mercredi 30 novembre 2005

Poireaux vinaigrette...

J'apprends, par le blogue d'Olivier que le poireau est le symbole floral du pays de Galles... À dire vrai, je m'en moque un peu, n'ayant pour l'instant pas de lien affectif particulier avec le pays de Galles (rien contre non plus ; j'ai des amis qui y sont allés et qui ont aimé). Je trouve cependant amusant que l'on puisse choisir le poireau comme emblème floral...

Comme je l'écrivais en commentaire dans le blogue d'Olivier, je me suis demandé si Agatha Christie ne s'était pas inspirée de ce légume pour nommer le plus célèbre de ses personnages, le fameux Hercule, inspecteur d'origine belge... Oui, je sais que l'Hercule de la dame anglaise, c'est « Poirot » qu'il s'appelle (faut pas me prendre pour un illettré simplement parce que je suis Québécois, que je ne suis pas professeur et que je ne mets pas toujours sur les « i » plus de points qu'il n'en faut : il faut faire confiance à l'intelligence du lecteur). Si j'avais voulu donner un nom de légume à un personnage belge, je l'aurais plutôt appelé Chicon, il me semble ; mais peut-être que la romancière anglaise craignait la sonorité finale de cet autre légume...

Cela me rappelle l'histoire d'un important promoteur immobilier qui construisait à Montréal un hôtel assez important ; puisque le projet devait s'élever rue Sherbrooke, à l'angle de la rue City Councillors, les promoteurs avaient décidé de lui donner le nom de « Shercon ». On aura vite compris pourquoi ce projet qui devait avoir un certain prestige risquait de faire parler de lui pour autre chose que la qualité de son architecture... Comme j'ai eu à l'époque, pour le compte de l'État, un petit rôle à jouer dans les démarches administratives concernant la raison sociale et la déclaration du siège social de l'entreprise, j'avais suggéré aux conseillers juridiques de l'entreprise en question qu'il serait préférable de choisir une autre raison sociale. Évidemment, les conseillers juridiques n'aiment pas se faire dire ce qu'ils doivent faire ; il y a toujours quelque chose d'un peu humiliant pour eux de rappeler le client, de lui demander de choisir un autre nom ; pourquoi l'avocat n'y a-t-il pas pensé plus tôt, en effet ? Pourquoi payer des conseillers juridiques s'ils ne peuvent prévoir les problèmes à venir ? Mon conseil de changer de nom a tout de même fait son chemin, conforté par d'autres qui n'ont sûrement pas manqué de venir de part et d'autre et, ce n'est pas négligeable, par quelques articles dans les journaux ; l'entreprise a fini par changer de nom...

Pour moi, cependant, les poireaux n'évoquent ni le pays de Galles ni Agatha Christie. J'ai dû manger des poireaux quelques fois dans mes premières années de jeunesse, mais je n'en gardais aucun souvenir et par conséquent aucun désir de recommencer. C'est un légume que j'ai vraiment découvert il y a plusieurs années, lors d'un séjour à Paris. Lors de mon premier séjour dans la capitale française, à vingt ans, j'avais commencé à faire du spectacle en professionnel (avec cachet, déductions, cotisations) ; depuis, j'étais resté en contact avec quelques personnes, dont le professeur de danse de quelques amis que j'allais souvent attendre à la fin de leurs cours... Quand, après quelques mois, il fallut prolonger mon permis de séjour en sol français, ce professeur de danse de mes amis fit vraiment tout ce qu'il put pour me permettre de rester en France plus longtemps : il me fit inscrire au Conservatoire de musique dans la classe de chant que dirigeait une amie, il me fit embaucher chez un commerçant de son voisinage en attendant que je reparte en tournée de spectacles, etc. Mais un artiste lyrique ne gagne pas une fortune à vingt ans ; si les engagements sont un peu espacés, il faut trouver d'autres sources de revenus. On voulait bien m'engager dans des commerces, dans des bureaux ; mais après quelques jours, quand on se rendait compte que je n'étais pas Français, je comprenais que je devais partir... Je finis par rentrer à Montréal, la mort dans l'âme...


Par la suite, chaque fois que je venais à Paris, je venais chez cet ami, André ; j'y avais « ma chambre » (c'est ainsi qu'il désignait lui-même cette pièce qui lui servait de petit salon de musique et de lecture ainsi que de salle à manger pour les repas sans cérémonie et dans laquelle je m'installais quand j'étais là ; il me disait parfois : « J'ai reçu telle ou telle personne ; j'ai dû prêter "ta chambre" ».) Comme il avait fait une belle carrière, qu'il avait été une « star » en son temps, son appartement était un véritable musée, rempli de collections diverses et de beaux objets. Son train de vie était aussi à la hauteur de sa réputation. Quand je venais à Paris, c'était habituellement pour trois semaines ou un mois. Et tout le temps que j'étais là, chacun des repas était particulièrement bien planifié pour me faire goûter les délices de la cuisine française. Des poissons au poulet, en passant par les fruits de mer, le veau, le canard, le lapin, le steak tartare, j'aurai mangé là la meilleure cuisine qui soit et rien que d'y penser, j'en salive encore ; tous les amis que je lui ai fait connaître et qui ont eu l'occasion de manger chez lui diront la même chose : protocole en moins, chacun de ses repas était un repas princier... Le midi, c'était évidemment plus léger, mais toujours délicieux et bien équilibré ; nous prenions un peu moins de vin au déjeuner, mais il fallait tout de même un verre ou deux de ce qu'il appelait en riant son « porto soviétique », qui était en fait son bordeaux de table, son vin de tous les jours. Pour les grandes occasions, il descendait à la cave chercher du champagne et, surtout, de grands crus du Bordelais pour les vins rouges... C'est de là que me vient l'habitude de n'acheter pour moi que des vins de bordeaux, sans que ce soit les grands crus. Et c'est aussi chez lui, donc, que j'ai mangé pour la première fois des poireaux vinaigrette en entrée, que j'ai souvent préparés moi-même depuis et qui restent ancrés dans ma mémoire comme un plat associé à l'automne, au mois de novembre plus particulièrement, et surtout comme un plat associé à André. C'est aujourd'hui la Saint-André, qui était sa fête et la grande occasion de recevoir quelques amis pour lesquels il sortait le champagne, la belle vaisselle, le cristal et l'argenterie ; pour l'occasion, les grands traiteurs parisiens étaient mis à contribution : D'Aloyau, Fauchon, Hédiard.... J'ai une pensée affectueuse et triste pour cet ami, décédé en novembre il y a deux ans et qui fut durant... plus de vingt ans, pas forcément un maître à penser car nous avions parfois des positions politiques assez divergentes, mais un mentor dans l'art de vivre et un fidèle ami.

Le blogue d'Olivier (un Français au Québec).





2 commentaires:

Alisandra a dit…

Avoir un ami c'est plus vital qu'avoir un ange-Nichita Stanescu-écrivain roumain
Très intéressant tout ce que tu as écrit..Mais j;ai une demande..Pourquoi la vie est si dure?...

Alcib a dit…

Au-delà des nuages... : Merci de cette citation, jolie.

Je me pose parfois la même question. Si elle n'était que dure, ça pourrait aller ; elle est parfois injuste et cruelle.