Je vois à TV5 un court extrait d'entretien avec Yves Montand et soudain une vive émotion m'envahit et j'ai les yeux mouillés. Ce n'est pourtant pas Montand qui m'émeut ainsi, ni même ce qu'il disait. Non, c'est qu'à l'écouter parler et à le voir bouger, je crois réentendre et revoir un ami très cher, qui vivait à Paris, chez qui j'avais « ma chambre ». Il avait été danseur, chorégraphe et professeur de danse. Il avait une voix remarquable qui suscitait l'envie de nombreux acteurs qui le rencontraient. Il était pas mal plus âgé que moi et pourtant il était pour moi un ami très cher, un confident, un exemple, un mentor. Même s'il était à Paris et moi, la plupart du temps, à Montréal, il m'est si souvent arrivé et il m'arrive encore de me demander ce que ferait André dans telle ou telle situation...
André est décédé il y a un peu plus de trois ans, mais j'ai le sentiment de n'avoir pas pu faire mon deuil, pas plus que d'autres amis de Montréal, de Québec, de Toronto, qu'André avait connus lors de ses séjours à Montréal ou de leurs passages à Paris. André est décédé et nous avons tous eu le sentiment que sa famille, qui n'avait pourtant pas grand-chose en commun avec lui, sinon des liens de sang, s'est approprié ses biens et surtout sa mémoire.
Nous, ses amis québécois, avons eu le sentiment que la famille était bien pressée d'en finir avec lui : il était un homme de tradition et très attaché à sa mère, qu'il appelait toutes les semaines tant qu'elle était vivante. Il avait eu le malheur d'apprendre la mort de sa mère au retour d'un séjour qu'il avait fait chez moi ; puisque nous étions partis en Gaspésie, sa famille n'avait pu le joindre. Quand à son tour il est décédé, nous étions tous persuadés qu'il serait enterré près de sa mère, dans un cimetière breton. Non : la nièce l'a fait incinérer et déposer ses cendres dans un jardin près de l'hôpital où il est décédé, au Val-de-Grâce ; je me demande bien ce qui a pu se passer dans les jours précédant sa mort pour que lui demande à être incinéré et qu'aucune inscription nulle part n'indique qu'il a vécu. J'ai du mal à croire qu'il n'ait pas voulu reposer près de sa mère.
J'ai du mal, comme d'autres amis québécois, à voir la façon dont la famille et un ami parisien peut-être, se sont approprié pas seulement ses biens matériels, de nombreuses collections, des objets superbes, des objets rares, mais surtout sa mémoire ; j'ai le sentiment que dès le lendemain de son incinération, on a voulu faire comme s'il n'avait pas eu une vie très active, de nombreux amis partout dans le monde, comme si ces amis ne comptaient plus pour rien. Il y a quelques années, il m'avait confié avoir fait de moi l'un de ses héritiers ; il a pu changer d'idée et je ne revendique surtout pas une part des richesses qu'il a laissées derrière lui. Ce que je revendique, et je crois être en droit de le faire, c'est que sa famille ne fasse pas comme si cet être qui a connu une certaine célébrité, qui avait de nombreux amis, n'ait jamais existé (sauf pour laisser un héritage à qui ne le mérite pas).