Il y a 25 ans, les éditions du Seuil publiaient un livre au titre évocateur : Au coin de la rue, l'aventure, le livre de deux jeunes auteurs qui font toujours partie de notre paysage culturel, littéraire et philosophique, voire politique, soient Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut.
Je n'ai pas lu le livre, mais j'ai toujours aimé ce titre qui me semble annoncer un programme intéressant. C'est le genre de titre que je trouve si évocateur qu'on ne se sent pas le besoin d'acheter le livre car on a l'impression d'en connaître déjà le contenu (ce n'est pas très intelligent comme attitude, je le sais, mais on ne peut pas tout lire, surtout quand on est un lecteur lent comme moi, qui aime rêver autour de certains livres). Je me suis plu à imaginer ce que pouvaient bien dire les deux auteurs...
Le contenu que j'imaginais à ce livre n'a peut-être rien à voir avec le texte des deux auteurs. Mais qu'importe ? Si j'ai pu imaginer une réflexion sur la société, sur le mode de vie, sur les changements importants qui se déroulaient dans nos sociétés occidentales... J'ai pensé aussi que ce titre pouvait essayer de faire comprendre que l'on n'a pas besoin d'être astronaute ou explorateur pour que la vie soit palpitante, que l'aventure peut faire partie de la vie de chacun sans qu'il se sente obligé d'aller la chercher au bout du monde ou dans de continuels déplacements. La possibilité de renouveler sa capacité d'émerveillement est à la portée de chacun...
Il y a quelques années, à la sortie d'une très intense et très belle relation amoureuse, je suis redevenu célibataire et, après un long processus de deuil, j'ai pris ma vie en main, j'ai fait en sorte que le célibat soit un état intéressant plutôt qu'une catastrophe. J'ai réapprivoisé la solitude qui est redevenue une amie qui n'attendait pas de moi l'exclusivité ; je l'ai abondamment trompée. Et comme il arrive très souvent dans ces cas-là, celui qui trompe est le premier trompé. Il faut cependant, au risque de se tromper, sortir de chez soi et aller vers les autres pour apprendre à les connaître et, par conséquent, à se découvrir soi-même. Fort de ce qu'avait fait de moi cette relation amoureuse de cinq ans, je pouvais aller vers les autres en toute confiance... J'ai croisé beaucoup de monde, j'ai même fait de belles Rencontres, avec un « R » majuscule, de celles qui nous marquent à jamais. Et j'ai eu aussi de nombreuses aventures, de celles qui, au mieux, laissent un aimable souvenir... Puis je me suis assagi... Il y aurait beaucoup à dire sur cette période qui a tout de même duré quelques bonnes années, mais je ne voudrais pas effaroucher les bonnes âmes. Et, au fond, y a-t-il vraiment quelque chose à dire ? Si je suis vraiment devenu sage, tout cela n'a plus d'importance.
Au coin de la rue, l'aventure, donc ? Certainement ! Du moins, elle se présente, elle s'offre ; libre à chacun de la percevoir, de lui accorder ou pas de l'attention, de la choisir ou de s'en éloigner.
Il y a quelques semaines, alors qu'il faisait très beau et que je revenais du restaurant, je n'avais pas envie de remonter tout de suite chez moi où le travail m'attendait. En arrivant devant l'entrée de mon immeuble, j'ai décidé de prendre l'air encore quelques minutes et je me suis assis à l'extérieur et j'ai sorti un livre que j'avais apporté avec moi pour en faire la lecture au restaurant. Je lisais depuis quelques minutes quand j'ai vu venir sur le trottoir un jeune homme de dix-neuf ou vingt ans ; je l'ai aperçu d'assez loin car ce qui a frappé mon attention, c'est qu'il était torse nu et, sous le soleil de fin d'après-midi, cette peau lisse et mordorée faisait éclat ; j'avais alors levé les yeux pour vérifier s'il était vraiment torse nu ou si c'était le fruit de mon imagination. J'avais discrètement levé les yeux et à la distance où il se trouvait, il n'avait pas pu remarquer que j'avais levé les yeux de mon livre sans bouger la tête. Le garçon s'était cependant arrêté, comme s'il hésitait entre deux directions à prendre ; celle, déjà amorcée, de remonter ma rue ou celle d'emprunter plutôt la rue transversale.
J'étais curieux de voir ce qu'il allait faire. Dès que j'ai vu qu'il avait choisi de remonter ma rue, donc de venir vers moi, je me suis replongé dans mon livre afin qu'il ne voie pas que je l'avais observé. Il venait donc dans ma direction et je m'attendais à ce qu'il passe devant l'immeuble et poursuive sa route. Pas du tout : en levant les yeux, je l'ai vu se diriger carrément vers moi, dans l'entrée de mon immeuble ; il est venu à moins d'un mètre de moi et, comme s'il se rendait compte que j'étais là ou que peut-être il avait été trop pressé, il a rebroussé chemin, il a repris le trottoir et il s'est arrêté encore devant l'immeuble, comme s'il cherchait quelque chose, une adresse ou quoi encore... Puis il est revenu vers moi et m'a demandé, en anglais, s'il pouvait s'asseoir. Je lui ai fait une place tout en poursuivant ma lecture, ne voulant pas lui laisser croire que je m'intéressais à lui.
Il était donc là, assis à quelque trente centimètres à ma gauche, regardant devant lui comme s'il attendait quelqu'un qui allait passer sur le trottoir. Assis de biais, je pouvais discrètement lever les yeux et épier ses gestes, son attitude sans qu'il puisse voir mon regard, à moins de se tourner carrément vers moi. Ce torse nu était glabre et légèrement bronzé, olivâtre et sans éclat ; il avait l'air tout juste sorti de l'adolescence et, d'une certaine façon, il me faisait penser au Tadzio de Mort à Venise de Visconti, qui aurait vieilli légèrement, l'air maladif et fragile en moins. Il était assez beau, si ce n'était un manque de grâce dans l'expression ; il avait dans l'attitude quelque chose du félin hésitant entre le ronronnement ou le coup de griffes en réponse au geste caressant. Il se dégageait de lui le léger parfum âcre du garçon qui n'est pas rentré chez sa mère depuis quelques jours.
Je l'observais mais il ne le savait pas puisqu'il n'osait pas me regarder en face. Et je sentais que cela l'agaçait que je ne m'occupe pas de lui. Il a commencé à tirer un peu sur la ceinture du caleçon, qui dépassait largement la ceinture du pantalon à taille basse, comme pour y laisser entrer un peu d'air frais ; il a recommencé son jeu plusieurs fois et à chaque fois son geste laissait voir un peu plus la fine lisière de duvet qu'il avait sous le nombril, sans aller tout à fait jusqu'au poil un peu plus viril. Son jeu m'amusait beaucoup et, si je ne m'étais pas assagi, je ne l'aurais pas laissé douter ainsi de son pouvoir de séduction ; je lui aurais au moins parlé. Mais là, devant chez moi, je n'avais pas de marge de manœuvre ; si je lui adressais la parole, je savais qu'il aurait voulu prendre une douche, au moins. Il y a quelques années, j'aurais sûrement joué le jeu pour le plaisir du jeu, sans intention arrêtée. Mais là, je n'avais pas envie de jouer ce jeu, surtout parce que j'étais trop absorbé par le travail et que tout l'appartement ressemblait davantage à un chantier qu'à un terrain de jeu.
Finalement, le garçon s'est impatienté, s'est levé et s'est dirigé vers la rue transversale. Il aura sans doute eu un peu de mal à y trouver quelqu'un qui l'invite à prendre une douche, qui lui offre à manger et peut-être un peu d'argent.
En remontant chez moi, je souriais intérieurement en pensant qu'effectivement, si l'on y est un peu attentif, la vie peut nous offrir des surprises, même à la porte de chez soi. Dans ce cas-ci, puisque je ne cherchais pas une aventure, l'aventure m'a beaucoup amusé. Je repense avec plaisir à une autre aventure qui m'était arrivée un soir d'hiver où j'étais sorti prendre l'air et qui s'était terminée différemment ; je vous la raconterai peut-être un jour, quand les enfants seront couchés.
Je n'ai pas lu le livre, mais j'ai toujours aimé ce titre qui me semble annoncer un programme intéressant. C'est le genre de titre que je trouve si évocateur qu'on ne se sent pas le besoin d'acheter le livre car on a l'impression d'en connaître déjà le contenu (ce n'est pas très intelligent comme attitude, je le sais, mais on ne peut pas tout lire, surtout quand on est un lecteur lent comme moi, qui aime rêver autour de certains livres). Je me suis plu à imaginer ce que pouvaient bien dire les deux auteurs...
Le contenu que j'imaginais à ce livre n'a peut-être rien à voir avec le texte des deux auteurs. Mais qu'importe ? Si j'ai pu imaginer une réflexion sur la société, sur le mode de vie, sur les changements importants qui se déroulaient dans nos sociétés occidentales... J'ai pensé aussi que ce titre pouvait essayer de faire comprendre que l'on n'a pas besoin d'être astronaute ou explorateur pour que la vie soit palpitante, que l'aventure peut faire partie de la vie de chacun sans qu'il se sente obligé d'aller la chercher au bout du monde ou dans de continuels déplacements. La possibilité de renouveler sa capacité d'émerveillement est à la portée de chacun...
Il y a quelques années, à la sortie d'une très intense et très belle relation amoureuse, je suis redevenu célibataire et, après un long processus de deuil, j'ai pris ma vie en main, j'ai fait en sorte que le célibat soit un état intéressant plutôt qu'une catastrophe. J'ai réapprivoisé la solitude qui est redevenue une amie qui n'attendait pas de moi l'exclusivité ; je l'ai abondamment trompée. Et comme il arrive très souvent dans ces cas-là, celui qui trompe est le premier trompé. Il faut cependant, au risque de se tromper, sortir de chez soi et aller vers les autres pour apprendre à les connaître et, par conséquent, à se découvrir soi-même. Fort de ce qu'avait fait de moi cette relation amoureuse de cinq ans, je pouvais aller vers les autres en toute confiance... J'ai croisé beaucoup de monde, j'ai même fait de belles Rencontres, avec un « R » majuscule, de celles qui nous marquent à jamais. Et j'ai eu aussi de nombreuses aventures, de celles qui, au mieux, laissent un aimable souvenir... Puis je me suis assagi... Il y aurait beaucoup à dire sur cette période qui a tout de même duré quelques bonnes années, mais je ne voudrais pas effaroucher les bonnes âmes. Et, au fond, y a-t-il vraiment quelque chose à dire ? Si je suis vraiment devenu sage, tout cela n'a plus d'importance.
Au coin de la rue, l'aventure, donc ? Certainement ! Du moins, elle se présente, elle s'offre ; libre à chacun de la percevoir, de lui accorder ou pas de l'attention, de la choisir ou de s'en éloigner.
Il y a quelques semaines, alors qu'il faisait très beau et que je revenais du restaurant, je n'avais pas envie de remonter tout de suite chez moi où le travail m'attendait. En arrivant devant l'entrée de mon immeuble, j'ai décidé de prendre l'air encore quelques minutes et je me suis assis à l'extérieur et j'ai sorti un livre que j'avais apporté avec moi pour en faire la lecture au restaurant. Je lisais depuis quelques minutes quand j'ai vu venir sur le trottoir un jeune homme de dix-neuf ou vingt ans ; je l'ai aperçu d'assez loin car ce qui a frappé mon attention, c'est qu'il était torse nu et, sous le soleil de fin d'après-midi, cette peau lisse et mordorée faisait éclat ; j'avais alors levé les yeux pour vérifier s'il était vraiment torse nu ou si c'était le fruit de mon imagination. J'avais discrètement levé les yeux et à la distance où il se trouvait, il n'avait pas pu remarquer que j'avais levé les yeux de mon livre sans bouger la tête. Le garçon s'était cependant arrêté, comme s'il hésitait entre deux directions à prendre ; celle, déjà amorcée, de remonter ma rue ou celle d'emprunter plutôt la rue transversale.
J'étais curieux de voir ce qu'il allait faire. Dès que j'ai vu qu'il avait choisi de remonter ma rue, donc de venir vers moi, je me suis replongé dans mon livre afin qu'il ne voie pas que je l'avais observé. Il venait donc dans ma direction et je m'attendais à ce qu'il passe devant l'immeuble et poursuive sa route. Pas du tout : en levant les yeux, je l'ai vu se diriger carrément vers moi, dans l'entrée de mon immeuble ; il est venu à moins d'un mètre de moi et, comme s'il se rendait compte que j'étais là ou que peut-être il avait été trop pressé, il a rebroussé chemin, il a repris le trottoir et il s'est arrêté encore devant l'immeuble, comme s'il cherchait quelque chose, une adresse ou quoi encore... Puis il est revenu vers moi et m'a demandé, en anglais, s'il pouvait s'asseoir. Je lui ai fait une place tout en poursuivant ma lecture, ne voulant pas lui laisser croire que je m'intéressais à lui.
Il était donc là, assis à quelque trente centimètres à ma gauche, regardant devant lui comme s'il attendait quelqu'un qui allait passer sur le trottoir. Assis de biais, je pouvais discrètement lever les yeux et épier ses gestes, son attitude sans qu'il puisse voir mon regard, à moins de se tourner carrément vers moi. Ce torse nu était glabre et légèrement bronzé, olivâtre et sans éclat ; il avait l'air tout juste sorti de l'adolescence et, d'une certaine façon, il me faisait penser au Tadzio de Mort à Venise de Visconti, qui aurait vieilli légèrement, l'air maladif et fragile en moins. Il était assez beau, si ce n'était un manque de grâce dans l'expression ; il avait dans l'attitude quelque chose du félin hésitant entre le ronronnement ou le coup de griffes en réponse au geste caressant. Il se dégageait de lui le léger parfum âcre du garçon qui n'est pas rentré chez sa mère depuis quelques jours.
Je l'observais mais il ne le savait pas puisqu'il n'osait pas me regarder en face. Et je sentais que cela l'agaçait que je ne m'occupe pas de lui. Il a commencé à tirer un peu sur la ceinture du caleçon, qui dépassait largement la ceinture du pantalon à taille basse, comme pour y laisser entrer un peu d'air frais ; il a recommencé son jeu plusieurs fois et à chaque fois son geste laissait voir un peu plus la fine lisière de duvet qu'il avait sous le nombril, sans aller tout à fait jusqu'au poil un peu plus viril. Son jeu m'amusait beaucoup et, si je ne m'étais pas assagi, je ne l'aurais pas laissé douter ainsi de son pouvoir de séduction ; je lui aurais au moins parlé. Mais là, devant chez moi, je n'avais pas de marge de manœuvre ; si je lui adressais la parole, je savais qu'il aurait voulu prendre une douche, au moins. Il y a quelques années, j'aurais sûrement joué le jeu pour le plaisir du jeu, sans intention arrêtée. Mais là, je n'avais pas envie de jouer ce jeu, surtout parce que j'étais trop absorbé par le travail et que tout l'appartement ressemblait davantage à un chantier qu'à un terrain de jeu.
Finalement, le garçon s'est impatienté, s'est levé et s'est dirigé vers la rue transversale. Il aura sans doute eu un peu de mal à y trouver quelqu'un qui l'invite à prendre une douche, qui lui offre à manger et peut-être un peu d'argent.
En remontant chez moi, je souriais intérieurement en pensant qu'effectivement, si l'on y est un peu attentif, la vie peut nous offrir des surprises, même à la porte de chez soi. Dans ce cas-ci, puisque je ne cherchais pas une aventure, l'aventure m'a beaucoup amusé. Je repense avec plaisir à une autre aventure qui m'était arrivée un soir d'hiver où j'étais sorti prendre l'air et qui s'était terminée différemment ; je vous la raconterai peut-être un jour, quand les enfants seront couchés.
12 commentaires:
Pouusé par le vent de la curiosité depuis chez Pierre-Yves, je prendrais volontiers racine dans votre intérieur...
He he!
Shaggoo : c'est ce que j'appelle un bon vent, un vent favorable. Bienvenue à l'intérieur, plutôt qu'à l'exil.
Mais, je t'en prie, tu peux me tutoyer : le « vous » me fait vieillir encore. Puisque mon anniversaire est passé il y a un mois, je suis encore un peu sensible au temps qui, comme ma bonne, ai-je l'habitude de dire, passe mais ne repasse pas.
L'aventure fait partie du quotidien pour beaucoup de jeunes qui n'hésitent pas à partir bosser à Londres, Barcelone ou ailleurs !
Les enfants sont couchés, les enfants sont couchés! ;))
Olivier, je veux bien croire que les enfants sont couchés ; mais je crois que les adultes aussi, à voir le peu d'intérêt que ce billet à suscité ;o)
Je ne crois donc pas que les lecteurs soient intéressés par cette histoire. À moins que tout le monde se soit dit : « Il y aura bien quelqu'un qui, par politesse ou par curiosité libidineuse, demandera la suite. » ;o))
Cher Alcib,
Ton billet est fort pertinent en ce qui concerne l'aventure, celle qui nous attend tous si nous savons la voir. Parfois, il est vrai que, par sagesse ou expérience, nous la laissons passer, mais au moins l'avons-nous vue passer!
Ceci dit, j'ai eu l'occasion dans une ancienne vie de souper avec Alain Finkielkraut et des professeurs de philosophie qui avaient organisé cette rencontre (après une conférence) et je peux dire qu'il est ennuyant à mourir. Autant ce qu'il écrit est érudit et intéressant, autant, comme convive, il est d'une platitude mortelle (en plus d'être doté d'un égo démesuré!). Bref, chaque fois que je vois passer ses livres ou son nom quelque part, je ne peux m'empêcher d'évoquer cette soirée abrutissante passée à sa table!
Eh oui, avec l'âge on devient sage, tes billets aussi. A quand ce billet quand-les-enfants-sont-couchés ?
Et qulles aventures la rue a réservées à nos deux philosophes?
merci en tout cas pour cette (non) rencontre.
Chaque homme.
Cher Alcib silencieux... J'espère que tu vas bien.
Je commence aussi à me demander si tout va bien...
Sans vouloir te harceler Alcib, je m'interroge aussi. Serais-tu occupé à ce point?
On s'ennuie :)
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