mercredi 9 août 2006
J'ai mal... à la Provence
Depuis samedi dernier, la seule évocation de la Provence me fait mal et me tire des larmes, quel que soit le moment du jour ou de la nuit. En fait, depuis samedi midi, je n'ai en tête que la Provence et tout ce qu'elle évoque pour moi et si j'arrive à retenir mes larmes en n'affichant que ma tristesse au cours de mes sorties en public, je ne les empêche pas du tout du moment que je rentre chez moi, où je passe la très grande partie de mon temps. J'ai mal à la Provence comme on a mal au foie... Je sais bien ce qui a déclenché cette peine immense, mais je sais aussi que la cause de cette peine est plus complexe que l'annonce d'une mauvaise nouvelle...
Durant de nombreuses années, la Provence n'était pour moi que l'une des magnifiques régions de la France, avec l'avantage d'un climat assez doux en hiver, qui me faisait rêver à la retraite que je pourrais y prendre un jour lointain après avoir bien travaillé et gagné l'argent nécessaire pour y vivre sans souci matériel. Le jour où l'on m'a dit qu'en se levant la nuit pour aller assouvir un besoin naturel ou en voulant enfiler ses chaussures, on pouvait mettre le pied sur un scorpion, mon rêve de retraite en Provence s'était quelque peu estompé pour faire place à d'autres options...
Lors de mon premier séjour en France, lorsque j'avais vingt ans, les circonstances m'ont permis de faire partie d'une troupe d'artistes professionnels et, avec eux, j'ai fait quelques tournées qui m'ont conduit dans plusieurs villes de Belgique et de France, dont Avignon, Carcassone et Aix-en-Provence. J'ai toujours conservé d'Aix de très doux souvenirs, car j'y ai amorcé alors une relation amoureuse qui se préparait depuis quelques semaines à Paris, mais qui a pris un tournant plus affirmé dans une loge de l'Opéra d'Aix (que l'on appelle le Théâtre du Jeu de paume, je crois ?) puis dans les rues d'Aix dans les heures qui ont suivi et qui s'est finalement concrétisée ensuite à Carcassonne...
Puis, grâce à Internet, j'ai fait la connaissance ces dernières années d'un garçon sans pareil qui, s'il n'est pas toujours à Aix-en-Provence, y revient toujours... J'ai parlé de lui dans ce cyber-carnet, le 26 novembre 2005. J'ai des photos de lui, mais elles ne lui rendent pas justice, je trouve. Il faut voir, quand on lui parle, ses yeux s'allumer, son sourire s'illuminer ; il faut entendre sa voix, être attentif à ses intonations... À défaut de pouvoir présenter de lui des images vidéo qui permettraient de juger de sa beauté, je trouve que ce sont des portraits de la Renaissance italienne qui le représentent le mieux à mes yeux (autoportraits de Filippino Lippi ou portrait de Botticelli par son élève, par exemple). Français de naissance, avec du sang espagnol, une formation universitaire en partie italienne, il est aussi un fils de la Grèce classique ; il est fait du meilleur de ces cultures, à la fois par héritage et par élection.
Je me souviens très précisément des premiers mots qu'il m'a adressés un soir dans un salon de clavardage. Je fréquentais quotidiennement ce salon depuis que je l'avais découvert au hasard de mes explorations le jour même de mon abonnement à Internet le 5 août 2000 ; je m'y étais fait une certaine notoriété et de nombreux amis. Si bien que, lorsque je suis venu en Europe, à l'automne de l'année suivante, j'ai dû rencontrer près de soixante-dix personnes avec qui j'avais eu l'occasion de dialoguer plus ou moins souvent dans ce salon, sur Internet.
Je me souviens des premiers mots qu'il m'ait adressés, mais je n'ai plus aucune idée de la date, pas même de l'année (je pourrais la retrouver par des courriels que nous nous sommes envoyés, mais cela n'a pas vraiment d'importance car j'ai le sentiment de le connaitre depuis toujours). Ce soir où j'ai fait la connaissance de Poeri (c'était son pseudonyme), je me sentais vulnérable et j'avais dû émettre dans le salon de clavardage un commentaire pour m'attirer un peu d'attention. De l'attention, j'en ai reçue immédiatement ; et quelle attention ! Je me suis demandé qui était ce garçon dont je voyais pour la première fois le pseudonyme au salon et qui s'adressait à moi comme s'il m'avait toujours connu et de la meilleure façon. Ses propos étaient si empreints de sensibilité et de finesse, d'intelligence et de tendresse... Depuis ce jour, Poeri et moi n'avons cessé d'apprendre à connaître les événements qui composent l'histoire de nos vies respectives, mais l'essentiel, ce que nous sommes réellement, chacun au fond de soi, nous le connaissons, chacun le reconnaît chez l'autre.
Comme il le souligne dans son commentaire à mon billet du 26 novembre 2005, nous en avons passé des heures à nous parler, soit sur MSN, soit dans ce salon de clavardage où nous avions d'autres bons copains, soit au téléphone... Combien de fois m'a-t-il demandé de venir en Provence, de venir chez lui, profiter de sa terrasse à Aix... Combien de fois ai-je regretté de ne pas être en mesure de répondre à son invitation. Combien de fois ai-je pleuré de bonheur de connaître ce garçon et pleuré de tristesse que la distance soit si grande entre Montréal et Aix-en-Provence.
Ce jeune homme est très occupé. Il essaie de terminer la rédaction de sa thèse de doctorat et pour cela, il se déplace entre la Provence et l'Italie. D'autre part, il est très sollicité par ses amis et par sa famille. Ce fils unique est orphelin de père depuis son enfance... Il a pour sa mère l'adoration des fils élevés dans l'amour et, comme on peut le deviner, il est tout pour sa mère.
Ces derniers temps, je l'apercevais moins souvent sur MSN, et plus du tout dans ce salon de clavardage où nous avons fait connaissance. Je m'en attriste, mais je comprends sa situation, sachant qu'en raison de ses déplacements fréquents, il n'a pas conservé un appartement à Aix et qu'il n'a pas forcément une adresse fixe et que, d'autre part, la santé de sa mère le préoccupe depuis plusieurs mois.
Samedi dernier, cinq août, c'était le jour de son anniversaire de naissance. Quand j'ai vu son pseudonyme apparaître sur MSN, samedi dernier, je l'ai immédiatement salué et j'ai voulu lui offrir mes voeux d'anniversaire. J'ai toutefois senti qu'il n'avait pas le coeur à la fête et j'ai voulu savoir ce qui n'allait pas. Je savais que la santé de sa mère le préoccupait, mais je me demandais ce qui, en quelques semaines, avait pu changer...
En insistant un peu pour qu'il ne garde pas pour lui seul une nouvelle qui semblait le briser à ce point, il a accepté de me confier qu'on lui avait annoncé une terrible nouvelle au sujet de sa mère. Cette mère qu'il adore, qui lui avait donné naissance précisément ce 5 août, il y a une trentaine d'années, est atteinte d'une maladie épouvantable qui, dans un cas, pourrait lui permettre de vivre une dizaines d'années (mais dans quel état ?) et, dans l'autre cas, pourrait évoluer rapidement et entraîner la mort d'ici un an. Quelle nouvelle agréable à recevoir le jour de son anniversaire !
Poeri est anéanti. On le serait à moins. Il m'a gentiment envoyé une photographie de sa mère, prise il y a deux semaines. Je ne commettrai pas l'indiscrétion d'afficher ici la photographie de sa mère qui, très élégamment vêtue de blanc, du cou aux chevilles, porte un joli chapeau de soleil, avait accepté de poser pour son fils, assise sur les marches d'un immeuble devant une très belle porte en bois scuplté, avec le chien dont m'a si souvent parlé Poeri, qui tenait le plus souvent compagnie à sa mère qu'à lui-même. On devine dans le regard de cette femme tout l'amour qui circule entre ces deux êtres : celle qui, au cours d'une promenade amoureuse avec son fils dans les rues d'Aix-en-Provence peut-être, profite d'une pause-photo pour s'accorder un moment de repos en souriant à son fils qui saisit ce moment à travers son appareil.
Je regarde la photographie de cette femme d'un peu plus de cinquante ans, encore très belle, et je l'imagine, juste avant la naissance de son fils, avec le même chapeau qu'elle porte sur cette image ; elle pourrait ressembler à cette jeune femme peinte par Pierre Bonnard :
Je ne connais cette femme que par les mots de son fils, mots discrets et cependant si révélateurs. Elle ignore mon existence, même si elle a sans doute vu passer quelques mots que j'avais adressés à Poeri au moment où celui-ci était de passage chez elle, de retour d'Italie. Je suis néanmoins atterré d'apprendre le terrible diagnostic qui la concerne et que son fils n'avait pas encore eu le courage de lui annoncer après l'avoir lui-même appris de la bouche des médecins.
J'ai mal pour elle, bien sûr. Mais j'ai très mal pour son fils, mon ami. Je sens la douleur qui l'habite et qui ne le quittera plus durant des mois, des années... Elle évoluera, se transformera, mais elle fera désormais partie de lui, je le crains. Et cette seule pensée m'est pénible ; elle m'oppresse et me rend infiniment triste.
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6 commentaires:
Bien triste tout ça! Je souhaite bon courage à Poeri (j'adore ce pseudo), je suis persusadée qu'il peut compter sur ton amitié fidèle.
joli hommage à l'amour filial -
J'oubliais: ça fait du bien de voir la porte d'entrée du Château de Carcassonne que j'ai visité en 98.
Je me souviens d'avoir eu une pensée attendrie pour mon Vieux Québec, que ni Carcassonne, ni St-Malo intra-muraux n'a délogé dans mon coeur comme ma ville préférée :-D
Béo, je le voudrais bien aussi. Il sait que pour lui je suis là à tout moment, mais il faut dire que je me sentirais plus « utile » si j'étais plus près.
Merci Brigetoun : il y a bien entendu cette dimension primordiale... Puis il y a en moi beaucoup de regrets que je n'ai pas encore exprimés, ne voulant pas trop allonger ce billet. Je poursuivrai sans doute au cours des prochains jours.
Béo, j'adore Québec aussi, particulièrement le Vieux Québec. Mon passage à Carcassone est déjà ancien ; il me faudrait y retourner. J,ai un ami, à Montréal, qui n'était encore jamais allé en Europe ; ces dernières années, il en est tombé amoureux et tout particulièrement de la Provence et depuis, il y retourne chaque année (je lui conseillais dernièrement d'acheter un appartement en Provence, à la fois comme investissement, puis comme lieu de séjour durant ses vacances [il pourra le louer le reste du temps], et peut-être comme lieu de retraite un jour). Il a fait de magnifiques photos de Carcassonne... Quant à Saint-Malo, je ne connais pas encore ;o((
Je pense à toi. à ton ami et à sa mère... Quand la mort est conjuguée avec une terrible maladie, je trouve aussi la chose vraiment très triste.
De tout coeur...
xxx
Que c'est triste...
Transmets-lui aussi mes voeux, d'accord ?
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