dimanche 20 août 2006
Icare, mon prochain...
« Le Vol d'Icare de Breughel, plein de soleil, est l'expression même de la solitude, non pas de l'égoïsme, mais de l'indifférence qui isole les hommes les uns des autres. Il a sans doute raison, ce laboureur, de tracer son sillon pendant qu'Icare se tue. Il faut que la vie continue, que le grain semé ou récolté pendant que d'autres se meurent. Mais on souhaiterait qu'il lâche sa charrue et aille au secours de son prochain. Je me trompe peut-être et sans doute ignore-t-il qu'un homme se tue. Il est aussi inconscient que la mer et le ciel, que les collines et les rochers. Icare meurt, non pas abandonné mais ignoré. Chacun de nous est comme ce laboureur. Chaque fois que l'on sort, on passe à côté d'un désespoir, d'une souffrance ignorée. On ne voit pas les regards implorants, ni les misères de l'âme ou du corps. Je suis loin de mon prochain. Si j'en étais vraiment proche, j'abandonnerais toujours, sans même y réfléchir ce que je suis occupée à faire, pour aller vers lui. »
Anne Philipe, Le temps d'un soupir*
En écrivant ces lignes, Anne Philipe évoque les derniers jours de son mari, Gérard, qui dort paisiblement à côté d'elle sans savoir ce qu'elle sait depuis des semaines, des mois : il est condamné à mort, comme nous tous, mais dans son cas, c'est une mort très prochaine qui est annoncée. Et pourtant, tout autour, à l'extérieur surtout, le monde continue... Ce qu'elle ignore, cependant, c'est le moment où le souffle calme s'arrêtera tout à fait et où elle parlera désormais de lui à l'imparfait...
Anne Philipe fait allusion à l'indifférence, à l'ignorance les uns des autres, aux souffrances, aux drames, aux tragédies qui se jouent tout autour de nous sans que nous nous en rendions compte, sans que nous songions à offrir notre aide ou, tout au moins, notre attention.
C'est l'une des interprétations possibles de ce tableau de Breughel où l'on voit Icare achever sa chute dans l'eau, devant un pêcheur trop occupé à jeter ses filets, un berger tournant le dos à la mer et un laboureur bien concentré sur son sillon...
Pour les uns, Icare est victime de sa trop grande ambition ou d'avoir été grisé par le succès... Pour d'autres, Icare représente justement le courage, la volonté de liberté, de s'élever au-dessus d'une condition qui le contraint...
Et vous, qu'en pensez-vous ?
On trouvera sur ce site le tableau (j'y ai emprunté l'image) ainsi que diverses interprétations. Ce site permet aussi de cliquer sur certains parties du tableau pour mieux en apprécier les détails.
D'autres commentaires intéressants se trouvent ici.
On notera que l'orthographe la plus courante du nom de ce peintre est plutôt Bruegel que Breughel ; on écrit aussi Brueghel.
* Anne Philipe, Le temps d'un soupir, Julliard, Paris, 1963, p. 87-88
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2 commentaires:
pour moi Icare est un peu des deux: c'est bien d'avoir de l'ambition et du courage, d'essayer de s'élever au-dessus de sa condition, mais faut pas aller trop loin...
j'aime bien cette interpretation du tableau et c'est très vrai, qu'on est trop occupé par nos petites vies pour faire vraiment attention à ce qui se passe autour de nous. ceci-dit, si je faisais vraiment attention à ce qui se passe autour de moi, je me suiciderais tout de suite parce que c'est insoutenable de misère, de violence, de corruption, et de bêtise. en ce qui me concerne, je me concentre pour connaitre et améliorer le monde à mon échelle et j'ignore le reste, c'est une question de survie.
d'ailleurs, si le pêcheur s'occupait de sauver Icare, sa vache se casserait, son champ ne serait pas labouré, et en fin de compte Icare serait quand même mort ou en bien mauvais état (et qui c'est qui payerait pour ses soins, hein?!), et le pêcheur serait mort de faim ou au chômage (et qui c'est qui payerait pour son chômage, hein?!). cqfd.
mon égoïsme me surprend, parfois...
je pense
- que la vie est plus forte et c'est ce qui donne aux réunions pour accompagner un grand malade, ou aux collations après enterrement ce côté irréel - on peut se sentir vidé intérieurement et éternuer et se soucier de nourrir les vivants
- plus simplement, dans le cas du tableau, qu'Icare n'est qu'un prétexte, un peu comme dans ces crêches provençales où il faut chercher la nativité dans un coin
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