour les outils.
Je me souviens tout à coup d'une phrase gravée sur la facade d'une petite église sur la Loire, face à St-Germain-en Laye:
« Le temps passe, l'éternité s'avance...»
À suivre

Alcib a dit…

« Le temps passe, Lux s'avance vers l'éternité », puisqu'il a le projet d'écrire.

Lux a dit…

lol

Chroniqueur a dit…

Je te lisais, Alcib, et je me disais: quel roman, quand même, que cette histoire... Pourquoi Alcib ne l'écrirait-il pas, ce roman autobiographique ? Et puis, je tombe sur la conclusion de ton billet ! Ce qui me fait dire que tu as déjà commencé à l'écrire, ce roman d'exception, que je le « sentais » déjà en te lisant, que ton écriture va en trouver la forme et s'y conformer, que tu rendras l'hommage le plus fort qui soit à une relation amoureuse qui ( à ce que je sache ) a été essentiellement vécue par l'écrit, et qui ne demande qu'à vivre encore par l'écrit.

Alcib a dit…

RPL : Merci de ta confiance et de ton encouragement.
Je ne crois pas que la conclusion du billet indique que j'ai commencé à écrire un roman, le roman de notre amour... Je dis seulement qu'une personne, qui ne me connaît pas et que je voyais pur la première fois, m'a affirmé « sentir » très clairement la force de notre amour et, qu'en raison de cette, elle croit qu'un jour je l'écrirai...

L'écrit a été notre principal moyen de communication, bien sûr, mais l'amour a été vécu pleinement, intensément, dans toutes ses dimensions... La distance présente quelques inconvénients mais l'écrit offre aussi plusieurs avantages, le plus important étant sans aucun doute d'assurer un caractère permanent à tout ce qui a été exprimé.

Mais l'amour ne se limite pas à l'écrit : à supposer que la communication écrite occupe chaque jour cinq heures de notre temps, il reste encore à cette journée dix-neuf heures durant lesquelles nous ne sommes pas déconnectés, pas désensibilisés. Il y a entre les lignes encore beaucoup plus que ce qui est écrit.

Alcib a dit…

Pour ne prendre qu'un seul exemple : Dès les premiers jours de notre correspondance, j'ai vu sur Internet qu'une maison était à vendre dans le quartier de Kensington ; j'en ai envoyé l'image à Alexander. Il s'agissait d'une très belle maison, toute blanche, dont le prix était sans doute (je l'ai oublié) équivalent au luxe et au prestige qu'elle offrait. J'avais indiqué à Alexander que j'achèterais cette maison pour venir habiter près de lui... Le lendemain, Alexander est arrivé en me disant qu'il était allé visiter la maison... C'est donc dire que toute la journée il y a pensé, qu'il a fait un détour en rentrant de son travail pour aller voir cette maison dans une rue qu'il connaissait très bien, tout cela parce que j'avais simplement manifesté en riant un intérêt pour une maison en particulier, près de chez lui... Peut-être avait-il l'intention de l'acheter vraiment, je ne le sais pas (je ne connais pas L'importance de son patrimoine immobilier).
J'aimais faire des promenades virtuelles dans les magnifiques parcs de Londres et dans les lieux que fréquentaient Alexander. Cela me permettait de mieux ressentir tout ce qu'il pouvait voir, sentir, ressentir en circulant dans sa ville.
Toutes les images que je lui envoyais venaient étoffer aussi la perception qu'il avait de mon environnement.
Cela indique bien qu'en dehors de nos conversations et de notre correspondance, nous restions tout l'un pour l'autre...

Quant au livre à écrire... Compte tenu de l'importance que les monts ont toujours eu pour Alexander, du fait que je tiens ce blogue depuis plus de quatre ans, y consignant par écrit non pas toute ma vie mais des aspects somme toute assez importants ; compte tenu que nous nous sommes rencontrés par l'intermédiaire des mots, que notre histoire a commencé par l'écrit, je crois qu'il n'y a rien d'étonnant que cette histoire soit un jour mise en forme par écrit.

Je cherche encore à comprendre le sens profond de cette rencontre exceptionnelle, de cet amour qu'il avait pour moi et qu'il m'a inspiré et qu'il continue de m'inspirer, de l'intensité de ce que nous avons vécu, de son départ si injuste, du vide vertigineux que son absence laisse chez ceux qui l'aiment... Je crois que l'effort de rédiger un récit structuré pourra m'aider...

Alcib a dit…

Coïncidence : Pendant que j'écrivais ce qui précède, mon lecteur de musique faisait jouer, « par hasard », la chanson « Sacrifice » d'Elton John interprétée par Sinead O'Connor, la 882e chanson de cette liste qui en contient 1618... Or, l'un des premiers dimanches (si ce n'est le premier) après le début de nos conversations sur MSN, Alexander était parti à la campagne, dans le comté de sa famille paternelle, pour y jouer au polo (il y jouerait pour moi, avait-il dit), j'avais passé plusieurs heures de ce dimanche à écouter Elton John, que j'aime bien sûr, mais aussi, ce jour-là, par qu'il est un chanteur anglais et que c'était une façon d'essayer d'être plus près d'Alexander, qui a toujours eu pour Elton John une affection particulière, je le comprendrai encore mieux plus tard. Ce jour-là, j'avais écouté en boucle, tout spécialement, « Nikita » et... « Sacrifice ».