Les blogues permettent de belles émotions, de beaux moments, de belles rencontres, on l'a dit et écrit très souvent, depuis 2005 en ce qui me concerne.
J'ai abondamment parlé d'Alexander et je pourrais parler de lui encore et encore, si je n'étais pas soucieux de préserver un peu de son jardin secret, et surtout sa vie privée, qui concerne plusieurs membres de sa grande famille officielle (que nous distinguions de notre petite famille merveilleuse, composée des êtres choisis que nous aimons, qui nous aiment)... J'ai dit et redit à quel point ce garçon qui a découvert mon blogue en cherchant des images sur Internet a bouleversé ma vie. Et je n'aurai sans doute pas assez du reste de cette vie pour essayer de comprendre pourquoi j’ai été choisi. « Ce n’est pas un hasard, m’écrit sa grande amie ; il a été dirigé vers vous par quelqu’un qui veille sur lui. »
Grâce à ce blogue qu’ils ont découvert après son départ, des amis d'Alexander m’ont écrit, m’ont fait des confidences si bouleversantes. L’histoire de chacun de ces amis est à la fois magnifique et tragique...

Puis, tout récemment, un autre lecteur a laissé en commenta
ires sous l'article du 7 juin dernier une histoire qui m'a vivement ému, bouleversé. Sachant que bien des lecteurs ne reviennent pas, après avoir lu l'article du jour, vérifier les nouveaux commentaires qui s'y sont rajoutés... Avec sa permission, je veux reprendre ici l’histoire de Colin et de son jeune soldat allemand. Avec beaucoup moins, Marguerite Duras a fait un film dans lequel elle raconte la mort d'un aviateur anglais ; imaginons ce que pourrait faire Colin avec son histoire.
Je ne connais de Colin que ce qu'il a écrit en commentaires depuis quelques semaines, rien de plus.
Il est aussi un ami du Petit Prince. Je suis certain qu'Alexander aurait aussi été très ému par l'histoire qu'il raconte ici, après avoir envoyé les paroles d’une chanson que lui chantait une vieille dame chez qui il passait quelques semaines l’été et que l’on peut lire en commentaire à cet article du 7 juin dernier.Je n’ai rien changé, même pas une virgule, au texte de Colin, que voici :
Je ne sais plus les mots perdus ce matin, il m'en est venu d'autres, différents surement, mais les souvenirs sont bien les mêmes.
Pour vous donner des nouvelles de ma rose.
Il y a un petit cimetière caché par de grands arbres en surplomb d'un petit village. Petit village où je passais quelques semaines l'été.
Là, il y a une tombe abandonnée. Les chaînes qui l'entourent sont rouillées, l'inscription sommaire, mangée par la mousse. Il n'y a pas de croix, il n'y en a jamais eu, je pense. J'ai dechiffré l'épitaphe usée par le temps, un soir d'été, attiré par l'ombre, la solitude de l'endroit, la douceur de la pierre encore chaude.
C'est la tombe d'un jeune soldat allemand, mort en 1917.
Je ne sais pas pourquoi il est enterré là, pourquoi personne ne l'a ramené chez lui, pourquoi personne n'a jamais réclamé son corps.
J'ai pensé alors que nous avions peut être eu la même enfance.
Personne dans le village n'a jamais pu me raconter son histoire. Les plus anciens, déjà en ce temps là, le temps de mes étés, ne savaient plus, ou ne voulaient plus savoir.
Mais moi, je ne sais qu'une chose. Si on a prit le soin de donner à ce jeune homme, si près encore de l'enfance, une sépulture dans ce petit cimetière si loin de chez lui, dans ces temps troublés, c'est qu'il méritait qu'on le traite en soldat, pas en ennemi.
Il s'appelait Günther Von Rosenwald.
Nom prédestiné.
Il n'avait personne pour le pleurer. J'ai été celui là.
Il a été mon ami, mon confident. Par delà le temps, les circonstances tragiques de cette guerre. Et je veux croire que dans une autre dimension, je ne sais où, là où les gens peuvent s'aimer, j'ai été le sien.
C'est près de lui, où je passais mes après midi d'été, à dessiner, à lire, à pleurer souvent, à lui parler, que l'on venait parfois me récupérer le soir quand j'en oubliais de rentrer.
On me grondait, me menaçant de me renvoyer au Foyer si je n'étais pas plus obéissant. Alors je devenais sage pour ne pas abandonner Günther trop tôt, trop vite. Il n'avait que moi...et je n'avais que lui.
J'imaginais qu'il m'attendait chaque été avec la même impatience que la mienne, sanglé dans son uniforme.
Je serais mort de chagrin si l'on m'avait envoyé dans une autre famille d'accueil pour l'été, mais celà n'est heureusement, jamais arrivé.
Le reste de l'année je lui écrivais des poèmes que je lui lisais lors de nos retrouvailles. De grandes lettres aussi.
Avant je lui apportais des fleurs des champs, des coquelicots mêlés d'épis de blé, de grandes marguerites arrachées aux fossés. Maintenant, comme la forêt de roses qui témoigne de son nom, ne fleurit plus depuis si longtemps, je lui en apporte.
Cette année, j'ai enfin son âge.
J'ai écrit son histoire. Avec rien. Deux dates, et les mots soufflés par les grands arbres qui ombragent son tombeau depuis toutes ces années.
Je viens de faire le voyage jusqu'à lui pour lui donner ma rose.
Il y avait une petite pancarte sur sa tombe. La mairie veut recupérer sa place à moins que quelqu'un ne se réclame de sa famille. C'est le lot de toutes les plus vieilles tombes qui ne sont plus à personne.
Je suis entrain d'essayer de réunir les papiers nécessaires pour que personne ne touche à cette tombe. Le maire m'a promit son soutien. J'ai effectué de nombreuses recherches dans son pays. J'ai rencontré des gens portant son patronyme. Epluché de poussiéreux dossiers militaires. Personne ne sait qui il est. Qui il était.
Ce texte que je vous ai envoyé précédemment, c'est la grand'mère de la famille qui me le chantait parce qu'elle savait, elle aussi bien sur où je passais mes après midi. Elle était la seule à me comprendre. J'aurais aimé qu'elle soit ma vraie grand'mère, comme celle de votre Alexander si tendrement chéri.
Je ne sais pas si Günther Von Rosenwald a une étoile dans le ciel, mais dans mon cœur il sait qu'il peut trouver des milliers de roses.