lundi 31 octobre 2016

Abonnés absents

Dans les mois qui ont précédé et ceux qui ont suivi le départ d'Alexander, certains de mes amis, parmi les plus anciens et les plus intimes, sont « disparus » en douce, sans rien dire, ou sous des prétextes pas très clairs. Je n'ai pas voulu en parler vraiment ici pour ne pas faire de peine à l'entourage d'Alexander, car l'idée que la présence d'Alexander dans ma vie ait pu avoir une influence négative sur mes amitiés aurait vraiment chagriné et blessé sa famille et ses amis. Alexander, lui, sentait bien quels étaient, parmi mes amis, ceux qui méritaient vraiment le titre d'amis. J'ai assuré Alexander que, si je devais choisir entre lui et mes amis, je n'hésiterais pas du tout : je n'aurais pas pu continuer d'appeler « amis » ceux qui auraient refusé de croire à l'authenticité de mon amour pour Alexander et de celui, absolu, d'Alexander pour moi... Au cours de nos conversations ou dans ma correspondance avec Alexander, j'ai plusieurs fois défendu ces amis mais, au bout du compte, il semble que c'est lui qui avait raison...

Je ne m'étendrai pas sur l'une ou l'autre de ces tristes histoires en particulier. Chacun a le droit, s'il le peut, de choisir sa vie, ses croyances, ses valeurs, ses attaches, ses relations... Et cela vaut pour moi aussi. Il m'est arrivé plusieurs fois de vouloir parler d'Alexander à l'un ou l'autre de mes proches et, plusieurs fois, après avoir prononcé son nom, c'est exactement comme si je n'avais rien dit. C'est comme si pour eux, ne pouvant le toucher, il n'existait pas, n'avait jamais existé... Et pourtant, je sais, moi, qu'en quinze mois de conversations et de correspondance entre lui et moi, Alexander a été vraiment présent, à chaque instant, et que j'ai plus appris et mieux vécu qu'en quinze ans avec ceux qui sont physiquement plus près de moi, mais qui, au fond, ne m'ont jamais connu comme Alexander a su me connaître, me reconnaître.

Il y a un mois, j'ai envoyé un courrier électronique à l'un de ces amis qui habite tout près de chez moi, mais que je n'ai pas revu depuis quelques années. Comme il m'envoie de temps à autre un message disant qu'il aimerait me voir, me parler de vive voix, je lui proposais que nous fassions, pendant qu'il faisait encore beau, une promenade le long de l'avenue du Parc, comme nous avons si souvent fait dans le passé. Je trouvais cela plus facile, pour reprendre contact, que d'aller m'asseoir chez lui et sa femme. Je lui proposais de nombreuses plages horaires où je me serais rendu disponible. Non seulement je n'ai pas reçu, un mois plus tard, de réponse à ma proposition, je n'ai même pas reçu d'accusé de réception.

Le même jour, j'ai envoyé à un autre ami quelques mots à l'occasion de sa fête. Il m'a vite répondu pour m'en remercier, ajoutant toutefois qu'il avait été déçu de ne pas recevoir une nouvelle photo de Rupert et que, devant la brièveté de mon message, il se demandait si j'allais bien. J'ai aussitôt envoyé une nouvelle photo de Rupert, en précisant qu'en effet je n'allais pas très bien, en lui donnant un très bref aperçu de quelques-unes de mes inquiétudes... J'ai dû attendre trois semaines pour qu'il réagisse. Il m'a téléphoné un soir de la semaine dernière, mais il s'était « bien » préparé, s'était armé de phrases toutes faites, de « pensées positives » qui peuvent servir en toute occasion et, bien qu'il m'ait posé la question sur ce qui n'allait pas, il ne m'a jamais laissé finir une phrase. Puis il a mis fin à la conversation, car il était fatigué...

7 commentaires:

Willy l'ami a dit…

Cher Alcib,
Dieu sait si j'ai essuyé en son temps une vague de protestation quant à mon regard sur vous... Tout celà est si loin, si diffus, étant déjà si inutile en son temps ... Je suis demeuré... Lecteur bien éloigné, certes, très épisodique: en gros la vie qui isole et rabote un peu... Alexander ne peut être entendu que par celui ou celle qui a reconnu son pas: une trajectoire très vive, très courte, très ébranlante parce qu'elle guide. Ce fut tel pour vous, Alcib. Chacun nous cherchons une ligne d'horizon parfaite. Il fut celle ci pour votre regard. Meme si tout celà aux yeux de beaucoup manque de " chair ", de ce vécu charnel, sensuel, quotidien, voire domestique q'on implique radicalement dans une relation, votre chair, votre vécu, votre sensualité, votre quotidien, voire votre vie domestique en ont été ébranlé et bouleversé à jamais. Celà vous appartient. Et c 'est très bien ainsi. Simplement, tout s'efface.. Peu à peu... Et le silence revient. C'est tout. Amitiés Alcib. Portez "vous" bien...

Alcib a dit…

Merci, Willy, de votre assiduité, de votre amitié, de votre fidélité...
Je peux comprendre que certaines personnes de mon entourage ne sachent pas ce qu'il faut penser, ce qu'il faut croire de ma rencontre avec Alexander. Je n'ai d'ailleurs pas encore tout compris pourquoi j'ai été choisi... Mais l'intensité, la continuité, la cohérence, dans notre correspondance et nos conversations quotidiennes ont fait que la présence d'Alexander dans ma vie a été, et se poursuit autrement, est aussi « réelle » que celle de certains amis qui habitent à dix minutes à pied de chez moi mais que je ne vois pratiquement jamais.
Heureusement, il y a eu autour de moi quelques personnes très précieuses qui n'ont pas besoin de voir et de toucher pour comprendre le langage du coeur, et ces personnes ne m'ont pas fait l'affront de douter de ma santé mentale ou de ma capacité de jugement ou de discernement. Hélas, certaines de ces personnes ont quitté cette terre ou sont disparues. Les communications avec d'autres sont maintenant plus espacées, mais il est réconfortant de penser qu'elles sont là et qu'il suffit d'un appel téléphonique ou d'un courrier électronique pour poursuivre la conversation.
Je suis conscient que bien des gens ne peuvent pas comprendre ce que nous avons pu vivre, Alexander et moi... mais j'aurais aimé qu'au moins une ou deux fois on me pose une ou deux questions de bonne foi, ne serait-ce que par politesse, plutôt que de se réfugier dans un mutisme éloquent.
Je sens que vous êtes passé par là, ou par quelque chose de semblable.
Merci encore. Portez-vous bien aussi. Amitiés.

Laura a dit…

Ce que vous écrivez et racontez à propos d’Alexander m’a beaucoup touché, vous le savez, c’est ce qui m’a poussé à vous écrire il y a quelques mois. Je continue de vous lire, souvent. Je n’ai jamais rien connu de semblable à ce qui vous liait et vous lie toujours à lui, mais je crois profondément que certains liens vont au-delà d’une proximité physique qui ne traduit rien à elle seule. Les yeux ne peuvent pas tout voir. Et les gens sont souvent trop prompts à juger ce qu'ils ne veulent pas comprendre.

A bientôt Alcib, mes pensées vous accompagnent.

Alcib a dit…

Bonsoir Laura. Oui, je me souviens très bien de vos messages, de ce que vous disiez au sujet d'Alexander, mais aussi à votre sujet...
J'ai traversé une longue période un peu difficile (je l'écris au passé, au cas où cela pourrait faire en sorte qu'elle se termine), et je n'avais plus beaucoup de concentration pour écrire... S'il vous plaît de m'écrire encore, n'hésitez pas à le faire ; je ne répondrai peut-être pas le jour même, mais je le ferai avec plaisir assez rapidement.

Vous avez tout à fait raison. La proximité physique n'est pas toujours la garantie de l'authenticité et de l'intensité des relations.
Certaines personnes de mon entourage comprennent bien cela, et ont beaucoup aimé Alexander dans ce que je leur en ai dit. Et Alexander aimait beaucoup certains de mes amis, me demandait toujours de leurs nouvelles, et me priait de leur dire qu'il les aimait. J'ai toujours admiré sa sensibilité et sa perspicacité. De son côté, il disait ne rien pouvoir me cacher car je devinais tout (j'avais notamment deviné son identité - avec assez de précision - avant qu'il ne me la confirme).

dieudeschats a dit…

Cela me serre le coeur que tu aies dû faire face à ces incompréhensions et éloignements... De ce que tu laisses voir ici, tu me sembles une si belle et bonne personne ! Quand nos attentes envers nos amis sont déçues, c'est quelque part une autre sorte de deuil à faire.

Alcib a dit…

Dieudeschats : Merci de ce témoignage de sympathie.
Je ne sais pas si je suis une bonne personne : Alexander le croyait, et quelques personnes autour de lui. Assez régulièrement, quelqu'un me le dit. Mais tout cela est subjectif, n'est-ce pas ?
Je suis cependant loin d'être parfait. Je sais comment me comporter en société et, sauf exception, je suis généralement courtois, de bonne humeur, attentif, envers les personnes que je côtoie.
Les amis qui ont « disparu », dont je n'ai plus de nouvelles, n'avaient probablement rien à me reprocher vraiment ; ils ont plutôt été occupés ailleurs (l'un d'entre eux a acheté une maison en banlieue, et il a sûrement profité du déménagement pour refaire sa vie autrement ; je n'ai pas cherché à savoir).
Les plus blessants étaient (et le sont encore, mais j'ai compris) ceux qui gardaient le silence lorsque je prononçais le nom d'Alexander, comme si je n'avais rien dit. Ceux-là n'ont pas changé, et je ne n'attends rien d'eux ; certains sont des membres de ma famille officielle : j'ai l'habitude...
Dans l'une de ses plus émouvantes chansons, « L'Absent », Gilbert Bécaud dit : « La mort est misérable, qui poignarde le cœur et qui te déconstruit. »
La perte d'un être très cher et rare comme l'était Alexander, ça poignarde en effet, et ça fait très mal. Et, en plus, ça « te déconstruit ».
Tu as tout à fait raison, chaque perte, chaque déception est un deuil à faire. Parfois, même si les amis restent, on ne les apprécie plus de la même façon, il y a quelque chose de cassé entre nous, et cela aussi est un deuil.
Des amis très chers de l'entourage d'Alexander, qui m'écrivaient tous les jours ou plusieurs fois par semaine, sont disparus aussi dans les mois suivants. Chaque fois, c'était un deuil douloureux à faire. Dans certains cas, je ne sais même pas ce qu'ils sont devenus.

« La mort est misérable, qui poignarde le cœur et qui te déconstruit. » Oui, mais il n'y a pas que la mort qui entraîne le deuil ; et chaque perte, quels qu'en soient le genre et la cause, à sa manière, nous déconstruit aussi.
Les déconstructions répétées finissent par nous faire ressembler à des ruines.

Alcib a dit…

Je pensais demander à Rupert si je suis une bonne personne, et j'y ai renoncé... Je sais qu'il voudrait que je joue davantage avec lui. Et il m'aime surtout quand il a faim...
Au lieu de lui demander si je suis un bon ami, j'ai choisi d'essayer d'en être un meilleur encore : je lui parle davantage, je vais m'asseoir plus souvent à côté de lui, pour le caresser ou pour regarder un film ou des images avec lui ; je lui fais plus souvent des massages dont il raffole (au moins une fois par jour) ; je lui parle plus doucement et de façon plus affectueuse ; je lui demande plus souvent son opinion au lieu de lui dire quoi faire ; je partage davantage avec lui certains fruits et légumes (et il est adorable : il ne demande pas ; il s'asseoit et me regarde ; si je lui en donne, il est heureux, sinon, il est sans doute déçu, mais ne me harcèle pas)...