« Si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui » (Jean-Paul Sartre, Les mots)
Rien qu'un homme... c'est déjà pas mal !
J'ai souvent du mal à écrire ce que je ressens. Il m'est plus facile, je crois, d'aider quelqu'un, même s'il m'est presqu'inconnu, à identifier et à exprimer ce qui ce passe en lui, comme s'il m'était plus naturel de me mettre dans la peau de l'autre que de savoir ce qui vibre dans la mienne.
N'ayant pas été exposé à la poésie, ni dans mon adolescence ni dans ma première jeunesse, je n'ai pas développé d'intérêt particulier pour cette forme d'expression. J'ai bien découvert et apprécié, au début de la vingtaine, quelques poèmes de Verlaine, de Rimbaud, et de Baudelaire, surtout, mais je n'ai jamais été moi-même tenté de les imiter. Au cours de certaines conversations sur MSN, avec le Vincent de Nantes que j'évoquais l'autre jour, il m'est arrivé de chercher avec lui le mot juste qui lui manquait pour faire la rime et terminer un poème qu'il composait tout en poursuivant à l'écran le dialogue avec moi. J'admire la facilité avec laquelle ce jeune homme écrit de très beaux poèmes ; j'espère qu'un jour, il fera un receuil de certains de ces poèmes afin de les rendre accessibles à des lecteurs qui ne sont pas forcément des intimes.
Moi qui suis plutôt autodidacte (j'avais quitté l'école à seize ans), je me suis réfugié un jour dans les livres pour fuir un monde dans lequel je ne me reconnaissais pas et pour tenter de me forger une identité qui correspondait davantage à ma sensibilité. À travers les livres, je n'ai pas vraiment appris à vivre, mais j'ai un peu appris comment d'autres pouvaient vivre. Au fond, j'ai peut-être plus rêvé autour des livres que je n'en ai fait la lecture intelligente. Si ces lectures désordonnées ont parfois créé des tempêtes sous ma calotte crânienne, ces tempêtes n'ont toutefois jamais été très longues et n'ont pas fait trop de dégâts. Elles m'auront procuré, au fil des ans, une certaine culture générale qui, forcément, est pleine de cratères ; si on devait comparer cette culture à un fromage, il ressemblerait davantage, par la dimension de ses trous, à un emmenthal québécois qu'à un gruyère suisse.
Entre seize et vingt ans, j'ai voulu devenir chanteur. À défaut de pouvoir réciter Virgile, Racine ou Baudelaire, je connaissais les textes de nombreuses chansons. Je me souviens qu'avec certains de mes amis, il nous arrivait souvent de nous parler en chansons : pour exprimer ce que nous voulions dire, il nous suffisait de trouver un extrait de chanson qui disait le plus précisément ce que nous avions à l'esprit et de le chanter ; pour répondre, l'autre faisait de même. La chanson est sans doute à la poésie ce que Nutella est au chocolat...
En écrivant ceci, un souvenir me revient, qui semblait assez bien enfoui dans un coin poussiéreux de ma mémoire. J'avais seize ans et, arrivant dans un nouveau quartier, je fis la connaissance de quelques filles et garçons du voisinage avec qui mes soeurs, plus sociables que je pouvais l'être, avaient établi des liens. En quelques semaines seulement, nous nous rendions visite les uns aux autres, comme le font sans doute bien des adolescents. J'entrai ainsi dans l'intimité des familles, qui me furent de précieux laboratoires d'observation.
Or, l'un de ces garçons de mon âge avait une grande soeur ; elle devait bien avoir plus de vingt ans. J'ai appris un jour que cette grande soeur avait rompu ses fiançailles avec le frère d'un autre jeune voisin. Il ne me serait pas venu à l'esprit d'essayer de la consoler, mais elle m'invita à le faire : il nous arriva à quelques reprises d'aller ensemble au cinéma et d'aller ensuite manger au restaurant, après quoi je la raccompagnais chez elle, chez ses parents. Sans doute savait-elle bien que notre relation n'était pas faite pour durer (je crois qu'elle se servait un peu de moi pour rendre jaloux l'ex-fiancé, mais je crois aussi qu'elle se plaisait en ma compagnie : je pouvais être drôle, amusant...). Or, pour ne pas me faire perdre mon temps, peut-être, elle m'apprit à embrasser sérieusement, c'est-à-dire : avec la langue.
C'est tout de même étrange que j'aie presque oubié cet épisode de mon adolescence, alors que je me souviens très bien qu'avec elle aussi, il y avait ce jeu, qui l'amusait beaucoup, de nous parler en extraits de chansons.
Ce samedi soir, pendant que je transcrivais des notes, j'ai entendu une chanson que j'avais sans doute entendue très souvent du temps où j'écoutais beaucoup les stations de radio qui présentaient des chansons françaises (je dois dire que depuis plusieurs années, je n'écoute pratiquement à la radio que de la musique classique). Or, sans savoir pourquoi, en entendant ce soir cette chanson, j'ai dû me retenir pour ne pas éclater en larmes. J'ai essayé de comprendre ce qui se passait et j'en suis venu à la conclusion que cette chanson, ce soir, exprimait un constat qui n'était peut-être pas encore tout à fait clair en moi.
D'une part, il y a l'idée que « je suis un homme », et non plus un garçon qui ne grandit pas. Et, d'autre part, il y a cet homme qui a vécu, qui se rappelle « que la vie fut belle de temps en temps » et qui ne saura plus « taire bien longtemps ce que [lui] coûtèrent ces beaux moments ». Et si « j'ai perdu mon coeur depuis longtemps », qu'on me pardonne « si je ne sais plus que faire semblant » et « si je n'y crois plus que de temps en temps ».
J'aurais voulu insérer ici le fichier musical avec l'interprétation de la chanson, mais je ne le trouve pas [ajout du 7 septembre 2008 : j'ai trouvé la chanson sur Deezer].
En voici les paroles :
Rien qu'un homme... c'est déjà pas mal !
J'ai souvent du mal à écrire ce que je ressens. Il m'est plus facile, je crois, d'aider quelqu'un, même s'il m'est presqu'inconnu, à identifier et à exprimer ce qui ce passe en lui, comme s'il m'était plus naturel de me mettre dans la peau de l'autre que de savoir ce qui vibre dans la mienne.
N'ayant pas été exposé à la poésie, ni dans mon adolescence ni dans ma première jeunesse, je n'ai pas développé d'intérêt particulier pour cette forme d'expression. J'ai bien découvert et apprécié, au début de la vingtaine, quelques poèmes de Verlaine, de Rimbaud, et de Baudelaire, surtout, mais je n'ai jamais été moi-même tenté de les imiter. Au cours de certaines conversations sur MSN, avec le Vincent de Nantes que j'évoquais l'autre jour, il m'est arrivé de chercher avec lui le mot juste qui lui manquait pour faire la rime et terminer un poème qu'il composait tout en poursuivant à l'écran le dialogue avec moi. J'admire la facilité avec laquelle ce jeune homme écrit de très beaux poèmes ; j'espère qu'un jour, il fera un receuil de certains de ces poèmes afin de les rendre accessibles à des lecteurs qui ne sont pas forcément des intimes.
Moi qui suis plutôt autodidacte (j'avais quitté l'école à seize ans), je me suis réfugié un jour dans les livres pour fuir un monde dans lequel je ne me reconnaissais pas et pour tenter de me forger une identité qui correspondait davantage à ma sensibilité. À travers les livres, je n'ai pas vraiment appris à vivre, mais j'ai un peu appris comment d'autres pouvaient vivre. Au fond, j'ai peut-être plus rêvé autour des livres que je n'en ai fait la lecture intelligente. Si ces lectures désordonnées ont parfois créé des tempêtes sous ma calotte crânienne, ces tempêtes n'ont toutefois jamais été très longues et n'ont pas fait trop de dégâts. Elles m'auront procuré, au fil des ans, une certaine culture générale qui, forcément, est pleine de cratères ; si on devait comparer cette culture à un fromage, il ressemblerait davantage, par la dimension de ses trous, à un emmenthal québécois qu'à un gruyère suisse.
Entre seize et vingt ans, j'ai voulu devenir chanteur. À défaut de pouvoir réciter Virgile, Racine ou Baudelaire, je connaissais les textes de nombreuses chansons. Je me souviens qu'avec certains de mes amis, il nous arrivait souvent de nous parler en chansons : pour exprimer ce que nous voulions dire, il nous suffisait de trouver un extrait de chanson qui disait le plus précisément ce que nous avions à l'esprit et de le chanter ; pour répondre, l'autre faisait de même. La chanson est sans doute à la poésie ce que Nutella est au chocolat...
En écrivant ceci, un souvenir me revient, qui semblait assez bien enfoui dans un coin poussiéreux de ma mémoire. J'avais seize ans et, arrivant dans un nouveau quartier, je fis la connaissance de quelques filles et garçons du voisinage avec qui mes soeurs, plus sociables que je pouvais l'être, avaient établi des liens. En quelques semaines seulement, nous nous rendions visite les uns aux autres, comme le font sans doute bien des adolescents. J'entrai ainsi dans l'intimité des familles, qui me furent de précieux laboratoires d'observation.
Or, l'un de ces garçons de mon âge avait une grande soeur ; elle devait bien avoir plus de vingt ans. J'ai appris un jour que cette grande soeur avait rompu ses fiançailles avec le frère d'un autre jeune voisin. Il ne me serait pas venu à l'esprit d'essayer de la consoler, mais elle m'invita à le faire : il nous arriva à quelques reprises d'aller ensemble au cinéma et d'aller ensuite manger au restaurant, après quoi je la raccompagnais chez elle, chez ses parents. Sans doute savait-elle bien que notre relation n'était pas faite pour durer (je crois qu'elle se servait un peu de moi pour rendre jaloux l'ex-fiancé, mais je crois aussi qu'elle se plaisait en ma compagnie : je pouvais être drôle, amusant...). Or, pour ne pas me faire perdre mon temps, peut-être, elle m'apprit à embrasser sérieusement, c'est-à-dire : avec la langue.
C'est tout de même étrange que j'aie presque oubié cet épisode de mon adolescence, alors que je me souviens très bien qu'avec elle aussi, il y avait ce jeu, qui l'amusait beaucoup, de nous parler en extraits de chansons.
Ce samedi soir, pendant que je transcrivais des notes, j'ai entendu une chanson que j'avais sans doute entendue très souvent du temps où j'écoutais beaucoup les stations de radio qui présentaient des chansons françaises (je dois dire que depuis plusieurs années, je n'écoute pratiquement à la radio que de la musique classique). Or, sans savoir pourquoi, en entendant ce soir cette chanson, j'ai dû me retenir pour ne pas éclater en larmes. J'ai essayé de comprendre ce qui se passait et j'en suis venu à la conclusion que cette chanson, ce soir, exprimait un constat qui n'était peut-être pas encore tout à fait clair en moi.
D'une part, il y a l'idée que « je suis un homme », et non plus un garçon qui ne grandit pas. Et, d'autre part, il y a cet homme qui a vécu, qui se rappelle « que la vie fut belle de temps en temps » et qui ne saura plus « taire bien longtemps ce que [lui] coûtèrent ces beaux moments ». Et si « j'ai perdu mon coeur depuis longtemps », qu'on me pardonne « si je ne sais plus que faire semblant » et « si je n'y crois plus que de temps en temps ».
J'aurais voulu insérer ici le fichier musical avec l'interprétation de la chanson, mais je ne le trouve pas [ajout du 7 septembre 2008 : j'ai trouvé la chanson sur Deezer].
En voici les paroles :
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
Qui traîne sa vie aux quatre vents
Qui rêve d'été et de printemps
Lorsque vient l'automne et les tourments
Mais c'est monotone, monotone
De me supporter depuis si longtemps
Et la même gueule et le même sang
Coulant dans mes veines d'un même courant
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
J'ai perdu mon cœur depuis longtemps
Et qu'on me pardonne, me pardonne
Si je ne sais plus que faire semblant
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
J'ai brûlé mes ailes aux soleils brûlants
J'ai fermé ma porte, oui qu'importe
Pour cause de rêve ou de testament
Si je me rappelle, me rappelle
Que la vie fut belle de temps en temps
Je ne saurai taire pour bien longtemps
Ce que me coûtèrent ces beaux moments
Mais y a rien à faire, rien à faire
Car je sais trop bien qu'au premier tournant
Au premier sourire, au premier bon vent
Je retomberai dans le guet-apens
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
Et j'aime la vie si je m'en défends
Elle le sait bien cette poltronne
Qui donne toujours et toujours reprend
Et qu'on me pardonne, me pardonne
Si je n'y crois plus que de temps en temps
Je sais que personne, non personne
N'a jamais su dire le chemin des vents
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
Et je vais ma vie au gré des vents
Je crie, je tempête et je tonne
Puis je m'extasie au premier printemps
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
Entre goût de vivre et goût du néant
Entre Dieu et Diable, il faut voir comme
Je plie, je succombe et je me repens
Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme
Et je vais ma vie au gré des vents
Et qu'on me pardonne, me pardonne
Si je n'y crois plus que de temps en temps.
Les paroles et la musique sont d'Alain Barrière (1970)
Éd. Bretagne.
4 commentaires:
Moi je trouve Alcib que tu t'exprimes très bien par l'écriture, tu as les mots pour dire ce que tu ressens vraiment et ç'est touchant. Tu me rejoints dans l'importance de la quête de soi.
Et ces pleurs qui t'envahissent, expriment-ils peine et tristesse ou bien par un apprivoisement, un attendrissement par une ouverture qui se fait en toi?... Une possibilité de te recevoir dans des dimensions de toi qui étaient oubliées, endormies et qui t'attendaient? Veux-tu devenir ton ami?;) Moi je veux bien.
«Eh! Boule de gomme, serais-tu devenu un homme?»
Cher Renard, je te remercie de ce commentaire, de ta perspicacité, de ton aimable proposition et de ton engagement...
Je crois que tu as tout à fait raison au sujet de l'attendrissement et de l'ouverture. En bon renard que tu es, tu as bien compris qu'en effet, il m'arrive d'essayer d'apprivoiser des dimensions de moi qui, par moments, jouent à l'huître. Je n'ai rien d'un pêcheur de perles, mais j'aimerais bien tenter de redevenir mon ami :o) Si j'y parviens, je pourrai peut-être aussi devenir pour d'autres un ami.
« Boule de gomme » : J'ai beaucoup aimé et j'aime encore cette chanson de Jean-Pierre Ferland. Merci de l'évoquer.
Je crois que les contacts les plus difficiles et pénibles que l'on a avec soi-même sont souvent le signe qu'on touche une dimension intérieure fondamentale.
Je crois aussi que l'accueil, l'amour de soi est un processus continu et non pas un événement rapide qui règle tout.
J'ai l'impression Alcib que tu dégages beaucoup plus d'amitié que tu le penses. Le plus dur quelques fois, c'est de s'accorder autant d'affection à soi-même. Souvent ça commence par l'attendrissement...
Je veux en profiter pour te remercier de partager ainsi la vie qui émerge en toi, ça me rejoint et me permet d'avoir accès à mes propres émotions
Amicalement
Ah Boule de gomme de Ferland: quelle chanson qui va au fond des tripes!!!
Il y a des souvenirs qui ressurgissent à des moments clefs je crois.
Faut pas chercher plus loin qu'un ressourcement avec le vécu d'alors. C'est mon avis. Et si tu veux savoir: c'est déjà fort d'en arriver là!
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