dimanche 15 juin 2008

Mon père, ce héros ?


L'image vient d'ici

Le troisième dimanche de juin c'est, dans de très nombreux pays, le jour de la fête des Pères.

Certains parcourront de longues distances pour aller exprimer leur filiale affection. J'ai beaucoup de respect et de tendresse pour cela. Quand mon père était vivant, tous ceux de la famille qui pouvaient le faire se rendaient à la maison familiale pour lui offrir leurs voeux et des cadeaux. Réunis autour de la table, nous renouvelions ensuite les dîners de famille. Ceux qui habitaient trop loin se manifestaient par téléphone, après l'avoir fait d'abord par la poste au cours des jours précédents. Depuis qu'il n'est plus là, je me contente d'avoir une pensée spéciale pour lui ce jour-là.

J'ai toujours eu avec ma soeur aînée et son mari une relation plus affectueuse qu'avec mes parents officiels. C'est normal puisqu'ils m'avaient « adopté » durant près de deux ans, faisant pratiquement de moi leur fils unique avant l'arrivée de leurs propres enfants. L'affection et la complicité qui sont toujours restées entre mon beau-frère et moi ont amené quelqu'un que je connaissais à se demander si, en fait, ma soeur et mon beau-frère n'étaient pas mes véritables parents ; la question m'avait quelque peu désarçonné, avait semé le doute en mon esprit. Le jour du décès de mon père alors que nous étions plusieurs à manger au restaurant, près de l'hôpital, mon beau-frère a lui-même abordé la question de mon « adoption » durant deux ans, dans les toutes premières années de mon existence ; j'en ai profité pour lui poser la question. M'annonçant qu'il avait été un moment question de m'adopter officiellement mais que non, il n'était pas mon père, que j'étais réellement le fils de mes parents.

Mon « père affectif » a célébré dernièrement un anniversaire important ; plus de soixante-quinze personnes sont venues de partout pour souligner l'événement et, bien entendu, j'y étais. Toutefois, ce qui lui aura fait le plus plaisir, j'en suis sûr, c'est que le lendemain, profitant du passage d'une nièce qui a une voiture (je suis sans doute le seul à ne pas en avoir, au fond), je suis allé lui rendre visite dans sa municipalité des Laurentides, au nord de Montréal ; il était si fier de me faire visiter la maison dont il vient à peine de terminer la construction et l'aménagement. Fier de cette maison qu'il a construite lui-même dans ses moindres détails, de ses propres mains, mais fier surtout de me la faire visiter à moi, et heureux que je sois là, chez lui, moi qui suis toujours ému de les voir, ma soeur et lui, dans les réunions de famille mais qui ne suis pas allé très souvent chez eux ces dernières années.

Vers le milieu de l'adolescence, mon neveu-filleul m'appelait toujours à la fête des Pères car, disait-il, j'étais son « père spirituel » (parce que ses parents étaient divorcés et qu'il ne voyait pas souvent son père, j'essayais d'être le plus présent possible).

Je connais un garçon pour qui ce devoir filial reste un rendez-vous incontournable dans une vie pourtant bien remplie. Hier soir, après une longue journée de travail, à sauver des vies, soulager des souffrances, encourager ou tenter de consoler des familles, ce jeune homme est monté sur sa moto, après dix-neuf heures, a parcouru plus de cent cinquante kilomètres afin d'aller se recueillir sur la tombe de son père et y déposer la gerbe de fleurs qu'il avait fait préparer pour l'occasion. Elles côtoieront celles qu'y avaient déposées plus tôt dans la journée le frère aîné, l'autre fils aimé et aimant. Après avoir fait ses dévotions, après ce moment de recueillement, le garçon verra qu'il y a de la lumière dans la maison familiale qu'habite le frère aimé. Il ne s'arrêtera toutefois pas pour aller saluer le grand frère. Il remontera sur sa moto, reprendra la route pour refaire en sens inverse les cent cinquante kilomètres et finalement rentrer chez lui vers minuit.

Voilà bien un jeune homme pour qui « amour filial, mémoire, fidélité, respect des traditions » ne sont pas de vains mots. Je sais aussi qu'un peu partout sur la Terre, d'autres fils, d'autres filles, auront rendu hommage à leur père, qu'il soit vivant ou disparu. Moi qui n'ai pas tellement l'esprit de famille, j'ai pourtant pour eux beaucoup de respect et, d'une certaine façon, je les envie.

16 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a une phrase superbe dans "Le portrait de Dorian Gray" (qui en contient d'ailleurs beaucoup) : "Les enfants commencent par aimer leurs parents, puis ils les jugent, et quelquefois ils leur pardonnent".
J'ai toujours eu la conviction intime qu'on ne pouvait se connaître soi-même qu'en "connaissant" ses propres parents. Une connaissance qui va au-delà de ce que les mots apportent, qui est d'ailleurs une sorte de souffrance et également, oui, c'est tellement bien vu - une forme de pardon.

Alcib a dit…

Delest : Merci de me rappeler cette belle phrase que j'avais notée au moment de ma lecture du « Portrait de Dorian Gray » mais que j'avais oubliée... Oscar Wilde a le secret de ces phrases qui dénotent si bien son sens de l'observation et sa capacité à résumer en peu de mots son idée sur une une situation, une réalité, une question.
Tu as très certainement raison au sujet de la connaissance de soi ; ce n'est certainement pas en ignorant la famille que l'on arrive à se connaître soi-même. Il se peut toutefois que l'observation soit plus juste si elle est faite à distance ; le recul éclaircit parfois la vision.
Je suis tout à fait d'accord aussi avec les trois grandes étapes : aimer, juger, pardonner. Chacune est nécessaire dans le développement d'un enfant ; on s'attache et l'on aime ceux qui nous aiment assez pour faire en sorte que l'on soit en sécurité, que l'on ne manque de rien...
À l'adolescence, la connaissance de soi passe par l'esprit critique et par par une distanciation par rapport à l'identité qui semble trop facilement aller de soi.
À l'âge adulte, quand on a fait le tour de soi-même, après avoir fait le tour du monde dans certains cas, on se rend compte qu'au fond nous ne sommes pas si différents de nos parents, que nous ne sommes pas « une île », comme on le disait hier, et que, malgré ce que pourrait considérer comme des erreurs, ceux-ci ont sans doute donné le meilleur d'eux-mêmes et que, dans des circonstances similaires, nous n'aurions pas fait mieux. Le pardon s'impose alors.

C'est sans doute ce que signifiait au fond ma visite au domicile de ma soeur et de mon beau-frère ; c'était, après des décennies, une façon de leur dire ouvertement que je leur pardonnais vraiment de m'avoir abandonné après avoir, durant deux ans, fait de moi un fils unique et choyé. Je l'avais dit et écrit auparavant, mais la visite l'exprimait encore plus fortement.

Jean-Marc a dit…

Voici un texte qui me va droit au cœur, cher Alcib... Cette année,j'essaie de ne pas penser à cette fête des Pères... mais, bien évidemment, je ne peux y parvenir.

Alcib a dit…

Jean-Marc : j'ai bien entendu pensé à toi en écrivant ce billet. C'est tout spécialement en pensant à toi que j'ai ajouté la dernière phrase.
Je comprends bien que, ton père étant parti depuis peu, tu n'aies pas tellement le coeur à la fête. Je savais cependant que tu ne pourrais pas éviter de penser plus douloureusement en ce jour à sa disparition. Je suis de tout coeur avec toi.

lolabebop a dit…

J'ai ressenti une vive émotion en lisant ton texte. Merci. Et je me suis relu,à haute voix, ce poème de Victor Hugo" Demain, dès l'aube" qui m'a toujours touchée.
Amitiés.

Beo a dit…

Je trouve ta visite chez ta soeur et ton beau-frère bien émouvante. Comme il devait être fier oui de te faire voir sa maison!

Alcib a dit…

Lolabebop : Merci de ce commentaire et merci de me rappeler ce poème de Victor Hugo, que j'avais lu il y a très longtemps mais que j'avais complètement oublié.

Béo : Merci. Oui, il était temps que j'aille rendre visite à ma soeur et à mon beau-frère, chez eux, au lieu d'attendre les réunions de famille qui ont plutôt lieu dans des restaurants, maintenant qu'il n'y a plus la maison des parents où nous rassembler.
Il y a un bon moment que je me proposais d'y aller mais l'occasion ne s'était pas encore présentée. Il y a toujours une ou deux nièces qui me proposaient de venir me chercher pour m'y conduire, mais ces nièces habitent aussi au nord de Montréal et en acceptant leurs propositions, il fallait que j'accepte de dormir chez l'une ou chez l'autre pour revenir le lendemain avec le mari de l'une d'elle qui travaille à Montréal. Or, à moins d'être en voyage, en vacances ou chez un amoureux, je n'aime pas dormir ailleurs ; à l'hôtel, à la rigueur...
Et puis c'est une façon pour mes nièces de me prendre en otage afin de m'avoir à leur disposition durant plusieurs heures ;o)
J'aime bien mes nièces, mais j'aime aussi mon indépendance.
L'autre nièce avec qui je me suis rendu chez ma soeur n'est pas la fille de celle-ci, mais la fille de mon frère aîné ; elle habite la Gaspésie et quand elle vient à Montréal, elle en profite pour rencontrer quelques-uns des membres de la famille. C'était parfait pour moi : on se rencontrait à Montréal, on se rendait chez ma soeur dans l'après-midi et elle me ramenait à Montréal à la fin de la soirée.

À défaut d'avoir une voiture, il me faudrait peut-être une moto si je veux sortir de Montréal, car ma bicyclette ne fait pas l'affaire pour les longues distances.

Beo a dit…

Du coup, j'apprends que tu as eu de la belle visite de la Gaspésie! ;)

Je comprends très bien tes réticences à être pris en otage. Tout ça assombrit considérablement ce genre de sortie.

Unknown a dit…

Je ne sais pas si c'est par défiance envers lui, mais je déteste qu'on me dise que je ressemble à mon père. Pas que je ne l'aime pas, hein! Je me doute du pourquoi, je sais que je lui ressemble plus que mon frère ne lui ressemble, mais je n'aime pas cette comparaison.

Ces vacances, entre 5 et 10 personnes m'ont fait la remarque... -_-

Alcib a dit…

Béo : Cette nièce vient à Montréal deux fois par année, sans doute. On se parle plus souvent au téléphone depuis trois ou quatre ans, car elle essaie de mieux connaître l'histoire (ou les histoires) de la famille. Tout ce qu'elle peut apprendre est utile et toutes les occasions de parler de la famille sont bonnes.

La prise d'otage n'est pas très dangereuse, mais j'aime garder mon indépendance. Et même si j'aime bien les membres de la famille, il vaut mieux pour moi ne pas passer trop de temps avec eux. La plupart du temps, dans les réunions de famille, je me sens en représentation : je dois jouer un rôle, celui de l'oncle un peu mystérieux, dont on ne connaît pas grand-chose et que l'on aimerait bien connaître un peu plus.

Erwan : Peu importe le père, ses qualités, ses réussites, je crois que tout jeune homme veut se démarquer de celui-ci au départ, même s'il choisit de marcher sur ses traces. Quand on nous dit que l'on ressemble à son père, on nous vieillit soudain d'au moins 25 ans ; ce n'est pas forcément ce que l'on veut voir quand on n'a soi-même que 25 ans.

Hier, alors que j'animais une réunion, quelqu'un que je ne connaissais pas m'a dit avec grand enthousiaste que je lui rappelais énormément (gestuelle, expression, etc.) le père de l'un de mes collègues (qui était absent). Je ne connais pas le père en question, mais selon l'expression de celui qui me signifiait cette ressemblance, je me suis dit que ce devait être un compliment.
J'étais tout de même surpris qu'on ne me parle pas d'une des deux ou trois personnalités publiques habituelles, car j'ai souvent été obligé de préciser aux gens que je n'étais pas untel ou untel ;o)

Danaée a dit…

Un beau texte, en effet. Qui met aussi en lumière le fait que les liens qu'on tisse ne sont pas nécessairement ceux du sang. Mais le "rôle" du père est vraiment important, en particulier pour les garçons, parce que ce sera leur modèle.

Anonyme a dit…

Il est très riche et attendrissant ton billet et suscite en moi plusieurs réactions.
- Je repense avec affection et nostalgie à mes deux parents que j'ai perdu il y a 5 ans déjà. - Quelle belle enfance et quelle jeunesse j'ai eu avec eux. Un jour, j'ai dit à mon père: «Je ne pourrai jamais te rendre tout ce que tu as fait pour moi». Il m'a répondu: «Ce n'est pas comme ça que ça marche. Il faut regarder en avant. Tu remettras ça à tes enfants».
- Je suis ce conseil avec affection et plaisir et j'ai même redit cette phrase à mes enfants qui avaient la même réaction que moi. - Évidemment j'ai eu bien des frustrations et des critiques envers ce "père-qui-ne-me-comprenait-pas" entre mes 15-25 ans.
Mais maintenant, à mon âge, je m'ennuie de lui et je suis bien obligé de reconnaître que je lui ressemble plus que je ne le pensais.
- Bien sûr, quand mes filles et mon épouse si mettent ensemble, ça ne me laisse pas beaucoup de choix pour assumer que je suis le "vrai portrait de son père" tout en étant différent.
En te lisant, je m'imaginais assis à côté de mes parents en train de partager doucement et tranquillement nos perception de la vie et nos souvenirs.

Anonyme a dit…

Ton filleul avait un P.-S. Moi, j'ai r�ussi � trouv� un (en fait) 2 P.-A. (complexe je sais) mais je ne leur ai pas souhait� bonnes f�tes. on compense autrement ce qu on n'a pas pu "avoir"

Biz!

Roman Jeremie a dit…

Bonjour Alcib,
C'est un sujet interessant que tu abordes là. Tu as une très grande famille à ce que tu m'avais dit. Ca doit être incroyable d'avoir autant de frères et de soeurs.

De mon côté, mes parents se sont toujourds un peu faits la guerre d'où ma difficulter à supportrer la moindre chose qui ressemble un peu à une friction ou un conflit.
Mon père a été longtemps dévalorisé par ma mère et ça n'a pas été facile pour mon frère et moi de se construire avec un modèle "méprisé". Maintenant je le regarde avec beaucoup d'admiration et le respect que je lui porte grandit quant avec l'expérience. Notamment d'un point de vue professionnel: mon père s'est surinvesti dans sa carrière et a vraiment réussi sa vie professionnelle à défaut de réussir son mariage. Aujourd'hui j'aimerai tenir d'avantage de lui concernant le boulot !
Depuis qu'il est grand père, j'ai l'impression que mon père rajeunit et revis des choses qu'il avait loupé avec nous quand nous étions enfants. Je crois qu'il est vraiment très heureux maintenant.

Anonyme a dit…

It seems like days, since he left us here.
But it's been eight years since that awful day,
When the angels took my Daddy away.
I miss him on those endless nights
When Daddy is needed to make everyhing right.
I miss his smile, his laugh, his charm,
I miss being held in Daddy's arms.
I remember his stories, his smell, his touch...
I still miss him so very much.
But when my last breath, I finally draw,
And I walk through death's open door,
He'll be there, standing, at Heaven's Gates
I know, that's where my Daddy waits.

Alcib a dit…

Danaée : Merci. C'est vrai que le rôle du père est important, pour tous les enfants, mais sans doute plus pour les garçons qui ont besoin d'un modèle. Mais, certains collègues le soulignent encore sur leurs blogues en ce moment, le géniteur n'est pas forcément le « père » ; le rôle du père peut être joué par un autre mâle présent dans la vie du garçon. La biologie fait d'un homme un géniteur, mais il faut plus que cela pour assumer la paternité

Lux : Merci aussi ; tes commentaires font toujours plaisir car ils mettent toujours en évidence un élément positif (ce n'est que d'autres ne le fassent pas, mais toi, tu le fais toujours ; c'est ta signature ;o)
Ton beau témoignage m'inspire une réflexion. Les parents n'ont pas besoin d'être parfaits ; les enfants attendent d'eux plus qu'autre chose une présence et une attention et, si possible, de l'affection. Avec cela, l'enfant saura bien faire la part des choses et se débrouiller avec le reste.
J'aime l'idée de remettre à ceux qui suivent. À défaut d'avoir des descendants, on peut toujours donner à ceux qui comptent dans notre vie.
Je n'ai peut-être pas grand-chose à donner ou à partager, mais je sais que l'amour, l'amitié, la tendresse, ne s'achètent pas et que sans cela nous sommes bien misérables. Sur ces bases, je crois que l'on peut construire bien des choses.

The Bear : Merci de ta fidélité, depuis quelques années déjà. Tu as raison. La présence affective d'une personne significative, quelle qu'elle soit, c'est ce qui compte.

Roman : Merci. C'est en effet incroyable de faire partie d'une famille nombreuse. Je me demande s'il n'y a pas que les enfants uniques pour envier notre sort ;o)

Tu sembles démontrer encore une fois que l'on a tendance à répéter ou à réagir contre les comportements de nos parents. C'est compréhensible : ils sont nos principales références durant toutes les années où l'on se construit.

Ton père est grand-père ? Tu ne m'avais pas dit que tu étais père ;o) J'en déduis que c'est plutôt que, pour l'instant, c'est ton frère qui assure la descendance qui rend ton père heureux.
C'est moins angoissant de jouer le rôle de grands-parents que celui de parents. Je n'oublie pas, toutefois, que les grands-parents sont parfois appelés à jouer le rôle de parents pour leurs petits-enfants...

Alexander : Merci, simplement merci, de ce texte émouvant, qui m'a fait pleurer. Certains mots de ce texte me confirment qu'il s'agit bien d'un texte personnel (et non d'un poème écrit par un autre pour un autre).
Je te souhaite de traverser le plus tard possible ces Portes du Ciel, mais je suis comme toi assuré que ton Daddy qui te manque tant t'attendra à l'entrée avec son plus beau sourire et ses bras grand ouverts. À ses côtés tu verras un doux sourire féminin, tu mettras peut-être trois secondes à reconnaître le sourire et la voix de ta Mummy, si heureuse d'accueillir le petit garçon qu'elle avait quitté alors qu'il n'avait que quatre ans. Elle te dira qu'elle est fière de ton parcours, de ce que tu as fait de ta vie ; tu sais à quoi je fais allusion.
Cela dit, je le répète, ne sois pas pressé de traverser ces grandes Portes ; tu as encore de grandes choses à faire ici, d'autres personnes à aimer.