jeudi 24 août 2006

Caius Plinius Caecilius Secundus

Le 24 août de l'an 79, tout s'est arrêté à Pompéi : le temps, la vie elle-même. Vers dix heures, ce matin-là, le Vésuve, qui dormait depuis environ mille ans, se réveille. Une immense fumée noire s'élève dans le ciel pendant qu'il se met à pleuvoir des pierres. Les habitants de Pompéi essaient de se protéger comme ils peuvent, avec des coussins sur la tête ou en se réfugiant dans la cave de leur maison. Mais rapidement Pompéi est ensevelie sous les pierres. Après les pierres, ce fut la cendre chaude. En quelques heures la ville est recouverte d'une épaisse couche de cendre, comme si c'était une abondante couche de neige noire. Plus de 30 000 personnes seraient mortes dans la destruction des villes de Pompéi, d'Herculanum et de Stabies. Selon les scientifiques modernes, les habitants de ces villes voisines du Vésuve n'auraient pas eu le temps de se protéger car ils n'auraient pas eu le temps de voir ce qui se passait ; ils auraient été saisis sur place dans les gestes qu'ils étaient en train d'accomplir par une chaleur immense avant que la couche de cendre ne vienne les pétrifier, les statufier.

Évidemment, je n'étais pas sur place et ce que je viens d'écrire au sujet de cet événement n'est qu'un immense raccourci. Les chaînes de télévision, même celles qui diffusent de l'information continue, n'étaient pas sur place pour nous montrer des images de la catastrophe, ni leurs correspondants pour nous en faire le récit sous l'effet de fortes doses d'adrénaline. Mais il y eut des témoins de cette fin du monde ; parmi eux, deux témoins qui sont passés à l'Histoire : Pline l'Ancien et son neveu Pline le Jeune.

Le premier, né à Côme en 23 et mort à Stabies en 79, est l'auteur d'une importante encyclopédie en 37 volumes, portant le titre d'Histoire naturelle. Il se trouvait à Misène lorsque l'éruption du Vésuve eut lieu ; avec son neveu qui voulut aller secourir un ami, il prit la mer en direction de Pompei, le 24 août. Il durent s'arrêter à Stabies. Il est mort asphyxié par des vapeurs de souffre en faisant des observations sur la plage et son corps a été découvert deux jours plus tard.



Quant à Pline le Jeune, né à Côme en 61, il est le neveu par sa mère de Pline l'Ancien qui l'adoptera. Il deviendra sénateur et haut fonctionnaire sous l'empire de Trajan. Sa correspondance avec l'empereur est une précieuse source de renseignements sur la vie de l'époque et tout particulièrement sur la vie politique et adminstrative. Son récit de l'éruption du Vésuve, qui a presque la précision des textes scientifiques, est le seul qui nous soit parvenu ; ce témoin privilégié n'avait que 17 ans au moment de la catastrophe.

Les portraits de l'oncle et du neveu sont en noir et blanc car à l'époque la photo numérique n'était même pas encore balbutiante. Toutefois, si vous souhaitez voir de très belles photos de Pompéi, je vous suggère d'aller voir chez Olivier de Montréal.

Pline le Jeune a entretenu une importante correspondance avec Trajan, mais aussi avec de nombreux autres épistoliers. Ses lettres sont un peu des prétextes à raconter les événements qui composent sa vie ou ceux dont on parle ; elles servent aussi à exprimer son opinion sur des sujets aussi divers que le bon emploi du temps, les diverses façon de trouver le bonheur ou la sérénité, l'amitié, la vie politique, le suicide, etc.

J'ouvre au hasard un recueil de lettres de Pline et je cite la première qui me tombe sous les yeux :

« Si moi-même, objet de vos éloges, je commence à vous louer, je crains de paraître non pas exprimer mon opinion, mais vous payer de retour. Mais, devrait-il en être ainsi, j'avoue tout net que vos écrits me semblent fort beaux, et plus encore ceux que vous avez composés pour moi. Cela tient à une seule et même raison : vous qui écrivez sur des amis, vous le faites fort bien, et moi qui lis ce qui est écrit en ma faveur, je le trouve fort bon. Adieu. » Lettre de Pline le Jeune à Augurinus (IX, 8).

Dans sa préface à la Correspondance de Pline le Jeune, traduites par Yves Hucher et publiées dans la collection « 10/18 » en 1966, Marcel Jouhandeau écrit ceci :

« À l'égard d'autrui, la conduite de Pline était sans relâche exemplaire. Deux mots reviennent à son esprit, comme un rappel à l'ordre qui l'honore : justitia et humanitas. Jamais il n'outrepassait ses droits et avait-il affaire à un ami, sa générosité n'avait pas de mesure. Il suffit de lire les lettres qu'il adresse à Tacite (VII, 20) pour juger de la tendresse qu'il apporte à ses affections. On sait quels services il a rendu à Suétone. Il faut entendre son langage passionné, à l'idée qu'Atilius Crescens pourrait perdre son procès : "Hun ego, non ut multi, sed artissime diligo." "La parfaite noblesse de son esprit ne saurait pardonner ni l'offense ni le préjudice et si par hasard il en allait autrement", écrit-il "j'estimerais que c'est à moi que vont l'outrage et le préjudice, et je ne les ressentirais pas seulement pour moi mais pour lui." Voilà un ami. Avec ses gens, affranchis ou esclaves, il portait le respect de la personne humaine à ses confins. Zosime, un de ses affranchis, est-il malade, il l'envoie se reposer chez un riche collègue, dont la villa est située dans un endroit particulièrement salubre et il le recommande en ces termes : "J'ai de longue date pour lui une inclination encore accrue du péril où il se trouve. Telle est notre nature. Rien n'excite et n'enflamme autant notre tendresse que la crainte de perdre qui nous aimons." S'agit-il de ses esclaves : "Je suis accablé, écrit-il, par leurs maladies, par leurs morts, surtout s'ils sont jeunes." À ces moments pénibles il les assiste et quand ils ont cessé de vivre il observe leurs dernières volontés avec cette seule restriction que "cela soit à l'intérieur de la maison". Les réflexions qui suivent sont touchantes : "en dépit, nous confie-t-il, de l'apaisement que me donnent ces consolations, je suis abattu et accablé par l'affliction même qui m'a dicté ces consolations".
« [...] À cette noblesse d'âme, les philosophes grecs, des sept sages aux Stoïciens, en passant par Socrate, ont préparé Pline... »


5 commentaires:

Anonyme a dit…

selon de nouvelles recherches, il paraîtrait que l'éruption eut lieu en octobre ... mais les avis divergent

Alcib a dit…

Bonjour et bienvenue, François Sagan (j'allais t'appeler François Quoirez ;o)

Je n'ai pas entendu parler de ces hypothèses et je n'ai pas non plus effectué de recherches pour vérifier la date de l'éruption. Mais si un témoin écrit que l'éruption eut lieu le 24 août, pourquoi faudrait-il mettre en doute cette date ? Parce qu'elle ne correspondrait pas à des hypothèses scientifiques sur le mouvement des volcans ? Si le Vésuve a pu dormir durant des siècles, en quoi l'heure ou la date de son réveil doivent-ils répondre à un calendrier très précis sur la base de calculs de scientifiques ?

Alcib a dit…

Telle, je me souviens vaguement de cette lettre qui raconte l'éruption elle-même ; au moment d'écrire ce billet, il était tard et je n'ai pas retrouvé la lettre elle-même ; je la chercherai et la publierai peut-être, si j'ai le courage de la transcrire ;o)

Tu as tout à fait raison au sujet des « éloges » ; même si je m'étais souvenu de cette phrase au moment de créer mon blogue, il n'est pas sûr, cependant, que je l'aurais mise en tête de la rubrique ;o)) Si tu la veux je te la donne ;o)

Brigetoun a dit…

Alcib nous voilà en plein accord, y compris pour les livres et l'éditeur. J'aime beaucoup aussi la lettre de recommandation pour son affranchi - et il y a toutes les lettres où il décrit ses maisons non tant pour s'en glorifier que pour se montrer à son correspondant dans ses activités, pensant que c'est là un signe de confiance et une chose qui ne peut qu'intéresser son ami, et où il décrit merveilleusement bien les paysages

Anonyme a dit…

Cher Alcib,

En remerciement du joli courriel récemment reçu de toi, j'ajoute à ton "blogue" ce bref extrait (récupéré jadis au cours d'une expo parisienne sur les techniques et technologies de l'empire romain) d’une lettre de Pline le Jeune concernant l'événement pompéien:

[...] plures nusquam iam deos ullos aeternamque illam et novissimam noctem mundo interpretabantur [...]

qui me paraît assez bien décrire, aussi, l’état de ce monde nôtre.
Cordialement,
Qarib