Le premier ami d'Alexander, en importance, était certainement le Petit Prince. De sa première enfance jusqu'au moment de son départ, ils ne se sont pas quittés un instant. Et chaque soir, comme l'aviateur, je scrute le ciel à la recherche de l'étoile qui me sourira et à partir duquel un Petit Prince m'enverra ses baisers.
Cet univers poétique était le sien. Cependant, son champ d'intérêts était infiniment plus riche et diversifié. On connaît par exemple son intérêt pour l'univers d'Alexandre le Grand. Il connaissait par cœur les univers de Tolkien, de Harry Potter ; il adorait les histoires d'horreur, particulièrement celles qui l'obligeaient à se relever la nuit pour vérifier si les fenêtres étaient bien fermées. Il tutoyait Nessie, l'ami discret du loch écossais, et s'il n'a jamais pris le thé avec l'un des nombreux fantômes britanniques, ce n'est pas faute d'avoir tout essayé pour avoir ce plaisir (je suis persuadé qu'il a, au fond, souvent pris le thé avec l'un ou l'autre de ces fantômes, mais que ceux-ci étaient, comme Alexander, discrets et courtois).
Un jour, il m'avait envoyé, comme nous le faisions souvent dans les deux sens, plusieurs images qu'il aimait. Parmi celles-ci, il y avait de tendres petits lapins, de délicieuses choses à manger et puis... une image qui m'avait beaucoup angoissé : la grande Faucheuse marchant sur la neige... Cet univers-là l'intéressait aussi et il aimait les belles images qu'avaient su créer de nombreux artistes.

Nous parlions parfois des légendes anciennes. Il connaissait bien, notamment, plusieurs légendes celtiques. Je ne sais plus par quel détour de la conversation nous en sommes arrivés à parler de l'Ankou (certains écrivent « Ankhou », avec un h).
Selon la légende, que l'on retrouve aussi bien en Bretagne qu'en Irlande, en Écosse et au pays de Galles, je crois, l'Ankou personnifie la grande Faucheuse. Généralement représenté sous la forme d'un squelette vêtu de noir, l'Ankou porte un grand chapeau de feutre noir à larges bords, deux chandelles à la place des yeux, et arbore une faux qu'il prend bien soin d'aiguiser à l'aide d'un os humain et qu'il lance devant lui pour atteindre les victimes qu'il a désignées.
Il parcourt les campagnes debout sur sa charrette à deux chevaux ; le grincement des essieux n'est pour personne un bon présage. Si on se trouve sur son passage, si on lui parle, si on entre en contact avec lui, quelle qu'en soit la façon, il est certain que nos heures, nos minutes sont comptées.
L'Ankou ne s'intéresse qu'au corps de ses victimes ; il laisse le diable s'occuper de leur âme. Et il faut redoubler d'efforts pour l'éviter le 31 décembre surtout car la dernière personne à mourir dans chaque paroisse deviendra l'Ankou de l'année suivante.
Je trouve qu'il s'agit d'une légende intéressante, que l'on apprécie davantage quand on se porte bien et que l'on n'est inquiet pour la santé de personne. Elle fait partie des légendes qui donnent un sens aux fêtes d'Halloween et du deux novembre. On peut préférer chercher le sens ailleurs. Les églises chrétiennes, notamment, préfèrent imposer d'autres croyances pour remplacer les célébrations païennes. Il y a en ce moment un mouvement qui veut que l'on affiche des images de saints, particulièrement ces jours-ci, pour essayer de remplacer les images de citrouilles et autres symboles macabres autour d'Halloween. Sans accorder trop d'importance aux croyances elles-mêmes, je commence à comprendre davantage le besoin de narguer la grande Faucheuse et de faire la fête le 31 octobre. Comme je regrette encore de n'avoir jamais pu célébrer cette fête avec Alexander (en 2008,
il avait tout préparé comme il le faisait chaque année et, la veille il avait dû s'absenter...)

Ne pouvant, en ce jour consacré aux personnes disparues, me recueillir devant les cendres de mon Petit Prince, je m'associerai en pensée à ceux qui l'aiment et qui seront présents. Des bougies brûleront toute la journée, toute la nuit, comme toutes les nuits. J'irai chercher des roses roses, celles qu'Alexander aimait tant.