dimanche 26 mars 2006

Perdre la face

Dans un livre que je suis en train de lire, quelques coquilles ont échappé à l'auteur et aux correcteurs d'épreuves de chez Gallimard. L'une d'elles, un « r » au lieu d'un « f ».

Le sens d'une phrase pourrait en être complètement changé ; si par exemple, on lit « tomber à pleine face dans la boue », cela n'a pas le même sens que si on lit « tomber à pleine race dans la boue ».

samedi 25 mars 2006

Langue et morphologie

J'avais noté dans un carnet, il y a plusieurs années, cette idée que je voulais explorer un jour, creuser davantage pour essayer d'en vérifier le bien fondé : il doit y avoir un lien entre les traits du visage et la langue que l'on parle, avec les émotions, les expressions que la langue véhicule et la forme qu'elle oblige le visage à prendre selon les messages qu'elle véhicule. Je n'en ai jamais rien fait, comme pour bien d'autres idées qui dorment dans des carnets, d'autres projets qui sont notés ou qui dorment sagement au fond de ma mémoire.

Or, aujourd'hui, je trouve à peu près la même idée chez Michel Tournier :

« Une idée à creuser : l'influence de la langue parlée depuis l'enfance sur la morphologie du visage. C'est la langue anglaise ou portugaise qui modèle le faciès typique de l'Anglais ou du Portugais, etc. Ce serait l'exemple le plus frappant de l'influence de la culture sur la nature, du triomphe de l'intelligence sur le physique. Dès lors la beauté caractéristique de tel ou tel type national découlerait directement de la beauté de la langue parlée... »
Michel Tournier, Journal extime.

J'irais plus loin : je dirais que parmi ceux qui parlent une même langue, l'accent d'une région peut aussi influencer les traits du visage, et la bouche en particulier. C'est ainsi que l'on peut parfois distinguer un Français d'un Québécois en les observant comme si l'on était sourd, sans les entendre. Certains diront que c'est normal, puisque les Français et les Québécois ne parlent pas la même langue ; pour ceux-là, comparons alors des personnes du sud et du nord de la France.

C'est d'ailleurs intéressant d'observer l'expression du visage de personnes qui ont toujours parlé une langue et qui, soit à l'occasion, soit à la suite d'un changement de pays et de culture, parlent une langue qui n'est pas leur langue maternelle. Dans certains cas, les différences d'expression sont frappantes ; on dirait presque qu'il s'agit d'une autre... personnalité.

D'ailleurs, en Grèce, un garçon de bonne famille ne devait pas jouer de la flûte, car celle-ci déformait la bouche.

Souvenir de Liège


La jolie flamme de ce pékêt à la violette rappelle que l'alcool est comme la passion, un puissant combustible, et qu'il aime la réciprocité : vous le consommez, il vous consume.

vendredi 24 mars 2006

Nouvelles nourritures terrestres

Est-ce de la gourmandise ?
Est-ce le besoin de voir le soleil et des couleurs gaies ?
Aujourd'hui, ces couleurs me font rêver...


Cette religieuse donne envie de renouer avec les dévotions...

Et ce carnet de voyage gourmand alimente le rêve d'évasion.


Les images et les adresses gourmandes sont celles de Ladurée, à Paris.

jeudi 23 mars 2006

Enfance, rêve et réalité

Quand j'étais enfant, vers huit ou neuf ans, j'avais décidé que je serais premier ministre ou pape ; et si je devenais pape, je choisirais le nom de Jean XXV.

Dans son Journal extime, Michel Tournier raconte deux anecdote au sujet d'écoliers :

« G. T., professeur à Senlis, me raconte qu'en début d'année scolaire, il a fait remplir à ses élèves le questionnaire rituel. Un enfant africain, noir et silencieux comme l'ébène, à écrit : Profession du père : roi. »

« Une institutrice m'envoie la fiche scolaire d'un de ses élèves qui a écrit à la rubrique Avenir : "Je veux ête écrivain et faire partie de l'Académie Goncourt". J'emporte la fiche chez Drouant et nous lui envoyons, écrit sur un menu, "Dépêche-toi d'écrire une oeuvre, nous t'attendons place Gaillon", avec la signature des dix membres de l'Académie Goncourt. »

Si ce dernier texte a été écrit il y a quelques années déjà je serais curieux de savoir ce qu'est devenu cet élève.

mercredi 22 mars 2006

Journée mondiale de l'eau


Voici un élément essentiel, qui compose la plus grande partie de notre organisme, qui est nécessaire à tout instant du jour, que ce soit pour se désaltérer, pour préparer les repas, pour faire notre toilette, pour faire le ménage et laver nos vêtements. Le commerce, l'industrie l'utilisent en grandes quantités pour leurs activités ; des entreprises s'enrichissent en pompant simplement l'eau de nos sources, en la mettant en bouteille sans aucune valeur ajoutée et nous la revendent comme un produit de luxe. Au Québec, nous sommes riches en eau et, pour l'instant, elle est gratuite aussi bien pour les besoins privés que pour l'industrie. Il ne faudrait pas oublier que dans de nombreux pays, l'eau est rare et qu'il faut parfois consacrer plusieurs heures d'une journée simplement pour aller chercher de l'eau. Au Québec, nous sommes riches, mais ce n'est pas une raison pour la gaspiller car, au fond, l'eau est une richesse naturelle qui, avec les changements climatiques, risque de se raréfier là où elle semble abondante aujourd'hui sans nécessairement devenir plus abondante là où elle est pratiquement absente aujourd'hui.

La prochaine fois que nous laverons la vaisselle ou la voiture (pour ceux qui en ont), que nous prendrons une douche, soyons conscients qu'il s'agit d'une importante ressource naturelle à laquelle tout le monde sur la terre n'a pas aisément accès.

J'ouvre le robinet, j'y glisse un verre sous le jet et voilà, je lève mon verre à votre santé !

Patience dans l'azur


« L'univers est une machine
à produire de la conscience »


Hubert Reeves, Patience dans l'azur

La part des sens...

Jusqu'au début des années 1960, le latin était la langue de la prière et des offices religieux dans les églises catholiques. Les autels étaient souvent fleuris et dressés comme pour un banquet. Les vêtements et les accessoires sacerdotaux étaits luxueux. Les cantiques et l'encens accompagnaient abondamment les rituels liturgiques. Bref, il y avait à l'église de la majesté et du théâtral.
À soixante-seize ans et onze mois, Angelo Roncali, élu le 28 octobre 1958 sous le nom de Jean XXIII, devait être un pape de transition qui permettrait à l'Église de préparer la venue d'un nouveau pape d'action. Les cardinaux qui ont élu Jean XXIII ont cependant eu la surprise de leur vie quand celui-ci, désireux de moderniser l'Église, annonce un « aggiornamento » et convoque le concile oecuménique Vatican II qui voudra adapter l'Église au monde moderne, ce qui n'avait pas été fait depuis le Concile de Trente, trois cents ans plus tôt.
En plus du rapprochement avec les autres religions, notamment avec les Juifs, le concile fera en sorte que le message de l'Évangile soit mieux perçu et, pour ce faire, les langues vernaculaires remplaceront peu à peu le latin. Jean XXIII n'aura pas eu le temps d'aller au bout du concile, puisqu'il mourra le 3 juin 1963 ; Paul VI terminera le travail.
Plusieurs catholiques, parmi les plus âgés, surtout, ne se reconnaîtront plus vraiment dans la nouvelle liturgie, les nouveaux rites simplifiés et dans les offices célébrés dans la langue de tous les jours. Certains, parmi les prêtres et les évêques, Mgr Lefebvre en France, par exemple, résisteront et voudront continuer de célébrer la messe en latin. Parmi les fidèles, nombreux sont ceux qui regretteront le décorum, l'élément spectaculaire et la sensualité des rites traditionnels. On attribuera même à la nouvelle liturgie, sans attrait spctaculaire et sensuel, la désertion progressive des fidèles pratiquants, comme si la pratique religieuse devait s'accompagner de la participation des sens.

Raffaello - Jesus-Christ

Marcel Jouhandeau était un écrivain de la génération de Jean XXII, mais il n'était pas un auteur fortement recommandé par l'Église. Il a beaucoup écrit et, dans la plupart de ses livres, il a fait l'éloge du corps masculin, de la sexualité pratiquement indissociable du mysticisme. Pour lui, faire l'amour était une façon de célébrer un culte, de rendre grâce à Dieu.

Dans son Journal extime, Michel Tournier écrit ceci : « Marcel Jouhandeau déclare à la radio que sa foi chrétienne est inséparable de son amour physique — donc homosexuel — de Jésus. Il est certain qu'en faisant subir aux jeunes garçons la mutilation mentale qui fera d'eux des hétérosexuels exclusifs, la société détruit une dimension essentielle du christianisme (ce qui n'est évidemment pas le cas pour les femmes). Le corps du Christ est de très loin le plus souvent traité par l'art du nu occidental. La supériorité évidente des femmes mystiques sur les hommes mystiques ne s'explique pas autrement. »

Quelques pages avant, il écrit ceci : « Au cours du comité de lecture de Gallimard, je plante une graine qui pourrait donner de curieux fruits. Je propose à Michel Mort de suggérer à ses confrères de l'Académie française de m'inviter à prononcer le traditionnel "discours de la vertu" à l'occasion de la remise des prix de l'Académie. Philippe Sollers, qui a entendu, s'écrie : "Ah! ce sera l'hommage du vice à la vertu!" Il y a bien longtemps, j'avais écrit au cardinal Feltin de mec onfier les sermons du carême à Notre-Dame. Je m'engageais à lui en soumettre auparavant les textes. Je n'avais reçu aucune réponse. »

Quand on connaît la tendance de Michel Tournier à donner des interprétations qui s'éloignent souvent des visions traditionnnelles, faut-il s'étonner du silence de ce cardinal ?

mardi 21 mars 2006

Ma (mauvaise) humeur du mardi


Perdu plus d'une heure à essayer d'insérer
ici cette image ! Depuis quelques jours,
il faut une patience immense
pour insérer des images avec Blogger.

La sainteté n'étant pas facile tous les jours,
il est vivement temps que je quitte Blogger !


En réponse à un commentaire de Patata sur le billet « Vivement le printemps ! » du 17 mars dernier, j'ajoutais le commentaire suivant : « ... Les rues de la ville, les espaces vacants, les parcs, sont en ce moment d'une laideur indicible. La neige qui reste est sale ; les plaques de glace rappellent qu'il fait encore très froid ; les rues sont encore blanches du sel qu'on y a répandu pour tenter de faire fondre la glace ; les trottoirs ressemblent à des allées de gravier ; tout se fond dans le gris du ciel, le gris le plus déprimant qui soit, et pourtant très répandu à Montréal : le gris balcon. J'avais espéré que la pluie des derniers jours permettrait de laver toute cette saleté, d'effacer les traces de l'hiver urbain, en somme ; c'était en demander trop ; elle n'aura été juste assez présente que pour nous embêter sans rien laver. Et quand un rayon de soleil se risque à affronter le froid et la grisaille, il vaut mieux regarder le rayon lui-même que ce qu'il éclaire ; sa lumière jaune réchauffe le coeur. »


Quelques jours plus tard, rien n'a changé : il fait toujours aussi gris, aussi froid... Et ce matin, je ne sais pas si les employés de la ville de Montréal ont décidé de passer « l'aspirateur » sur ses trottoirs sales, mais j'entends depuis une heure un bruit fort provenant d'une rue voisine et qui fait vibrer les fenêtres de l'appartement et qui me tombe sur les nerfs. C'est un bruit qui rappelle celui d'un puissant aspirateur, mais d'une intensité vraiment désagréable. Pas moyen de l'oublier en se concentrant sur autre chose. Et si en plus « Espace musique », la chaîne culturelle de Radio-Canada, présente de la musique jazzée, rien ne va plus ! Je suis allergique à certains styles de jazz ; dans certains cas, ma réaction est immédiate et violente : il faut de toute urgence en éliminer la source.

En cherchant quelque chose sur Internet, j'ai eu le malheur d'ouvrir à quelques reprises des liens avec une adresse Lycos !!! Je déteste tomber sur une adresse Lycos : une fois sur une page « Lycos », plus moyen d'en sortir, les pages publicitaires s'affichent les unes après les autres comme sur les sites pornographiques et il est impossible de revenir en arrière pour retrouver les résultats proposés par la recherche demandée. Je ne comprends pas que ce Lycos ne soit tout simplement pas interdit, banni de la Toile pour pollution massive, harcèlement agressif et prises d'otages à répétition...

Puisque c'est comme cela, je vais devancer ma sortie et me diriger immédiatement vers la piscine ; j'aurai au moins le sentiment de faire quelque chose d'agréable et d'utile pour moi.

Ajout de fin d'après-midi : Je ne sais pas si c'est parce que j'ai protesté, mais il fait soleil depuis un bon moment ; alors, forcément, je suis un peu moins de mauvaise humeur.
Nouvel ajout de mi-soirée : Et ça continue ! J'ai voulu répondre à quelques commentaires reçus : j'ai donc rédigé mon texte et au moment de l'envoyer, Blogger m'affiche en plein écran que le site n'est pas accessible en ce moment pour des travaux de maintenance ! Oui mais mon texte, lui ? On me laisse écrire le texte et, sans prévenir, on ferme ! On pourra se dire que mes réflexions ne sont pas si importantes : la Terre continuera de tourner, mal, mais elle tournera.
Il semble que, depuis quelques jours, Blogger ne soit pas en train de se faire des amis.
Et à Lycos, adresse à éviter, il faudrait ajouter Tripod : jamais je ne suis passé sur un de ces sites sans connaître le sort de ces pauvres oiseaux qu'on attrapait à la glu !

L'image vient d'ici.

Sous le signe du Rat...


J'adore le fromage ; serait-ce parce que je suis né, selon l'astrologie chinoise, sous le signe du Rat ? En chinois, on l'appelle « Shu ».

* le Rat est associé au signe astrologique occidental du Sagittaire
* Son élément oriental est l'eau
* Sa direction est le Nord

« Pour la plupart des Occidentaux, être né sous le signe du Rat n'a rien de très valorisant, mais pour les Orientaux, cet animal représente la maîtrise et le pouvoir de la survie. L'histoire de Bouddha en témoigne. En ces temps plus modernes cela se traduira par : ne renonçant jamais devant aucun obstacle, il arrivera toujours bon premier. Signe d'abondance et de prospérité, le Rat est un insatiable investigateur. Il débusque tout, et plus symboliquement, cela signifie qu'on ne peut rien lui cacher, ce qui ne l'empêche pas d'être rusé et très méfiant. Débrouillard comme pas un, le Rat trouve toujours des solutions simples aux problèmes les plus complexes. Généreux, il aime démontrer son affection par l'achat de cadeaux personnalisés et toujours très pratiques d'une manière où d'une autre. Sa réserve est un leurre parce qu'il adore faire le clown. Il sera toujours très aimé et ne manquera jamais d'amis. Ne vous fiez pas à son apparence débonnaire; il peut devenir hyper exigeant en se montrant très critique. Futé comme pas un, le Rat trouvera toujours un moyen pour se sortir d'une situation délicate. Toutefois, il n'est jamais facile de savoir vraiment ce qu'il pense, c'est son jardin secret bien à lui!

Le feu du Sagittaire, son pendant occidental, lui prodiguera l'envie du lointain, des voyages et des études. Beaucoup de possibilités de hautes spécialisations spirituelles, scientifiques ou religieuses se présenteront à lui. Quand son coeur prend racine, c'est pour la vie. »

Platon, Tolstoï, Shakespeare, Mozart, Chateaubriand, George Washington, Saint-Exupéry, Julien Green, Michel Tournier, Truman Capote, et de nombreux autres, sont nés sous le signe du Rat.

Une histoire amusante trouvée ici : en Floride, un rat a été élevé par deux inséparables et, devenu lui-même inséparable... il se prend pour un oiseau, se laissant nourrir par ses deux parents adoptifs.


lundi 20 mars 2006

Un oiseau fait-il le printemps ?


« Une hirondelle ne fait pas le printemps », dit-on. Je ne sais pas quand vous avez vu une hirondelle pour la dernière fois, mais à Montréal, ça fait une éternité. Depuis quelques semaines, on nous annonçait pour aujourd'hui, 20 mars, l'arrivée du printemps ; longtemps avant l'heure dite, 13 h 26, j'étais appuyé au rebord de la fenêtre du salon, scrutant le ciel pour y voir passer l'hirondelle. J'aurais préféré l'attendre dehors, mais il faisait un froid nordique ; j'étais donc plutôt sceptique : je ne croyais pas vraiment qu'une hirondelle traverserait mon ciel. J'aurais été beaucoup moins surpris d'y voir passer une série de pingouins. J'ai bien attendu une heure à ma fenêtre et en fait d'oiseaux, je n'ai vu en me retournant que mes deux perruches qui se demandaient ce que je pouvais bien chercher dans le ciel ; je leur ai donné quelques feuilles d'épinards et j'ai cherché, pour me consoler de cette vaine attente, le beau poème de Jacques Prévert que voici :

Pour faire le portrait d'un oiseau

Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau
.


©Jacques Prévert


Si vous êtes plus auditif que visuel, vous pourrez entendre ce poème dit par René Clermont en cliquant ici.

dimanche 19 mars 2006

L'Apocalypse à Patmos


Voici l'un des courts textes de Michel Tournier que j'annonçais dans mon billet d'hier. Je l'ai choisi parce qu'il me parlait de la Grèce, de Patmos, en l'occurrence.


Saint Jean, selon Velasquez

Saint-Jean. C'était le plus jeune et le plus beau des disciples. « Celui que Jésus aimait », écrit-il pour se désigner lui-même. Avant de mourir, Jésus lui avait promis qu'il verrait la fin du monde. Exilé à Patmos, il ne cesse de ruminer la formidable aventure dont il demeure le dernier témoin. Mais rien ne venant, il finit par susciter l'Apocalypse sur le papier. Rarement la création littéraire aura joué son rôle de compensation.
Michel Tournier, Journal extime*


Saint Jean, selon Bosch

Même à l'époque où saint Jean l'Évangéliste y vivait, j'imagine que l'île de Patmos offrait à ses habitants le même ciel, la même lumière, la même mer fascinante. Or je me demande comment, dans un tel paradis terrestre, saint Jean ait pu écrire l'Apocalypse.



* Michel Tournier, Journal extime, Éditions La Musardine, 2002 ; édition revue par l'auteur, Éditions Gallimard, 2004, collection « Folio », page 40.

samedi 18 mars 2006

Bonheur d'occasion


Il fut un temps où je voulais lire tout ce qu'écrivait Michel Tournier et le plus possible ce qui s'écrivait à son sujet. La découverte de son premier roman, Le Roi des Aulnes, qui doit son titre à un poème de Goethe que Schubert a mis en musique, avait été pour moi une révélation. J'avais tellement aimé ce roman, tellement appris entre ses lignes, tellement réfléchi puis rêvé autour des thèmes qui y sont abordés. En lisant ce livre, je me sentais de plus en plus intelligent... Je savourais chacun de ses mots, chacune de ses phrases, chacune de ses pages... Je me souviens de la peine que j'ai eue en arrivant au dernier paragraphe.
Par la suite, j'ai lu Les Météores, roman sur la gémellité, que j'ai aimé presqu'autant que j'avais aimé Le Roi des Aulnes. Il s'agit là d'un autre roman riche, ambigu, peuplé de marginaux qui tentent de s'en sortir. Il y avait dans ce roman, si je me souviens bien, un écrivain, Alexandre, qui était l'oncle scandaleux, en quelque sorte, célibataire et, par conséquent suspect. Il me semblait inspiré directement d'Édouard, l'oncle écrivain des Faux-Monnayeurs de Gide. Et il m'est sans doute arrivé aussi de souhaiter avoir auprès de l'un de mes neveux, mon filleul, un rôle d'éveilleur, de révélateur, plutôt que celui de moralisateur, à la façon de ces deux oncles scandaleux, sans aller jusqu'à endosser envers ce neveu leurs comportements.
Puis il y a eu, dans mon ordre de lectures, Vendredi ou les limbes du Pacifique et Vendredi ou la Vie sauvage, qui sont deux versions différentes de la même histoire inspirée du Robinson Crusoë de Daniel Defoë. J'ai adoré l'une et l'autre.
Le cinquième livre de Tournier que j'aie lu avec beaucoup d'intérêt, c'est Le Vent Paraclet, sorte d'autobiographie intellectuelle. Au sujet de son projet littéraire, il y écrit ceci : « Mon propos n'est pas d'innover dans la forme, mais de faire passer dans une forme aussi traditionnelle, préservée et rassurante que possible une matière ne possédant aucune de ces qualités. » Et il s'efforce dans chacun de ses livres de faire avancer son histoire en faisant alterner le réalisme, la mythologie et la philosophie.
Après ces cinq livres, j'ai continué d'acheter et de lire les livres de Michel Tournier, sans être certain de les avoir tous lus, cependant. Il a publié notamment quelques livres qui sont des recueils de textes courts, tels que Le Vagabond immobile et Petites proses. J'aime ces textes courts : on peut en lire une page ou deux entre deux activités et laisser le livre de côté sans remords de conscience ni frustration. Pour la même raison, mais aussi pour tenter de découvrir « comment font les autres », j'aime lire les journaux, carnets, etc. Il y a longtemps que je voulais acheter le Journal extime, de Tournier aussi, mais à chaque fois que je le trouvais en librairie, je me disais que j'avais bien d'autres choses à lire et que celui-ci pouvait bien attendre un peu. Cette réflexion raisonnable m'étonne moi-même ; il devait y avoir une autre raison cachée, car je n'ai pas l'habitude de me priver d'acheter des livres si mon porte-monnaie me le permet. Au fond, je crois que l'esprit systématique de Tournier m'agaçait un peu, par moments. Or, en rentrant chez moi, hier après-midi, il y avait devant une librairie de la Place des Arts un étalage de livres en soldes ; en y jetant un coup d'oeil, j'ai trouvé un exemplaire du Journal extime, dont le prix était réduit de plus du tiers ; je n'avais plus de raison de remettre à plus tard l'achat de ce livre, dont je présenterai quelques extraits au cours des prochains jours.


vendredi 17 mars 2006

Saint-Patrick


J'allais oublier que c'est aujourd'hui, 17 mars, fête de la Saint-Patrick, patron des Irlandais. À la Saint-Patrick, tous les prétextes sont bons pour afficher la couleur verte, associée à l'Irlande et à la Saint-Patrick en particulier, car c'est la couleur du printemps. On associe aussi le trèfle à cette fête car c'est l'emblème floral de l'Irlande. On dit que de trouver un trèfle à quatre feuille porte chance et peut même conjurer les mauvais sorts. En raison du sang irlandais qui circule en moi, je devrais célébrer aujourd'hui avec tous les Irlandais. Si je ne participe pas concrètement aux célébrations qui, à Montréal, auront lieu dimanche surtout, je leur souhaite une bonne Saint-Patrick et que leurs voeux les plus chers se réalisent.
L'image vient d'ici.


Bientôt le printemps !



Vous vous souvenez du printemps ?
Vous le reconnaîtrez, quand il sera là ?
Qu'évoque pour vous cette saison ?
Avez-vous des souvenirs heureux liés au printemps ?
L'arrivée du printemps coïncide-t-elle avec de nouveaux rêves, de nouvelles résolutions ou de nouveaux projets ?
Sagit-il de votre saison préférée ?
Qu'est-ce qu'il changera dans votre vie ?

Personnellement, la date de son arrivée coïncidera avec un peu plus de liberté. Je me propose bien des choses qui, finalement, ne me laisseront peut-être pas beaucoup plus de temps libre. Je veux toutefois me réserver un peu plus de temps pour tenir à jour ce carnet en y écrivant tous les jours, ou presque...

Voici un court extrait des Nourritures terrestres dans lequel André Gide évoque le printemps ; pour moi, les Nourritures terrestres elle-mêmes évoquent le printemps, le renouveau, le nouveau départ, l'éveil à la vie, à la sensualité...

« À dix-huit ans, quand j'eus fini mes premières études, l'esprit las de travail, le coeur inoccupé, languissant de l'être, le corps exaspéré par la contrainte, je partis sur les routes, sans but, usant ma fièvre vagabonde. Je connus tout ce que vous savez : le printemps, l'odeur de la terre, la floraison des herbes dans les champs, les brumes du matin sur la rivière, et la vapeur du soir sur les prairies. Je traversai des villes, et ne voulus m'arrêter nulle part. Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités. Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l'homme pense trouver un repos; et les affections continues, et les fidélités amoureuses, et les attachements aux idées - tout ce qui compromet la justice ; je disais que chaque nouveauté doit nous trouver toujours tout entiers disponibles. »

dimanche 12 mars 2006

Envie de relire...

Il y a trop longtemps que j'ai lu ce conte magnifique d'Italo Calvino, Le baron perché (Il barone rampante, in italiano). Je croyais l'avoir encore sur les rayons de ma bibliothèque, mais je ne le retrouve pas ; j'ai dû le prêter à un ami avec qui je voulais vraiment partager un bonheur de lecture. Ce qui me fait penser que j'ai dû le lire en français, et non en italien, comme d'autres textes de Calvino que j'ai lus, car je ne vois pas à qui j'aurais pu prêter un livre en italien (il y a bien autour de moi des personnes qui parlent italien, mais qui ne lisent rien d'autre que le journal).

Ce conte m'avait séduit lors de la première lecture, il y a... très longtemps. Le personnage principal, Cosimo (Côme, en traduction française), a 12 ans et il est déjà un bel exemple d'anticonformisme et de contestation des règles et privilèges de son milieu social. À 12 ans, je n'étais sans doute pas aussi anticonformiste (je ne m'étais pas encore découvert ; il me faudra attendre une première révélation, à 20 ans, lors de mon premier séjour prolongé à Paris, puis ma vraie crise d'adolescence, vers 31 ans...).

J'ai trouvé ici un extrait de ce conte digne de Voltaire. Au cours des prochains jours, je me lance à la recherche du texte complet en librairie. En voici les premiers paragraphes :

« C'est le 15 juin 1767 que Côme Laverse du Rondeau, mon frère, s'assit au milieu de nous pour la dernière fois. Je m'en souviens comme si c'était hier. Nous étions dans la salle à manger de notre villa d'Ombreuse ; les fenêtres encadraient les branches touffues de la grande yeuse du parc. Il était midi ; c'est à cette heure-là que notre famille, obéissant à une vieille tradition, se mettait à table ; le déjeuner au milieu de l'après-midi, mode venue de la nonchalante Cour de France et adoptée par toute la noblesse, n'était pas en usage chez nous. Je me rappelle que le vent soufflait, qu'il venait de la mer et que les feuilles bougeaient.

— J'ai déjà dit que je n'en voulais pas et je répète que je n'en veux pas, fit Côme en écartant le plat d'escargots.
On n'avait jamais vu désobéissance plus grave.

Le baron Arminius Laverse du Rondeau, notre père, coiffé d'une perruque Louis XIV descendant jusqu'aux oreilles et démodée comme tout ce qui lui appartenait, siégeait à la place d'honneur. Entre mon frère et moi était assis l'abbé Fauchelafleur, chapelain de notre famille, notre précepteur. En face de nous, la générale Konradine du Rondeau, notre mère, et notre sœur Baptiste, la none de la maison. Au bas de la table, en costume turc, l'avocat Eneas-Sylvius Carrega, hydraulicien, régisseur de notre propriété et notre oncle naturel.

Côme était âgé de douze ans et moi de huit. Depuis quelques mois seulement, nous avions été admis à la table de nos parents ; j'avais bénéficié avant l'âge de la promotion de mon frère : on n'avait pas voulu me laisser manger tout seul… Bénéficier c'est une façon de parler. Pour Côme et pour moi, c'en était fini du bon temps et nous regrettions nos petits repas dans un réduit en compagnie du seul Fauchelafleur. L'Abbé était un petit vieillard sec et ridé ; on le disait janséniste ; de fait, il avait fui le Dauphiné, sa province natale, pour éviter un procès de l'Inquisition. Mais ce caractère rigoureux qu'on louait généralement chez lui, cette sévérité intérieure qu'il s'imposait et imposait aux autres mollissaient à chaque instant : l'Abbé avait une vocation foncière pour l'indifférence et le laisser-aller. Selon toute apparence, ses longues médiations les yeux dans le vide n'avaient abouti qu'à une grande aboulie et à un peu d'ennui. Il agissait comme s'il voyait dans la plus légère difficulté le signe d'une fatalité à laquelle il serait inutile de s'opposer. Nos repas en compagnie de l'Abbé ne commençaient qu'après de longues oraisons, et les évolutions de nos cuillers se devaient d'être dignes, rituelles, silencieuses : malheur à celui qui levait les yeux de son assiette ou faisait entendre, en absorbant son bouillon, la plus faible aspiration. Mais le potage fini, l'Abbé commençait à se sentir las, contrarié : il regardait dans le vide et faisait claquer sa langue à chaque gorgée de vin ; seules les sensations les plus éphémères semblaient le toucher. »

jeudi 9 mars 2006

Célébrons notre langue...

Depuis quelques jours, je voulais souligner cet événement annuel, au Québec : la Francofête, qui est une célébration du français et de la francophonie.

Il ne devrait pas y avoir de dates précises pour célébrer le français ; on devrait plutôt lui faire, selon la formule de Marcel Jouhandeau (qui ne la réservait pas spécialement à la langue elle-même), « chaque jour une fête ».

Toutefois, comme pour la Journée internationale de la femme, il y a un moment dans l'année où nous accordons une importance particulière à certaines causes... En mars de chaque année, donc, l'Office québécois de la langue française organise cet événement, la Francofête, pour permettre à tous les utilisateurs de la langue de lui accorder une attention spéciale. On nous propose plusieurs activités, dont un certain nombre de jeux, que l'on peut s'amuser à faire, en solitaire, en classe avec des élèves, au bureau avec les collègues...

Il y a deux ou trois ans, l'affiche disait : « Le français, je le parle par coeur », avec l'accent sur le coeur ; ça me plaisait. J'aime beaucoup, aussi, celle de cette année : « En français, par mots et merveilles ».

Ça me fait penser à un petit livre que j'ai lu, il y a deux ans, qui est un conte, un peu à la manière du Petit Prince, de Saint-Exupéry, et qui célèbre aussi la langue française ; il s'agit de La grammaire est une chanson douce, d'Érik Orsenna.



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mercredi 8 mars 2006

Une pensée affectueuse pour...

l'autre moitié de l'Humanité.

8 mars 2006 - Journée internationale de la femme

dimanche 5 mars 2006

Les dragons de nos vies...


« Peut-étre que tous les dragons de nos vie sont des princesses qui n'attendent qu'à nous voir courageux et beaux. Peut-être que toutes les choses terribles ne manifestent au fond que de l'impuissance et réclament notre aide. »
Rainer Maria Rilke

Qui ne connaît pas les fameuses Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke... devrait simplement les découvrir. Il n'y a pas de honte à ne pas les connaître encore si c'était le cas ; il faut parfois savoir attendre le moment propice pour être tout à fait réceptif à des oeuvres marquantes. La lecture de ces Lettres à un jeune poète m'avait été fortement recommandée par un ami et, dès que j'ai pu mettre la main sur un exemplaire, je les ai lues, relues, relues et relues... À différentes époques de ma vie, j'y suis revenu et à chaque fois avec le même profit. Dans les moments de solitude, de tristesse, de bouleversement émotionnel ou de grande inquiétude, la lecture de ces lettres m'a toujours redonné la sérénité perdue... Voici l'une de ces longues lettres qu'écrivait Rainer Maria Rilke à un jeune homme (M. Kappus) qui voulait devenir poète et qui se demandait s'il en avait vraiment la vocation...


Le 12 août 1904


Je veux de nouveau vous parler un instant, cher Monsieur Kappus, bien que je n'aie presque rien à dire qui soit de quelque secours, presque rien d'utile. Vous avez eu maintes grandes tristesses, qui ont passé. Et vous dites que ce passage, lui aussi, était difficile et déconcertant. Mais, je vous prie, réfléchissez : ces grandes tristesses ne vous ont-elles pas traversé ? Maintes choses en vous ne sont-elles pas transformées, n'avez-vous pas changé à tel ou tel endroit de votre étre lorsque vous étiez triste ? Seules sont dangereuses et mauvaises les tristesses que l'on traîne au milieu des gens afin d'en couvrir la voix, comme ces maladies que l'on traite à la légère et sottement et qui ne font que reculer un peu pour éclater peu après d'autant plus terriblement ; et elles s'accumulent au-dedans, elles sont de la vie, de la vie non vécue, dédaignée, perdue, dont on peut mourir. S'il nous était possible de voir plus loin que notre savoir ne porte, et encore un peu au-delà des avant-postes de nos institutions, peut-être alors supporterions-nous nos tristesses avec une confiance plus grande que nos joies. Car elles sont les moments où quelque chose de nouveau, d'inconnu, vient de pénétrer en nous ; nos sentiments brusquement se taisent, comme farouches et timides, tout en nous recule, il se fait un silence et ce qui est nouveau et que personne ne connaît s'y tient muet, au beau milieu. Je crois que toutes nos tristesses sont des moments de tension que nous ressentons comme une paralysie parce que nous n'entendons plus vivre nos sentiments retranchés. Parce que nous sommes seuls face à cet inconnu qui est entré en nous ; parce que nous nous trouvons au beau milieu d'un passage où nous ne pouvons pas nous arrêter. C'est pourquoi la tristesse, elle aussi, passe : ce qui est nouveau en nous, ce qui s'y est ajouté, est entré dans notre coeur, au coeur même du coeur, et, même là, n'y est déjà plus ; est déjà dans le sang. Et nous ne saurons pas ce que c'était. On pourrait facilement nous faire croire qu'il ne s'est rien passé, et néanmoins nous nous sommes transformés, comme se transforme une maison parce qu'un hôte est entré. Nous ne pouvons dire qui est venu, peut-être ne le saurons-nous jamais, mais bien des indices donnent à penser que l'avenir entre en nous de cette manière, pour se transformer en nous longtemps avant de survenir.

Et voilà pourquoi il est si important d'étre solitaire et attentif lorsqu'on est triste : parce que l'instant apparemment figé, où rien ne se serait produit, dans lequel notre avenir pénètre en nous, est tellement plus proche de la vie que cet autre instant, bruyant et fortuit, où l'avenir nous arrive comme du dehors. Plus nous sommes calmes, patients et ouverts dans notre tristesse, et le plus nouveau entre en nous profondément et sans se troubler, mieux nous le faisons nôtre, plus il sera notre destin, et nous nous sentirons, au plus profond de nous-mêmes, parents et proches de ce destin lorsqu'un jour, plus tard, il « adviendra » (c'est-à-dire : où, sorti de nous, il ira trouver les autres). Et cela est nécessaire. Il est nécessaire — et c'est ce vers quoi tendra peu à peu notre développement — que rien d'étranger ne nous advienne, mais seulement ce qui depuis longtemps nous appartient. Il a déjà fallu repenser tant de notions de mouvement ; on apprendra aussi à reconnaître progressivement que ce que nous appelons destin, sort des hommes, n'entre pas en eux en venant du dehors. C'est seulement parce qu'ils furent si nombreux à ne pas assimiler leurs destins tant qu'ils vivaient en eux et à ne pas les transformer en eux-mêmes, qu'ils n'ont pas reconnu ce qui s'échappaient d'eux ; ils le trouvaient si étrange, qu'ils pensaient dans leur frayeur et dans leur trouble qu'il venait à l'instant d'entrer en eux, car ils juraient n'avoir auparavant jamais rien découvert de semblable en eux. De la même façon qu'on s'est longtemps trompé sur le mouvement du soleil, on se trompe encore sur le mouvement de ce qui vient. L'avenir est fixe, cher Monsieur Kappus, c'est nous qui nous mouvons dans l'espace infini.

Comment les choses pourraient-elles étre faciles pour nous ?
Et si nous en revenons à la solitude, il apparaît de plus en plus clairement qu'elle n'est au fond rien qu'on puisse choisir ou refuser. Nous sommes seuls. On peut s'illusionner là-dessus, et faire comme s'il n'en était rien. C'est tout. Comme il vaut mieux cependant reconnaître que nous sommes libres, d'en faire carrément notre point de départ. Il nos arrivera alors sans doute d'avoir le vertige ; car tous les points sur lesquels notre oeil avait l'habitude de se poser nous seront dérobés, il n'est plus rien de proche, et tout ce qui est lointain est infiniment loin. Celui qu'on tirerait de sa chambre pour le placer, presque sans préparation ni transition, sur la cime d'une haute montagne, éprouverait sans doute quelque chose de semblable : une incertitude sans pareille, le sentiment d'étre livré en pâture à l'innommable qui l'anéantirait presque. Il aurait l'impression de tomber, ou bien se croirait expulsé dans l'espace ou dispersé en mille morceaux : quel monstrueux mensonge son cerveau ne devrait-il pas inventer pour recouvrer et éclaircir ses sens ! C'est ainsi que se transforment toutes les distances, toutes les mesures pour celui qui se retrouve seul ; beaucoup de ces transformations s'accomplissent subitement et, comme pour l'homme sur son sommet, naissent en lui des images inhabituelles et des sensations étranges qui semblent croître au-delà du supportable. Mais il est nécessaire que cela aussi nous le vivions. Il nous faut accepter notre existence aussi largement qu'il se peut ; tout, méme ce qui est inouï, doit y étre possible. C'est au fond le seul courage que l'on exige de nous : être courageux face à ce que nous pouvons rencontrer de plus étrange, de plus bizarre, de plus inexplicable.

Que les hommes, dans ce sens, aient été lâches a causé à la vie un tort infini ; les expériences qu'on appelle « apparitions », tout ce qu'on nomme « monde des esprits », la mort, toutes ces choses qui nous sont si étroitement apparentées, ont été refoulées si loin de la vie par la résistance quotidienne que les sens qui nous permettraient de les appréhender se sont émoussés. Et ne parlons pas de Dieu. Mais la peur devant l'inexplicable n'a pas seulement appauvri l'existence de l'individu, elle a restreint aussi les relations entre les hommes, extraites, pour ainsi dire, du lit du fleuve des possibilités infinies, et portées sur une berge déserte que rien n'atteint. Car l'indolence n'est pas seule à faire que les rapports humains se répètent, sans se renouveler d'un cas à l'autre, dans une indicible monotonie, il y a aussi la crainte devant une expérience nouvelle et à l'issue imprévisible qu'on ne se sent pas en mesure d'affronter.

Mais seul celui qui est préparé à tout, qui n'exclut rien, pas même le plus énigmatique, vivra la relation à autrui comme une chose vivante et épuisera sa propre existence. Car si nous nous représentons cette existence de l'individu comme un espace plus ou moins grand , nous voyons que la plupart n'apprennent à connaître qu'un coin de leur espace, une place près de la fenétre, une bande sur laquelle ils vont et viennent. Ainsi connaissent-ils une certaine sécurité. Et pourtant, elle est bien plus humaine, cette insécurité dangereuse qui, dans les nouvelles de Poe, pousse les prisonniers à reconnaître à tâtons la forme de leurs terrifiants cachots et à ne pas être coupés de l'indicible épouvante de leur séjour.

Mais nous, nous ne sommes pas des prisonniers. Autour de nous ne se dressent ni des embûches ni des pièges et il n'y a rien qui doive nous angoisser ou nous torturer. Nous sommes placés dans la vie comme dans l'élément auquel nous correspondons le mieux, et, de plus, une adaptation millénaire nous a rendus si semblables à cette vie que, si nous restons immobiles, on peut à peine nous distinguer de tout ce qui nous entoure grâce à un heureux mimétisme. Nous n'avons aucune raison de nous méfier de notre monde, car il ne nous est pas hostile. Recèle-t-il des effrois ? Ce sont nos effrois ; recèle-t-il des abîmes ? Ces abîmes nous appartiennent ; y a-t-il des dangers ? Nous devons tenter de les aimer. Et pour peu que nous organisions notre vie selon le principe qui nous conseille de toujours nous tenir au plus difficile, alors ce qui nous paraît aujourd'hui encore le plus étranger nous deviendra familier et le plus fidèle. Comment pourrions-nous en arriver à oublier ces vieux mythes qui se trouvent au commencement de tous les peuples, les mythes de dragons se transformant en princesses au dernier moment ; peut-étre tous les dragons de notre vie sont-ils des princesses qui attendent seulement de nous voir un jour beaux et vaillants. Peut-être tout l'effroyable est-il, au plus profond, ce qui, privé de secours, veut que nous le secourions.

mercredi 1 mars 2006

Hommage au féminin


Pour une fois, je serai en avance d'une semaine sur la date officielle de la
Journée internationale de la Femme...

Je ne crois pas être ce que l'on appelle un homme rose, du moins pas comme certains qu'il m'est arrivé de croiser, plus féministes que les plus militantes et qui ne semblaient avoir conservé de leur virilité que des attributs physiques. Je suis cependant pour toutes les libérations, même si parfois, souvent même, il faut un peu dépasser les bornes pour réveiller les mous défenseurs du confort douillet et des injustices établies, et atteindre les objectifs d'équité. Je crois que bien souvent les mouvements féministes ont su (ou dû) dépasser les bornes et « pousser pépé dans les orties ». Les femmes, comme les homosexuels, ont dû lutter pour conquérir une légitime reconnaissance et revendiquer des droits équivalents à ceux de la majorité dominante. Ces mouvements de libération ont selon moi assez déstabilisé l'identité masculine, qui ne s'en est pas encore remise ; peut-être sortira-t-il quelque chose de bon de la vulnérabilité actuelle chez les hommes hétérosexuels : je le crois.

Je n'ai jamais regretté de ne pas être né fille et je n'ai jamais eu la tentation de revêtir des vêtements féminins. Je suis un mâle, fier de l'être, et j'agis comme tel. Cependant, je crois avoir assez bien exploré la part de féminin en moi et je l'assume pleinement. Je suis capable, par exemple, de laisser s'exprimer l'émotion et couler les larmes en évoquant une lecture ou un film, même devant d'autres hommes, qu'ils soient collègues ou clients, seuls ou en groupes... Mes relations amoureuses ont toujours été des relations homosexuelles, même s'il m'est arrivé quelques fois d'être follement amoureux de jeunes filles. Et si j'aime bien la part de féminité chez un garçon, il est très clair pour moi que j'aime les garçons pour ce qu'ils sont, naturellement, spontanément ; autrement dit : je ne cherche pas chez les garçons des caricatures féminines. Au fond, ce que j'aime, je crois, c'est l'être qui vit le plus complètement possible en harmonie avec lui-même, qui assume aussi bien sa part de féminité que sa virilité, sans forcer ni l'une ni l'autre. Rien n'est acquis à jamais, je le sais ; cet équilibre est sans cesse à rétablir comme la bulle d'air dans le liquide d'un niveau.



Mâle et fier de l'être, donc, je n'ai cependant aucune honte à lire des livres de femmes et à vibrer au diapason avec certaines d'entre elles. Marguerite Yourcenar, bien sûr, mais avant elle, Simone de Beauvoir, Anne Philippe,puis, après, Françoise Dolto, Elisabeth Badinter, Jacqueline de Romilly, Gabrielle Roy, Annie Ernaux... et, évidemment, les carnets de plusieurs de nos collègues : Miss Lulu, Fuligineuse, !Béo!, Cyb, Anne Printemps, Brigetoun et... de nombreuses autres. Chacun de ces carnets m'intéresse et me touche à sa manière ; j'ai l'impression de m'être découvert ainsi une famille où personne ne ressemble aux autres et où pourtant les sensibilités et les valeurs se rejoignent si bien.

Hier soir, pendant que j'essayais d'avancer un peu dans diverses tâches, j'avais laissé le téléviseur fonctionner dans un coin du salon. J'écoutais distraitement les propos de Mireille Dumas et de ses invités, à l'émission Vie privée, vie publique ; dans la dernière partie de l'émission, mon attention a été attirée par une voix, puis par un nom : la voix était celle de Daniel Duval et le nom, celui de Jeanne Cordelier. Celle-ci est écrivaine et, il y a trente ans, son roman La dérobade avait été adapté au cinéma par Daniel Duval ; ceux-ci ne s'étaient pas revus depuis la sortie du film. Je suis toujours curieux d'entendre les gens raconter les difficultés et les épreuves par lesquels ils sont passés, puis de découvrir comment ils ont surmonté ces épreuves et comment ils sont devenus ce qu'ils sont.

En faisant le tour de mes carnets préférés, je me suis attardé un peu plus ce soir sur celui de Samantdi qui parlait justement de cette rencontre entre Jeanne Cordelier et Daniel Duval ; il serait souhaitable de lire le billet de Samantdi car ce qui suit est une forme de commentaire que j'ai voulu laisser chez elle, commentaire qui s'est allongé, au point de ne plus oser le laisser en commentaire ; le voici donc :

Je n'ai pas lu La dérobade, mais le nom de Jeanne Cordelier me disait quelque chose ; j'ai dû lire dans le passé quelque chose à son sujet et entendre parler d'elle, mais c'est très flou. Je me souviens avoir vu le film que Daniel Duval a réalisé en plus d'y avoir interprété le principal rôle masculin. Mais au moment où je l'ai vu, je ne suis pas sûr que j'étais en mesure de faire l'analyse que je pourrais en faire aujourd'hui. J'ai lu les Mémoires d'une jeune fille rangée et les autres livres autobiographiques de Simone de Beauvoir ; je ne suis pas sûr non plus qu'à l'époque où j'ai lu ces livres, j'aie cherché à mieux comprendre la situation de la femme (il m'en est sûrement resté quelque chose, malgré tout) ; je crois que ce qui m'attirait dans les livres de Beauvoir, c'était la volonté de mieux connaître la façon dont pouvaient vivre les bourgeois puis, avec la même curiosité, la vie de Montparnasse où j'ai vécu durant un certain temps, rue Campagne-Première, dans un studio d'artiste qui appartenait à un vieux peintre qui lui-même habitait désormait un bel immeuble moderne, au 11, rue Schoelcher, où il était voisin de Simone de Beauvoir. Si j'ai plusieurs fois croisé Jean-Paul Sartre sur les trottoirs du boulevard Raspail, je n'ai jamais eu l'occasion d'apercevoir Simone de Beauvoir, à moins de l'avoir croisée sans la reconnaître. Je suis touché de lire ici (chez Samantdi) le nom de Pauline Julien. C'est une femme que j'ai toujours aimée, admirée ; je crois qu'un très grand nombre de Québécoises et de Québécois ont éprouvé pour elle le même respect admiratif, même celles et ceux qui n'étaient pas attirés par ses chansons. Avant tout, elle était une femme passionnée, engagée, comédienne, interprète, militante, etc. J'ai eu l'occasion de la croiser, de la rencontrer, de lui parler brièvement, à quelques reprises ; et j'ai fait un peu d'action politique avec celui qui fut durant de nombreuses années son compagnon de vie, le poète Gérald Godin qui, grâce à nos efforts conjugués, fut élu député et nommé ministre : nous n'étions pas peu fiers. Je ne peux pas dire que l'euthanasie soit un sujet qui m'enthousiasme, mais j'admire tout de même le courage de Pauline Julien qui, quelques années après la mort de son compagnon, se sachant atteinte d'une maladie dégénérative sans espoir de guérison, a choisi le moment du grand départ. Mais pour finir sur une note plus joyeuse, j'ai aussi beaucoup aimé cette rencontre chez Mireille Dumas entre Jeanne Cordelier et Daniel Duval.