dimanche 20 novembre 2005

Si charité mal ordonnée, ne pas donner...

Je citais l'autre jour, dans mon article « ...avec un coeur d'enfant », un extrait d'un roman de Michel del Castillo ; le dernier paragraphe cité se terminait par ces mots :
« ... La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner mille pesetas. Foi bien fragile que celle qui dépend du portefeuille ! Ce n’est pas le superflu qu’il faut savoir donner, mais bien le nécessaire. »
Ce soir je tombe sur une citation de Romain Rolland qui explique peut-être pourquoi tant de gens hésitent à ouvrir leur portefeuille pour aider un ami, comme le font les deux amis de la fable de La Fontaine, ou pourquoi certains ont tant de mal à faire un sacrifice, quel qu'il soit : « Si un sacrifice est une tristesse pour vous, non une joie, ne le faites pas, vous n'en êtes pas digne. » (Romain Rolland, Jean-Christophe).

Il y a quatre ans, à l'invitation de nouveaux amis que j'avais connus par l'intermédiaire d'un salon de clavardage sur Internet et avec qui je dialoguais depuis environ un an, je suis venu passer quelques semaines en Europe. Quelques-uns de ces amis avaient insisté pour que je vienne, en me disant que je pourrais loger chez un tel et un tel, à tour de rôle. Je ne suis pas du genre à partir à l'aventure ; je considère que j'ai déjà vécu ma vie de bohème, à vingt ans, lors de mon premier séjour à Paris et assez longtemps par la suite au fil des ans ; depuis, j'ai plutôt tendance à vérifier dans quoi je m'embarque avant de partir. Dans le cas de ce séjour de l'automne 2001, les promesses d'hébergement me semblaient des garanties suffisantes, puisque j'avais eu déjà avec ces amis des échanges presque quotidiens par Internet, plusieurs conversations téléphoniques et bien d'autres témoignages d'amitié.
Or, après un saut à Bruxelles et une semaine passée à Liège chez un autre ami, je suis venu à Paris, comme il était prévu. Je me suis vite rendu compte que les promesses des amis ne tenaient plus ; je n'ai pas essayé de savoir pourquoi ; il me suffisait de savoir que l'on voulait bien me voir, sortir au café ou au restaurant avec moi, mais que l'on hésitait encore à ouvrir la porte de l'appartement. Je me suis donc résigné à rester à l'hôtel où je m'étais installé dès mon arrivée.
Quelques jours plus tard, j'étais dans un cybercafé, car Internet restait pour moi la façon la plus efficace de communiquer avec tous ces « amis » dont j'avais fait la connaissance au cours des mois précédents. Un garçon que je connaissais un peu car nous avions eu ensemble quelques brèves conversations, mais très peu par rapport à de nombreux autres, me demanda où j'habitais à Paris. Je lui répondis que j'étais à l'hôtel parce que les amis qui devaient m'héberger semblaient avoir des difficultés. Or, ce garçon que je ne connaissais pas vraiment, Christian, qui ne me connaissait sans doute pas davantage, me dit qu'il avait un appartement dans le Marais, qu'il partait passer deux jours à la campagne et qu'il mettait donc cet appartement à ma disposition. Nous nous rencontrâmes le lendemain à l'heure du déjeuner dans un bistrot situé sur les Grands Boulevards, entre mon hôtel et son lieu de travail. Nous avons mangé un sandwich, pris un café, puis Christian m'a remis les clés de son appartement en m'invitant à m'y installer. Il est retourné au travail alors que je suis passé à l'hôtel chercher mes affaires ; j'ai ensuite pris un taxi et je suis parti m'installer rue Vieille-du-Temple...
Quatre ans plus tard, c'est avec beaucoup d'émotion que je repense à cet élan spontané de générosité. Ce garçon qui ne m'avait jamais vu de sa vie, avec qui j'avais eu de brèves conversations sur Internet, m'offrait les clés de son appartement alors que lui-même partait durant quelques jours... Combien d'autres auraient pu craindre d'être volés, ou quoi que ce soit ; combien auraient craint d'être dérangés ? Quand il revint de la campagne, loin de me mettre à la porte, Christian me dit que je pouvais rester aussi longtemps que je n'aurais pas trouvé autre chose, insistant même pour que je prenne sa chambre, disant qu'il dormirait au salon.
Ça, c'est pour moi de la générosité joyeuse et véritable, et non de la générosité triste, à contre-coeur... J'en garderai une éternelle reconnaissance à Christian, et aussi à Yann et à Sébastien, des amis de Christian, qui ne sont probablement pas étrangers non plus à ce si cordial accueil. J'en remercie encore ces amis et j'espère pouvoir bientôt leur rendre la politesse, comme cela devait se faire cet automne pour Yann et Sébastien, qui habitent l'un le Berry et l'autre les Yvelines, et qui ont dû reporter à plus tard leur séjour à Montréal. Pour compenser un peu ce retard, je viens de recevoir du Portugal où Sébastien a de la famille une carte postale signée de Yann et de Sébastien et dont l'image évoque le restaurant de Paris où nous avions mangé en compagnie de plusieurs autres copains le soir de notre première rencontre, le samedi 13 octobre 2001.

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