dimanche 10 février 2008

Montesquieu

« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent
que les particuliers raisonnent bien ou mal :
il suffit qu'ils raisonnent ; de là sort la liberté,
qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements. »

Montesquieu, De l'esprit des lois

Il y a 253 ans, mourait à Paris Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu. Né au château de La Brède, près de Bordeaux, le 18 janvier 1689, l'auteur des Lettres persanes (critique spirituelle de la société française, publiée en 1721) et de De l'esprit des lois (ouvrage d'observation et de réflexion publié en 1748 dans lequel il tente d'expliquer par des facteurs objectifs les différences entre les sociétés et les systèmes de gouvernement) est en effet mort à Paris le 10 février 1755.

Moraliste, penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français du siècle des Lumières, Montesquieu est pour ainsi dire le fondateur des sciences politiques modernes. De l'esprit des lois fut notamment à l'origine du principe de distinction des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, base de toute démocratie, et inspira la rédaction de la Constitution française de 1791 et des suivantes.

Selon Montesquieu, l'idéal démocratique n'était vraiment applicable qu'aux petites communautés ; je sais bien que ce n'est pas la tendance actuelle, mais je continue de croire qu'il a raison. Je crois que les grands ensemble, les organisations fédérales comme celle de l'Europe, n'ont de chance de réussite que dans la mesure où les États qui en font partie, restent des États souverains et conservent sur leur territoire respectif un gouvernement qui prenne en compte les préoccupations de leurs citoyens, leurs valeurs, leur culture, leur langue, leurs traditions...

L'une des conditions du bon fonctionnement de la démocratie était, selon Montesquieu, que le pouvoir supérieur soit équilibré par de puissants corps intermédiaires ; or, de nos jours, les gouvernements ont parfois trop de pouvoirs dans certains domaines mais ceux qui ont désormais les vrais pouvoirs, ce sont les grandes entreprises multinationales, qui échappent pratiquement à tout contrôle et qui décident du sort de l'humanité entière en imposant leur rythme de production des bien de consommation. Nos gouvernants élus (quand on a cette chance) cirent les chaussures des grands patrons et leurs baisent les pieds ; les pauvres citoyens que nous sommes comptons bien peu dans les préoccupations de nos élus. Le pouvoir législatif que prônait Montesquieu est le plus souvent utilisé pour restreindre la liberté des citoyens ; très peu souvent pour limiter les pouvoir des grandes entreprises toutes puissantes.


Je n'ai pas relu depuis longtemps les Lettres persanes. Cependant, je relis assez régulièrement des chapitres De l'esprit des lois ; cet ouvrage reste selon moi très actuel et inspirant. Je me souviens du temps où, premier ministre canadien fraîchement élu, Pierre Elliott Trudeau était encore un intellectuel digne de ce nom ; afin d'inciter les citoyens à participer intelligemment à la vie démocratique, il invitait les Canadiens à lire Aristote, Platon, Montesquieu, à s'inspirer de l'individualisme de Gide et du personnalisme de Mounier. Cet intellectuel n'a pas tardé cependant à se laisser happer par le pouvoir, à imposer la Loi des mesures de guerre qui a permis à sa police d'arrêter sans mandat et d'emprisonner sans accusation plusieurs centaines d'artistes et d'intellectuels québécois sous prétexte qu'ils avaient des convictions souverainistes. Et l'on a pu voir par la suite que l'intellectuel au pouvoir était un plus fidèle lecteur de Machiavel que de Montesquieu puisque toute son action politique fut de « diviser pour régner », faisant des Québécois, peuple fondateur, l'une des minorités ethniques, au même titre que les Ukrainiens de l'Alberta, les Chinois de Vancouver ou les Pakistanais de la région de Toronto, qui composent le grand ensemble qui s'appelle Canada. Montesquieu aurait eu raison d'écrire : « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » J'ose tout de même croire qu'il existe des exceptions...

On peut visiter le château de La Brède ; on se renseigne ici.

10 commentaires:

Brigetoun a dit…

depuis les gouvernants ont appris qu'il importait : 1) que les citoyens se sentent responsables - 2) qu'on évite qu'ils se risquent à penser.
C'est ce qu'on appelle la démocratie

Anonyme a dit…

Très joli château.

Je suis d'accord avec toi quand tu dis qu'il faut que les les gouvernements prennent en compte les préoccupations de leurs citoyens, leurs valeurs, leur culture... mais justement, je pense qu'en Europe, un système fédéral permettrait aux Etats membres de garder du pouvoir dans ces domaines là, et de protéger ces compétences dans un texte clair, accepté par tous, tandis qu'on laisserait au pouvoir européen ce qu'on ne peut plus faire à échelle nationale (environnement, monnaie, défense...), par ce que ça dépasse les frontières nationales, ou que c'est trop couteux pour un petit pays...

Le monde est plus vaste qu'au XVIIIe siècle, et on communique plus facilement et plus vite qu'au temps de Montesquieu. Quand on voit que des emprunts immobiliers accordés à des gens non solvables en Alabama peut faire chuter des banques allemandes, on se dit qu'il faut que les Européens se mettent ensemble pour défendre leurs valeurs communes.

Ce qui ne va pas en Europe aujourd'hui, c'est que l'union économique du continent est presque achevée alors que rien n'est fait pour l'union politique. Les gros groupes peuvent profiter d'un grand marché de 500 millions de consommateurs, mais les 500 millions de citoyens ne peuvent toujours pas élire leurs élus "fédéraux", leur demander de rendre des comptes et les virer avec fracas si ça ne va pas. Ca ira mieux dès qu'on saura qui fait quoi (et que les médias en parleront).

Ce qui ne va pas, au Canada, c'est que rien n'est clair. Si le gouvernement fédéral ne pouvait pas empiéter sur les compétences provinciales, beaucoup de choses iraient tout de suite mieux.

J'arrête mon bavardage, mon poignet me rappelle à l'ordre, mais ça m'inspire un bon sujet de billet. :)

Les Pitous a dit…

La vraie leçon des Lumières, c'est qu'il n'existe pas de despote éclairé. On sait maintenant qu'un élu peine aussi à rester dans la lumière (enfin, celle de la raison).
Il n'y a pas de système politique parfait, un gouvernement collégial trouvant aussi ses limites.

Note : est-ce que quelqu'un connaît le nom de cet auteur grec qui écrivit un dialogue où chaque intervenant défendait un système politique? On dirait que mes études datent un peu...

william a dit…

Alcib, je viens de te taguer pour un nouveau jeu.
rendez-vous sur mon blog pour voir de quoi il retourne.
william

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup Montesquieu, esprit agile qui maniait l'ironie avec bonheur ! Un digne successeur de Socrate !

JoëlP a dit…

Ma ctation préférée de Montesquieu qu j'ai longtemps attribuée à Montaigne:
"Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dispersé."

Phoebe a dit…

Ouuuhhh tu aimes Montesquieu ... j'approuve !

Anonyme a dit…

Your blog keeps getting better and better! Your older articles are not as good as newer ones you have a lot more creativity and originality now keep it up!

Alcib a dit…

Anonyme : Thank you. Is my blog getting better and better because, in the newer articles, I do not write about canadian politic ?

Anonyme a dit…

C'était à peu près autant que il ya beaucoup de qui n'attend pour la droite.