vendredi 16 mars 2007

Si j'avais su... ou la naïveté des bonnes consciences

J'ai toujours eu beaucoup de respect pour Simone Veil qui, notamment, fut ministre de la Santé dans un gouvernement de Jacques Chirac, du temps de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, et qui fit adopter en 1975 la loi sur l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) ou, plus simplement, la loi dépénalisant l'avortement. De 1979 à 1982, elle fut la première présidente du Parlement européen. La suite de son curriculum vitae est assez impressionnant. Durant de nombreuses années elle fut la personnalité politique la plus poulaire et sans doute l'une des plus sympathiques.

Elle m'a cependant déçu le 8 mars dernier en annonçant son soutien au candidat Sarkozy dans la course à la présidence. Même si j'ai l'air de ne m'en rendre compte que tout récemment, je ne suis pas Français et, par conséquent, je n'aurai pas le droit de vote aux élections présidentielles françaises. Toutefois, j'ai de nombreux amis en France et j'ai du mal à voir dans le batailleur ambitieux qu'est Sarkozy, n'hésitant pas à mettre au service de ses ambitions personnelles les énormes ressources de l'État, le candidat rassembleur qui pourra prétendre parler au nom de tous les Français. Ses idées sur l'immigration et sur la délinquance me font trop penser à l'approche la plus dure du gouvernement Harper au Canada et de la droite religieuse aux États-Unis, alors que le Québec a une autre approche sur ces deux questions qui fonctionne plutôt bien. Certains aspects du programme politique du candidat Sarkozy semblent s'inspirer directement des idées du candidat d'extême droite.

Or, aujourd'hui, madame Simone Veil, qui n'est pourtant pas née de la dernière pluie, se dit en désaccord avec le projet annoncé hier de son candidat à la présidence de créer un « ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale » (on le croirait directement inspiré de Marine ou de Jean-Marie Le Pen). Madame Simone Veil aurait préféré que le candidat Sarkozy, qui n'est pas pressé de cesser de porter plus de deux chapeaux à la fois, donne plutôt à son ministère celui de ministère de l'Immigration et de l'Intégration. Madame Veil me semble bien naïve d'être surprise de ce projet de Sarkozy ; celui-ci l'est sûrement beaucoup moins, car le seul nom de ce nouveau ministère qu'il pourrait créer lui apportera bientôt un très grand nombre d'électeurs supplémentaires.

Simone Veil dit ne pas avoir le temps de participer aussi activement qu'elle le voudrait à la prochaine campagne présidentielle, tout en disant admirer le courage de Ségolène Royal. Je me serais attendu à ce que Simone Veil apporte à la candidate Royal plus qu'un simple compliment ; je suis sans doute trop naïf d'avoir osé penser que l'on puisse, au nom d'idéaux et de valeurs communes, transcender l'éternelle opposition gauche-droite.

Ce genre de naïveté chez Simone Veil me rappelle un autre aveu pathétique du grand écrivain Elie Wiesel, décoré en France de la Légion d'honneur, récipiendaire en 1986 du Prix Nobel de la Paix, qui aime bien de temps à autre prendre le ton doucereux du directeur de conscience. M. Wiesel a refusé l'an dernier le poste qu'on lui proposait de Président de l'état d'Israël sous prétexte qu'il n'était qu'écrivain. Or, quand le président des États-Unis, à l'encontre de toute l'opposition internationale qui ne voyait dans son intention guerrière qu'un prétexte, a décidé d'attaquer l'Irak, Elie Wiesel apportait son soutien à ce président. Dans un entretien qu'il accordait au magazine Lire en juin 2006, Elie Wiesel disait : « Si j'avais su à l'époque ce que je sais maintenant, j'aurais évidemment dit non à la guerre. » Pourtant, ne disait-on pas partout sur la planète, sauf dans l'entourage enragé du président des États-Unis, que les armes de destruction massive n'existaient pas ? Et en tant que Prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel n'aurait-il pas dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de donner son soutien à une guerre aussi peu justifiée ?

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu es quand même un peu dur, car il l'a regretté maintenant, mais tu as raison: il faut toujours tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Amitiés.

Fuligineuse a dit…

Nous sommes nombreux ici à Paris à avoir été déçus par ce ralliement à Sarkozy de Simone Weil, à laquelle nous portons une grande estime pour d'autres raisons. Bien sûr, tout le monde peut faire des erreurs, et nous sommes sans doute naïfs, nous aussi, de croire qu'il en serait autrement de grandes figures comme Simone Weil ou Elie Wiesel...

Didier Goux a dit…

Il y aurait beaucoup (et donc long) à dire sur votre message. J'ai d'ailleurs bien envie de le faire, mais,là, il faut VRAIMENT que je travaille !

J'essaierai de revenir chez vous dans la soirée (début d'après-midi pour vous, donc).

Les Pitous a dit…

Sarko était parti pour rectifier le titre de ce trop fameux ministère (ce serait devenu Immigration et identité républicaine; personnellement, je ne vois pas de différence), mais un sondage l'a confirmé dans ses intentions premières : 55% des Français seraient inquiets de l'identité nationale.
Je crois que je vais prendre l'avion pour le Québec, moi!

Anonyme a dit…

Il y aurait beaucoup à dire sur ton message avec lequel je suis partiellement d'accord. Le sujet n'est pas simple et pour juger de la situation politique actuelle en France, il faut regarder dans le rétroviseur ...
Oui, Simone Veil est une figure emblématique à laquelle les Français vouent - à juste titre - une grande estime. Son ralliemment à Sarko et ses critiques sur Bayrou sont surprenantes mais tout le monde peut se tromper. Cela ne remet pas en cause sa grande intégrité morale.
Non, je ne vois pas au nom de quoi elle soutiendrait Ségolène Royal qui représente des idées et des valeurs dans lesquelles elle ne se reconnait pas (et dans lesquelles ne se reconnaissent pas une majorité de Français)
Au passage, même si les adjectifs s'accordent en genre et en nombre avec les substantifs qui les accompagnent, Ségolène Royal reste invariable. ;-)
Amicalement

Didier Goux a dit…

Pour commencer, je trouve étrange que l'on s'étonne de ce que Simone Veil n'apporte pas plus de soutien à Ségolène Royal. Celle-ci fait partie (quoi qu'elle essaie de faire croire) des "éléphants" du parti socialiste, parti que Simone Veil a combattu durant toute sa vie politique. Elle est donc parfaitement cohérente avec elle-même.

D'autre part, comment une femme issue de la bourgeoisie traditionnelle française, ayant grandi dans le respect de certaines valeurs stables, l'amour d'une certaine culture classique, pourrait-elle se sentir quoi que ce soit de commun avec Mme Royal, pour qui la France idéale, et qu'elle entend réaliser, est celle célébrée par la rappeuse Diam's ou par l'amuseur Jamel Debbouze ? Parce que c'est une femme ? Ce serait se montrer bien léger que de juger sur ce seul critère la pertinence d'une candidature à la présidence de la République.

À ce compte-là, en cas de second tour entre Jean-Marie Le Pen et Ségolène Royal, je devrais donc donner ma voix au premier, sous prétexte qu'il est du même sexe que moi...

Pousser des cris d'orfraie parce que 55% des Français ont l'incroyable prétention de vouloir demeurer eux-mêmes me semble relever de la pose conventionnelle et bien-pensante. D'autant que ce sont les mêmes qui clament à sons de trompe à tous les carrefours que les populations exogènes ont parfaitement le droit de conserver leur culture, leurs rites, etc. Il faudrait tout de même un peu de cohérence.

Se voiler la face devant ces questions de plus en plus explosives, c'est consentir à aller grossir les rangs des "amis du désastre", chers à Renaud Camus, et fabriquer de nouveaux électeurs pour Le Pen, père ou fille.

Pour ce qui concerne Nicolas Sarkozy (que je n'aime pas plus que vous, mais si par malheur je devais choisir entre lui et Mme Royal, je n'hésiterais pas), et les reproches que vous lui faites, mon cher Alcib, juste ceci : citez-moi UN homme politique qui ne soit pas mû par le ressort de son ambition personnelle avant tout.

Pour finir, Élie Wiesel. Contrairement aux autres intervenants dans cette discussion, je le trouve, moi, d'une parfaite cohérence.

Dans un premier temps, il décline la présidence d'Israël en arguant du fait que, simple écrivain, il ne se sent pas les compétences pour un tel poste et les responsabilités qu'il implique. Bien.

Dans un deuxième temps, il opte pour la guerre en Irak, puis se rend compte que c'était une tragique erreur et revient sur son jugement. Par ce revirement, il prouve qu'il n'était en effet pas souhaitable qu'il exerce des responsabilités à la tête d'un état, qui plus est aussi délicat à gérer que celui d'Israël.

Il s'était donc parfaitement jugé lui-même et avait eu raison de refuser la présidence.

Je passe la balle au suivant...

Anonyme a dit…

@Didier Goux
J'approuve à 200% ton argumentaire que je trouve très intéressant.

Alcib a dit…

Lancelot : je ne le condamne pas ni ne fais son procès ; je dis simplement que l'écrivain pourrait être écrivain tout le temps si tel est son identité, aussi bien pour dire non à la guerre quand le président des États-Unis lui demande son avis que pour refuser la présidence d'Israël qu'on lui propose. Mon billet parle de la naïveté ; si ce Prix Nobel de la Paix n'a pas été naïf et étourdi en approuvant une intervention en Irak quand tout le monde la condamnait, ce serait aussi bien que je cesse d'écrire quoi que ce soit ici car alors les mots n'ont plus de sens.

Fuligineuse : je suis bien d'accord, personne n'est à l'abri de l'erreur. Et je ne dis même pas que Simone Veil a fait une erreur ; tout dépend du point de vue.

Pitous G., maintenant que l'hiver tire à sa fain (et que les moins 40 seront moins fréquents) tu peux venir ;o))

Denis, je ne remets pas en cause l'intégrité morale de Simone Veil. Je m'étonne seulement de sa surprise devant l'ambiguïté de certains projets de son candidat qui n'a pas l'habitude de faire l'unanimité en France.

Alcib a dit…

Didier, je ne dis pas que cette femme de droite devrait nécessairement appuyer une femme de gauche. Je n'ai pas été clair, mais au fond de moi, j'ai peut-être inconsciemment pensé qu'une femme qui pouvait faire adopter une loi contre l'avortement était plus près d'une femme de gauche que d'un homme qui donne l'image de celui qui veut faire de la France un état policier.

Je ne sais ce que signifie exactement l'expression, que je lis et entends souvent, « les éléphants » du Parti Socialiste ; j'imagine qu'on ne l'emploie pas de façon très flatteuse. On pourrait penser que les éléphants sont desanimaux qui ont une excellente mémoire et qui peuvent abattre une énorme quantité de travail. Mais si l'on veut désigner par cette expression les hommes politiques qui animent depuis longtemps le Parti Socialiste, que dire des autres vieux barbons de l'UMP et des autres partis ? Combien de Besancenot pour un Chirac, un Juppé, etc. ?
La chanteuse Diam's ne fait pas partie des chanteuses que j'écoute à longueur de journée et Jamel Debbouze n'est pour moi que celui qui a eu un beau rôle dans « Le fabuleux destin d'Amélie Poulain » ; j'applaudis qu'ils aient du succès, même si je n'y contribue en rien. Et je ne vois pas en quoi il serait déshonorant pour un homme ou une femme politique de recevoir l'appui de ces interprètes. Ces appuis valent bien ceux d'un Doc Gyneco et d'un Johnny Halliday qui ne semble pas avoir la fibre très « française » en ce moment, il me semble. Et le fait de recevoir l'appui de Diam's et de Jamel Debbouze n'empêche aucunement de recevoir l'appui des Dupont, des Baillard, des Rondeau, des Martin, etc., il me semble.

Je comprends le problème des 55 % qui sentent le besoin de redéfinir l'identité française. Il y a des mois que je me retiens d'écrire le douloureux malaise que m'inspire la morosité, le mal-être français. Je ne sais pas si Ségolène Royal propose les bonnes solutions, mais il me semble que le candidat Sarkozy est loin de projeter l'image de celui qui saura rétablir leclimat de confiance et de sérénité nécessaires pour discuter de ces importantes questions de fond. (Mais je n'ai pas le droit de vote et je devrais donc ne pas me mêler de ce qui ne me regarde pas).

Je ne sais qui Renaud Camus désigne par ces « amis du désastre » (il ne faut pas m'en vouloir, les livres de Renaud Camus ne sont pas très disponibles ans les librairies québécoises ; je les emprunte à la bibliothèque. Je ne suis donc pas à jour dans la lecture de ses journaux ; j'oublie le titre du dernier que j'aie lu, mais il y parlait abondamment de ses difficultés à entretenir le château de Plieux... Je ne sais donc pas si ces « amis du désastre » sont les membres du Parti de l'Innocence ou, au contraire, ses adversaires...

Je ne partage pas du tout votre cynisme au sujet de l'ambition personnelle qui motive tout homme politique. J'ai eu l'occasion d'en connaître plusieurs. Je n'en citerai qu'un, un Québécois : René Lévesque, qui fut et qui reste pour nombre de nos hommes politiques le modèle d'abnégation, d'oubli de soi au service d'une vision généreuse du Québec et de son idéal de souveraineté.

Didier Goux a dit…

Cher Alcib, votre commentaire demande plus qu'une simple réponse de trois lignes hâtivement rédigées. Or, là... le travail m'attend, calvaire ! Ce sera donc pour plus tard !

(Le monde à l'envers : ce matin, dans ma Normndie, il y a... de la neige !)

Didier Goux a dit…

Cher Alcib, il va de soi que le soutien de Diam's ou de Jamel Debbouzze n'est pas déshonorant (et en effet pas plus que celui du pitre Doc Gyneco...).
Ce qui me semble inquiétant, c'est que les journalistes, les animateurs de télévision, etc., les médias en général, nous présentent ces ralliements comme de grands événements politiques, ou presque. Je me souviens d'une époque (et je ne suis pas centenaire !) où, en période électorale, on cherchait plutôt à obtenir l'opinion d'un Sartre, d'un Aron, d'un Foucault. Maintenant, c'est celui de Diam's et de Doc Gyneco. Vous avouerez...

Il y a encore plus préoccupant, quant à l'état d'effondrement culturel de mon pays. C'est que Ségolène Royal de se contente pas d'accueillir le soutien de Diam's : dans ses discours, elle se réclame d'elle, elle appelle de ses voeux une France qui ressemblerait ce lle de ses chansons (cf : " ma France à moi", ça vaut le détour).

Voilà donc une femme qui aspire à diriger un pays et qui annonce qu'elle veut le faire ressembler aux pauvres lieux communs d'une rappeuse.


"Je comprends le problème des 55 % qui sentent le besoin de redéfinir l'identité française."

Je crois que vous vous trompez, là. Ces 55% là ne veulent pas "redéfinir" l'identité française, ils veulent tenter de la "préserver", si la chose est encore possible (j'ai le soupçon que, dans la réalité, ils doivent être plus que 55%, mais il faut compter avec la bien-pensance : je dis que ce que l'on veut m'entendre dire pour avoir la paix).

Ce sont au contraire les autres (homes politiques, journalistes, "artistes", etc) qui prétendent la redéfinir, faire de la France une sorte de melting-pot au métissage infini, dont on nous assure qu'il sera une oasis de paix et un facteur de richesse culturelle. On commence déjà à en sentir les effets, notammment dans certaines grandes villes et leurs banlieues, où le melting pot va bon train.

Je m'arrête là pour le moment : je ne voudrais pas non plus monopoliser l'attention ! Mais il y a à dire...

PS : pour Renaud Camus, les "amis du désastre" sont précisément ces gens qui essaient de nous persuader que l'avenir de la France est dans l'accueil à bras ouverts de toutes les populations du monde - c'est-à-dire, à terme, de sa disparition, ou, au moins, de sa dissolution dans le Grand Tout.