J'ai souvent été séduit par les bonnes manières dont faisaient preuve certaines personnes. Cela vient sans doute du fait que ma mère et ma sœur ont été mes premières institutrices ; ce statut de fils et de frère de l'institutrice m'imposait, au temps où les élèves respectaient l'autorité et se tenaient bien en classe et devant les adultes, de donner l'exemple à mes camarades. À l'adolescence, une belle-sœur et un beau-frère enseignants sont venus ajouter aux modèles familiaux pour ajouter plus de pression encore sur l'écolier exemplaire que j'étais la plupart du temps. Cette pression, je n'en étais pas vraiment conscient à cette époque ; je n'étais alors soucieux que d'apprendre et de donner le meilleur de moi-même à l'étude et aux travaux scolaires. Il m'est resté aussi de cette éducation, somme toute assez rudimentaire, le goût de la politesse et des bonnes manières.
Quand, à vingt ans, je vivais à Paris, je fréquentais principalement des artistes, chanteurs, danseurs, musiciens ; si certains d'entre eux avaient reçu une bonne éducation et vivaient assez bien, ceux que je voyais tous les jours vivaient, malgré eux, très modestement. Les cafés et les bistrots de Montparnasse leur servaient de moyen de communication, pour y laisser des messages, et nous tenaient souvent de lieux de rencontre. Toutefois, il m'arrivait d'être invité dans des salons du XVIe arrondissement ; c'est donc que je parvenais à me libérer des manières des habitués du café et du parfum tenace qui s'imprégnait dans les cheveux et dans les vêtements, mélange de tabac brun, de bière blonde sous pression, de café noir ou au lait et de frites dorées. Je me souviens d'un jeune Japonais dont la courtoisie et les bonnes manières m'avaient beaucoup impressionné quand j'avais dîné au restaurant avec lui et quelques amis. Venu étudier à Paris à dix-sept ans, je crois, Yuki était devenu l'amant de la femme qui l'hébergeait et qui devait avoir près de soixante-dix ans. Je ne doute pas un instant qu'au delà de l'amour qui les réunissait, il y avait un profond désir de parfaire une éducation déjà bien assise.
J'ai un ami, au titre nobiliaire dont il ne se sert pas et au passeport diplomatique qu'il n'utilise plus, qui a reçu une éducation européenne très rigoureuse. Sa courtoisie et ses manières sont impeccables. Si, à le fréquenter, j'ai appris à polir encore mes façons de me comporter en société, je dois dire qu'il a aussi appris avec moi la simplicité et le naturel dans la vie pratique. Noblesse oblige, d'accord, mais il faut aussi savoir s'adapter au monde dans lequel on vit. Quand je l'ai connu, il aimait répéter que lorsqu'un aristocrate a tout perdu, il lui reste les bonnes manières et le sens de l'humour ; avec lui, j'ai surtout insisté sur la simplicité et le sens de l'humour.
Quand, à vingt ans, je vivais à Paris, je fréquentais principalement des artistes, chanteurs, danseurs, musiciens ; si certains d'entre eux avaient reçu une bonne éducation et vivaient assez bien, ceux que je voyais tous les jours vivaient, malgré eux, très modestement. Les cafés et les bistrots de Montparnasse leur servaient de moyen de communication, pour y laisser des messages, et nous tenaient souvent de lieux de rencontre. Toutefois, il m'arrivait d'être invité dans des salons du XVIe arrondissement ; c'est donc que je parvenais à me libérer des manières des habitués du café et du parfum tenace qui s'imprégnait dans les cheveux et dans les vêtements, mélange de tabac brun, de bière blonde sous pression, de café noir ou au lait et de frites dorées. Je me souviens d'un jeune Japonais dont la courtoisie et les bonnes manières m'avaient beaucoup impressionné quand j'avais dîné au restaurant avec lui et quelques amis. Venu étudier à Paris à dix-sept ans, je crois, Yuki était devenu l'amant de la femme qui l'hébergeait et qui devait avoir près de soixante-dix ans. Je ne doute pas un instant qu'au delà de l'amour qui les réunissait, il y avait un profond désir de parfaire une éducation déjà bien assise.
J'ai un ami, au titre nobiliaire dont il ne se sert pas et au passeport diplomatique qu'il n'utilise plus, qui a reçu une éducation européenne très rigoureuse. Sa courtoisie et ses manières sont impeccables. Si, à le fréquenter, j'ai appris à polir encore mes façons de me comporter en société, je dois dire qu'il a aussi appris avec moi la simplicité et le naturel dans la vie pratique. Noblesse oblige, d'accord, mais il faut aussi savoir s'adapter au monde dans lequel on vit. Quand je l'ai connu, il aimait répéter que lorsqu'un aristocrate a tout perdu, il lui reste les bonnes manières et le sens de l'humour ; avec lui, j'ai surtout insisté sur la simplicité et le sens de l'humour.
Je repense à tout cela aujourd'hui en apprenant la mort , à 87 ans, de Jose Luis de Vilallonga, acteur et écrivain. Je l'ai vu plusieurs fois à la télévision dans des films que je serais bien en peine d'identifier. Je n'ai de lui que de lointains souvenirs, mais il faisait beaucoup penser à un grand acteur français que j'ai toujours admiré pour son talent mais aussi pour ses qualités d'homme : Michel Piccoli. Il me semblait de la trempe d'un autre grand du cinéma, descendant d'une autre grande famille aristocratique, milanaise celle-là, le duc de Modrone, mieux connu sous le nom de Luchino Visconti, metteur en scène et écrivain, mais surtout réalisateur de cinéma, parmi lesquels il y a plusieurs de mes préférés ; il est décédé quelques mois avant Maria Callas qu'il avait dirigée à l'opéra dans la mise en scène de La Sonnambula de Bellini et La Traviata de Giuseppe Verdi. S'il partageait avec Luchino Visconti l'appartenance à l'aristocratie, à un monde qui ne jouissait plus de ses privilèges, Jose Luis de Vilallonga ne semblait pas confiné dans la solitude résignée des personnages principaux du réalisateur italien dans deux de ses plus beaux films : Le Guépard et Violence et passion.
Jose Luis de Vilallonga a joué notamment dans Les Amants, de Louis Malle, dans Juliette des esprits, de Fellini, mais je ne garde pas de souvenir précis de ses rôles ni de son interprétation. Il a écrit une dizaine de livres, romans, récit et essais, que je n'ai pas lus non plus. Il y a plusieurs années, je m'étais dit que j'essaierais de lire l'un de ses romans, ne serait-ce que pour en découvrir le décor, l'atmosphère et les valeurs sous-tendues ; je n'ai jamais eu l'occasion de le faire. Aujourd'hui, je pense que si je pouvais revenir en arrière, je serais sûrement plus tenté de lire un récit qu'il a écrit sur le dictateur Franco « qui a géré [l'Espagne] comme une ferme »* ou un livre d'entretien avec le roi Juan Carlos.
Je ne sais pas si Jose Luis de la Vilallonga était un bon acteur ou un bon écrivain, mais je me souviens d'un entretien télévisé qui m'avait impressionné alors que j'étais encore très jeune. Quelques mois auparavant, j'avais lu La soirée avec monsieur Teste, de Paul Valéry, qui décrit un homme qui s'efforce de n'être qu'un esprit, éliminant tout geste, toute parole inutile et qui avait, en quelque sorte, « tué la marionnette » en lui. Autant, alors, je m'efforçais d'apprendre à m'exprimer, autant j'étais fasciné par le minimalisme, l'extrême discrétion de M. Teste, que j'essayais d'imiter à mes heures ; je n'y arrivais pas souvent, mais l'exercice était en soit très formateur.
Les animateurs de radio et de télévision n'ont pas la réputation d'être discrets et, trop souvent, ils considèrent leurs questions plus intéressantes que les réponses des personnes qu'elles reçoivent à leur émission, ce qui les fait souvent interrompre leurs invités, manquant en cela de respect envers l'invité et envers les auditeurs intéressés à entendre les réponses. Ne parlons pas des animateurs incompétents qui, dévorés par le trac, n'ont en tête que leurs questions préparées d'avance et qui sans se rendre compte que l'invité est en train de répondre passent à la question suivante.
Un soir, donc, à la télévision, Jose Luis de Vilallonga répondait aux questions d'une femme intelligente mais qui n'était sans doute pas du genre de celles qui inspiraient le séducteur. Ce n'est pas au sujet de cet entretien que Baudelaire aurait écrit qu'« aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste »**. J'avais été très impressionné de la parfaite maîtrise qu'avait de lui-même Jose Luis de Vilallonga ; dès que l'animatrice ouvrait la bouche, quelle que soit la phrase qu'il était en train de prononcer, quel que soit le geste qui discrètement l'accompagnait, il s'arrêtait net et son geste devenait une invitation à l'intervention de l'animatrice qui fut quelques fois décontenancée par cette extrême courtoisie. Si l'acteur, écrivain et marquis espagnol qu'il était n'avait pas l'intention de séduire l'animatrice, il était tout de même conscient que des centaines de milliers de téléspectateurs, ou davantage, avaient les yeux rivés sur lui. Et, mieux que quiconque, il savait pertinemment que, en matière de séduction, un silence vaut mille mots.
* Je ne sais plus où j'ai vu cette expression, « qui a géré le pays comme une ferme » ; il s'agit sans doute une citation de Jose Luis Vilallonga ; si elle n'est pas tirée de son récit sur Franco, Le sabre du caudillo, elle doit être tirée de ses Oeuvres complètes. - Ajout : J'ai trouvé : le titre exact du récit consacré à Franco est Le sabre du caudillo : histoire secrète de l'homme qui gouverna l'Espagne comme s'il s'agissait d'une ferme ; j'ai dû lire quelque part, je ne sais où, une allusion à ce livre.
** Baudelaire pensait sans doute alors au plaisir de l'homosexuel, qui n'est pas du même ordre que celui du pédéraste ; à force d'employer les mêmes mots à toutes les sauces, ils finissent par ne plus pouvoir indiquer les nuances et les distinctions.
Un soir, donc, à la télévision, Jose Luis de Vilallonga répondait aux questions d'une femme intelligente mais qui n'était sans doute pas du genre de celles qui inspiraient le séducteur. Ce n'est pas au sujet de cet entretien que Baudelaire aurait écrit qu'« aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste »**. J'avais été très impressionné de la parfaite maîtrise qu'avait de lui-même Jose Luis de Vilallonga ; dès que l'animatrice ouvrait la bouche, quelle que soit la phrase qu'il était en train de prononcer, quel que soit le geste qui discrètement l'accompagnait, il s'arrêtait net et son geste devenait une invitation à l'intervention de l'animatrice qui fut quelques fois décontenancée par cette extrême courtoisie. Si l'acteur, écrivain et marquis espagnol qu'il était n'avait pas l'intention de séduire l'animatrice, il était tout de même conscient que des centaines de milliers de téléspectateurs, ou davantage, avaient les yeux rivés sur lui. Et, mieux que quiconque, il savait pertinemment que, en matière de séduction, un silence vaut mille mots.
* Je ne sais plus où j'ai vu cette expression, « qui a géré le pays comme une ferme » ; il s'agit sans doute une citation de Jose Luis Vilallonga ; si elle n'est pas tirée de son récit sur Franco, Le sabre du caudillo, elle doit être tirée de ses Oeuvres complètes. - Ajout : J'ai trouvé : le titre exact du récit consacré à Franco est Le sabre du caudillo : histoire secrète de l'homme qui gouverna l'Espagne comme s'il s'agissait d'une ferme ; j'ai dû lire quelque part, je ne sais où, une allusion à ce livre.
** Baudelaire pensait sans doute alors au plaisir de l'homosexuel, qui n'est pas du même ordre que celui du pédéraste ; à force d'employer les mêmes mots à toutes les sauces, ils finissent par ne plus pouvoir indiquer les nuances et les distinctions.
3 commentaires:
les "bonnes manières" ne demandent pas forcément des parents enseignants. Il sufit qu'ils en aien (des bonnes manières) - et n'ont pas grand chose à voir, malheureusement, de nos jours avec les moyens, ni un titre.
J'ai connu de parfaits butors dans le 16ème et même le 7ème, et des cruches exitées.*Villalonga mort ! j'ignorais. C'est trise, et en même temps assez normal, il appartenaità la génération de mes parents ou au moins de ma mère
Brigetoun, vous avez raison sur toute la ligne.
Ce n'est pas nécessairement parce que ma mère enseignait que j'ai appris les bonnes manières. Je crois cependant que la pression que je sentais sur moi d'être toujours premier de classe et enfant modèle m'a donné le sentiment qu'il fallait bien connaître et intégrer les bonnes manières. Mais c'est un rôle que j'ai accepté de jouer alors que mes frères n'ont sans doute pas senti la même pression s'exercer sur eux. C'est donc plus une question de tempérament chez l'enfant que de profession des parents.
À la campagne, surtout dans une région éloignée comme celle où je suis né, dans un coin de forêt que mon père avait défrichée pour y construire d'abord une cabane où les aînés de la famille sont nés, pendant qu'il construisait lui-même la vraie maison où je suis né, les bonnes manière, comme l'instruction et l'éducation que l'on recevait, étaient en fait assez rudimentaires.
C'est aussi l'intention d'exercer plus tard la profession de ma mère qui a stimulé le goût d'apprendre davantage et de soigner un peu plus ma façon de m'exprimer et de me comporter en société. Tout cela s'ajoutant sans doute à une oreille musicale et à un certain sens de l'esthétique que je n'identifierai que bien plus tard... Si Paris a tant compté pour moi, c'est que cette ville est, comme la véritable patrie selon Yourcenar, l'endroit au monde où j'ai eu le sentiment de jeter pour la première fois un regard intelligent sur moi-même et que ce regard me semblait confirmé par l'entourage. Quitter Paris trop tôt fut pour moi un appauvrissement si terrible de ma vie intellectuelle, pas tellement à cause des vieilles pierres que je laissais derrière moi, mais à cause du processus d'éveil de toutes mes facultés, de tout mon être, qui était amorcé. Au retour, j'ai senti que l'on avait débranché tout le système d'irrigation qui me permettait de nourrir une riche arborescence et que désormais je devais me replier sur mes minima...
Je raconte un cheminement qui, d'un point de vue extérieur, n'a sans doute pas de logique et, comme on me l'a rappelé souvent : c'est mon blogue et j'en fais ce que je veux ;o))
Il y a en effet des êtres grossiers même dans les beaux quartiers comme il y a des esprits fins et sensibles dans les quartiers dits populaires. C'est un peu ce que j'ai essayé de faire comprendre à mon ami titré et qu'il a très bien compris, au fond, même si dans son enseignement il a souvent été frustré de ne pas recevoir les marques de courtoisie qu'il attendait de ses élèves, comme il avait appris à faire avec ses maîtres.
Jose Luis de Vilallonga aura été pour moi plus un symbole qu'un être que j'aurais appris à découvrir dans ses rôles et à travers ses oeuvres. L'annonce de sa mort a simplement éveillé en moi quelques souvenirs...
C'est vrai qu'à 87 ans, on peut s'attendre à ce que la mort survienne un jour ou l'autre. Dans le cas de mes parents, c'est tout de même survenu quelques années plus tard. Ils étaient déjà âgés quand je suis né...
Les bonnes manières sont avant tout pour moi des règles pour se comporter en tenant compte des autres, ne pas les gêner, les brusquer, les blesser inutilement. Ce que je déplore souvent à notre époque, plus que la disparition des bonnes manières en tant que telles, c'est l'individualisme forcené, la négation d'autrui pour faire passer ses intérêts au sens large coûte que coûte, en écrasant tout ce qui peut faire obstacle, sans états d'âme.
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