Je suis né sous un signe de terre et l'eau n'a pratiquement toujours été pour moi autre chose qu'un élément essentiel à l'hydratation de l'organisme, à la toilette, à la cuisine, etc. J'ai cependant toujours été sensible à la beauté des paysages qui comprenaient un plan d'eau, que ce soit un lac, une rivière ou... la mer. De plus, je considère le murmure d'un ruisseau, le grondement d'une rivière, le clapotis des vagues, comme des sons les plus agréables et les plus relaxants au monde. J'ai grandi à la campagne, entre la forêt, les montagnes et les rivières et, du temps de mon enfance, les rivières ressemblaient à des fleuves tant leurs lits étaient larges et leur eaux profondes.
À l'adolescence, il m'est arrivé quelques fois d'aller pêcher la truite (nos rivières contenaient beaucoup de saumon, mail il était interdit de le pêcher : les Américains avaient acheté pour quatre-vingt-dix-neuf ans les droits de pêche du saumon) ; je raconterai d'ailleurs, un jour, une histoire de pêche qui fut l'un de mes plus beaux souvenirs d'adolescence. Si les rivières des environs étaient intéressantes pour les pêcheurs occasionnels, elles l'étaient moins pour les baigneurs annuels que nous devenions à la fin des classes, au début de l'été.
Pour marquer la fin de l'année scolaire et le débuts des vacances estivales, nos instituteurs aimaient organiser le 23 juin un pique-nique pour les élèves. Chacun apportait son goûter et, pour l'occasion, achetait, empruntait ou se faisait confectionner un maillot de bain. En ce qui me concerne, la baignade ne m'attirait pas vraiment, mais il fallait faire comme tout le monde et être prêt à se mouiller. Je me souviens d'un maillot que ma mère m'avait confectionné dans un tissu rayé de bleu, de blanc et de noir, accompagné d'une sortie de bain coordonnée. Nous avancions dans l'eau, le temps de se mouiller ou davantage pour les fanfarons, mais nous en ressortions assez vite car l'eau de ces rivières était très froide. Durant toute mon enfance et mon adolescence, je suis probablement allé à la mer trois ou quatre fois ; je ne me souviens vraiment, et encore c'est très vague, que d'une seule fois. L'eau n'est donc pas un élément qui m'attire spontanément et si je n'ai pas à le faire dans le cadre d'un horaire à respecter, je reporte sans cesse à plus tard le moment de prendre la douche... Une fois mouillé, cependant, j'adore.
Il y a quelques années, à la suite d'une chute sur le dos, j'ai dû faire de la physiothérapie durant quelques mois. J'aimais les exercices que me faisait faire le jeune physiothérapeute de la clinique de médecine sportive que je fréquentais et j'appréciais toute l'attention qu'il m'accordait et tous les soins qu'il me prodiguait... Si j'avais beaucoup d'argent, j'aurais mon entraîneur personnel pour entetenir la souplesse et garder la forme... Après quelques mois de physiothérapie, mon thérapeute m'a suggéré de continuer seul mes exercices et, surtout, de faire de la natation. Je ne sais pas nager, mais je sais que la natation et les exercices aquatiques sont excellents pour entretenir la forme ou même pour corriger certains problèmes d'articulations, musculaires, etc... J'ai des amis qui habitent un grand immeuble dans lequel il y a une grande piscine qui est pratiquement toujours inutilisée. Cet été-là, Marc m'a proposé d'aller tous les jours le rejoindre un peu avant l'heure du déjeuner ; puisqu'il était en vacances, il m'accompagnerait à la piscine durant une heure ; la natation serait excellente pour lui aussi, qui est musicien, et il pourrait ainsi en faire chaque jour pendant que je ferais dans l'eau toutes sortes d'exercices pour redonner plus de tonus à mes muscles ; après quoi nous irions déjeuner et vaquer ensuite à nos obligations respectives. Cette heure quotidienne d'exercices aquatiques, suivie d'une demi-heure de sauna sec, a presque fait de moi un athlète... Bon, d'accord ; j'exagère un peu. Mais il est vrai que depuis, je n'ai qu'un rêve, qu'une obsession : c'est d'avoir ma piscine personnelle dans laquelle je pourrais m'exercer tous les jours, à l'heure qui me convient ou, tout au moins, d'habiter dans un immeuble où j'aurais accès à une piscine sans qu'il y ait autour des témoins gênants. Je n'ai pas peur de l'eau, mais du ridicule.
Je n'ai pas l'habitude de commenter les faits divers et je n'ai pas non plus l'intention de commencer à le faire dans ce blogue. Une nouvelle m'a toutefois frappé aujourd'hui : une femme et sa jeune fille se sont noyées dans la piscine de l'immeuble où elles habitaient, à Montréal. Il s'agit très certainement d'un accident ; on fera une enquête et même une autopsie pour déterminer la cause exacte des décès. Ce genre d'accident arrive sans doute assez souvent ; trop souvent. Je ne connaissais pas du tout les victimes, mais cet accident me touche parce qu'il y a quelques années, alors que j'habitais un immeuble avec une piscine, un drame semblable est survenu auquel j'ai été involontairement mêlé. En rentrant chez moi un soir d'été, peu avant dix-sept heures, j'ai entendu des cris provenant de la piscine dont la porte était voisine des portes des ascenseurs ; je n'ai d'abord pas porté attention à ces cris, qui m'ont semblé être des cris de joie d'enfants qui s'amusaient dans l'eau. Puis j'ai entendu un nouveau cri ; là j'ai compris que ce n'était pas un cri de joie : je me suis rué vers la porte de la piscine ; au même moment, une jeune femme poussait cette porte en criant... Je suis entré et j'ai vu : les corps de deux fillettes étaient là devant moi, dans la piscine, inamimés. L'un d'eux flottait, le visage tourné vers le fond ; l'autre gisait au fond de la piscine. Sans hésiter une seconde j'ai sauté à l'eau et j'ai vite sorti la première des fillettes, que j'ai allongée sur le sol près du bord de la piscine ; la femme, qui avait appelé se pencha vite pour essayer de pratiquer sur elle les exercices de réanimation. Pendant ce temps, j'ai sauté une deuxième fois pour tenter de ramener à la surface l'autre jeune fiille ; j'ai eu du mal car je ne sais pas nager et même si l'eau n'était pas très profonde, j'avais tendance à remonter quand j'essayais d'atteindre le fond... J'y suis finalement arrivé ; j'ai déposé le jeune corps près de l'autre et j'ai voulu tenter aussi des exercices de réanimation. La jeune femme m'a supplié d'aller chercher de l'aide. Comme il n'y avait personne au rez-de-chaussée, que le bureau de l'administration était fermé, j'ai pris l'ascenseur pour aller frapper à la porte de l'administrateur, qui habitait l'appartement voisin du mien. Dès qu'elle a ouvert la porte, elle m'a aperçu tout mouillé ; je lui ai dit ce qui se passait, elle m'a répondu : « Je m'en occupe ! ». Elle a saisi le téléphone, appelé les ambulanciers, la police et... le concierge.
Quand je suis redescendu, tout ce monde là arrivait et prenait en charge la situation. Je suis remonté chez moi, je me suis changé rapidement et je suis redescendu ; j'ai rencontré les policiers qui voulaient me voir ; je leur ai raconté ce qui s'était passé puis j'ai demandé si je pouvais partir, si on n'avait plus besoin de moi ; on m'a dit que je pouvais partir, qu'on m'appellerait peut-être pour avoir plus de renseignements si nécessaire... Je me suis frayé un chemin dans la foule dense de curieux que les gyrophares des ambulances et des policiers avaient attirés sur place et je me suis retrouvé sur le trottoir ne sachant quoi faire, tellement j'étais sous le choc. J'ai décidé de me diriger vers le parc du mont Royal, qui est un peu mon jardin et mon refuge quand le stress devient trop grand, que le rythme effréné du coeur de la ville bat trop vite pour moi. J'ai longuement marché dans les sentiers en essayant de me convaincre que tout cela n'était pas arrivé, que ces deux fillettes de dix ans avaient voulu nous jouer un mauvais tour et qu'elles étaient maintenant en train d'en rire discrètement pour ne pas exciter la colère des parents qui n'apprécient pas ce genre d'humour...
Quelques heures plus tard, j'ai appelé ma plus jeune soeur, qui habitait à quelques dizaines de mètres de chez moi, pour savoir si elle avait de l'alcool à la maison. Elle n'en avait pas ; nous avons décidé d'aller manger au restaurant ; le vin rouge me permettrait de relaxer... Je n'ai pas dormi beaucoup cette nuit-là, même avec le calmant que ma soeur m'avait donné. Quand j'ai appelé mon supérieur le lendemain matin pour dire que je serais un peu en retard, on m'a fait une blague de mauvais goût au sujet de noyades qui s'étaient produites la veille près de chez moi ; c'était en première page de tous les journaux : « Deux fillettes de dix ans se noient dans une piscine en l'absence de leurs parents »... J'ai sèchement répliqué que ce n'était pas arrivé « près de chez moi », mais bien chez moi, et que c'était moi qui avais sorti de l'eau le corps des deux fillettes ; on s'est gauchement excusé... Dans les jours qui ont suivi, j'ai vécu comme dans un rêve, dans un univers irréel... Les nuits suivantes, durant des semaines et des mois qui ont suivi cet événement, j'ai fait des cauchemars ; et même souvent durant la journée, je revoyais ces deux fillettes inanimées et je n'arrivais pas à m'entrer dans la tête que ces deux petites chinoises, mignonnes comme tout, ne souriraient plus à personne ni à la vie...
Si toutes les séparations, toutes les ruptures, tous les adieux de nos vies contribuent à nous assagir et à nous faire vieillir un peu, il me semble avoir d'un coup vieilli de plusieurs années ce soir-là et dans les jours qui ont suivi. Puis, peu à peu, on intègre cette nouvelle réalité ; elle fait partie de soi et contribue à notre évolution. Une expérience de vie s'évalue non pas en fonction de ce qui nous arrive, mais en fonction de notre capacité à absorber, à intégrer ce qui nous arrive. Comme le disait si bien Jean-Louis Trintignant qui, après la mort tragique de sa fille adorée, a eu beaucoup de mal à reprendre goût à la vie mais qui, à partir du moment qu'il a décidé de vivre, a choisi de le faire correctement et de ne pas présenter aux autres un visage toujours sombre : « la vie est belle ! », dit-il, et il y a toujours malgré tout « entre deux drames, beaucoup de bonheur. »
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