vendredi 6 février 2009

Réponse des Québécois aux propos méprisants du président français

J'ai le cœur et l'esprit ailleurs. Ça me répugne de mettre en ligne cet article à la suite de celui d'hier, mais je ne peux pas laisser passer ces insultes présidentielles sans exprimer mon indignation. J'aimerais mieux écrire autre chose, sur d 'autres sujets. J'essaierai par exemple de donner mon point de vue sur les anges, pour répondre à cette jeune femme que je ne connais pas, qui m'écrit de France...

Je n'ai plus tellement envie de commenter l'actualité politique et sociale. La politique fait partie des illusions dont j'ai fait mon deuil en 2008. Les simagrées du petit agitateur agité qui n'arrive toujours pas à se hisser au niveau de la fonction présidentielle qu'il exerce ne m'intéressent pas et je dois dire que je me porte très bien si je suis une semaine sans en entendre parler. Pour me donner toutes les chances de préserver ma sérénité, je n'écoute pratiquement plus les bulletins de nouvelles de la télévision française. Mais la caractéristique principale d'un manipulateur étant de faire en sorte qu'on s'occupe toujours de lui, d'une façon ou d'une autre, on ne s'en sort pas très longtemps.

En remettant la légion d'honneur au premier ministre du Québec, Jean Charest, le président français a jugé nécessaire de rappeler son opinion au sujet de l'avenir du Québec, opinionque son entourage avait habilement tenté d'atténuer lors du passage éclair, comme une évacuation précoce, à Québec l'automne dernier. Il tenait à le redire : ses amis à lui sont canadiens et non québécois. Sans réel souci de faire plaisir au premier ministre actuel du Québec qui n'attend que son tour soit venu de devenir premier ministre du Canada, le président français s'est dissocié de la traditionnelle position de la France envers le Québec : « Ni ingérence ni indifférence ». Il est résolument l'ami des activistes fédéralistes, dont certains travaillent avec acharnement dans l'ombre pour saper toutes les chances qu'un jour l'État du Québec soit admis à la table des Nations Unies. C'est son droit d'adopter cette position, même si les Québécois sentent qu'une fois de plus leur principal allié dans la défense de la langue et de la culture française en Amérique du Nord les laisse carrément tomber.

Or, le petit homme, ignorant totalement la réalité québécoise et trop orgueilleux pour écouter les avis de ses conseillers en politique internationale, en a rajouté. Il a jugé intéressant de déclarer que les souverainistes québécois était sectaires et partisans du replis sur soi. Le président français ne savait-il pas en affirmant gratuitement de tels jugements qu'il insultait carrément 50 % de la poplulation du Québec ? Il aura jugé que si le Québec est, en superficie, trois fois plus grand que la France, son poids politique sur la scène internationale est négligeable (c'est ce qu'il croit). Or, si le Québec est un petit État il a l'avantage d'être représenté par un premier ministre qui est bien tiède lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts de la nation québécoise, mais si on le compare au président français, il ne sera jamais aussi mesquin, aussi petit et aussi vulgaire dans son amour des premières pages des journaux et de l'argent vite gagné. Ce n'est pas non plus le premier ministre du Québec qui limogera le maire d'une commune où ses oreilles sensibles auraient entendu à travers les murs épais la rumeur d'un groupe de manifestants.

Je ne suis pas diplomate et je n'ai pas à mesurer mon mépris pour cet individu (si j'étais en France j'aurais sans doute droit à la visite de ses fiers à bras policiers et judiciaires). Très embarrassé par les propos du président français et par ceux d'autres élus de son entourage, le premier ministre du Québec, Jean Charest, fédéraliste « sectaire », n'ira pas jusqu'à demander des excuses au président francais. Pauline Marois, chef du Parti Québécois et chef de l'Opposition officielle à l'Assemblée nationale du Québec, ainsi que Gilles Duceppe, chef du Bloc Québécois, représentant 50 députés du Québec sur 75 élus à la Chambre des Communes du Canada, ont signé une très belle lettre pour exprimer poliment au président français que jamais aucun homme politique étranger, même adversaires du projet souverainiste québécois, n'avait insulté les Québécois à ce point. J'aimerais être l'auteur de cette lettre, mais ce n'est pas le cas. Voici donc le contenu de cette lettre que j'ai reçue hier et qui a été remise au président français par l'entremise des services diplomatiques.






Montréal, le 4 février 2009

Monsieur Nicolas Sarkozy
Président de la République française
Palais de l'Élysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
France

Monsieur le Président,

Nous voulons réagir de deux façons aux propos que vous avez récemment tenus à l'Élysée au sujet du Québec. D'abord, vous nous voyez ravis de constater que vous trouvez trop timide la politique française antérieure qui parlait de « non indifférence » pour qualifier l'intensité des rapports entre nos deux peuples. Vous préférez, dites-vous, parler « d'amour » entre des nations frères faisant partie d'une même famille. Dans la même veine, et cela vous surprendra peut-être de la part de deux leaders indépendantistes, nous vous félicitons pour l'énergie que vous avez mise, et que vous mettez encore, à assurer le succès de dossiers franco-québécois que nous appuyons vivement: la reconnaissance réciproque des diplômes entre Français et Québécois, qui permettra à nos professionnels d'œuvrer et de voyager plus facilement de part et d'autre, et le projet de libre-échange Canada-Union Européenne, dont le Québec est le principal promoteur et serait, de ce côté-ci de l'Atlantique, le principal bénéficiaire.

Car contrairement à l'idée que vous semblez avoir de nous, les indépendantistes québécois sont favorables à tout ce qui permet au Québec de s'ouvrir au monde. Vous semblez l'ignorer, Monsieur le Président, car à l'Élysée, vous avez accompagné vos remarques fraternelles de remontrances à certains de vos frères, affirmant au sujet des indépendantistes québécois qu'ils n'adhèrent pas au « refus du sectarisme, de la division, de l'enfermement sur soi-même, au refus de définir son identité par opposition féroce à l'autre ».

De qui parlez-vous, Monsieur le Président? Des 49,4 % de Québécois, et donc de la forte majorité de francophones, qui, le soir du 30 octobre 1995, ont voté Oui à la souveraineté du Québec? Au 43% qui, lors d'un sondage de la semaine dernière, ont réitéré ce choix? Cela fait beaucoup de monde. La moitié de la famille, Monsieur le Président. « Sectaires » ? « Féroces » ? les électeurs québécois qui ont élu en octobre 49 députés indépendantistes, soit près des 2/3 de la députation québécoise à la Chambre des communes à Ottawa et, en décembre dernier, 51 députés à Québec, formant ainsi l'opposition officielle? « Adeptes de l'enfermement », les Québécois qui ont élu quatre gouvernements souverainistes majoritaires au cours des 30 dernières années?

Nous ne pensions pas que le général de Gaulle nous appelait à l'enfermement sur nous-mêmes lorsqu'il a souhaité, en juillet 1967, que « Vive le Québec libre! » Nous jugeons toujours qu'il avait raison lorsqu'il a plus longuement expliqué ce qui suit en novembre 1967 : « Que le Québec soit libre c'est, en effet, ce dont il s'agit. Cela aboutira forcément, à mon avis, à l'avènement du Québec au rang d'un État souverain, maître de son existence nationale, comme le sont par le monde tant et tant d'autres peuples, tant et tant d'autres États, qui ne sont pas pourtant si valables, ni même si peuplés, que ne le serait celui-là. » Nous ne pensons pas, non plus, que les nombreux hommes et femmes politiques français, dont plusieurs ont joué et jouent un rôle éminent au sein de votre formation politique, qui nous ont prodigué conseils et encouragements au cours des années et encore aujourd'hui, veulent pousser le Québec au sectarisme.

Notre mouvement est fier d'avoir incarné au cours des années l'exact contraire de l'idée que vous vous en faites. C'est ainsi que le fondateur de notre mouvement, René Lévesque, s'est battu bec et ongles pour que le Québec puisse s'exprimer au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie, lorsque le gouvernement canadien le lui refusait. On doit à son successeur Jacques Parizeau d'avoir, le premier, appuyé le projet de libre-échange canado-américain, contre les partis pro-canadiens à l'origine trop frileux pour s'y engager. La mobilisation de l'électorat souverainiste québécois en faveur de cet accord en a assuré le succès lors d'une élection cruciale en 1988.

Ce sont des politiques économiques mises en œuvre par des gouvernements du Parti Québécois qui ont permis au Québec d'avoir une économie plus ouverte sur le monde que celle de la plupart des pays occidentaux. Ce sont des politiques linguistiques introduites par le Parti Québécois qui assurent désormais au sein de la majorité québécoise l'intégration de vagues d'immigration successives, jouissant de politiques plus ouvertes et plus généreuses que celles de la plupart des pays occidentaux.

C'est l'Assemblée nationale du Québec, sous la direction d'un président indépendantiste, qui a organisé la Conférence des parlementaires des Amériques, contre le vœu du gouvernement canadien et malgré les obstacles qu'il lui a opposés. Les exemples sont nombreux.

Nous ne savons pas d'où vous est venue l'idée que nous réclamons de vous que vous détestiez le Canada. Malgré nos différends importants avec nos voisins, nous respectons ce pays, ses valeurs et sa population. Nous pensons que l'indépendance du Québec mettrait un terme aux rancœurs et aux débats épuisants qui jalonnent l'histoire de notre présence dans le Canada. Dans l'argumentaire que nous distribuons largement, nous affirmons à tous que « le Canada et le Québec seront de bons partenaires au sein de la communauté internationale. Souverain, le Québec discutera de pays à pays avec le Canada et les chicanes fédérales-provinciales seront choses du passé. Nos deux nations sont destinées à collaborer, histoire et géographie obligent. »
Vous n'êtes pas sans savoir que les Nations-Unies ont accueilli, depuis 1980, pas moins de 38 nouveaux pays. Chacun a choisi de parler de sa propre voix, plutôt que de prolonger sa présence au sein d'un pays plus large qui n'était pas le sien. Loin de condamner leur arrivée, de leur faire des remontrances sur l'enfermement, la France les a accompagnés, les a reconnus. C'est ce que les Québécois attendent d'elle.

Mais nous devons à la vérité de vous faire savoir que jamais un chef d'État étranger n'a autant manqué de respect aux plus de deux millions de Québécois qui se sont prononcés pour la souveraineté. Plusieurs chefs d'État et de gouvernement, surtout du monde anglophone, ont publiquement souhaité le maintien d'un Canada uni, vantant, comme l'avait fait le président Bill Clinton en 1995, la qualité des rapports entre son pays et le Canada. D'ailleurs, George Bush père avait affirmé en 1990 que notre cas était parmi ceux où « il faut rester courageusement assis en coulisses ». Aucun n'a utilisé envers le mouvement indépendantiste les épithètes pour tout dire méprisantes que vous employez.

Mais puisque vous parlez d'enfermement, Monsieur le Président, laissez-nous vous éclairer davantage. Vous avez affirmé lors de votre passage en octobre que le Canada, « par son fédéralisme, a décliné un message de respect de la diversité et d'ouverture ». Savez-vous que depuis maintenant plus d'un quart de siècle, le Québec est gouverné par une constitution canadienne qui lui a été imposée contre sa volonté, qui restreint son autonomie en matière d'éducation, de langue et de culture, qui n'a pas été soumise à un référendum et qu'aucun premier ministre québécois, depuis René Lévesque jusqu'à Jean Charest, n'accepte de signer? Savez-vous qu'aucune réparation de cette situation inacceptable n'est envisagée ou envisageable? La France accepterait-elle de rester dans l'Union Européenne si le reste de l'Europe lui imposait un nouveau traité réduisant unilatéralement sa souveraineté sur des questions identitaires, sans même la consulter par référendum? Nous n'osons imaginer quelle serait votre réaction si une telle injustice était infligée à votre nation.

Enfermement encore: nous savons désormais qu'au soir du référendum de 1995, si une majorité de Québécois avaient démocratiquement voté en faveur de la souveraineté du Québec, le premier ministre canadien Jean Chrétien aurait refusé de reconnaître ce choix.

C'est ce qu'il a avoué depuis, même s'il avait déclaré cinq jours auparavant, dans une adresse solennelle à la nation, qu'un choix pour le Oui serait « irréversible ». Toute honte bue, le premier ministre canadien maintient que, même en votant majoritairement pour la souveraineté, le Québec n'aurait pu quitter le Canada. Nous savons cependant que, simultanément, votre prédécesseur, le président Jacques Chirac, aurait reconnu la décision politique des Québécois, se rangeant ainsi du côté de la démocratie et l'accompagnant dans son choix. Plusieurs pays francophones auraient fait de même et nous savons que la démocratie l'aurait emporté.

Il est vrai, Monsieur le Président, que les Québécois ne seront pas appelés à revoter sur cette question dans l'avenir immédiat. Cependant, puisque rien de fondamental n'est résolu dans les rapports Québec-Canada, il n'est pas impossible que cela survienne pendant que vous présidez aux destinées de la France. Il n'est pas impossible que la démocratie québécoise ait besoin de l'appui de tous ses amis, de tous ses frères.

Dans cette hypothèse, il vous reviendra de décider si vous souhaitez laisser, ou non, la marque d'un président qui, à un moment crucial, a su répondre avec une réelle fraternité à l'appel de l'Histoire.

Pauline Marois
Chef du Parti Québécois
Chef de l'opposition officielle

Gilles Duceppe
Chef du Bloc Québécois

3 commentaires:

Brigetoun a dit…

ah bon ! vous aussi ?
Se dire qy'avi=oir droit à une stupidité dédaigneuse de notre excellentissime c'est se trouver en bonne compagnie.
Les seuls qui le méritent :nous autres pour l'avoir élu (enfin je n'y suis pas pour grand chose).
Problème si la France c'est ce qu'il en fait je n'en fais pa partie, mais je l'aime bien mon pays, alors ?

Alcib a dit…

Brigetoun : Au Québec seulement, nous sommes au moins deux millions à sympathiser. Deux millions, c'est peu si on compare à la population française, mais deux millions, c'est au moins 50 % des électeurs québécois.
Ne vous culpabilisez surtout pas ; vous ne l'avez pas choisi.
Quelques-uns de nos leaders politiques ont eu une réaction très saine à son sujet en disant : « les présidents passent, la France demeure. »

V à l'Ouest a dit…

Très bien, cette lettre. Et encore trop gentille, diplomatie oblige.