vendredi 11 novembre 2005

Les grandes personnes

« Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants », écrit Saint-Exupéry dans Le Petit Prince. Il avait raison. À voir comment la plupart des grandes personnes se prennent au sérieux, on peut se demander, cependant, combien d'entre elles se souviennent d'avoir été des enfants.

Quant à moi, je ne garde pas de souvenir particulièrement joyeux de mon enfance. Il y en eut, sans doute, mais je ne me souviens pas de mon enfance comme d'une époque heureuse. Ni de mon adolescence, d'ailleurs. J'ai commencé par avoir une enfance heureuse, choyée, puis, un jour, tout s'est arrêté. Je n'avais pas trois ans. Vu de l'extérieur, il n'y eut pas de drame, pas d'événement particulier, rien qui attire la sympathie des voisins ou la curiosité des organisations qui s'occupent de la protection des enfants (ces organisations d'ailleurs n'existaient pas, du moins dans mon milieu, quand j'étais enfant). Un jour cependant, mon enfance insouciante a basculé. Il ne s'était rien passé d'extraordinaire, rien d'autre que la régularisation d'une situation, que le retour à la normalité des choses, et cependant l'enfant que j'étais a vécu sans doute le plus grand drame de sa vie ; ce sera le premier d'un de ces grands déchirements dont on ne se remet jamais vraiment. Ce fut un événement déterminant pour le reste de ma vie. Dès lors, l'enfant que j'étais comprit qu'il ne pouvait faire totalement confiance aux grandes personnes... Cet événement fondateur fit en sorte que durant mon enfance, mon adolescence et dans les premières années de ma jeunesse, j'eus du mal à nouer des liens avec d'autres et plus encore à les maintenir. Si je peux identifier cet événement qui a détruit en moi quelque chose d'essentiel, je peux aussi identifier ce qui, de nombreuses années plus tard, transformera ma vie dans le bon sens, cette fois. J'en parlerai probablement un jour, dans une chronique pas forcément prochaine...
J'ai été un enfant sérieux, un adolescent ténébreux. Et c'est sans doute parce que j'ai été sérieux trop tôt que j'ai tellement peu envie d'être une grande personne, maintenant que l'on me regarde comme l'une d'entre elles et que l'on s'attend à ce que je me comporte en conséquence. Il n'y a pas si longtemps encore, quand il me présentait à d'autres, l'un de mes amis disait de moi que j'étais un « délinquant » et, saisissant l'expression de surprise des interlocuteurs qui en me regardant voyaient devant eux un « jeune homme bien », une grande personne bien mise, à l'allure responsable, cet ami précisait que c'était l'un des plus beaux compliments qu'il pouvait me faire. Et comme il avait raison ! Ils sont si rares ces amis qui vous perçoivent si bien... Il m'arrive souvent de dire que j'ai commencé très tard ma crise d'adolescence et qu'elle n'a jamais vraiment cessé... L'un de mes grands plaisirs reste de faire, sans me faire prendre, ce qu'il ne faut pas faire, du moment que ça ne nuit à personne... Ma délinquance est douce et sans malice ; au fond, ce qui m'amuse, c'est de contourner les règles établies, de déjouer les interdits en riant. Cela m'arrive de moins en moins, cependant, et je le regrette. Entouré de grandes personnes, parce que les « enfants » que je connais sont de plus en plus occupés à vivre ailleurs leurs jeux d'enfants ou en train d'essayer de devenir des grandes personnes, je vois ces adultes sans cesse préoccupés de choses sérieuses qui ne m'intéressent pas. Bien sûr, je les écoute en parler, car je suis poli et j'ai appris à avoir de la conversation avec les grandes personnes, mais je ne me sens jamais aussi seul que lorsque je suis en société.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Je commence à lire ton blogue. Je découvre petit à petit, et je me reconnais dans tes dires. Tu as de la chance d'avoir tes amis qui te connaissent (te voyent surtout) tel que tu es. L'idée d'un éternel adolescent m'a aussi fait sourire. Je ne sais quand je m'arrêterai, jamais je l'espère. C'est si bon.
Je n'ai pas encore eu une idée de ton âge. Sans trop de doutes, je suis plus jeune que toi, mais je ne m'imagine pas de combien. Tu m'a montré que je n'étais pas un cas désespéré.
Je te souhaite de rester tel quel, ou peut-être as-tu changé depuis.

Alcib a dit…

Les amis grandissent, cher Chade ; il me faudra en ajouter de nouveaux qui ne se prennent pas trop au sérieux ;o)

Anonyme a dit…

J'ai trouvé ton blog en cliquant sur ton lien dans l'un des nombreux commentaires que tu as laissés sur divers autres billets de blogues. Wow, je comprends mieux maintenant ton caractère. :)

Il y a un grand auteur (Victor Hugo je crois) qui disait : « Celui qui n'a pas vécu sa crise d'adolescence la vivra tout au long de sa vie d'adulte. » Je confirme. Et bien je confirme. Car je suis aussi l'un de ceux-là. ;)

Alcib a dit…

Merci, Bruno. Il me semblait que nous devions bien être quelques-uns encore dans ce monde ;o))
En ce moment, je trouve que je deviens passablement adulte : cela m'inquiète et m'ennuie au plus haut point !
Je te souhaite de retarder ce moment le plus possible ;o)

Anonyme a dit…

J'ai finalement terminé de lire ton blog tard dans la nuit. Tout un chapitre de roman, ton histoire à l'hôpital. Tu nous as tenu en haleine jusqu'au bout en ne dévoilant le secret de l'opération qu'à la fin.

Tes billets sont très orientés sur ta passion (la littérature) et que c'est parfois un peu lourd (d'ailleurs je sautais souvent par-dessus les billets exclusivement concentrés sur ça). Après avoir lu ce blog, on ne te connaît pas aussi bien qu'on connaîtrait le célèbre Olivier, dont le blogue est plutôt orienté sur son humeur et ses activités quotidiennes.

En tout cas tu habites dans un beau quartier, j'aimerais bien habiter par là-bas. ;)