jeudi 17 août 2006

Les hauts (et les bas) de Ramatuelle


Après avoir parlé à Poeri, le 5 août dernier, comme je le raconte dans mon billet du 9 août, mon coeur et mon esprit étaient, bien entendu, avec lui et avec sa mère, mais j'avais cependant le sentiment que Poeri incarnait soudain à lui seul toute la région et... j'avais mal à la Provence. J'évoquais en pensée ce qui me lie à cette région, les souvenirs que j'en conserve mais surtout les rêves que j'ai élaborés au fil des ans et qui, ces dernières années, se sont actualisés, en quelque sorte, dans la mesure où je connais des personnes qui y habitent, qui y vivent, qui m'en parlent et qui me donnent le goût d'en savoir plus encore. Rien ne vaudra jamais la présence concrète — « Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent... Toute connaissance que n'a pas précédé une sensation m'est inutile », écrivait Gide —, mais à défaut d'y être en personne, Internet est très utile pour trouver des renseignements qui permettent de mieux connaître l'environnement des êtres qui sont loin.


Sans que je puisse dire pourquoi, l'évocation de la Provence, durant tous ces derniers jours, me ramenait sans cesse à l'esprit le nom d'un village : celui de Ramatuelle. Je n'y ai jamais mis les pieds ; je ne connais personne qui y vive ni qui que ce soit qui m'en aurait parlé ces dernières années. Je croyais cependant avoir lu ce nom, il y a de nombreuses années, dans un récit d'Anne Philipe, Le temps d'un soupir, qui raconte les dernières heures de son mari, le père de ses deux enfants, l'acteur Gérard Philipe. Je retiens de la lecture des livres d'Anne Philipe un sentiment de lucidité et de tendresse, de sensibilité et de pudeur... L'un des derniers que j'aie lus raconte la mort de sa mère, atteinte du cancer, je crois ; le ton de ce récit ne dément en rien ce que je viens de dire de ses livres.


Je n'ai pas relu ce livre depuis et pourtant ce nom de Ramatuelle semblait vouloir s'imposer à moi, comme pour incarner la Provence. Si je me souviens de ce récit d'Anne Philipe, la narratrice, qui est l'auteur en réalité, raconte à un moment donné qu'elle attend le facteur qui, au volant de sa R4 jaune (qui se souvient de cette voiture des années 1959-1960 ?), grimpe la route qui conduit vers les hauts de Ramatuelle ; elle se demande s'il y aura une lettre de l'un ou l'autre de ses enfants qui étudient ailleurs, dans une grande ville... J'évoque ici de lointains souvenirs de lecture et je ne suis pas sûr de ne pas télescoper différents souvenirs.


Puisque Ramatuelle semblait vouloir s'imposer à mes pensées, j'ai voulu en savoir un peu plus au sujet de ce village du Var. Le site de la commune m'apprend que sa population qui ne compte qu'environ deux mille habitants en temps normal atteint parfois de dix à vingt mille personnes en raison du tourisme. La vigne et le tourisme sont ses deux principales sources de revenus. Le village n'est pas très loin de Saint-Tropez, ce qui peut aisément expliquer sa fréquentation ; sans compter qu'il s'agit d'un très beau village, selon ce que nous montrent les photos du site officiel de la commune, d'où j'ai emprunté quelques photos, et que l'on trouvera à cette adresse. Si l'on fait d'autres recherches, pour l'immobilier, par exemple, on trouvera de superbes villas à louer ou à vendre. Compte tenu de sa situation géographique et de sa configuration, on peut imaginer à quel point cet endroit peut être un paradis (surtout si l'on regarde l'endroit avant l'envahissement par les touristes). Il n'est pas étonnant qu'en cherchant une maison dans la région à la fin des années 1950, le légendaire acteur Gérard Philipe et sa femme décident d'acheter là une maison qui devait devenir, du moins aux yeux d'Anne Philipe, la maison de l'amour (ni elle ni lui ne se doutaient que cet amour prendrait fin un peu plus d'un an plus tard). Ne voyant rien sur le site de la commune au sujet de Gérard Philipe, qui fut sans doute son résident le plus célèbre, je me suis demandé si je n'avais pas inventé sa présence à Ramatuelle. Non, Gérard Philipe a bien vécu à Ramatuelle, environ un an, avant de rentrer à sa maison de Cergy. Mort à Cergy ou à Paris le 25 novembre 1959, ses obsèques eurent lieu à Ramatuelle le 28 novembre et sa dépouille repose au cimetière de Ramatuelle. Si la commune n'en parle pas, c'est peut-être à la demande de la famille, qui sait...

Pourquoi donc ce nom de Ramatuelle hantait-il mon esprit ces jours derniers ? Comment expliquer les mécanismes du souvenir, de la mémoire ? Il se fait au creux de notre cerveau des associations d'images que nous ne sommes pas toujours en mesure d'expliquer, à moins d'entreprendre une longue analyse sur le divan des disciples de Freud ou de Lacan. Quel lien ma mémoire faisait-elle entre Ramatuelle et mon ami Poeri qui vit la plupart du temps à Aix-en-Provence et sa mère qui habite une autre commune plus au Nord-Est, si mon sens de l'orientation est bon, vers le pays de Jean Giono, un village de moins de mille habitants où l'église paroissiale restaurée a conservé sa nef romane ? La réponse est peut-être à chercher du côté affectif plutôt que du côté intellectuel. Qui sait si mon coeur plutôt que ma raison n'a pas associé la terrible nouvelle que venait de m'annoncer Poeri au souvenir de la lecture de ce récit d'Anne Philipe...

Je viens de prendre sur les rayons ce livre, Le temps d'un soupir ; sur la quatrième page de couverture de l'édition de 1963, chez Juliard, on peut lire ceci :
« C'est une méditation sur l'amour et sur la mort, un dialogue avec une ombre, un monologue qui se poursuivent en dehors du temps. Où sommes-nous ? Quand sommes-nous ? Le passé, le présent, les lieux se confondent dans une plainte qui n'est pas seulement celle de la solitude. Le désespoir et le scandale pour l'esprit et le coeur face à une séparation éternelle sous-tendent et nourrissent un texte dont la déchirante sérénité exprime à chaque phrase comme la conquête de soi-même sur une douleur totale. À travers la sensibilité lucide d'une femme d'aujourd'hui ce n'est pas sans émotion que le lecteur reconnaîtra un écho des grandes voix stoïciennes de l'Antiquité. »
« Où sommes-nous ? Quand sommes-nous ? Le passé, le présent, les lieux se confondent... » En effet, il semble bien que ces mots ne s'appliquent pas seulement au récit d'Anne Philipe ; je me sens assez touché par ces questions et par la confusion du passé et du présent, des lieux, que ceux-ci soit d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique...

Lundi dernier, un événement tragique est venu ajouter à mon trouble. Ramatuelle est un village dont je n'avais pratiquement pas entendu parler durant des années, sauf par ce récit d'Anne Philipe. Puis, dès le cinq août dernier, ce nom me revient sans cesse à l'esprit dès que j'évoque la Provence. Lundi dernier, en écoutant le bulletin de nouvelles, j'apprends qu'un incendie s'est déclaré dans les environs du villages de Ramatuelle.
L’incendie qui s’est déclaré vers 15 heures lundi 14 août à Ramatuelle, au quartier de la Quessine, a été circonscrit en fin d’après-midi le jour même. Les flammes, attisées par un vent de sud-ouest se sont dirigées vers Bonne Terrasse et le phare de Camarat. Les sapeurs-pompiers du Var, guidés par le Comité communal des feux de forêts, sont intervenus très rapidement, relayés par cinq Canadairs, des Trackkers, un Dash 8 et des hélicoptères.

Par précaution, certains lieux ont été évacués : le camping des Tournels, le village Léo-Lagrange, le village du Merlier... Les vacanciers et les résidents ont pu rejoindre leur lieu d’habitation dans la soirée.

Aucune habitation n’a été touchée. 56 hectares ont brûlé.

Et, le lendemain, j'apprends ceci :
Hélas, trois sapeurs-pompiers de Puget-Ville ont trouvé la mort dans un accident routier en rentrant de Ramatuelle, sur la route de La Garde-Freinet.

La commune de Ramatuelle s’associe à la douleur des familles et à la peine des sapeurs-pompiers du Var, une nouvelle fois touchés par ce deuil cruel.

Les renseignements au sujet de l'incendie se trouvent aussi sur le site de la commune, dans la section « actualités ». On y trouvera les coordonnées si l'on veut faire des dons aux familles ou obtenir des renseignements au sujet des obsèques.

Je trouve parfois que certaines coïncidences imposent la réflexion, forcent des tentatives d'explication. Je ne suis cependant pas sorcier, ni devin, ni psychanalyste. Je constate des associations, des coïncidences, mais j'aurais beau essayer de trouver des explications intelligentes, je ne crois pas pouvoir y arriver. J'y renonce d'avance.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

En voila un joli billet avec des jolies photos ! Bravo ! Continues, tu es sur la bonne voie. Amitiés.

Brigetoun a dit…

eh oui il reste encore des endroits à bruler chez nous - pas grave on batira. Quant à Ramatuelle c'était il y a cinquante ans comme le Castelet, Plan de la Tour (un cran plus snob) et d'autres d'assez merveilleux endroits. Depuis longtemps ce sont de jolis musées. Avant de devenir désertiques parce que les gens qui y ont acheté aux paysans des maisons très très cher et ajouté piscines, volets peints etc.. se lassent des touristes qui regardent par leurs fenêtres

Alcib a dit…

Merci, Lancelot ; aurais-je enfin trouvé ma vocation ? ;o))
Encore une fois les photos ne sont pas de moi, mais effectivement elles donnent envie d'aller sur place.

Brigetoun, j'ai cru entendre aux bulletins de nouvelles que les incendies avaient été moins nombreux cet été que durant les été précédents, mais l'été n'est pas terminé et les grandes chaleurs non plus, sans doute...
Effectivement, quand on regarde les photos de ces villas que proposent les agences immobilières, on se met à rêver de ganer de grosses sommes à la loterie pour pouvoir s'y offrir quelques semaines de vacances. Mais, lorsque l'on regarde le plan du village, on se demande quelle intimité on peut avoir dans ces beaux jardins et dans ces grandes pièces ouvertes sur le paysage et... sur le passage des touristes indiscrets.

Anonyme a dit…

Très beau billet, Alcib.

Ça me donne envie de lire le livre d'Anne Philipe. J'aime tant voir des films avec Gérard Philipe ! Marc et moi adorons La Beauté du diable, entre autres.

Étranges, ces coïncidences, tout de même.

Beo a dit…

Moi le hic... c'est que je ne crois pas aux coïncidences!

Alcib a dit…

René, je viens de relire ce récit d'Anne Philippe, et mon jugement n'a pas changé : il s'agit d'un récit tout en finesse, en douceur ; la douleur de l'auteur est bien présente, mais si discrètement esprimée qu'elle en est peut-être que plus sourdement éprouvée.
Tu ne retrouveras pas dans ces pages Gérard Philippe, l'acteur légendaire, mais plutôt l'indéfectible présence de celle qui a partagé les neuf dernières années de sa vie et qui, a cours des derniers mois, a gardé le terrible secret de sa disparition annoncée.
Ensemble,ils ont eu deux enfants, Anne-Marie, comédienne et femme du journaliste et écrivain Jérôme Garcin, puis Olivier (qui est peut-être le journaliste et animateur de l'émission SODA que l'on peut voir sur TV5).

Alcib a dit…

Et ce n'est pas dans « Le temps d'un soupir » qu'Anne Philippe parle de Ramatuelle ; je devrai donc poursuivre mes recherches dans mes lectures anciennes pour savoir où j'ai lu le nom dece village...

Alcib a dit…

Je crois maintenant me souvenir (je n'ai pas encore vérifié) que c'est plutôt dans l'un des livres d'Yves Navarre que j'ai lu cet épisode de la femme qui attend le facteur pour voir si elle recevra des nouvelles de ses enfants. Peut-être que c'est dans « Le jardin d'acclimatation ». Yves Navarre raconte-il un épisode de la vie d'Anne Philippe ? Je ne crois pas. Je crois plutôt qu'en lisant ces pages d'Yves Navarre, je ne pouvais m'empêcher de penser à Anne Philippe ; c'était peut-être voulu par l'auteur qu'il en soit ainsi.
Mais Yves Navarre mentionne-t-il vraiment Ramatuelle dans ce livre ? Je ne crois pas.
Il faudrait que je prenne le temps de chercher encore...