vendredi 30 mai 2008

Alexandre et Héphestion

Paul Véronnèse, La famille de Darius devant Alexandre (1565-1570)
Cliquez sur la photo pour l'agrandir

L'Histoire ancienne nous a laissé plusieurs beaux témoignages d'amitié entre deux hommes. Pour n'en mentionner que quelques-unes qui nous proviennent de la Grèce, rappelons celles d'Achille et Patrocle, de Castor et Pollux ainsi que celle d'Alexandre le Grand et Héphestion (on voit souvent l'orthographe Héphaestion ou Héphaistion).

Les historiens ne s'entendent pas tous sur l'ampleur et la nature de l'amitié qui liait Alexandre et Héphestion. Le plus beau témoignage sur cette amitié est sans doute celui de Roger Peyrefitte dans sa trilogie sur Alexandre (La jeunesse d'Alexandre, Les conquêtes d'Alexandre et Alexandre le Grand), biographie très fouillée et cependant boudée par les historiens puritains parce que l'auteur ne laisse pas sous le voile et les sous-entendus ce qui se passe dans la chambre à coucher des héros. Je peux comprendre qu'il s'agit là d'une biographie à ne pas mettre entre les mains de tout enfant ; mais quel enfant serait intéressé à une histoire si détaillée et précise courant sur près de deux milles pages ?

J'ai pu voir récemment le film Alexandre d'Oliver Stone, film de 2004 que je n'avais pas voulu voir, persuadé d'avance que je serais déçu. Il y a quelques semaines, un ami m'a prêté le dvd du film en question et je me suis empressé de le regarder, ne serait-ce que pour confirmer ou infirmer mes préjugés. Je dois dire que j'ai été à la fois séduit et déçu. Heureux de voir racontée en images, au prix de nombreux raccourcis, une histoire qui me fait rêver depuis quelques décennies et, en même temps, déçu de voir escamotés certains épisodes de la vie d'Alexandre, son enfance et sa première jeunesse entre autres. J'ai cependant écouté avec grand intérêt les commentaires en supplément sur le dvd au sujet de la réalisation du film ; on y dit notamment que la question de l'homosexualité (ou de la bisexualité) d'Alexandre le Grand reste taboue à notre époque alors qu'elle l'était beaucoup moins à celle d'Alexandre, il y a plus de 2300 ans.

C'est au cours de leur enfance que s'est nouée l'amitié entre Alexandre et Héphestion. Nés la même année et élevés ensemble, à Pella en Macédoine, les deux amis, fils d'aristocrates, ont reçu l'enseignement d'Aristote. Sur cette enfance et le début de cette amitié, La jeunesse d'Alexandre de Roger Peyrefitte n'est pas avare de détails, alors que le film d'Oliver Stone nous laisse sur notre faim.

Tous les historiens ne s'entendent pas sur la nature exacte des relations entre Alexandre et Héphestion, amoureuses ou pas, mais tous s'entendent cependant sur la solidité de leur amitié, digne de celle des héros d'Homère, Achille et Patrocle.

Ce tableau de Véronèse illustre un moment où l'armée d'Alexandre le Grand vient de remporter une victoire sur l'armée du roi des Perses, Darius III. Celui-ci aurait été assassiné et sa famille vient présenter ses respects à Alexandre. Or, Sysygambis, la mère de Darius III, trompée par la taille et la beauté d'Héphestion confond celui-ci avec Alexandre. Ce dernier, loin de s'en offusquer, dit en désignant Héphestion : « Lui aussi est Alexandre ». Peut-on trouver au monde plus beau témoignage d'amitié ?

J'espère qu'un jour quelqu'un consacrera un livre à Héphestion, livre qui pourrait bien s'appeler Héphestion ou l'amitié, Héphestion et la fidélité ou encore, pourquoi pas, Héphestion et l'amour indéfectible.

Ne peut-on pas dire avec Victor Hugo, aussi bien pour l'amitié que pour l'amour : « Deux êtres se sont aimés parce qu'ils se sont regardés. C'est comme cela qu'on s'aime, et uniquement pour cela. »

12 commentaires:

Anonyme a dit…

...Alexander edged more of the cloak around Hephaestion, remembering that at night he was always drawing close because of the cold...
"You're with me," Hephaestion said to Alexander."I love you. You mean more to me than anything. I'd die for you any time. I love you. Like a deer listening in the wind, you strike me still Alexander, you have eyes like no other...

Je aurai tres aimer qu'elqu'un a le merveileux idea de meler les cendre de Hephaestion et de Alexander, comme ce ete fait pour Achilles et Patroclus. Alors meme un dieu il ne peut plus les separer!
Mais dans le coeur de moi, ils est ensemble pour toujour

Alcib a dit…

Alexander : Je te remercie de ce commentaire qui me touche beaucoup. Est-ce un hasard (« il n'y a pas de hasard », aimait à me répéter un ami) si Alexander est le premier lecteur et le premier commentateur de ce billet sur Alexandre le Grand et son inséparable ami Héphestion, que seule la mort a séparé trop tôt, beaucoup trop tôt ?
Les grands destins ont souvent une trop courte existence...

Cette déclaration d'amour d'Héphestion à Alexandre exprime très bien la force et l'authenticité des sentiments de celui qui a respecté sa parole, qui a été, toute sa vie, fidèle à son ami d'enfance, à son compagnon de jeu, au jeune roi, au conquérant...

J'avais oublié cette précision au sujet des cendres d'Achille et de Patrocle et je suis heureux que tu le rappelles. C'est très important de rappeler cette union même dans la mort de ces deux inséparables, surtout lorsqu'on sait qu'Alexandre et Héphestion vouaient à Achille et Patrocle une véritable dévotion. Lorsqu'ils sont arrivés en Asie, en 334 av. J.-C., ils allèrent déposer une couronne sur les tombes d'Achille et de Patrocle, près de Troie.

C'est en effet très dommage que l'on n'ait pas pensé à unir les cendres d'Alexandre à celles d'Héphestion. Après s'être isolé plusieurs jours pour cacher sa souffrance de la perte de son ami, Alexandre a organisé des funérailles grandioses pour Héphestion. Hélas, lorsqu'Alexandre est décédé, il semble qu'il n'avait pas quelqu'un qui puisse exécuter les volontés d'Alexandre aussi fidèlement que son coeur l'aurait voulu.

Ce qui compte, comme tu le dis, c'est qu'Alexandre et Héphestion soient ensemble à jamais dans le coeur de ceux qui sont inspirés par leur amitié, par leur amour.

Tu as de la chance d'habiter près du British Museum, qui contient tant d'oeuvres de la Grèce antique, et surtout cette tête d'Alexandre qu'Héphestion a dû voir lui-même puisqu'elle aurait été réalisée pendant que l'un et l'autre étaient vivants.

Ensemble, pour toujours, les vrais amis.

Jean-Marc a dit…

Tu me donnes envie de lire sur ce sujet... Sais-tu que je connais à peine Roger Peyrefitte et son oeuvre littéraire...?

Un livre que j'avais beaucoup aimé, et qui aborde les amours masculines avec beaucoup de pudeur, mais avec énormément de poésie, c'est "Le grand Vizir de la nuit", de Catherine Hermary-Vieille, qui avait remporté le prix Femina en 1981. L'histoire du calife Haroun-El-Rachid, contemporain de Charlemagne, et de son Grand Vizir, Djafar al-Barmaki, qui nous plonge dans le charme de Bagdad au IXème siècle.

Alcib a dit…

Jean-Marc : Je connais Catherine Hermary-Vieille de nom seulement ; je n'ai encore lu aucun de ses livres.

Si tu veux connaître les moeurs de l'époque, les costumes, coutumes, etc., et si l'abondance de noms propres à chaque page, la triologie de Roger Peyrefitte est tout indiquée. C'est très fouillé, très détaillé. C'est sûrement lui qui connaît le mieux l'histoire d'Alexandre et de ses contemporains. Et c'est magnifiquement bien écrit.

Si tu veux l'histoire sous forme de roman, plus fluide, Mary Renault a aussi écrit une excellente trilogie. J'avais lu le 2e volume il y a 20 ans, « L'enfant perse ».
Je viens d'acheter le premier de la série, « Le feu du ciel », dont je vais sans doute commencer la lecture ce dimanche ou lundi.

Manfredi a aussi écrit une trilogie qui semble s'être bien vendue ces dernières années. Je ne l'ai pas encore lue.

Sinon, il y a tous les classiques et plusieurs écrivains français ont consacré des biographies à Alexandre. Je suis loin de les connaître mais j'en ai lu quelques-unes. Si tu faisais une recherche dans une bibliothèque, je serais curieux de savoir combien de livres ont été consacrés à Alexandre. Il semble que l'histoire du fidèle mais discret Héphestion soit encore à écrire ou... à paraître.

Alcib a dit…

Jean-Marc : quelques mots ont sauté au début du 2e paragraphe de ma réponse ; il aurait fallu lire : « et si l'abondance de noms propres à chaque page ne te rebute pas, la triologie de Roger Peyrefitte est tout indiquée. »

Roger Peyrefitte a beaucoup écrit (certains diront « trop »). Le roman qui l'a fait connaître, c'est « Les amitiés particulières », qui se déroule dans un collège religieux. Quand le livre est sorti après la Libération, Gide lui avait écrit : « Je ne sais si vous aurez le prix Goncourt mais une chose est certaine : on lira encore votre livre dans cent ans. »
Par la suite il a écrit deux romans sur la carrière diplomatique ; moi j'avais beaucoup aimé. Il a écrit des livres sur les Juifs, sur les Francs-Maçons, sur les Français, les Américains, sur le Vatican, etc.
Il fut le premier sans doute à raconter à la première personne sa relation amoureuse avec un adolescent, dans « Notre amour ». (aujourd'hui, dans la société puritaine qui se donne des airs de société libre, il serait sûrement en prison pour le reste de ses jours. »
« Notre amour » a eu une suite : « L'enfant de coeur », où il est beaucoup question d'argent et de la vie grenouillante du Paris des années 70.
Il a écrit deux grosses briques sur Voltaire, son écrivain fétiche.
Si « Les amitiés particulières » l'ont fait connaître et lui ont procuré la vie dont il rêvait, on peut affirmer affirmer sans se tromper que ce dont il est le plus fier, c'est son immense biographie d'Alexandre le Grand. Il a sûrement vécu pour écrire un jour cette biographie, qu'il a dû préparer durant plusieurs décennies.

Nicole a dit…

Tout à fait d'accord et votre conclusion est magnifique. Je reviens de Paris et j'ai vu dans le métro plusieurs couples d'hommes qui dévoilaient leur amour comme plusieurs couples d'hétéros également. Je regardais ces couples et je les trouvais magnifiques. Je crois sincèrement que l'amour n'a pas de sexe. Que ce soit en amitié ou en amour, on peut aimer passionnément.

Alcib a dit…

Nicole : Merci. Je suis d'accord avec toi. Les personnes ont un sexe, mais l'amour, lui, n'en a pas.

Alexander : Es-tu d'accord avec Mary Renaud qui fait dire à Lysimachos qu'Alexandre (qui allait devenir le Grand) réunissait en lui la force d'âme et la fierté d'Achille avec la sensibilité de Patrocle ? Et l'auteur ajoute : « Chacun d'eux a souffert pour ce qu'il était. Ce garçon [Alexandre] souffrira doublement. »

Jean a dit…

Bonjour Alcib,

Quelle a été ma joie de lire ce billet sur votre blog. Je suis tombé sur le film d'Oliver Stone il y a de cela moins d'une semaine et je ne cesse de le regarder. C'est vrai qu'il n'est pas parfait, mais je pense que la facon dont s'est traitée l'amitié d'Alexandre et d'Hephaistion est est poétique...le réalisateur n'est pas allé jusqu'au bout...je ne sais pas pourquoi.
Je n'ai que 19 ans et je pense avoir trouvé mon modèle en cet homme, Alexandre que je connaissais en classe surtout comme un "tyran". Ce qui est faux. Que cet homme avait de la vision. Et que dire de son amitié et de son amour sublime pour Hephaistion...cela est si rare de nos jours. Plusieurs cherchent un Hephaistion...ou un Alexandre...cette page d'histoire me marque beaucoup.
Et en tant que jeune, je prends la résolution de découvrir un peu plus sur ce grand homme et sur cette amitié particulière.
Comme vous l'avez conseillé, je vais commander sur Amazon la trilogie de Roger Peyreffite...puisque si je comprends bien c'est lui qui raconte tout sans vile hypocrisie n'est-ce-pas?

Merci pour tout...

Alcib a dit…

Jean : Je te remercie de ce très beau commentaire, qui me touche beaucoup. Puisque c'est, je crois, la première fois que tu laisses un commentaire ici, je te souhaite la bienvenue et... tu peux faire un voeu (quand on fait les choses pour la première fois).
J'ai cru qu'en cliquant sur ton pseudo (ou ton prénom), j'aboutirais sur ton blogue, mais ce n'est pas le cas ; tu n'en as probablement pas.

Puisque ce film d'Oliver Stone est fortement associé dans mon esprit à mon amoureux, Alexander (c'est son vrai prénom), décédé le 7 juillet dernier, je n'ai pas encore le courage de revoir le film. Je le ferai un jour, sachant que je pleurerai beaucoup.

Je traîne partout avec moi, cependant, comme le faisait Alexander, le premier tome, « Le Feu du ciel », de la trilogie que Mary Renault a consacrée à Alexandre le Grand.

Alexandre le Grand est une immense source d'inspiration et il est, depuis très longtemps, l'un de mes héros, parmi les premiers. Mais il a quelque chose d'inaccessible ; on en a fait un dieu, difficile à imiter.

Héphaistion, cependant, le fidèle ami et amoureux d'Alexandre, est nettement plus accessible, plus humain. Alexander, mon amoureux, vouait à Héphaistion un culte très grand. Héphaistion était pour lui le symbole le plus représentatif de l'amitié indéfectible, de l'amour et de la fidélité. Alexander était en train d'écrire un essai sur Héphaistion ; il en avait déjà écrit 300 pages, mais il est parti beaucoup trop tôt, en juillet dernier, à l'âge de 27 ans. Je ne sais pas si un jour on pourra publier son essai (que je n'ai pas lu moi-même : tous ses écrits, ses carnets de note, etc., ont été récupérés par la famille - du moins je l'espère - et je doute qu'un jour on voudra rendre à César ce qui est à César et à Alexander ce qui est à Alexander : son univers personnel, ses écrits, son oeuvre...)

Alexander était médecin et il aurait aimé être celui qui était chargé de soigner Héphaistion ; il l'aurait guéri, lui, et toute l'Histoire qui a suivi aurait été différente.

Roger Peyrefitte est sans doute celui qui a écrit la biographie la plus fouillée au sujet d'Alexandre le Grand, celui qui en effet n'a pas voulu mettre des voiles pudiques sur ce que les puritains, même historiens, n'ont pas voulu voir.
Cela fait une biographie chargée de détails, de noms propres à toutes les pages, mais elle est sans doute celle qui permet de mieux vivre comme si l'on y était la vie de cette époque, en accompagnant nos deux héros et leur entourage.

Par l'intermédiaire de ce blogue, sans être moi-même Alexandre (ni grand ni petit) j'ai rencontré mon Héphaistion ; il portait un prénom prédestiné puisqu'il s'appelait Alexander. Il est parti beaucoup trop tôt, mais toute ma vie j'essaierai d'être digne de son amour en m'inspirant de son indéfectible fidélité.

Bonne lectures, Jean. Même si tu n'as que 19 ans, tu as, avec Alexandre et Héphaistion, de quoi t'occuper au moins jusqu'à la retraite ;o) Un jour à la fois...

Iskander a dit…

Alexandre n’a jamais compris ni jamais admis la trahison, la perfidie, les moyens de se battre déloyaux. Scandalisé, outré de la déloyauté des Thébains et des Athéniens en 335, comme son père en 338, il se précipite avec toute son armée contre eux.

Alexandre ne tolère pas la déloyauté. Il est prêt à pardonner si on lui livre seulement deux coupables de parjure. Visiblement, il ne comprend rien aux tergiversations, aux négociations en sous-main avec l’adversaire perse, aux marchandages, à la diplomatie secrète, aux palinodies.

Alcib a dit…

Iskander : Je vous remercie de ce commentaire (et je suis désolé d'avoir mis tant de temps à le mettre en ligne : j'ai été occupé et j'ai négligé un peu ce blogue ces derniers jours).
Par le pseudonyme que vous avez choisi (Iskandar ou Iskander : Alexandre en perse), on devine qu'Alexandre le Grand prend une grande place dans votre vie aussi.

Alcib a dit…

Iskander : Si vous le permettez, je mettrai sur ma page d'accueil un lien vers votre site Web, pour les personnes qui voudraient mieux connaître le Grand personnage. Je n'ai pas encore moi-même parcouru attentivement vos pages ; je le ferai dès que j'aurai l'esprit un peu plus tranquille.