lundi 25 décembre 2006

Noël


Depuis plusieurs années, la fête de Noël n'a plus beaucoup de sens pour moi. Elle est tout au plus un congé férié et si je devais lui donner un sens, je serais tout à fait disposé à célébrer le solstice d'hiver et la lumière. Rassurez-vous, je ne vous ferai pas une étude sur les origines de cette fête et sur les traditions dans les diverses cultures ; si le sujet vous intéresse, vous trouverez ici un article bien documenté qui devrait répondre à plusieurs de vos questions et peut-être vous donner envier de creuser davantage le sujet. Mais ce n'est pas mon propos d'aujourd'hui ; celui-ci est beaucoup plus prosaïque et égocentrique.


J'ai pourtant toujours aimé les traditions et les rituels et il ne faudrait pas grand-chose pour me faire adhérer encore à ceux qui entourent la fête de Noël. Baptisé et élevé dans la religion catholique, je ne pratique plus depuis bien longtemps et si les Chrétiens veulent célébrer le 25 décembre la naissance de leur Sauveur, je n'ai rien contre, mais cela ne justifie pas à mes yeux toute la frénésie qui cumule durant plusieurs semaines précédant cette date. Je n'aime pas les étiquettes et en acceptant celle d'« athée », j'aurais le sentiment d'adhérer à une secte visant à en combattre une autre. Je veux bien laisser à Dieu le bénéfice du doute ; cependant, quand j'entends les discours réactionnaires des dirigeants ecclésiastiques, qu'il soient québécois ou romains, j'ai plus envie de dénoncer leur tendance à s'acoquiner avec les hommes politiques de droite où qu'ils soient, à recommander aux États d'adopter des lois brimant les libertés et favorisant la discrimination, que d'accorder quelque crédit à leur message prétendûment rassembleur. Ils me font trop penser aux Canadians qui, en 1995, à la veille du référendum sur la souveraineté, sont venus de partout au Canada, toutes dépenses illégalement payées par le pouvoir fédéraliste, pour dire aux Québécois qu'ils les aimaient et que les Québécois devaient, en raison de cet amour aussi subit que mensonger, renoncer à leur rêve d'autonomie. À force d'être trompés et trahis par ceux qui prétendent nous aimer, on apprend à se méfier. Je suis pourtant d'un naturel confiant et aimant...

Oubliant l'aspect religieux de la fête, on en fera de plus en plus, un peu partout à travers le monde, la fête des enfants et, dans certains cas, la fête de la famille. N'ayant pas d'enfant moi-même et ceux qui m'entouraient, neveux et nièces, ayant grandi, cette fête perd encore pour moi une raison d'être. Et comme mes parents sont décédés, je suis à la fois le parent et l'enfant, mais le parent en moi est assez rigoureux et l'enfant n'a pas eu longtemps l'innocence et le sentiment d'appartenance.

L'une de mes soeurs aime bien me rappeler de temps à autre que je fais partie de la famille, que je le veuille ou non. Puisque je n'ai pas toujours quelque chose de mieux à faire, sinon de jouir de ma solitude et de la paix qui l'accompagne, il m'arrive de participer aux réunions familiales qu'organise l'une ou l'autre de mes soeurs les plus jeunes. C'est ce qui m'a fait accepter l'invitation de l'une d'entre elles au réveillon de Noël qui maintenant, dans la famille, commence assez tôt en début de soirée et se poursuit peu après minuit. Selon la tradition familiale italienne du côté de mon beau-frère, tout est centré autour de la table : boissons de toutes sortes, vin, nourriture sans cesse présentée, des crudités aux desserts, en passant par les fruits, les noix, les fromages, les charcuteries, entourant les plats principaux et leurs accompagnements... Quand on quitte la table, il est temps d'enfiler son manteau et de rentrer chez soi.

J'ai bien mangé et modérément bu ; je m'assagis. Toutefois, si on me demandait d'énumérer les sujets de conversation de la soirée, on aurait vite fait le tour : après que chacun eut exprimé quand et comment il avait recommencé à fumer pour la trentième fois, ce fut le tour des interventions chirurgicales des uns et des autres, la conversation se déroulant, comme il se doit, dans un nuage de fumée. On a eu droit, pour la vingtième fois, au récit de l'excursion de chasse de l'un des frères qui s'était perdu en forêt et qui a dû y passer la nuit, puis aux multiples tentatives d'un jeune beau-frère de se rendre intéressant en lançant à la volée, pendant que chacun racontait une histoire que personne n'écoutait plus, un sujet qui n'intéressait personne non plus. Si j'ai quelque chose en commun avec cette famille, c'est sans doute là : non pas dans la solidarite avec l'absurdité de leurs conversations, mais dans le besoin (pas si sûr) de raconter ici ce qui n'intéresse personne. L'avantage, ici, c'est qu'on n'est pas obligé de lire jusqu'à la fin ou que le lecteur, sous le couvert de l'anonymat ou à visage à mi-découvert, peut dire au narrateur que son texte est lourd, indigeste...

Au réveil, même si j'ai été relativement sage la veille, tant avec le liquide qu'avec le solide, je n'en étais pas moins fatigué et peu brillant. Je n'ai donc pas fait grand-chose de cette journée, jusqu'au moment de me rendre chez un ami qui m'avait invité à manger. Comme il faisait doux, je me suis rendu à vélo à ce rendez-vous de fin de journée : c'est la première fois de ma vie que je pouvais faire du vélo un 25 décembre.

Nous avons commencé par boire du thé vert d'une finesse exceptionnelle (à la mesure de son prix), avant de commencer à manger, un repas assez simple, en somme, mais très bon (entrée de poisson, poulet à la provençale, yaourt et framboises fraîches), accompagné d'un très bon vin rouge. Je ne dirais pas que la conversation avait été écrite par Jean-Claude Brisville, l'auteur de l'excellente pièce le Souper, dont Édouard Molinaro a fait un film, mais ce n'était pas non plus un « dîner de cons ».

Je suis rentré de cette soirée chez un ami plus léger qu'à l'arrivée, pas à cause de ce que nous avons mangé, mais en raison de la présence de l'un à l'autre et de l'écoute attentive que chacun apporte à la conversation.

Autrement, j'aime bien passer du temps seul durant la période des fêtes. C'est ma façon d'essayer de retrouver quelque chose de mon coeur d'enfant, trop souvent malmené par « les grandes personnes ».

Au fond, je crois que je ne suis, en dépit des apparences, de mes manières urbaines, qu'un égoïste, invivable...

Il suffirait cependant de presque rien... Si j'écoute par exemple cet air que plus personne ne veut écouter après le 25 décembre, mais chanté ici par Mahalia Jackson (deux versions différentes, mais je connais d'elle une troisième que je préfère encore à celles-ci), je serais tenté de me laisser convertir. Avec un clin d'oeil à Miss Lulu, voici Mahalia Jackson ; mais juste avant, je vous annonce que demain ce sera plus léger, avec des photos d'hiver à Montréal (entre autres).





11 commentaires:

Beo a dit…

Il y a de ces rencontres qui ne sont pas des retrouvailles en fait. Je suis tellement heureuse de ne pas en vivre cette année (pas de b-parents en vue fiou), que je concrétise la tradition qu'on s'est faite ici, mon chéri et moi et qui n'a rien à voir avec mes Noëls québécois non plus!

Faut savoir s'adapter hein?

Brigetoun a dit…

hum, moi aussi je choisis la solitude le 24 et le 25, pas tellement à cause du côté religieux : il était admis du vivant de nos parents que les deux ou trois non concernés par la messe restaient pour finir de préparer la décoration de la table qui se devait d'être féérique et mettre la dernière main au repas - maintenant que chacune de mes soeurs surtout la plus proche se trouve à la tête d'une smala (à Grignan cinquante dont une quinzaine de très jeunes enfants) j'ai peur d'un blues un peu jaloux de ma part dont j'aurai honte et je reste chez moi malgré les invitations - et inévitablement vers onze heures du soir j'ai un gros cafard - autrefois je partais et ça marchait -
en attendant côté tradition le sapin du billet est superbe

Anonyme a dit…

Si tu accordes à Dieu "le bénéfice du doute", selon ton excellente formule, tu es agnostique comme moi et non pas athée. C'est moins catégorique. C'est une façon de dire : Je n'ai pas d'éléments concluants ni dans un sens ni dans l'autre. (Bon, chez moi ce n'est pas à 50/50, ce serait plutôt 80/20...)

Anonyme a dit…

Joyeux Noel à toi Alcib... bien qu'en retard.
Je t'ai lu jusqu'à la fin, comme toujours. Tu vois, ce que tu (nous) écris en intéresse plus d'un puisque tu as de fidèles lecteurs et lectrices. J'ai aussi ce grand besoin de solitude autours de la fête de Noël, encore plus grand pour accueillir la nouvelle année. Dans mon cas, j'ai malheureusement la désagréable impression de faire preuve d'impolitesse en refusant les invitations familiales... alors je fais acte de présence. C'est bête, mais je me sens coupable de ce désir égoiste de solitude. Je préfèrerais de loin profiter de ces quelques jours de répit, tranquille, en pyjama, au chaud sous mes couvertures, à lire tout les bouquins que j'ai accumulés sur ma table de chevet faute de temps pour les lire, en savourant du thé vert (ou un bon chocolat chaud... c'est Noêl quoi !).

Anonyme a dit…

Mon Noel d'exilée m'a privée des fetes de fin d'année en famille, comme depuis trente ans (ou presque)... Et c'est drole, mais c'est une expérience assez inattendue mais sympa, que de se poser en observateur des traditions familiales et/ou consuméristes des autres... Un décalage bienvenu, pour faire une pause!

Anonyme a dit…

merci pour la très belle musique, je ne connaissais même pas ces versions :) et grosses bises!

Anonyme a dit…

Moi aussi Alcib je t'ai lu avec attention car beaucoup d'aspects me touchent. Encatholicisé dans ma jeunesse avec le complexe judéo-chrétien du Dieu sèvère et punitif, j'ai passé une grande partie de ma vie à me sentir coupable et angoissé.

Avec persévérance et souvent avec rage et peur, J'ai réussi à faire le ménage et nettoyer tout ça.
Paradoxalement, en même temps, j'ai l'impression d'avoir développé une spiritualité personnelle et plus profonde. Je crois plus et mieux mais dans l'essentiel.

J'en suis rendu à pouvoir être dans une église, ou un temple de tout autre confession, et être animé par un bien-être et un sentiment d'être en harmonie intérieure avec une énergie transcendante, une énergie de Vie, d'Amour... Ça j'y crois et c'est à moi. Personne ne peut l'altérer. Je demeure fermement anti-secte et réfractaire à tout endoctrinement.

Par la force des choses cette année, ma conjointe étant hospitalisée d'urgence, j'ai souffert mais j'ai pu passer le réveillon dans l'affection avec mes enfants et en lien intérieur avec mon Amoureuse. J'ai vraiment vécu l'esprit d'amour de Noël malgré et peut-être grâce à cette crise majeure.
En te lisant, je prends conscience:
- qu'on peut aimer la solitude sans être un isolé invivable
- qu'on peut avoir de la profondeur sans être lourd
- qu'on peut se vouloir du bien sans être égoïste

Hans Selye (spécialiste du stress) pronait l'égoïsme altruiste, disant qu'il faut d'abord qu'on soit bien pour être utile aux autres.

Alcib,
Je te souhaite ainsi qu'à tous les lecteurs de ton blogue un Noël de Paix, de Santé et de Sérénité.

Alcib a dit…

Merci de votre fidélité et de votre patience. J'essaierai de répondre plus longuement dès que je trouverai un moment de répit. J'ai entrepris de réorganiser un peu mon appartement et, depuis quelques jours, je trie, je jette, je déplace des meubles, j'essaie de faire un inventaire sommaire des papiers qui comptent... Je sais, c'est un drôle de moment pour entreprendre ce genre de chose, mais je n'ai pas eu le temps plus tôt et si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai pas et les choses ne peuvent pas rester comme elles le sont... Et puis il ne faut pas être un grand psychologue pour comprendre ce besoin de m'activer ainsi durant la période des fêtes (il y a quelques années, j'entreprenais des travaux de construction de bibliothèques ou de peinture sur les murs).

Béo -> En effet, tous les rassemblements ne sont pas forcément des Rencontres.

Brigetoun -> Même si l'on a décidé de se respecter et de privilégier la solitude pour son propre bien, je crois que nous avons du mal à nous défaire d'une certaine culpabilité qui reste aussi bien ancrée en nous que l'odeur du hareng dans la caque... Et au fond, nous préférerions être avec des gens que l'on aime plutôt que de rester seul mais, hélas, la conjugaison de solitudes ne crée pas toujours une grande fraternité. On se réunit parfois pour les mauvaises raisons et sans connaître plus l'autre à Noël que le reste de l'année...

Fuligineuse -> J'ai failli utiliser le mot « agnostique », mais une dernière vérification au dictionnaire m'a fait hésiter car on y parle d'un refus de toute métaphysique ; je ne voulais pas m'engager dans cela non plus. Je suis cependant d'accord avec ta définition.

Cassiopée -> Merci de cette fidélité. Je suis heureux de retrouver ici ce pseudo que je n'avais pas vu depuis un bon moment. Il m'arrive parfois de me demander si je me suis un peu trop perdu, un peu détaché de moi-même pour que mes billets ne suscitent plus l'intérêt des amis de Yourcenar, d'Ivo Pogorelich, de toute forme de beauté... Merci de ce commentaire. Je suis persuadé que l'on pourrait trouver dans les Mémoires d'Hadrien plusieurs nobles justifications à ce besoin de solitude.

Hélène -> Merci de ce commentaire et bienvenue dans ces pages. Quand on est loin de sa famille, j'imagine que l'on voit un peu les choses autrement. Et puis chaque cas est différent : j'ai des amis qui sont très heureux de retrouver leurs frères et soeurs à Noël... Je me souviens du premier Noël passé loin de ma famille : j'avais vingt ans et j'étais resté à Paris, ce qui n'était pas prévu au moment du départ ; je n'étais pas particulièrement triste d'être loin, car j'avais le sentiment de commencer une vie très intéressante... Mais j'ai su que mes parents, à Montréal, avaient pleuré le soir de Noël parce que j'étais loin ; je me rappelle toujours ce souvenir avec beaucoup d'émotion...

Miss Mahalia Lulu, tout le plaisir est pour moi ; bises chaleureuses et câlins aux chatounes.

Lux -> Merci aussi de cette fidélité et de cette attention. Je te croyais parti au soleil ou absent pour les réunions familiales. Je suis désolé d'apprendre que la maladie touche quelqu'un qui t'erst si proche. J'espère que l'urgence est passée et que ta compagne se remet déjà des causes de cette hospitalisation.
Je suis tout à fait d'accord avec toi : ce ne sont pas les doctrines ni les rituels imposés qui créent la spiritualité. Libéré des doctrines et obligations associés aux religions, on peut tout à fait trouver sa propre vie intérieure, sa propre spiritualité. Comme toi, je peux participer à des cérémonies religieuses sans me sentir ni coupable ni sacrilège. Cette vie intérieure m'appartient et personne n'a le droit de me juger, pas plus que je ne juge celui qui a d'autres croyances ou d'autres pratiques.

Je crois aussi qu'il existe une forme d'égoïste supérieur qui fait que l'on doive se préserver pour accomplir sa véritable mission ; il y a des moments où il faut savoir être à soi pour pouvoir mieux donner là où ça compte vraiment. Le supposé amour des autres peut aussi être une forme d'égoïsme. Ce qui n'est sûrement pas ton cas, puisque tu as une amoureuse et des enfants. Paix, Santé, Amour et Sérénité à toi et à tous les tiens.

Merci encore et joyeuses fêtes, le plus possible en harmonie avec vous-même et avec les autres.

Anonyme a dit…

Ta note est intéressante. Je pense qu'il existe une grande diversité pour fêter Noël. En famille, avec des amis ou en comité très restreint (à deux ou seul). Chacun doit y trouver ce qu'il veut y trouver. Des retrouvailles, une occasion d'échanges ou bien un moment de réflexion et de méditation plus personnel. Le plus difficile est toujours de subir une situation que l'on n'a pas choisi et qui déplait. Dans le cas d'une grande réunion où on doit supporter les personnes présentes et leurs conversations ou, à l'inverse, la solitude lorsque celle-ci n'est pas choisie.
En toile de fond, la consommation à outrance qui accompagne ces fêtes m'a toujours paru indécente. Cette frénésie des pays occidentaux à acheter toujours plus est absurde. Est on plus heureux pour autant ?

Anonyme a dit…

Salut Alcib,
Tu dis parfaitement les ambiguités de Noël et des réunions de famille.
Sois indulgent pourtant avec les autres et surtout toi même. Je ne te sens pas si égoïste que cela.
Un ami de la "secte" des réfomés.
Bonne année à toi.
chaque homme.

Alcib a dit…

Merci, Denis. Ton commentaire est aussi très juste.

Chaque Homme, merci.
Quant à l'indulgence, il m'arrive de penser que je le suis trop... Mais au fond, j'applique spontanément un principe religieux : je déteste le péché mais je ne condamne pas le pécheur.
Bonne année aussi : qu'elle aporte la paix, la sérénité, la lumière...